Et c’est un peu de moi
Et c’est beaucoup de nous
Qu’il emporte avec lui […]
Sylvain Lelièvre, « Le fleuve »
1928. Le gouvernement du Québec offre 15 $ – jolie somme à l’époque – pour chaque « marsouin blanc » tué. L’année suivante, il subventionne l’utilisation de bombes lâchées sur le Saint-Laurent pour les éloigner des zones de pêche commerciale. Ce n’est que durant les années 1950 que prendra fin la chasse exterminatrice aux bélugas.
1967. C’est le début d’un temps nouveau, celui de l’ouverture du Québec sur le monde. Mais en 1967, tout n’est pas beau. Par marée descendante, la grève voit apparaître des cadavres de poissons tandis qu’à voix basse, dans la cuisine du chalet, les adultes parlent d’interdire la baignade aux enfants. À quelques kilomètres de là, en pleine ville, de la rivière-dépotoir émergent carcasses de frigidaires et de vieilles minounes aux formes arrondies. Un petit mot de trois syllabes issu du latin pollutio (salissure, souillure) sera bientôt sur toutes les lèvres. À l’ouest de l’estuaire, les Québécois tournent le dos à leur propre « colonne vertébrale », le fleuve.
2016. Selon Émilien Pelletier, professeur associé à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski, le Saint-Laurent se porte mieux qu’il ne s’était porté au cours des 50 dernières années. Autrement dit : moins mal. Cependant au mercure, au DDT et aux autres attentats industriels et municipaux d’hier (?) succèdent de nombreuses inconnues, des microbilles de plastique, le projet Énergie Est ; et beaucoup d’incertitudes…
Il est minuit moins une depuis trop longtemps, nous rappelle David Laporte dans « Autoportraits de l’intellectuel en fleuve ». Avec ce numéro d’été, Nuit blanche salue la bonne idée qu’ont eu Vincent Lambert et Isabelle Miron de faire paraître le collectif J’écris fleuve, exercice de « géopoétique », recueil de prises de position, de récits de création, de « souvenirs insubmersibles » en hommage au « fleuve qui soutient [notre] identité et nourrit le monde ».
Chaque époque en ramène d’autres. Et l’air du temps serait à la contre-culture et aux années 1970. Par David Laporte, entre autres, tour d’horizon d’une époque « à la fois bouillonnante et méconnue » qui aura laissé dans son sillage sexualité libre, groupes écologiques, coopératives d’habitation…
Prochain épisode : la douche froide, pour les hippies, du no future punk ?
Juillet 1936 : la guerre d’Espagne. Prenant comme point de départ le roman Pas pleurer (prix Goncourt 2014) de Lydie Salvayre, puis élargissant son propos à la tragédie bien connue des arts et de la littérature que fut la guerre civile espagnole, Roland Bourneuf signe un texte aussi poignant qu’éclairant sur cette « guerre impitoyable et d’une extrême violence » dont on a dit qu’elle fut la « répétition générale » de la Seconde Guerre mondiale.
Ne tirez pas (toujours) sur l’œuvre. En 1942, le journaliste français Lucien Rebatet, avec « une haine incendiaire et une xénophobie monstrueuse », signe un violent pamphlet antisémite et collaborationniste. Dix ans plus tard, il fera paraître chez Gallimard « un des très grands romans français du XXe siècle ». Par François Ouellet : « entre l’art et des positions moralement indéfendables, Rebatet est un écrivain dans l’âme ». Ailleurs comme ici, une question sans fin.