Fragile, le théâtre en Acadie. D’autant plus qu’un faible nombre des écrivains qui se sont aventurés dans ce domaine ont persisté. Ce qui n’a pas été sans poser quelques problèmes aux compagnies, parfois contraintes de créer des textes qui auraient demandé des réécritures. Nulle surprise, dès lors, que très peu de textes soient publiés. Par contre, la situation change.
En Acadie, il existe deux compagnies que l’on pourrait qualifier d’institutionnelles, le Théâtre populaire d’Acadie (Caraquet, créé en 1974) et le théâtre l’Escaouette (Moncton, 1978), auxquelles s’ajoutent le collectif Moncton Sable (1997) et le Théâtre Alacenne (2005), tous deux de Moncton. Le Pays de la Sagouine (Bouctouche, 1992) complète le paysage.
Quant à l’édition de théâtre en Acadie, il y eut les éditions d’Acadie jusqu’à leur faillite en 2000 et, depuis, quelques textes aux éditions La Grande Marée de Tracadie-Sheila. Récemment, les éditions Prise de parole de Sudbury ont décidé de publier des œuvres acadiennes.
Pour susciter l’écriture, le théâtre l’Escaouette organise aux deux ans depuis 2001 le Festival à haute voix (FHV), un événement consacré à la mise en lecture de textes inédits, et appuyé par des ateliers d’écriture. Sur la trentaine de textes qui y ont été présentés, fort peu ont connu une création à la scène pour de multiples raisons : nécessité de réécritures, limite dans la capacité de production des compagnies, quasi-absence de productions autogérées.
Si l’on regarde l’ensemble de la production depuis 1990, on constate que trois auteurs se démarquent : Antonine Maillet, surtout par le Pays de la Sagouine, France Daigle, l’auteure principale de Moncton Sable, et Herménégilde Chiasson, l’auteur maison de l’Escaouette. Trois jeunes auteurs semblent vouloir faire œuvre : Emma Haché dont les pièces ont été créées tant par des compagnies professionnelles que par des troupes communautaires, Mélanie Léger avec le Théâtre Alacenne et l’Escaouette, et Marcel-Romain Thériault avec le Théâtre populaire d’Acadie (TPA).
Antonine Maillet
Antonine Maillet s’est d’abord imposée avec La Sagouine en 1971 et par une série de pièces créées par le Théâtre du Rideau Vert dans les années 1970 et 1980. Depuis 1992, elle écrit principalement pour les personnages du Pays de la Sagouine et si l’on excepte le recueil de monologues L’Île-aux-Puces (Leméac, 1996), aucun de ces textes n’a été publié.
Situé dans la baie de Bouctouche, village natal de Maillet, ce petit îlot a été transformé en un village fantaisiste dans lequel « vivent » ses principaux personnages, du moins ceux des premières œuvres : La Sagouine, Citrouille, La Sainte, Gapi, Michel-Archange, Noume, Mariaagélas et quelques autres. Si La Sagouine, toujours interprétée par Viola Léger, s’en tient aux monologues écrits à la création, les autres personnages s’enrichissent de nouveaux textes à chaque année. Durant la journée, les personnages présents interviennent sur la scène, livrant monologues et dialogues en de courts spectacles d’une vingtaine de minutes. On se promène, on mange, on boit, on écoute la musique de l’un des deux orchestres, puis on s’assoit pour entendre les comédiens. Le niveau des textes est très mince et relève davantage du loisir culturel que de la littérature : plaisir et rires avant tout.
Le Pays produit également des pièces écrites par Maillet. Que ce soit Tintamarre (1999), Citrouille chez la vieille Ozite (2005), La comédie des amoureux (2006) ou encore Pélagie (2007) et quelques autres, Maillet s’amuse à créer de nouvelles aventures pour ses personnages au grand bonheur des familiers de son univers mais sans rien y ajouter d’important. Par contre, dans son œuvre romanesque, elle renouvelle son écriture et ses thèmes.
France Daigle
France Daigle est avant tout une romancière ; elle s’est mise au théâtre au sein du collectif Moncton Sable, nom qui est dérivé de la première pièce de la troupe et de France Daigle. Ses premières pièces lient un élément naturel et une situation plus ou moins abstraite : Sable (1997), Craie (1999) et Foin (2000) appartiennent au même univers que ses premiers romans, tous conceptuels. À la démarche littéraire s’ajoutent la recherche de personnages et l’intégration d’univers sonores, le tout dans une démarche sensorielle. L’intrigue est secondaire, le conflit quasiment absent. On est face à un voyage dans un irréel atmosphérique, plus esthétique que théâtral.
Avec Bric-à-brac (2001), apparaît une véritable intrigue dans une brocante encombrée d’objets les plus divers. Lentement, parcimonieusement, les personnages s’ouvrent à eux-mêmes et c’est cette voix intérieure, individuelle que l’on entend et c’est par elle que l’on découvre la blessure et reconstitue le drame de chacun de ces êtres.
Ses deux autres pièces sont des adaptations scéniques de ses romans. Sans jamais parler du vent (2004) revisite son premier roman (éditions d’Acadie, 1983). Si la problématique de la minorisation de la société acadienne demeure, elle se transforme par les improvisations des comédiens autour du texte romanesque, relançant France Daigle vers d’autres avenues. En 2007, Moncton Sable transpose à la scène Histoire de la maison qui brûle (éditions d’Acadie, 1985). Le texte original est totalement préservé mais réparti en trois voix au lieu des deux du roman.
Herménégilde Chiasson
L’auteur le plus important de la période est Herménégilde Chiasson. Depuis 1990, le théâtre l’Escaouette a créé douze de ses pièces tandis qu’il en avait créé neuf entre 1980 et 1989. S’il a écrit plusieurs pièces pour enfants dans la période précédente, il n’en commet qu’une après les années 1990 : Le manège des anges (1993) raconte en quelques traits l’histoire de l’Homme mais en montrant la façon dont on considérait les enfants à diverses époques. L’Escaouette décide en 1996 de ne plus produire pour cette clientèle, ce qui met fin à la production de Chiasson car il écrit le plus souvent sur commande.
Ainsi, il écrit quatre pièces pour les adolescents que l’Escaouette veut continuer à joindre. Pierre, Hélène et Michael (1990) traite de l’exil et de l’attrait de la culture anglophone. Cap-Enragé (1992) aborde le délicat problème du suicide et de la non moins délicate révolte contre l’autorité en utilisant la forme de l’enquête policière. À vrai dire (1995) est un collage construit comme un hommage à la poésie acadienne des vingt dernières années. Le cœur de la tempête (2001) est une coproduction de l’Escaouette et du Théâtre de Quartier de Montréal et une coécriture avec Louis-Dominique Lavigne, l’auteur maison du Quartier. La vision du monde qui nous est proposée est celle des parents : pour une fois, les spectateurs adolescents sont face à « leurs » parents, dans ce cas-ci une Acadienne et un Québécois, anciens hippies embourgeoisés.
Les pièces « pour adultes » peuvent se répartir en deux ensembles : les drames et les comédies sociales.
Trois de ces drames composent une trilogie thématique. Pièce phare du théâtre acadien, L’exil d’Alexa (1993 ; Perce-Neige, 1993) est le face-à-face d’Alexa avec le double que lui présente son miroir. Le cœur de la pièce est dans le long monologue d’Alexa à la recherche de son passé et de son identité perdue et qui finit par affirmer son désir de vivre dans un futur qu’elle veut contribuer à créer. Les personnages de La vie est un rêve (1994) font face à l’image qu’ils ont de leur identité, chacun cheminant entre la modernité qu’ils souhaitent et la tradition lourde et stérile qu’ils subissent. Aliénor (1997 ; éditions d’Acadie, 1998) lie la dépossession dont ont été victimes les Acadiens à celle de tous les dépossédés du monde.
Pour une fois (1999) est une grande métaphore de l’histoire acadienne. Charles est dans un univers fixe, dont les valeurs ne changent pas, alors que Jeanne, sa conjointe, porte en elle le changement. On retrouve là le thème central de l’œuvre d’Herménégilde Chiasson : comment trouver l’adéquation entre la tradition et la modernité, comment l’Acadie peut-elle s’inscrire dans l’avenir plutôt que d’être prisonnière de son passé.
L’intrigue de la pièce Le Christ est apparu au Gun Club (2003 ; Prise de parole, 2005) est tragique : Conrad Thériault a appris par cœur l’Évangile et, lors d’une soûlerie qui le conduira à sa mort, il en récite des versets pour appuyer sa vision du monde. Il ânonne le texte à la recherche de sa vérité, un peu comme un enfant récite le catéchisme sans comprendre sa signification et l’engagement qu’il contient : sa parole est dérisoire, sa pensée vide. Tragiquement burlesque, cette comédie se transforme en tragédie.
Les comédies sociales sont tantôt orientées vers la satire et de là vers un rire libérateur, tantôt vers l’ironie et le sarcasme et de là vers un rire jaune qui recouvre le drame.
Laurie ou la vie de galerie (1998 ; Prise de parole, 2002) chante les vertus des défauts que certains accolent parfois aux Acadiens. Si être chômeur est une tare, si le travail saisonnier est synonyme de paresse, si le « bien-être social » est le comble du parasitage, alors Laurie renverse les valeurs : réussir à ne jamais travailler devient l’idéal. Rire de soi, de ses travers, de ses problèmes a un effet cathartique.
La grande séance (2004) est une œuvre hybride et inachevée qui s’inscrit dans une remise en question de l’imaginaire acadien. Dans un village acadien, un comité de bénévoles a décidé de fêter le 400e de l’Acadie en organisant une parade de chars allégoriques qui présenteraient les grands moments de l’histoire acadienne. Le rire tourne au jaune.
Des nouvelles de Copenhague (2008) pose le problème de la fragilité des industries de transformation dans un contexte de mondialisation et pourrait se passer dans le même village que les deux précédentes pièces. Les personnages sont les cadres d’une usine qui ne sont pas en mesure d’influencer le choix du propriétaire danois quand il décide de fermer. Apparaît alors l’absence d’autonomie, l’incapacité de ces jeunes adultes d’être eux-mêmes créateurs d’emplois. La fin est plus amère que douce : demeure le plaisir de vivre en suivant le modèle de la cigale plutôt que celui de la fourmi.
Emma Haché, Mélanie Léger et Marcel-Romain Thériault
Si plusieurs autres auteurs ont abordé le théâtre depuis 1990 (parmi eux : Jean Babineau, Paul Bossé, Luc LeBlanc, Michel Lee, Robert Gauvin, Christiane St-Pierre), trois se démarquent : Emma Haché, Mélanie Léger et Marcel-Romain Thériault.
La première pièce d’Emma Haché, L’intimité (Lansman, 2003), l’a révélée en remportant plusieurs prix donc celui du Gouverneur général. Créée par Mime Omnibus (Montréal, 2004), cette pièce met en scène un couple improbable aux prises avec un destin qu’il ne contrôle que trop peu. Pièce noire, elle raconte la vie d’Alex, le Canadien, et de Frauke, l’Allemande d’origine rencontrée au hasard de la Seconde Guerre, après leur retour au Canada. Dans une atmosphère de fumée destructrice – les deux sont de gros fumeurs –, ils ne vivent qu’en fonction d’une mort appréhendée.
Si cette pièce est très éloignée de la réalité acadienne, tel n’est pas le cas des Défricheurs d’eau (2004) qui retrace les grandes lignes de l’histoire acadienne dans un spectacle à grand déploiement, coproduit par le TPA et le Théâtre de la Dame de cœur dans le cadre des fêtes du 400e de l’Acadie. De même, Murmures (TPA, 2005) se fonde sur l’histoire du lazaret de Tracadie-Sheila. Dernière pièce et première pour enfants, Azur (Lansman, 2008) n’a pas encore été créée à la scène.
En 2005, la comédienne Mélanie Léger fonde avec Anika Lirette sa propre compagnie, le Théâtre Alacenne, pour produire ses textes. Roger Roger (2005 ; Prise de parole, 2009) demeure jusqu’à maintenant sa pièce la plus aboutie. Si l’intrigue en elle-même est simple et classique, une histoire d’amour, le principal intérêt est dans la tonalité, dans le jeu de l’écriture théâtrale et dans la fantaisie qui emporte l’ensemble de l’autre côté du réel. Floconville (2007) est un véritable hymne à la vie, à la joie de vivre qu’il faut savoir non seulement préserver mais enrichir et Vie de cheval (l’Escaouette, 2008), écrite avec André Roy, une pièce pour adolescents, explore les relations humaines en privilégiant l’humour pour faire passer le contenu.
Rares sont les pièces acadiennes qui s’inspirent directement d’événements dramatiques contemporains : c’est le défi qu’a relevé avec brio Marcel-Romain Thériault avec Le filet, créée par le TPA en 2007 et qui sera bientôt éditée par Prise de parole. L’intrigue se fonde sur les émeutes de crabiers à Shippagan en 2003 à la suite de problèmes reliés à la pêche au crabe. Le filet met en scène une famille propriétaire d’un crabier et prend la forme d’un huis clos qui s’articule autour de la confrontation entre Anthime, son fils Léo et son petit-fils Étienne à propos de l’avenir de leur crabier.
En 2008, le TPA a créé Disponibles en librairie qui explore la naissance de l’amour chez deux êtres affectivement blessés, au mitan de leur vie. Sans avoir la force sociale du Filet, cette pièce confirme le talent de Thériault.
Conclusion
Le théâtre acadien demeure fragile par ses auteurs mais bien structuré par ses compagnies. La détermination d’une Mélanie Léger ou d’une Emma Haché semble susciter une certaine émulation, la première en se donnant les moyens de créer, la seconde en offrant ses pièces à différentes compagnies. Un peu comme si l’Escaouette et le TPA cessaient d’être perçus comme les uniques lieux de création. À cela s’ajoute la démarche parallèle de Moncton Sable qui, pour être inégale, n’en demeure pas moins la première compagnie qui a offert une autre option.
Le Festival à haute voix a joué et joue dans cette émergence un rôle discret mais fondamental : c’est là qu’ont été mises en lecture les premières pièces d’Emma Haché, de Mélanie Léger, de Marcel-Romain Thériault.
EXTRAITS
MARCEL ROMAIN THÉRIAULT
Le filet, une tragédie maritime paraîtra aux éditions Prise de parole en 2009.
Scène 4
ÉTIENNE – Qu’est-ce qu’ils demandent, les autres pêcheurs, comme 5 % des quotas ? Donnez-leur, pis on n’en parlera plus.
LÉO – Jamais !
ÉTIENNE – Tant qu’a y être, organisez-vous donc pour que la saison dure une semaine de plus, ou deux.
ANTHIME – Des dépenses inutiles.
ÉTIENNE – Autre chose : arrivez donc pas aux quais tous les crabiers en même temps. Les usines rouleraient une couple de semaines de plus. Les travailleurs pourraient ramasser les timbres de chômage qu’ils ont besoin.
LÉO – Je gaspillerai pas du gaz pour du monde qui nous chie sur la tête.
ANTHIME – Étienne, suis-moi ben : le crabe, il est à nous autres. J’ai eu mon permis en ’69. On a travaillé comme des forçats.
ÉTIENNE – C’est le gouvernement qui vous a tout donné, tout cuit dans le bec : les permis, les bateaux, les agrès pis les quotas !
ANTHIME – Pas les quotas, Étienne. Non, non, non, non. Les quotas, ça, on a fait ça entre nous autres.
LÉO (pendant qu’Étienne tente de l’interrompre à chaque phrase) – Une chance, parce qu’on aurait pus de crabe, pareil comme la gang d’imbéciles qu’a pus de morue depuis dix ans. Pis si on continue pas à watcher nos affaires, c’est ça qui va arriver. Les fonctionnaires jouent dans NOS quotas, ils en donnent à n’importe qui ! À du monde qu’ont jamais pêché le crabe de leux vie ! Même aux Indiens, chrisse, ça a jamais sorti du bois, ça ! Ils nous prennent c’qui nous appartient ! Faut se défendre.
ÉTIENNE – La solution est politique.
LÉO – Ça fait trente ans que ça placote dans les conférences pis les colloques, pis que ça mange des crevettes cocktails pis que ça boit du vin.
ÉTIENNE – Il faut que vous discutiez avec tout le monde – commencez donc avec ceux qui manifestent aujourd’hui.
ANTONINE MAILLET
L’Île-aux-Puces, Leméac, p. 107-108.
La Déportation par Michel-Archange
C’est seulement pour vous dire qu’y a rien comme une bonne déportation pour peupler un pays de bord en bord et d’une mer à l’autre. J’ons de la parenté jusqu’au Yukon, en Alberta et même à Toronto. Je sais ben pas à quoi ressemblerait le Canada si ils aviont pas déporté les Acadjens. C’est ce qui nous tient ensemble. À part de ça que je sons les seuls qui pratiquons le bilinguisme dans les deux langues officielles à longueur de journée ; c’est-à-dire que pour se faire respecter et pas se faire moquer de nous autres, je parlons français aux Anglais et anglais aux Québécois Tu veux saouère quoi c’est que la langue que je te parle asteur ? Si y s’en trouve parmi vous autres qu’avez de la misère à suire, greyez-vous donc d’écouteurs.
HERMÉNÉGILDE CHIASSON
L’exil d’Alexa, Perce-Neige, 1993, p. 62.
Épilogue
ALEXA – J’me demande qu’est-ce que ça changerait si j’retournais là où tout ça a commencé. On pense tout le temps que le problème est dans le passé pour une réponse qu’on va trouver dans le présent et essayer de vivre dans l’avenir. L’avenir. Y restera toujours l’avenir. L’avenir et le monde. L’avenir et l’univers parce que c’est là que j’devrais regarder. Ça fait pas mal de regarder loin, loin, loin, là où l’avenir et le passé se rejoignent. C’est pas pour rien qu’on vient au monde dans le passé et qu’on meurt dans l’avenir. C’est les deux seules choses qui comptent. Mais plus important encore, faudrait changer les choses de bord. Donc mourir au passé et venir au monde dans l’avenir. Chaque seconde venir au monde. Un monde orgasmique. Faudra que j’me dise ça tous les jours. Mourir au passé. Renaître au futur. Parler dans le présent. Juste parler parce que parler, c’est comme vivre et vivre, ça comprend tous les langages et c’est pour ça que j’dois continuer à parler. Bien ou mal parce que vivre ou parler, c’est une affaire personnelle. Ce serait une erreur grave de laisser les autres vivre à ma place. Parler à ma place. La vie est un germe. La liberté est un germe. Tant mieux si c’est des maladies.
EMMA HACHÉ
L’intimité, Lansman, 2003, p. 10.
FRAUKE – J’ai mal commencé. Mauvaise famille, mauvais pays, mauvaise couleur de cheveux, mauvaise fille. Accidentée par la vie; affaiblie par le reste. Je me suis égarée. Mauvaise. Mauvaise ! Me voilà avec un soldat étranger, qu’est-ce qu’ils vont dire ? (Un temps) Pas obligés de savoir. Ils s’en foutent, trop occupés ailleurs ces temps-ci, on se demande à faire quoi S’entraîner, dénoncer, écraser, brûler, tuer Pas grand-chose, en somme. On fait de son mieux, quo i! C’est nous les meilleurs Et lui dans sa douche ? D’autres auraient songé à l’abattre. Moi, je l’y rejoindrai. Par mon corps, oublier ma vie; par lui, oublier d’où je viens, à quelle folie j’appartiens. S’acharner à trouver un sens, je n’y crois pas, moi.
MÉLANIE LÉGER
Roger Roger, Prise de parole, 2009, p. 17-18.
Tableau 3
Roger rencontre Annie
Annie entre. Elle ouvre la valise et en sort un four à micro-ondes qu’elle place sur le comptoir.
ANNIE (s’adressant au four à micro-ondes) – Bonjour toi ! Bien dormi ? Ah… Moi, en tout cas, je te dis je ne sais plus où ma vie est allée. On est jeune, heureux, on rit et, du jour au lendemain, on a trente ans. C’est laid vieillir. Je ne me souviens plus de la dernière fois où je ne me suis pas ennuyée. Je voudrais mourir… Mourir, mais même mourir, ça m’ennuie parce qu’on dirait que je n’ai pas de raison valable… Avant, on mourait par honneur ! Ça, c’était beau, noble ! Tout le reste c’est lâche… Je suis lâche…
On sonne à la porte.
ANNIE – C’est quoi ce bruit-là (au micro-ondes) T’as entendu ?…
On sonne à nouveau.
ANNIE – C’est ma sonnette d’entrée ! Ma sonnette ! J’avais oublié qu’elle existait… Ça veut dire qu’il y a quelqu’un à la porte… J’ai de la visite ! ? Je me demande qui ça peut être ? Espérons qu’il voudra bien passer l’après-midi avec moi… Pour une fois que je ne serais pas toute seule avec mon micro-ondes.
Elle ouvre.