Le cycle Dernier royaume, dont il s’agit ici du neuvième livre, se déploie en constellations baroques de fragments réflexifs, enchaînant des univers interreliés qui, à l’exemple des Essais de Montaigne, pourraient bien avoir pour objet central l’humain lui-même, le plus souvent à travers des approches plus ou moins directes de la pensée, de l’écriture et de l’acte créateur. Alors que Sur le jadis approfondissait tout particulièrement le rapport avec l’inconnu noué dans une naissance qui nous a toujours échappé, Mourir de penser se tend vers l’autre extrémité, celle du disparaître et des possibilités infinies qu’il offre quant à l’effort de représentation.
Nul besoin d’avoir pratiqué Quignard auparavant pour lire cet opus, dont les brefs chapitres peuvent également se lire dans le désordre. Anecdotes antiques, interprétations étymologiques, observations sur le bouddhisme ou la psychanalyse, tout pour l’auteur est un point de départ, une relance, un chemin de traverse, alors que les leitmotivs du mourir et du penser guident une réflexion en acte, quasi physique, dont on épousera le cours comme si elle était la nôtre. À moins, évidemment, d’être rebuté par ce mode de réflexion en clair-obscur, qui se plaît à corrompre les frontières rassurantes entre genres littéraires, et que je serais tenté d’identifier comme une « poésie d’idées ».
Même un parcours linéaire sera confronté à une structure spiralée, faite de reprises et de déplacements, d’obsessions et d’associations. Parmi ce réseau, certains rapprochements sont filés avec une fulgurance désarmante, tel celui entre chasse archaïque et faculté de lecture. Alors que les processus de la chasse auraient stimulé la formation de l’être lecteur, la phrase littéraire est envisagée par Quignard comme une traque à l’état pur, une expectative où les angoisses trouvent leur résolution la plus extrême, bien que celle-ci soit suspendue, incertaine. Ailleurs, la pensée est opposée à la « rêvée », dont la nominalisation s’inscrit dans une défense de l’imaginaire et du mythos qui est du même coup résistance à l’objectivisme grégaire de maints esprits.
Volontiers élitiste, érudite, allusive, prônant un bon usage du côté taciturne de la voix, la prose quignardienne éblouit par un manque de concessions qu’abreuve une grâce manifeste, un bonheur d’expression appuyé sur nos gouffres les plus intimes.
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