En ces temps de cynisme, il nous est devenu impossible de voir un happy end, ou de lire la phrase : « Ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants », sans un douloureux sursaut de réalisme : et ensuite ? Après quelques années, les chicanes de ménage, les déceptions, les désillusions ?
Le happy end a donc perdu de sa crédibilité. Et de son intérêt, car ce n’est rien de plus qu’une fin, un point final sans durée ni dimension. Or ce qui donne du piquant à une histoire, ce sont les difficultés qu’ont traversées les personnages avant, et non la petite vie sans rebondissements qu’ils semblent s’apprêter à vivre au terme de leurs tribulations.
Dans cette œuvre qui lui a valu le Prix Robert-Cliche du premier roman en 1981, Robert Lalonde nous fait grâce des aventures qui précèdent le happy end… et aussi du scepticisme dont on en affuble généralement la suite dans notre esprit. La belle épouvante, c’est un arrêt sur image à la phrase : « Et ils furent heureux… » Le narrateur est en amour avec « Elle », et tout est là. « Oh non ! ce n’est pas tout. Il y a Elle qui surnage avec moi. Là, c’est vraiment tout », conclut-il.
Le personnage n’évolue pas au fil du récit. Pas au sens classique de l’intrigue romanesque. Mais il saisit et évoque le caractère « diapré » de son existence : « Parce que je change. Chaque jour me voit autre. C’est un virus que j’ai attrapé lors d’une séance de cinéma-vérité qui dure depuis maintenant trente ans ».
Il rapporte donc simplement des scènes de sa vie quotidienne avec « Elle », dans un texte en friche arrosé de divagations heureuses, parfois riches, parfois vagabondes. Car si la dépression est considérée par de nombreux psychologues comme l’occasion rêvée de faire des prises de conscience et par nombre d’auteurs comme le prétexte parfait pour faire un livre, Robert Lalonde prend résolument ici le chemin inverse : tomber amoureux, voilà qui peut remplir des pages et des pages d’introspection, de confidences et de réflexions : « Qui n’a pas souhaité au moins une fois enlacer, jusqu’à la contenir, la lumière particulière d’une journée de parfait bonheur ? […] Qui donc n’en a pas assez de la charité désordonnée ? […] Qui donc ne se perçoit pas avec toutes ses entailles, ses manques, ses enveloppes ? […] Qui donc y croit dur comme fer quand il dit : je vais recommencer à zéro ? »