Qualifié par plusieurs d’auteur prodige et prodigue, le Franco-Congolais Alain Mabanckou vit aujourd’hui aux États-Unis, où il enseigne la littérature francophone à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA). Après 23 ans d’absence, un bien long exil, l’écrivain a décidé de retourner à Pointe-Noire, ville côtière du Congo-Brazzaville, là où il est né en 1966. « Je me suis arrêté au bord du ruisseau des origines, le pas suspendu. » Dans Lumières de Pointe-Noire, récit autobiographique, veut-il faire le deuil et de sa mère et de son père adoptif, aux funérailles desquelles il ne s’est jamais rendu ?
Illustré des photos de Caroline Blache, prises lors du séjour de Mabanckou au pays natal, et de quelques-unes provenant des archives de l’écrivain, le livre nous plonge rapidement au cœur de l’Afrique, de ses couleurs, de ses odeurs, de ses pratiques magiques. Du mensonge aussi : « J’ai longtemps laissé croire que ma mère était encore en vie ». Pauline Kengué est pourtant morte en 1995 et il le savait : « On m’attendait à Pointe-Noire pour les funérailles, et le téléphone sonnait sans relâche. […] Je ne fis pas le déplacement ».
L’écrivain remonte ainsi le chemin de la culpabilité, il sait avoir accompli la prophétie d’une cousine, qui avait prédit à sa mère qu’elle n’aurait « qu’un garçon qui partirait loin, très loin d’[elle], et qu’[elle] mourrai[t] seule dans une cabane ». Peut-il aujourd’hui renouer les fils brisés ? À Pointe-Noire, il retrouve son innombrable famille, avec laquelle il a parfois de véritables liens de parenté, ou pas. Peu importe. Avec elle, il refait le voyage de la mémoire, aux accents doux ou amers. Grand-mère Hélène, en réalité sa tante, lui accorde le pardon attendu, elle pour qui l’arrivée d’une Blanche – la compagne de Mabanckou – indique la fin de sa souffrance : « Je l’attendais depuis des années, je peux maintenant partir ».
Tout Pointe-Noire, vieux amis, vagabonds bizarres ou filles de joie, dans la rue ou au restaurant, a accueilli avec faste l’écrivain mondialement connu. L’enfant du pays qui lisait les livres des bibliothèques par ordre alphabétique. « J’ignorais qu’on pouvait lire les livres selon son humeur, en choisissant pêle-mêle les ouvrages. » Lorsque Mabanckou a accepté l’invitation de l’Institut français de la ville, raison officielle de son retour à Pointe-Noire – « pour quelques jours de conférences » –, il ne savait pas encore que beaucoup plus l’attendrait au détour. Toute une vie, en fait.
L’écrivain n’est pas allé prier sur la tombe de sa mère. « Les défunts sont embarrassés lorsque les vivants font irruption dans leur jardin. » La dernière fois qu’il a vu sa mère, en 1989, avant son départ pour la France, elle l’avait joliment semoncé : « L’eau chaude n’oublie jamais qu’elle a été froide ». L’écrivain n’a pas oublié.
Mabanckou, Prix Renaudot 2006 et décoré de la Légion d’honneur, est lauréat du Grand Prix de littérature Henri Gal 2012 de l’Académie française. Ses œuvres sont aujourd’hui traduites dans une quinzaine de langues.