Il y a quelque chose qui rappellerait presque La mouette de Tchékhov ou L’odyssée d’Homère dans cette première pièce de théâtre, judicieusement décrite par l’éditeur comme « une fable mystérieuse » (en quatrième de couverture).
Incontestablement, Pierre Perrault (1927-1999) restera le plus important cinéaste québécois – et même canadien – avec des longs métrages immenses, comme Pour la suite du monde (coréalisé par Michel Brault entre 1961 et 1963) et Un pays sans bon sens (1970). Ses œuvres, inclassables, questionnaient sans cesse notre hypothétique identité nationale, avant même que ce concept ne soit usité. De ce fait, sa poésie, ses essais, ses récits de voyage, ses émissions de radio demeurent un peu dans l’ombre. Une précision s’impose ici : la première mouture de la pièce Au cœur de la rose date de 1958 ; la page couverture de Lux indique une « Nouvelle édition », mais celle-ci date en réalité de 1963, reste inchangée depuis lors et semble identique à la réédition précédente (épuisée), datant de 2002.
Œuvre trop peu jouée et relativement méconnue, Au cœur de la rose fait vivre six personnages autour d’une famille d’insulaires, dont une fille à marier, que le titre même de la pièce pourrait symboliser. Débarque sur l’île un marin venu d’ailleurs : voyageur, beau parleur, un brin rêveur. Faudra-t-il s’attacher, rester, partir, revenir ? Comment retenir ce survenant ?
La langue de Pierre Perrault est soignée, lyrique, poétisée, imagée, parfois grandiose (surtout au septième tableau), avec ces mots empreints de candeur de la part de la jeune femme exaltée : « Parce que demain n’existe pas, parce que si je te laisse partir comme un simple visiteur tu ne trouveras pas le chemin de retour ». C’est un texte intemporel, universel, que l’on veut relire, simplement pour savourer la beauté des mots, le style évocateur et la portée poétique des longues répliques.
Il existe trois éditions d’Au cœur de la rose, dont une assez rare parue à Montréal (Les Apprentis-Sorciers, 1963) et une autre chez Typo. Il manque à la présente réédition de Lux une mise en contexte ou quelques pistes d’analyse afin de faciliter – plus de 60 ans après la création de la pièce – la compréhension des éléments offerts par ce texte très riche. Ici, la préface nombriliste de Robert Lévesque est inutile et n’apporte rien pour actualiser le texte initial. Il aurait été si facile – et fort utile ‒ pour l’éditeur d’insérer en guise de préface (ou de postface) quelques extraits de l’excellente thèse que François Cormier avait consacrée au Cœur de la rose en 1977, à l’UQTR. Et on ne peut qu’espérer la rediffusion de la version préliminaire de cette pièce captée par Radio-Canada en 1958. Il y a trop de trésors oubliés qui dorment inutilement dans les archives de Radio-Canada et dont l’absence nous prive d’une large part de notre patrimoine national.