L’affaire silicose et Les dessous d’Asbestos racontent des années névralgiques dans l’évolution sociale, politique et religieuse du Québec. Le premier porte sur un conflit de travail qui a marqué l’imaginaire québécois, mais dont les dessous n’avaient pas été, loin de là, complètement explorés. Le second regroupe autour de « l’affaire silicose » nombre de documents éclairants dont plusieurs inédits. Seule rédactrice du premier ouvrage, Suzanne Clavette joue dans le second le rôle de coordonnatrice entre les sources et les agents. Dans les deux cas, la recherche est exemplaire : des archives, comme celles des jésuites, deviennent accessibles et sont dûment fouillées, des témoignages divergents s’entrecroisent et s’éclairent mutuellement, d’étonnants échanges épistolaires nuancent ce que l’opinion publique pouvait tout au plus soupçonner.
Jusqu’aux années 1947 et 1948, la collusion entre le pouvoir politique de Duplessis et les grands intérêts industriels échappait en partie à l’attention. On ignorait plus encore les affrontements qui opposaient la portion progressiste et le courant traditionaliste du clergé et de l’épiscopat. Chacune à sa manière, la grève de l’amiante et l’affaire silicose agirent comme révélateurs d’enjeux considérables et de divergences radicales. Une fois étalés sur la place publique, les conflits ne pouvaient que courir vers le triomphe du plus fort. Triomphe vite observable. Le syndicalisme subit le contrecoup de ses audaces ; les progressistes qui tentaient d’intensifier l’action de l’Église sur le terrain social disparurent de la revue Relations. Celle-ci avait dénombré avec éclat les morts attribuables à la silicose. À compter de cette époque, un vent de droite souffle victorieusement sur l’Église du Québec.
Sobrement, sans hausser le ton, prenant soin de toujours étayer l’affirmation, Suzanne Clavette remet intelligemment en cause bien des idées reçues. Loin de signifier un apport d’air frais, l’entrée en scène du flamboyant cardinal Léger s’inscrit dans l’offensive de Pie XII pour ramener le haut et le bas clergés dans leurs silences traditionnels. Le rôle prêté par le théâtre à Monseigneur Charbonneau ne correspond pas non plus à la réalité, puisque c’est cet homme imprévisible qui démembra cavalièrement l’équipe de Relations. Un autre mythe vole en éclats lorsque l’auteure observe, au sein même d’un ordre réputé monolithique, la lutte farouche entre le clan des jésuites audacieux (Jacques Cousineau, Jean-d’Auteuil Richard…) et celui des jésuites prudentissimes (Léon Pouliot, Émile Bouvier…).
Daniel Pennac a beau dire que « le verbe lire ne se conjugue pas à l’impératif », il y a quand même des lectures qui s’imposent à quiconque veut comprendre.