Années 1930, New York. Wall Street est en crise. Malgré tous les drames, Benjamin Rask, lui, fait fortune. Le magnat de la finance est heureux auprès de son épouse, issue d’une famille d’aristocrates. Est-ce que la relation du couple à qui tout paraît réussir est aussi harmonieuse qu’elle le semble ?
Prix Pulitzer 2023, Trust n’est pourtant que la deuxième œuvre de l’Américano-argentin Hernan Diaz, né en 1973, directeur adjoint de l’Institut hispanique de l’Université Columbia, à New York. En 2022, le livre a gagné le prix Kirkus ; il est en outre apparu sur la longue liste du prix Booker et a figuré parmi les sélections du meilleur livre de l’année du Washington Post et du New York Times. En 2019, Diaz remportait le prix Whiting. Avec son premier roman Au loin (In the Distance), paru en 2017, il avait reçu plusieurs récompenses prestigieuses, et avait été finaliste des prix Pulitzer et PEN/Faulkner.
À l’instar du Cid de Corneille, il semble que les coups d’essai d’Hernan Diaz soient vraiment des coups de maître.
L’écrivain est machiavélique. La table des matières de Trust annonçant quatre parties écrites par quatre auteurs différents excite déjà la curiosité du lecteur. Loin de vouloir divulgâcher l’intrigue du roman, ce qui enlèverait au mystère jouissif de sa structure, nous dirons seulement que sa construction gigogne est habile et vaut le détour.
Dès la première partie, œuvre d’un certain Harold Vanner, il appert que le multimilliardaire Benjamin Rask, né en 1876, est plutôt antipathique. « Plus ses investissements s’étendaient en profondeur dans la société, plus il se refermait. » Jusqu’à ce qu’il sente le besoin « d’envisager le mariage », non parce qu’il est en amour, mais parce qu’il se sent une « responsabilité généalogique ». Helen Brevoort ne s’énamoure pas non plus de Benjamin mais, d’esprit pratique, elle l’épouse pour sa fortune. Argent, solitude et philanthropie caractérisent le couple jusqu’à la mort de Helen, devenue démente. Puis, plus rien à déclarer, pourrait-on penser.
Pourtant, dès la deuxième partie, le vent tourne et, avec lui, l’austère Andrew Bevel, le vrai protagoniste, entre en scène et se lance dans la rédaction de son autobiographie. « Beaucoup connaissent mon nom, certains mes actions, très peu ma vie. » Conclusion : on ne sait plus qui est qui, de Rask ou de Bevel.
Avec la troisième partie, une éclaircie. On comprend que les personnages de Trust, regardés avec diverses lorgnettes, sont tous prêts à « tordre la réalité pour la faire coïncider ». Le mensonge et le déni sont rois. Le récit continue son œuvre de sape et, tout en révélant les secrets des plus nantis de la société, remet en question le pouvoir intrinsèque de l’argent. Contradictions, faux-fuyants, faux-semblants, effets de caléidoscope, Diaz maîtrise l’art du puzzle. Grand admirateur de Borgès, il lui rend ici un fervent hommage.
Quant aux relations homme-femme dudit couple… Un indice : Bevel est mort en 1938, mais ce n’est qu’en 1975 qu’une femme sera admise à la Bourse de New York (NYSE), fondée en 1792. Le pouvoir que confère l’argent n’a longtemps appartenu qu’aux hommes.