Avant que la rutilante Volga M24 en couverture de son dernier roman ne me fasse succomber, le nom de Miljenko Jergović m’était complètement inconnu. Autant avouer ma parfaite ignorance de la littérature croate, dont ce même Jergović, depuis Buick Riviera et Freelander traduits eux aussi chez Actes Sud, est semble-t-il un des plus illustres ambassadeurs. En abordant Volga, Volga, j’ai également pu prendre l’imparfaite mesure de ma non moins prodigieuse incompétence en matière d’histoire sociopolitique de l’ancienne fédération yougoslave et des liens complexes d’inimitié qu’ont entretenus entre elles ses différentes nations. Malgré toutes ces carences, j’ai pourtant su y trouver mon compte, et ce, à plusieurs égards.
Dans l’objectivité quasi journalistique de l’écriture d’abord, le ton d’une neutralité inouïe qui tranche net par rapport à la gravité des sujets traités et rejoint l’ambition de l’auteur exprimée en notule de livrer une « fiction documentaire » ; mais surtout, dans cette atmosphère étouffante de paranoïa aiguë héritée du contexte titiste. Au cours de la première des trois parties qui composent Volga, Volga, Jergović présente d’ailleurs le régime communiste de l’intérieur, par l’intermédiaire de Dželal Pljevljak, chauffeur au service de l’armée populaire yougoslave. Converti sur le tard à l’islam, Pljevljak quitte chaque vendredi son petit village de Split pour se rendre à la mosquée Skenderpašina de Livno. Jusqu’au jour où une crevaison le retient à Fatumi et lui permet de se lier d’amitié avec le vieil Osman Fatumić et sa famille.
La partie médiane est rédigée à la troisième personne, sous la forme d’une sorte de procès-verbal. Elle reprend les étapes marquantes de la vie de Pljevljak, personnage charnu qui gagne en épaisseur et dont on apprend qu’il a commis un crime sur lequel le récit biographique distille des informations au compte-gouttes. La progression à rebours tend une intrigue touffue, soutenue par le changement de point de vue qui offre une perspective renouvelée sur les protagonistes déjà croisés. Jergović mystifie ainsi son lecteur, l’entraîne dans un univers où la vérité et le mensonge sortent du même moule. Volga, Volga est une œuvre troublante, une complainte jouant pour refrain l’angoisse de fin du monde qui baigne tout un pan de l’histoire pathétique et alambiquée de la Yougoslavie du XXe siècle.
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