Indéniablement, Robert Charlebois, Michel Pagliaro et Claude Dubois sont les plus grands rockers québécois de tous les temps, mais il y a eu aussi de nombreux groupes légendaires de rock au Québec.
Québec Rock. Offenbach vs Corbeau évoque, dans l’élégant format dit à l’italienne, la naissance de deux grands groupes québécois. Une série documentaire du même titre réalisée en 2024 – par Félix Rose – reconstituait plus en détail cette même épopée. Dans un récit haletant, Michel Giguère n’omet rien pour retracer à partir de 1965 le parcours parfois chaotique, tantôt anarchique et souvent inventif de ces groupes mythiques dont la gestation aura été laborieuse et les faux pas, hélas ! trop nombreux. Plongées dans l’univers du rock, mais à l’échelle québécoise, ces équipes de musiciens ambitieux devaient se contenter d’un petit marché peu lucratif qui les empêchait de réaliser tous leurs rêves, contrairement aux grands groupes anglo-saxons appuyés par des multinationales du disque capables d’assurer la distribution d’un seul disque dans trente pays. Rien de tel pour Offenbach et Corbeau, qui malgré leur talent et leur créativité n’avaient pas les moyens de leurs ambitions.
Du point de vue visuel, le style de Christian Quesnel s’apparente au street art, parfois proche du psychédélisme et de l’hyperréalisme, où chaque image couvre une pleine page. Et comme nous replongeons dans les années 1970, plusieurs illustrations ressemblent à un bad trip.
Si l’inimitable chanteur Gerry Boulet attirait les regards et l’attention en trônant derrière l’orgue électrique, les autres membres d’Offenbach apportaient des idées créatrices, des paroles et des mélodies. Le rôle de Pierre Harel y était prépondérant : il réussit à faire comprendre à Gerry Boulet, qui n’écoute que du rock en anglais, qu’un groupe québécois voulant réussir au Québec doit proposer un répertoire exclusivement en français. C’est pourtant facile à comprendre, mais Gerry aura mis beaucoup de temps à l’admettre. Et encore un mois avant le référendum de 1980 sur la souveraineté-association, durant la ferveur de la québécitude, Offenbach a sorti un 33 tours… en anglais !
La contribution essentielle de Pierre Harel à la création de ces deux groupes légendaires reconfirme que la réussite ne tient pas qu’à une suite de bonnes chansons ; il faut avant tout un concept, une ligne directrice, une matrice qui servira de moule à toute une production artistique. Au fil des (nombreux) changements de personnel, Offenbach se trouvera un nom, un style, une direction, dès 1970.
Musicalement, le groupe Corbeau sera une émanation d’Offenbach, un peu comme Ève issue de la côte d’Adam. Sans rien enlever à Pierre Harel, le guitariste-compositeur Jean Millaire aura été le véritable génie à l’origine de Corbeau : musicien surdoué mais sobre, il a donné un son consensuel et attrayant aux albums des deux groupes et à ceux, en solo, de Marjo. On apprend beaucoup en lisant Québec Rock. Offenbach vs Corbeau : sur des accomplissements inimaginables, comme les concerts inoubliables au Forum de Montréal, mais aussi sur tant de rendez-vous manqués, notamment la brève rencontre – désastreuse – du groupe Offenbach, partageant la scène de la Place des Nations, à Montréal, avec son idole Chuck Berry, dont la mélodie « Reelin’ and Rockin’ » était à l’origine de la chanson « Chu un rocker ». C’était le 7 août 1980. Qui avait le plus mauvais caractère ? Et l’ego le plus affirmé ? C’est ça, aussi, le monde du rock and roll !