Le roman est antérieur au téléroman. Victor-Lévy Beaulieu publie la version retravaillée de l’œuvre originale. Il a confié à 14 personnages la narration à la première personne des 24 chapitres du roman. Alternativement, les narrateurs-personnages mettent à nu leur hargne, leur machiavélisme, leur poésie ou leur clairvoyance selon les démons qui les habitent. L’espace qui les a façonnés aussi bien qu’ils le façonnent représente un arrière-pays de plus en plus déserté, appauvri, acculturé, bref, un pays en train de mourir. Motif de cynisme pour les uns, d’exaltation des origines ou encore de projet politique pour les autres. Le passé surgit à maintes reprises, soit pour remonter à la source de la guerre atavique entre les Bérubé et les Beauchemin, de la soif de vengeance de Manu Morency par-devers Antoine Beauchemin ou de l’exil de Charles Beauchemin à Montréal. Le présent, principal temps du récit, remue les mêmes eaux troubles. Aussi, le sous-titre, Le goût du beau risque, de ce premier tome de Bouscotte laisse-t-il songeur jusqu’au dernier chapitre, où le départ de Montréal de Charles et Bouscotte vers les Trois-Pistoles offre une possible clé d’interprétation.
Les passions qui animent les personnages captivent. Par contre, la langue employée peut agacer et lasser. Les quatorze narrateurs, quel que soit leur âge, leur éducation ou leur niveau d’instruction, s’expriment de la même façon, tant dans leur récit que dans les dialogues, où s’entremêlent langue écrite et langue parlée, registres soutenu, populaire et vulgaire, sans distinction des types de discours. De sorte que l’on n’arrive pas à oublier l’auteur ni à croire à l’individualité de ses personnages. La vraisemblance en souffre. Une démarcation entre le parler des personnages, entre la langue de la narration et celle des dialogues ajouterait à l’œuvre, sans modifier fondamentalement le style baroque de Beaulieu, qui, il est vrai, a de quoi fasciner. Le réquisitoire de Beaulieu en faveur des régions ne laisse pas non plus indifférent. Deux autres tomes aux sous-titres évocateurs, Les conditions gagnantes et L’amnésie globale transitoire , viendront le compléter.