Il est toujours intéressant, lors de la réédition d’un livre, de relire les témoignages critiques qui ont accompagné sa publication quelques années plus tôt. Lors de la sortie de Comment faire l’amour avec un Nègre,Réjean Beaudoin écrit dans la revue Liberté qu’il s’agit d’« une parfaite ineptie ». Suzanne Lamy, quant à elle, s’enthousiasme de trouver « enfin de l’humour noir » dans la production littéraire québécoise (Spirale no 58). Depuis, le roman de Dany Laferrière a connu un succès incontestable : il a été porté à l’écran et est aujourd’hui cité dans la plupart des manuels scolaires récents.
A posteriori, ce qui aurait pu passer pour un pavé jeté dans la mare des préjugés et du conformisme intellectuel semble avoir été plutôt favorablement reçu.Aujourd’hui, c’est avec un sourire amusé que l’on relit les aventures du narrateur et de son ami Bouba, deux jeunes Noirs oisifs, épris de jolies femmes, logeant dans un minuscule appartement donnant sur le Carré Saint-Louis. On a parfois le sentiment que les années ont passé et que Montréal a quelque peu changé. Néanmoins, la truculence et la verve de Laferrière font mouche aujourd’hui encore. C’est d’ailleurs sans doute grâce à cette écriture nerveuse et insolente que l’auteur parvient à adopter une position à la fois critique et distante lorsqu’il aborde le délicat problème de la confrontation raciale sous l’angle de la sexualité.
On aurait donc tort de réduire ce premier roman à un simple récit facétieux. En multipliant les références aux artistes de jazz, aux écrivains (et notamment aux écrivains noirs tels que James Baldwin et Chester Himes), Dany Laferrière inscrit son texte dans un référentiel nord-américain. À ce titre, Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer ? apparaît bel et bien comme le premier volet d’une œuvre que l’auteur qualifie d’« autobiographie américaine ».