Roman déroutant s’il en est, d’un auteur marseillais connu pour ses récits hors norme. Déroutant à plus d’un titre. D’abord par la création du personnage imaginaire de la mère d’Adolf Hitler, Klara, narratrice de sa vie de misère. Ensuite par l’inclusion, dans une action fictive qui se passe à la fin du XIXe siècle, de visions prémonitoires, évoquées dans un désordre syntaxique, d’événements historiques qui surviendront au siècle suivant.
Klara tient un journal secret. Au service d’Oncle depuis ses 15 ans, elle assiste Franziska, la femme d’Oncle et mère de ses deux jeunes enfants dont elle continuera à prendre soin à la mort prématurée de cette dernière. À peine Franziska mise en terre qu’Oncle emmène Klara dans son lit. Elle devient bientôt enceinte. Son confesseur, qui l’accable de malédictions – la comparant aux filles de Loth –, intervient pour qu’Oncle l’épouse moyennant une dispense papale en raison de la consanguinité. Mariée, elle continue néanmoins à l’appeler Oncle. Elle donne naissance à Gustav, et l’année suivante à Ida. Les deux bambins meurent du croup deux ans plus tard à un mois d’intervalle, laissant une Klara inconsolable. Elle décrit Oncle comme un homme brusque, autoritaire et mesquin, qui s’assouvit en elle sans se préoccuper de son sentiment. Elle devient à nouveau enceinte en juillet 1888 et sera traversée par des pensées contradictoires : « Je suis heureuse du fruit de mon ventre », puis, à l’approche de la naissance, torturée à l’idée que ce futur enfant mourra un jour ou, pire encore, qu’il pourrait devenir un suppôt de Satan. « On devrait envoyer une mère de ma sorte traverser l’avenir et à son retour elle se précipiterait par la fenêtre pour que le fruit éclate sur le macadam », songe-t-elle, perméable aux propos de son confesseur, pour qui « l’avenir est un piège ». Car en plus de son asservissement conjugal et domestique, elle subit les pressions de ce confesseur sadique et janséniste, qui l’admoneste et la maintient dans un sentiment de culpabilité jusqu’à « [laisser] entendre que l’enfant était [son] complice, peut-être même l’inspirateur de certaines de [ses] fautes ». Dans un éclair de lucidité, il lui arrive parfois de reconnaître qu’une pulsion des mots incontrôlable la pousse à écrire des excentricités pour oublier la médiocrité du réel. Extravagances orientées vers des pensées cauchemardesques qui la font déraper. Un chapelet de mots explose alors, pêle-mêle, faisant référence aux horreurs de la Deuxième Grande Guerre, à la Shoah, aux trains de la mort, aux camps d’extermination, à l’odeur des corps brûlés, à un bourreau sanguinaire…
Klara met au monde un garçon le 20 avril 1889 à Braunau am Inn, en Autriche. Jamais le nom de Hitler n’apparaît dans le récit, même pour Oncle qui avait trafiqué son patronyme, étant fils d’un père qui ne l’avait pas reconnu.