Essayiste, romancier et cinéaste, Raphaël Delpard est l’auteur de nombreux ouvrages historiques. En 2015, il a publié un essai instructif sur la Conférence d’Évian-les-Bains de juillet 1938, réunion au sommet que l’on peut, à juste titre, qualifier de « conférence de la honte ». Ce document fouillé permet de contextualiser les événements qui ont conduit une trentaine d’États à abandonner les Juifs à l’Allemagne nazie.
La Conférence d’Évian et les accords de Munich ont fait de l’année 1938 l’année de toutes les lâchetés. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, les Juifs allemands tentaient désespérément de fuir la peste brune. Face à cette catastrophe, le président des États-Unis, Franklin Delano Roosevelt, proposa la tenue d’une conférence internationale afin de réunir les représentants de 29 États susceptibles d’intégrer ces indésirables. Le flot croissant de réfugiés appelait inévitablement une action de grande envergure. Parmi les pays invités, citons notamment, pour mémoire, la Belgique, le Canada, la France, le Royaume-Uni, le Mexique, l’Argentine, le Brésil, l’Australie, la Colombie et les Pays-Bas.
Cette action internationale ne fut pourtant qu’une sinistre mascarade ; le refus des Américains d’apporter une solution à l’épineuse question juive ayant été préalablement programmé. C’est dans ce contexte que se déroula la conférence dans le luxueux Hôtel Royal d’Évian-les-Bains, réunion attendue par des centaines de milliers de Juifs dont le sort dépendait.
Accompagnés de leurs délégués, les représentants des nations conviées prirent, chacun leur tour, le soin de rappeler les traditions d’accueil de leur pays et leur volonté d’assister comme de secourir les personnes en détresse. Toutefois, ils affirmèrent, à contrecœur, ne pas pouvoir ouvrir leurs portes. Le représentant français expliqua ainsi que les ressources de son pays n’étaient « hélas pas aussi illimitées que son ardeur à servir la communauté des hommes » ; celui des Pays-Bas prétexta la hausse du chômage ; quant au diplomate canadien, il affirma que l’immigration avait « été limitée (sauf pour ce qui concerne certaines catégories d’agriculteurs et les proches parents de personnes se trouvant déjà au Canada) ».
En somme, tous auraient bien voulu, en apparence, agir. Mais, en réalité, personne n’avait réellement manifesté l’envie de sauver les Juifs de l’enfer germanique. Selon Raphaël Delpard, cette inertie politique trouvait son origine dans l’état d’esprit antijuif affiché et diffus de l’époque.
Cette farce, qui ne déboucha sur aucune proposition, allait finalement permettre au chancelier allemand de commettre l’indicible. Les démocraties, clamait-il, « jettent les hauts cris devant la cruauté sans borne avec laquelle l’Allemagne tente de se débarrasser des Juifs. […] Oui, on gémit. Mais cela ne veut pas dire que ces pays aient l’intention de résoudre par une action efficace le problème qu’ils posent avec hypocrisie. Bien au contraire, ils affirment le plus froidement du monde qu’il n’y a pas assez de place chez eux… Bref, de l’aide – non ! Des leçons – ça oui ! » Et les journaux berlinois de titrer : « Juifs à vendre – même à bas prix, personne n’en veut » !
Si les dignitaires politiques réunis à Evian ne trouvèrent aucune solution au problème juif, ils surent, en revanche, profiter des joies thermales et nocturnes de la ville. À ce sujet, le concierge de l’hôtel, René Richier, déclara au Manchester Guardian Weekly que tous ont passé un agréable séjour : « […] ils ont fait des promenades en bateau de plaisance sur le lac. La nuit ils sont allés jouer au casino. Ils ont pris des bains minéraux et des massages. […] Oui, certains ont assisté aux réunions. Mais il est bien difficile de s’asseoir à l’intérieur pour écouter des discours quand tous les plaisirs qu’offre Évian sont à l’extérieur ».
Le témoignage de Richier jette une lumière crue sur l’indifférence des nations face à la tragédie qui se préparait. Indifférence passée sous silence pour faire croire à la mobilisation internationale contre la barbarie nazie. La réalité est pourtant différente, se désole Delpard. Pas un seul État n’a voulu agir, pas un seul n’a voulu fustiger les consciences. De ce fait, ce qui a rendu la Shoah possible, c’est bien le silence des nations.
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