« De purs ongles très haut dédiant leur onyx » Voilà que ces vers de Mallarmé me viennent sitôt ouvert le magnifique coffre d’or par Claude Durix sur l’âme nippone. La rigueur – qui se traduit souvent en componction – du discours universitaire (autant dire du discours capitaliste) dénie souvent jusqu’à la possibilité même de tels ouvrages, trop rares, qui marient érudition et intuition, raison et beauté, connaissance et sagesse. Pour ma part, ce travail me rappelle inévitablement celui du grand poète brésilien Haroldo de Campos lequel, pareillement, joue d’abord à l’oreille. Ici, pour être sensible à ce qui, « sans déploiement de force », ébranle le vivant, Claude Durix interroge : « Du rossignol qui chante parmi les fleurs, de la grenouille qui vit sur les eaux, entendez la voix : parmi tous les êtres qui vivent ce qui s’appelle vivre, qui ne chante pas son chant ? » Dois-je dire à quel point dans la détresse guerrière et industrielle secouant notre monde jusqu’en ses fondements, un tel recueil est salvateur ?
Yamato est la plus ancienne province du Japon. Ses deux caractères : yama et to, signifient « Grande Paix ». Sept temps, comme sept jours, ponctuent cette âme poétique, donnent accès à ses circonvolutions : temps anciens, des écritures, des anthologies, des Seigneurs, des Traditions Secrètes, des courts poèmes et des Épilogues. Prenant pied dans l’histoire des empereurs mythiques par la voie de l’épique, nous traversons les plus antiques poètes et les arcanes du premier bouddhisme japonais pour ensuite chevaucher à travers les contes et les chroniques, les Monogatari (Récits de choses) et les Soshi (Notes écrites au fil du pinceau) légitimant la prose poétique avant que, en plein cœur de la longue période des guerres civiles (des XIIe au XVe siècles), surgisse le No, dont Claude Durix nous offre deux magnifiques traductions (« La Robe de plumes » et « Le Vent dans les pins »). Puis, au XVIe siècle, c’est le temps des Haïku, ces célèbres poèmes courts laissant surgir la signification de l’existence. Comment, dans ce long voyage, ne pas sentir un vent mélancolique à la Verlaine, laissant résonner le chant profond de la nature, ultime expérience esthétique de l’être humain ? Au temps des Épilogues, c’est-à-dire « aujourd’hui », c’est l’Abbesse Komatsu Chieko et le potier Kawaï Kanjiro qui viennent clore cet émouvant recueil. Méditons le legs de ce dernier : « Quel merveilleux maintenant, / C’est sûrement l’Éternité ! ».