Ce troisième volume des « lettres de rouspétance » est présenté par l’éditeur comme « l’expression des dernières volontés » de la vieille dame.
Les volumes précédents se lisaient en continuité comme un véritable roman. L’unité de celui-ci est moins évidente. En revanche, on trouve toute la variété des talents d’Ernestine et de ses combats : en faveur de la gratuité du prêt en bibliothèques, pour la reconnaissance des talents de son farfelu et incertain cousin Jean-Pierre Brisset, contre la bêtise sous toutes ses formes, en faveur de l’écologie.
On y découvre aussi quelques poèmes de sa composition dont certains sont écrits à partir de rimes que lui ont fournies des lecteurs, exercice périlleux quand il s’agit de troglodyte/hermaphrodite ou harmonium/carbonate d’ammonium, mais la virtuosité d’Ernestine n’est jamais prise en défaut ! L’ouvrage s’achève par la réédition d’un étonnant glossaire plus ou moins imaginaire du patois des Troglodytes-du-Dessous, mots et expressions recueillis par Ernestine dans sa jeunesse.
La plume ne s’est pas émoussée. Ainsi demande-t-elle au romancier Michel Ragon, signataire d’une pétition en faveur du prêt payant en bibliothèques : « Pourquoi on devrait payer à chaque fois qu’on ouvre vos livres : le menuisier qui a fabriqué une porte, il demande pas cinq francs à chaque fois qu’on l’ouvre […] en plus, quand elle ferme mal, il vient la raboter gratuit ». Faisant écho aux scandales pédophiles qui ont fait la une de l’actualité, elle interpelle un autre signataire : « Pourquoi vous faites ça, c’est un bibliothécaire qui vous a martyrisé ou pire quand vous étiez petit ? »
À quatre-vingt-quinze ans, Ernestine évoque aussi sa mort dans plusieurs lettres. Elle demande au directeur du crématorium si elle peut être brûlée au bois, quitte à fournir elle-même le combustible, et si les lieux sont bien équipés d’un philtre pour protéger la couche d’ozone, ajoutant : « Est-ce qu’on pourra payer un coup de grolleau aux invités pendant que je brûlerai pour que le temps leur paraisse moins long […] ? »
Le journal L’Anjou Troglo de septembre 2005, évoquant la disparition d’Ernestine ChassebSuf qui recevait beaucoup de courrier, rapportait ces propos du facteur : « C’est une tragédie pour la littérature mais un soulagement pour mon épaule ».
Comme les précédents volumes, l’auteure est admirablement soutenue par son jeune complice illustrateur Quentin Faucompré.
Ernestine, c’est loin d’être fini. L’adaptation théâtrale de ses lettres par la compagnie Mêtis fait partout salle comble et l’on n’est pas près de se lasser de les relire. Elle est définitivement entrée dans le monde des « Lettres ».