Travail de maître en même temps que merveille pédagogique. Sans jamais sombrer dans le style prétentieux, Gaston Deschênes donne un pays réel et un passé vérifiable à un public qui veut savoir d’où il vient et quelles étapes sont déjà franchies. Il départage les legs et les illusions tenaces. Très tôt, l’immunité parlementaire, dit-il, a protégé les élus ; plus tardivement, les partis ont imposé leur joug aux mêmes élus. Le premier Parlement n’avait à peu près rien de l’indispensable « gouvernement responsable », mais il donnait tout de même à tous le goût et la détermination de parvenir à ce résultat. Il n’est pas vrai, fait savoir Deschênes à telle divinité fédérale, que les francophones d’ici ont reçu d’un ciel londonien la dignité parlementaire sans l’avoir ni réclamée ni méritée. Sur ce terrain, l’auteur est particulièrement documenté et probant. Alors que les historiens n’ont guère établi de lien éloquent entre les troubles de 1837-1838 et le Parlement de Québec, Deschênes démontre qu’une forte proportion des élus ont payé le gros prix lors de la rébellion : pas moins de 28 des 90 élus ont connu l’intimidation, l’emprisonnement, l’exil ou l’échafaud. Un lien, essentiel et ignoré, s’établit entre les Patriotes et la quête d’un gouvernement autonome.
Le respect que voue Gaston Deschênes aux textes ne le détourne pas des coutumes et des règles non écrites. Il étudie ainsi avec minutie les tenaces théories au sujet de la devise du Québec ; il ne rattache le « Je me souviens » à aucun texte plus ample. Il sait tout des mésaventures survenues dans le recensement des statues requises par le Parlement, mais il rappelle que seules les pressions populaires et partisanes peuvent expliquer que Duplessis ou Mercier aient une statue à leur mémoire et que Taschereau ou Gouin attendent encore leur tour.
Lecture aride ? Ce serait méconnaître Gaston Deschênes.