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Auteur/autrice : Neal
Marcel Gauchet, le philosophe et son temps (entrevue)
Marcel Gauchet n’a rien (du moins pas encore) du philosophe à la mode que les médias lancent le temps de quelques saisons. C’est par la grâce de livres austères qu’il entre, et par la grande porte, dans le champ philosophique et on ne se trompe guère en disant que ce penseur-là marquera profondément les intellectuels de son époque.
Marcel Gauchet, jeune philosophe connu seulement des milieux ultra-spécialisés, publie en 1985 Le désenchantement du monde chez Gallimard : un titre presque romantique pour ce . . .
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Anne-Marie Garat, migrations intérieures (entrevue)
Anne-Marie Garat est une femme chaleureuse et pleine de vie, dont le regard est constamment illuminé par l’enthousiasme quand elle raconte ; elle est également une romancière extrêmement consciencieuse, préoccupée par son travail.
Pour l’auteure d’Aden (Prix Femina 1992), « la littérature n’est pas un objet de loisir, elle a une fonction humaine et grave ce qui ne veut pas dire ennuyeuse », se hâte-t-elle d’ajouter. Dans l’effervescence qui entourait la présentation d’Aden, Anne . . .
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Madeleine Gagnon, recréer la vie (entrevue)
En 1986, le thème de la Rencontre québécoise internationale des écrivains était « La tentation autobiographique », tare héréditaire de l’écrivain pour d’aucuns, ou passage obligé, voire ferment de toute œuvre littéraire pour d’autres…
Nuit blanche : Dans la communication que vous avez prononcée à la quatorzième Rencontre québécoise internationale des écrivains, dont le thème était « La tentation autobiographique », vous avez dit que « la tentation autobiographique est d’abord et avant tout une question de désir, de passage . . .
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Pierre Falardeau, le franc-tireur (entrevue)
Le Bouillon de culture consacré au Québec a ramené sur le devant de la scène Pierre Falardeau, le bouillant réalisateur de films sur la dissidence, la marginalité, passé à l’écriture avec La liberté n’est pas une marque de yogourt, entre autres. Il signait tout dernièrement un texte dramatique diffusé par Radio-Canada.
Lorsqu’il allait à l’école, Pierre Falardeau s’asseyait dans un coin, le long du mur. Du genre plutôt timide, il se taisait plus souvent qu’autrement. Mais à un moment donné, le silence des autres le . . .
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Stefan Zweig et l’inquiétante indécision
Stefan Zweig (1881-1942) connaît un retour littéraire étonnant : depuis quelques années, les éditeurs français proposent rééditions, premières impressions, recueils et, en 1996, deux volumineuses biographies.
L’une nous vient de Serge Niémetz, Stefan Zweig, Le voyageur et ses mondes1, l’autre de Dominique Bona, Stefan Zweig, L’ami blessé2 . S’ajoutent le deuxième volume des œuvres de l’auteur autrichien, Romans, nouvelles, théâtre II3, de La Pochothèque, et les écrits . . .
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L’univers de Gaétan Soucy, des repères récurrents, un parcours toujours neuf
L’œuvre de Gaétan Soucy ne compte encore que trois livres, mais elle fascine déjà par le raffinement du style, la complexité du montage et l’audace vertigineuse de ses coups de sonde. Que sa lecture soit, d’un texte à l’autre, constamment renouvelée et déroutante surprend d’autant plus que Gaétan Soucy revient avec insistance, de livre en livre, aux mêmes symboles et à des questionnements que j’allais dire, à sa manière, jumeaux. Toujours le même, jamais le même. Toujours prenant, jamais prévisible.
L’entrée en piste . . .
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Claude Simon, un jardin de la mémoire où cultiver l’art d’écrire
Le Jardin des plantes de Claude Simon tient le difficile pari de faire un récit autobiographique qui, loin d’être monocorde et personnel, soit aussi récit de la traversée du siècle. Les inflexions de la narration singulière jouent avec les éclats de voix multiples, les clameurs, les babéliques discours du monde contemporain.
Une geste de notre temps
Geste de notre temps, Le Jardin des plante1 bruit d’échos, de remémorations, de lectures, d’instantanés, de voyages et rencontres, de paroles rappelées qui . . .
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La matière romanesque de Nathalie Sarraute
À plus de 90 ans, Nathalie Sarraute publiait avec Ici son dixième roman. On lui doit en outre de nombreuses pièces de théâtre, des essais critiques et esthétiques, de même que Enfance, une magistrale autobiographie.
Cette œuvre essentielle, on peut maintenant la lire dans la « Bibliothèque de la Pléiade ». Mais Nathalie Sarraute voulait-elle faire mentir ceux qui semblaient avoir décidé, en donnant au volume le titre d’Œuvres complètes, qu’elle avait dit son dernier mot ? Elle a fait paraître depuis Ouvrez . . .Pour lire la suite, veuillez vous abonner. Déjà abonné(e) ? Connexion
Gabrielle Roy et Germaine Guèvremont, 1945-1996
La parution, la même année, de la biographie de Gabrielle Roy, par François Ricard1, et de l’édition critique de Marie-Didace, par Yvan G. Lepage2, nous amène à réfléchir un moment sur deux écrivaines incontournables de la littérature québécoise dont les destins s’étaient déjà croisés plus d’un demi-siècle plus tôt.
Nul n’ignore en effet que Gabrielle Roy est l’auteure internationalement connue de Bonheur d’occasion, apparu en librairie en juin . . .
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La poésie québécoise et franco-canadienne
La poésie québécoise et franco-canadienne frappe par la diversité de ses tactiques pour rajeunir le langage. Faisant montre d’un donquichottisme sur fond de détresse utopique, ses acteurs partagent la folie de ne pas mourir vivants.
D’est en ouest
Publiant parcimonieusement depuis 1978, Robert Dickson remportait l’an dernier le Prix du Gouverneur général pour Humains paysages en temps de paix relative1, son cinquième recueil de poésie. Si l’aspect graphique de ce livre ne paie pas . . .
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Six poètes sur la route 666
Le poète porte malgré lui le chiffre de la Bête, et celui de l’errance dans le royaume impie de l’imaginaire. Le poète, il faut l’embrasser au front, juste avant la mort. Ainsi nous couvrons de nos lèvres la marque de Caïn.
Le poète, il faut le mordre au talon, avant l’extase. Ainsi il ne demandera jamais pardon, même après la séduction. Le pardon, c’est s’abandonner à la race qui marche sur les mots. Le pardon, c’est oublier la vie dans la nature, que le poète aura tôt fait de mettre au pas de l’errance. Moi, je préfère marcher sur les os.
Dans l’immense procès de la nature, même les bactéries sont contre la poésie. Elles frappent toujours le veilleur au bas-ventre. Elles frappent l’élévation, l’idéal, le détachement. Une fois le poète tétanisé, les bactéries nous ramènent à l’indifférente condition biologique de leur plat programme de conservation et de reproduction. Comme l’humanité de la main et du pied. Comme si le quotidien obligatoire ne tolérait en ce bas monde que les Chrétien, les Manning et les Wells, autant de gesticulateurs et de démagogues qui ne seront jamais la vie, mais la nature dans toute son incompétence.
L’anus immense et triomphant du matérialisme se dilate et reçoit humide le virus de l’indigence planétaire. Le capitalisme sauvage pratique le nivellement par le bas de laine et l’étouffement de la diversité de la faune et de la flore. Atteintes de nécrose folklorique, les langues et les cultures de la planète « grise » s’éteignent. Si la liberté est celle des choix, alors nous vivrons bientôt avec les choix autorisés par quelques transnationales du plaisir et du désir. Tandis que le poète décadent affiche son sourire Pepsodent, on arrache à vif les cornées des orphelins sud-américains pour les vendre aux esthètes farineux et blancs. Des cannibalistes vendent au plus offrant, toujours jaune et blanc, les organes des pauvres et des itinérants. Là-bas, ces affreux, ces sales, ces méchants, on les appelle les jetables, tout comme les verres de contact des nounours dégriffés des cultures dominantes qui rêvent à la mondialisation économique et culturelle, tout en sachant très bien qu’ils n’ont rien à perdre. Ces hypocrites lacrymaux seront toujours des vainqueurs pusillanimes mais élégants, car « la morale est toujours du côté de la plus grosse artillerie » (Napoléon Bonaparte). Et le poète, éternel cocu magnifique, même dans la crapule, ne perd rien pour attendre : un jour, avant Big Brother et juste après Ford, il sera naturalisé dans un bocal, entre le tigre de Sibérie et l’œuvre complète de Noël Audet.
La paix mondiale ? La paix, je laisse ça aux morts, à ceux qui, il n’y a pas si longtemps, ne juraient que par Pol Pot et qui se voyaient « plutôt rouge que mort ». Comme si on avait le choix entre la peste et le choléra ! Les vivants, eux, écrivent sur la mort, persistent et signent sur le bras plâtré des mots. Ça fait aussi élégant, avec ou sans gants blancs. Quant à la guerre, laissons ça à la nature impériale incapable de vie dans toute sa nudité. Car la nature, comme je le soulignais plus haut, est trop occupée par le fastidieux procès de la conservation et de la reproduction. Vous ne brûlez pas intérieurement ? La plupart de ceux qui tombent et succombent ne sont pas des flambeaux et leur chair tombe en lambeaux, puis en poussière. Et cette poussière masque la vie impérieuse. Voilà pourquoi, malgré « les innombrables générations idiotes » (Rimbaud), nous marchons dans l’obscurité. Pour les « horribles travailleurs » de la poésie, l’heure de Vérité est celle de l’éternelle Réalité. Pour l’homme lucide et acide, l’humanité vit l’enfer d’un éternel présent. Pour les poètes de la Route 666, rien n’est moins sûr que la salive de son siècle.
Entre la tache de naissance et celle de la mort, le poète, le vrai, se tatoue le réel à froid. Ainsi il utilisera son corps pour illustrer et dénoncer l’Autre par le frottis pratiqué sur la peau de ses mots. Ainsi il sera traître à la Réalité de la belle année et du baloné. Ainsi il utilisera la Surréalité pour tirer l’errance et l’imaginaire du côté de son corps qui, comme chacun sait, n’a pas d’ombre.
Denis Vanier
Dans Le Fond du Désir1, Denis Vanier nous parle en direct de son coma, branché sur la neurologie racée de celui qui « explore les entrepôts » où « il n’y a plus rien / que la compassion, la bassesse et son prix ». L’errance ici consiste « à regarder la mer sous zéro » tout en « serrant les os / avec un nègre invisible / qui tue des minous ». Comme les viandes de la p’tite vie faisandent vite, « il faut renouer jusqu’au nœud parfait de l’exécution / maintenant que les poisons s’attaquent aux astres ». « À la vitesse des choses simples », Denis Vanier conduit son bicycle à gaz sans moteur et sans roue: il n’en en pas besoin. Il lui suffit de dérouler ses métaphores entre le siège et le guéridon, et la furieuse énergie de ses bactéries mangeuses de connards fait le reste. Les diamants noirs de Denis Vanier nous déchirent la face. Si nous « écourtons » bien, nous ressusciterons peut-être « dans ce pays où le futur arrive trop vite / surtout quand le silence / est une lourde garantie contre la beauté », là où « [l]’enfer est un lieu neutre ». Pour celui qui ne veut pas « d’un pays / de neige jaune », les « mytheux » n’ont qu’à bien se « ternir » dans leur tain, « au nom de tous les intégrismes / et de la noire droite du ciel ».André Roy
Nous savons tous que le poète André Roy travaille au ministère de la Vérité et roule « carabosse » dans les officines de l’Autorité. Parfois il lui arrive, entre deux procès-verbaux, de réécrire pour les intimes l’histoire littéraire mais surtout celle de ses chères lettres. À l’occasion il promène aux quatre coins de l’univers l’errance fauve, le décolleté de la nuit et la « verge au beau tarif » jusqu’en Bosnie où les malheureux, dernièrement, n’en demandaient pas tant. Quand il a froid, André Roy alimente son foyer aux invendus des indésirables fournis par les ineffables frères Hébert. Près de l’autodafé il se recueille un instant, va à la cuisine, puis revient nous entretenir du fascisme des Autres en nous servant le café cueilli par l’esclave colombien, le susucre de ses bons mots, le p’tit lait et la paille de son récit. Tandis que nous l’écoutons, il brasse machinalement son café avec la poutre qui dépasse de son œil. C’est un grand poète aux petits pieds.Réécrivant D’un corps à l’autre et En image de ça, textes publiés dans les années 70, textes formellement impeccables, l’auteur erre en quelque village Potemkine. Ne lui en déplaise, et malgré ses prétentions liminairiennes, je ne vois pas dans De la nature des mondes animés et de ceux qui y habitent2 de « transmutation » poétique et encore moins de « s ubversion ». Nous sommes tout simplement en présence d’un revampage, d’un ravalement de la forme du mensonge par le fond du mensonge (tout est mensonge en ce bas monde quand nous écrivons à tout vent une réalité partielle et partiale; tout est dans le « mentir vrai » cher aux aragoniens). Bref, devant cet étalage « herberougissant », les initiés et les rieurs sont priés de différer l’expression de leurs sarcasmes. Car ça déboule fort dans l’errance des corps nocturnes. Le matin, le pas court du combattant au corps réifié marque le pavé humide. Dans les postures de la nature incapable de vérité, le poète se singe et se signe.
Malgré ces réserves, la magie stylistique d’André Roy opère toujours. Autant le dire: nous sommes étonnés par cette « chirurgie » textuelle rutilante et précise, par ces « boas » précieux, par cette tragique volupté précipitée. La technique du poète, ici éblouissante, surgit de son traditionnel registre du corps-texte. C’est que, voyez-vous, il maîtrise depuis longtemps la succincte narrativité, le rythme calculé et l’exacte métaphore. Ici, nous errons dans le corps sexe-sué et les reliefs instruits de la haine de vieillir. Là, le poète métaphorise l’évocation même du triomphe et de la déchéance. Il y a là travail impeccable sur le texte et dans le texte.
(Je quitterai temporairement la route en quatrième ivresse. J’irai à Las Vegas mais je ne miserai pas un rond dans cette fallacieuse machine à saoul. Puis j’irai au désert tout proche méditer, redevenu sobre et nu, sur la sécheresse de cette liqueur sémantique, de ce liquide séparé de l’eau. Ensuite, au crépuscule, juste avant le passage des nuages, je parlerai contre le vents mauvais des pissotières. Je banderai alors dans l’immensité tout en regardant, une à une, les étoiles s’allumer. L’errance se paie aussi de poux, de tics et de poussière).
Paul Savoie
Avec Paul Savoie et ses francophonissistes pérégrinations, nous voici dans la grande plaine de la décence stylistique, sémantique et syntaxique. Avec la Danse de l’Suf3 il ne s’agit pas de rouler à livre ouvert. Sa poésie ne sacre pas ; elle ne crisse pas des pneus ; elle ne crache pas au visage au poste de péage. Sur le bord de la Trail, cette anglote transe canadienne, elle fait sagement du pouce, la douzaine d’Sufs sous le bras, avec prière de ne pas l’agiter pendant le voyage. On ne peut refuser le passage à ce poète aux ongles bien taillés, aux cheveux bien dégagés sur les oreilles. Nous sommes donc en sécurité avec cette poésie qui fait toujours ses arrêts obligatoires. Une fois à bord, le poète nous entretient de tout et de rien. De Riel, du ciel manitobain, du fiel réformiste. Bref, ce Canadien errant exemplaire nous confie, la larme à l’œil, que « quelqu’un pleure / tout près / à partir de l’écorchure ». Le lecteur est prié de croire que ce n’est pas moi, ni sa poésie invisible qui sanglote ainsi dans la valise de mon char. Comme il fait chaud sur la Trail, le poète s’« humecte [la] peau / des larmes soupirantes du jour ». Puis, après ce ruissellement, « le corps perd sa densité ». Et moi, je perds patience !Marcel Bélanger
Au restoroute hexagonal, les routiers n’ont jamais de livres à perdre. Le gain pondéral est ici sidéral. C’est à la station-service que j’entrevois Marcel Bélanger en train de gonfler le manuscrit de D’où surgi4 sur la selle de sa moto, pendant le plein. À la seule vue de ce blouson de cuir au décolleté provocant, je suis soudain pris de panique. J’accélère sans demander la monnaie ni son reste à Paul Savoie. Dans mon rétroviseur, je vois le zonard de l’Université Laval me déclamer quelques vers à la vitesse de l’éclair. Même en verlan, je déchiffre ce passage : « d’où surgi… comme ouverture sur l’horizontalité par quoi se mesure le temps de l’itinérant, un pas à pas qui ne coïncide jamais avec le mot à mot d’un texte qu’efface à mesure l’oubli ». Heureusement pour les routiers, l’auteur a oublié à la caisse ses meilleures pages avec sa carte American Express. Malheureusement pour le lecteur, notre onirolinguiste y a laissé également le rêve et le caractère gratuit de ce qui se construit libre de dettes. Ce recueil verbeux, vaguement narratif, est le propre du professeur en rupture de ban qui s’enflamme sur son petit pot juste après la découverte de la lallation: « à présent / comme en ce mois de mai / mille [sic] neuf cent soixante-dix-huit / ce n’est pas un contretemps / qui justifie le rendez-vous manqué ». Étourdi par cet oracle, je m’arrête et je descends. Je constate alors qu’il ne suffit pas de marcher à côté de ses pompes pour prétendre à l’œuvre et à la peau des mots. Il ne suffit pas d’errer, de déterrer quelque sens et de s’enferrer dans les fleurs du passé et de la contemplostate pour enfin parler exactement des deux côtés de la bouche. Bref, Marcel Bélanger nous trahit sans cesse quand il parle de lui. Mais ne désespérons pas: le poète sait tricher avec l’ordre des aliments dans le réfrigérateur de son cœur. Et il lui restera toujours « un bout de papier chiffonné / où tu as toi-même inscrit les initiales R. F. / le numéro de téléphone 271.81.60 / et le nom d’une rue ». D’ici là, prière de ne pas déranger la pétarade de Monsieur Marcel Bélanger.François Tétreau
Nous arrivons déjà au début de notre périple. La Route 666 s’étire devant moi. Désormais, je ferai corps avec sa chair. Tout comme François Tétreau qui, dans sa Chambre de lecture5, nous donne à lire quelques belles pages du pays charnel et incertain, quand il « dénoue la jupe / déboucle sa ceinture / laisse ta bouche s’enfouir et ton visage / dessous les linges ». Avec précision, avec concision, le poète ne nous égare pas quand nous les convoquons, lui et l’errance, après la juste cure de silence. Car nous sommes en présence d’une écriture à la fois dionysiaque et apollinienne, qui parle au lieu de répondre, qui nous adresse toutes les mises en garde et les descriptions nécessaires à la prise du corps : « Il y avait, ruisselante, son histoire / tache minérale et mouillée, pierre / brunie par l’eau, sertie dans la culasse ». Ensuite, ces magnifiques vers : « si tu peux l’observer longtemps / à loisir, sans impatience / et y glisser la langue pour éprouver son incarnat ». Puis, après l’étonnement, « sans doute il y a des filles plus nues que d’autres / mais non pas incorrectes ou fragiles pour autant ». À lire lentement, sans le corps de la femme, un viril cigare aux doigts, les lèvres brûlantes de cognac, dans les cuirs tendres des hauts fauteuils. « L’unique langue est ici / à nulle autre pareille / et le corps de son verbe / – ton forum ». Avant d’éteindre la lumière, nous déposerons délicatement ce recueil sur le rebord de la fenêtre, et le givre qui se forme toujours sur la vitre sera chassé par la chaleur dégagée de ces pages à l’indice d’octane élevé. Voilà une poésie qui n’a pas à rougir dans l’obscurité. Ni de son membre. Ni de ses pieds.Gilles Cyr
Les petits essais de Gilles Cyr laissent songeur. Dans Songe que je bouge6, ses microlithes en distiques mineurs, à l’impeccable forme, nous rappellent que l’errance peut s’accommoder d’une transe ordinaire, en pays connu/méconnu, « sur le sentier pierreux / [qu’]une racine affleure // brillante, usée / par les marcheurs ». Nulle concession ici à la facilité, à la glose, à la perte. Cette poésie ne doit rien à la lâche narrativité. Voilà un texte rigoureux éprouvé par les cent réécritures que s’impose sûrement le poète pour seulement parvenir à cette danse du silence. Souvent, ces petits riens deviennent des TGT (Très Grands Textes). Gilles Cyr fait écho à tout aboi d’une nature inquiète de notre présence. Et le murmure une fois cristallisé s’effrite en mottes de mots, en marmottes sifflantes au soleil: « la route / près de laquelle // de plus grands arbres / vont s’ajouter // quand c’est complet / nous sommes loin ». Décrire le simple espace n’est pas chose facile: il ne suffit pas de seulement voyager et d’observer béatement. La description précise exige de ne pas voyager avec soi. Pour la plupart des poètes, ce n’est pas évident.Maintenant je roule sur la Route 666. Devant moi, la souveraine poésie. Derrière moi, la cendre des sots et la poussière des mots. Bientôt, le murmure soulèvera le vacarme de l’humanité. Le désert encombré de poètes patentés s’estompe déjà dans le couchant. Pas besoin de courir dans Paris pour marcher au Texas.
1. Le fond du désir, par Denis Vanier, Les Herbes Rouges, 1994, 67 p. ; 12,95 $.
2. De la nature des mondes habités et de ceux qui y habitent, par André Roy, Les Herbes Rouges, 1994, 85 p.; 12,95 $.
3. Danse de l’Suf, par Paul Savoie, Vermillon, 1994, 65 p. ; 10 $.
4. D’où surgi, par Marcel Bélanger, L’Hexagone, 1994, 131 p. ; 14,95 $.
5. Chambre de lecture, par François Tétreau, Noroît/Le Castor Astral, 1994, 51 p. ; 12 $.
6. Songe que je bouge, par Gilles Cyr, L’Hexagone, 1994, 119 p. ; 14,95 $.Les poésies québécoises, leurs éditeurs : De la forêt à l’arbre et vice versa
Divinisée autant que ridiculisée, la poésie oublie souvent elle-même qu’elle ne peut être véritablement cernée. À partir d’une poignée de recueils parus dans les derniers mois, voici le petit portrait flou d’une diaspora de l’ineffable au sein des existences.
Il émerge annuellement du Québec et de ses alentours une quantité impressionnante de livres de poésie. Le nombre de maisons d’édition, de revues, de colloques et d’études se consacrant au genre peut d’ailleurs sembler disproportionné si l’on considère le lectorat et . . .
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Pierre Perrault : Paroles fondatrices
L’aube. Dans ma bergère, une parole vivante. Profane, elle s’ancre dans ma mémoire. Nous autres icitte à l’île1 monte en puissantes marées. M’humecte. Me renverse. En poésie ordinaire, magnifiquement tellurique, œuvre oratoire des Grand-Louis, Marie, Alexis et Léopold.
En poésie extraordinaire, prose grandiose de Pierre Perrault, voyageur du fleuve aux grandes eaux qui a récemment traversé l’Achéron. Perrault, le passionné du pays, le cinéaste des Voitures d’eau, le poète de Gélivures.
Je . . .
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Paule Noyart, la vie derrière la vie
Trois livres, trois univers, trois systèmes de références, mais le même regard. Insistant, exigeant, presque clinique et pourtant si débordant de compassion.
Paule Noyart raconte en femme qui ne s’en laisse pas conter. Elle n’en raconte que mieux la vie qui coule, pleure ou aime derrière la vie offerte aux regards plus superficiels ou plus complaisants.
Dès La Chinoise blonde1, le regard est là, qui débusque. Antoine, comédien de métier, de tempérament et de calcul, pense aimer sa femme. Il . . .
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Émile Nelligan et le temps
De tous les poètes québécois, Émile Nelligan (1879-1941) est certainement celui dont l’œuvre a été la plus rééditée et la plus lue. Écrite sur une brève période, à la fin du siècle dernier, elle continue de hanter l’imaginaire des poètes et des lecteurs contemporains.
Admirée, analysée, chantée, cette poésie, qui tient à la fois du romantisme et du symbolisme, propose une synthèse personnelle des mouvements littéraires de son époque, tout en présentant une ouverture sur la modernité du siècle qui . . .
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Vladimir Nabokov : Entomologiste du conte de fée
Vladimir Nabokov, le professeur, était un mécanicien. De ceux qui démontent de merveilleux jouets : les chefs-d’œuvre littéraires. Un ouvrier méthodique désarticulant les textes, les phrases, les histoires afin de mettre en lumière le rouage créateur des grandes œuvres.
Un spécialiste intransigeant de la construction des chapitres, un détecteur impitoyable des styles et des structures, qui sont les fondements d’un vrai livre ; les grandes idées selon lui n’étaient que grains de sable qui nuisent au bon fonctionnement de l’œuvre et à l’enseignement qu’on . . .
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Vladimir Nabokov : L’hypothèse d’un secret
Autant le dire tout de suite : je me suis toujours autant méfié de Vladimir Nabokov que de Louis-Ferdinand Céline, de Walt Disney, de la peste bubonique, des promesses des informaticiens ou du baratin des présidents des grandes entreprises, aussi fallacieux, et très souvent plus dépravé, que celui des politiciens.
Un crâneur, ai-je souvent pensé, protégeant d’abord et avant tout ses fesses en louant son pays d’adoption dans les années 1940 et 1950. Difficile de lire la fin de la déclaration suivante sans rire… ou sans . . .
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Le mythe en littérature
Professeur à la Sorbonne bien connu pour ses nombreux travaux consacrés aux mythes littéraires notamment à titre de directeur du Dictionnaire des mythes littéraires (1988) et du Dictionnaire des mythes d’aujourd’hui (1999) , Pierre Brunel a largement contribué à l’avancement des connaissances sur la présence des mythes dans les textes littéraires, sur leur prégnance dans l’imaginaire individuel et collectif, sur leurs divers niveaux de sens, de même que sur la configuration qu’ils prennent selon les auteurs et les époques.
C’est pour lui rendre hommage et . . .
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Gaston Miron, poète
Il y a des poètes qui habitent tout le territoire de leur poésie. Gaston Miron est de ceux-là. Comme Neruda, Senghor, Lorca, il se réclame d’un lieu et le dit d’une manière universelle. Sa poésie lyrique et enracinée chante son origine, son « incessante origine », pour reprendre un titre du poète italien Mario Luzi.
Gaston Miron parle de sa poésie comme d’une maison qui s’est « faite en son absence ». Les grands poèmes sont étrangers à une réduction de sens et le poète . . .
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John McGahern, obstinément talentueux
Double bonheur, s’il en est, que cette parution simultanée d’un recueil de nouvelles et d’un roman de John McGahern, l’un des plus célèbres écrivains irlandais contemporains, toutes générations confondues, dont la renommée n’a rien à envier à celle des grands écrivains de ce siècle.
Pour ajouter au contentement du lecteur, le roman ne porte nullement ombrage aux nouvelles, et ces dernières ne gênent nullement la lecture du roman. Au contraire, tant l’univers romanesque que celui qui se déploie dans les nouvelles témoignent de . . .
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Gilles Marcotte, l’autonomie du littéraire
Voilà trente-cinq ans que Gilles Marcotte occupe brillamment le champ littéraire et culturel québécois, ce que vient de lui reconnaître le Prix Athanase-David 1997 décerné par le Gouvernement du Québec pour l’ensemble de son œuvre.
Trois ouvrages très différents les uns des autres, Écrire à Montréal1, Miscellanées en l’honneur de Gilles Marcotte2 et Entretiens avec Gilles Marcotte, De la littérature avant toute chose3, nous confirment l’importance de l’essayiste que fut et qu’est encore Gilles Marcotte ; et surtout, un roman, Une mission difficile4, prouve que cet essayiste, aujourd’hui âgé de 72 ans, est un prodigieux prosateur d’une étonnante jeunesse.
Gilles Marcotte n’avait pas publié de roman depuis si longtemps qu’on avait presque oublié les trois qu’il fit paraître entre 1962 et 1973. Je ne sais, vu la qualité exemplaire d’Une mission difficile, s’il faut se désoler de cette attente de presque vingt-cinq ans depuis Un voyage, ou s’il faut bénir toutes ces années durant lesquelles l’écrivain enregistrait, emmagasinait, assimilait, pour produire ce roman d’à peine cent pages à faire pâlir les jeunots trop impatients et autres écrivailleurs qui se prennent pour des écrivains. Maturare ! disait Valéry. Toute une vie pour un roman ! Car c’est en effet un roman comme il s’en écrit trop peu au Québec (il est vrai, malheureusement, que les éditeurs n’auraient peut-être plus qu’à déclarer forfait, les libraires qu’à fermer leurs portes), dégagé de l’anecdote, libre de toute référence sociale perceptible, tout entier porté par un souffle et une imagination puissamment littéraires, tant par la qualité du verbe, la force de l’image, la finesse de l’humour, que par la richesse intertextuelle, à quoi habituellement, en ce qui me concerne, je dépiste un écrivain de race.
De l’imagination et de la pureté érotique
C’est le roman de l’Imagination, celui qui ne se résume pas, qui avant tout inscrit sa propre littérarité au mépris d’une trame logiquement déployée ; le résumer tiendrait d’une « mission difficile », c’est le moins qu’on puisse dire ! On pense à la fulgurante prose poétique d’Une saison en enfer, d’autant plus qu’on sait l’admiration de Gilles Marcotte pour Rimbaud. Du reste, le roman intègre à son propos toute une thématique rimbaldienne récurrente chez lui, depuis l’imposante figure du désert dans Retour à Coolbrook et Un voyage jusqu’à la forêt tropicale qui est au centre d’Une mission difficile. Tout de même, le roman raconte donc quelque chose, une histoire malgré tout, disons étrangement curieuse. Mais est-ce l’histoire qui est curieuse ou la forme choisie pour la raconter ? Car il me semble bien que l’histoire, fragmentée par le bonheur d’une écriture qui fait le pari d’une certaine autonomie du littéraire, est assez simple
À travers l’explosion verbale, haute en couleurs, l’on dégage un propos essentiel qui tient à ceci : un homme aime une femme, ou la Femme, ou une certaine débauche des sens, à moins qu’il ne faille dire que de tout cela, il rêve. Car la conscience (ou l’inconscience) du personnage central s’inscrit assurément dans un trajet initiatique, qui le mène de Singapour au Michigan en passant – surtout – par la vierge forêt de Bornéo, l’ensemble de son parcours balisant une sorte de Carte de Tendre façon fin de millénaire, où « L’AMOUR EST À RÉINVENTER ». Comme la littérature, sans doute. La fin du roman est de bon augure : le départ vers la mer, en hélicoptère, du héros et de la femme aimée, au-dessus d’une clairière qui « ne fut qu’une tache sombre dans l’immensité verte de la jungle », draine une charge symbolique on ne peut plus claire sur la résolution de l’enquête du héros. Mais encore ?
Ce trajet fantaisiste de la quête amoureuse rappelle irrésistiblement la mise en récit du discours surréaliste sur la femme. Je pense notamment à André Breton, dont toute l’œuvre a tenté de « faire justice du prétendu dualisme de l’âme et de la chair », de « réaliser, par voie de complémentarité absolue, l’unité intégrale, à la fois organique et psychique* » ; ou encore à Robert Desnos, dont le héros de La liberté ou l’amour ! traverse tout Paris en pourchassant une femme qui se déshabille progressivement, et atteint bientôt un Bois de Boulogne transformé en forêt vierge, au sein d’un Paris lui-même métamorphosé en océan – mythe récurrent, chez Desnos, du retour aux origines. De fait, dans Une mission difficile, « l’amour fou » est celui de la convulsion primitive, du tumulte originel, de l’Amour, ce qui se traduit par une orientation presque obsessionnelle sur l’un et le multiple. La femme désirée ne se prénomme pas Monika sans raison (c’est moi qui souligne). Henry Miller racontait que June, qui fut, dans la vie, sa plus chère inspiratrice, hérita du nom de Mona, puisque pour lui elle était « la seule, l’unique ! ». C’est par elle, grâce à elle qu’il était enfin parvenu à l’écriture. Plus près de nous, nous retrouvons cette représentation de la femme en rapport avec l’écriture dans cet autre extraordinaire roman qu’est Le vieux Chagrin de Jacques Poulin, où l’apprentissage de l’écriture par Jim, le héros, passe par la Femme, celle qui n’existe pas mais qui pourrait exister, qui doit exister pour l’écrivain ; cette femme se nomme Marika Cette femme est à la mesure de l’écrivain, d’un idéal de l’écrivain. Pareillement à Jim, qui découvre sur la plage des traces de pas qui correspondent aux siens, le narrateur d’Une mission difficile confondra, dans son expérience initiatique, ses pas et ceux de tous les autres : « [C]’est dans tes propres pas que tu vas mettre les pieds, et sais-tu bien dans quelle forêt tu t’enfonces, c’est la même et ce n’est pas la même, ô mon frère », lui dira le sorcier héraclitéen de la jungle de Bornéo. Sorte d’Adam doublé de saint Antoine, profondément troublé par les doux secrets de la Femme serpent, « cette gueule sifflante, béante, qui voudrait bien avoir quelque chose à se mettre sous la dent avant le spasme final », le héros apparaît comme le prototype de l’universel (n’est-il pas « enquêteur international » ?). Lui aussi est l’unique, ce dont témoigne sa recherche obsessionnelle d’un centre, d’un milieu, d’un cœur à occuper, désirant atteindre à l’innocence des corps pour se situer « dans un monde lavé de toute faute, […] dans un tableau du douanier Rousseau ». Le propos n’est pas très éloigné de celui de Louis Hamelin, chez qui « la rage » exprime justement le désir d’un retour au primitif, la recherche de cette indifférenciation des sexes et du paradis exproprié. Quête de l’unité, de l’indissociable, qui se joue encore, comme dans la prose érotico-intellectuelle du Bleu du ciel de Georges Bataille, entre le bleu et le blanc d’un ciel trop pur, le héros de Marcotte « essayant par tous les moyens de franchir l’étendue bleue qui nous unit et nous sépare ». Que de références, parmi combien d’autres du reste Je ne dis pas que Gilles Marcotte a lu tous ces auteurs ; il me semble seulement qu’Une mission difficile témoigne d’une remarquable intuition des savoirs essentiels, au-delà d’une partielle assimilation (forcément partielle) des cultures.
Cela dit, Une mission difficile est ni plus ni moins la réécriture géniale d’Un voyage, publié en 1973. Là aussi le héros, Marcel Fournier, est en mal d’une vie à refaire, de deuils à assumer, de l’amour à réinventer. Le héros réussira bien, l’espace d’une nuit, à se maintenir dans un éblouissement naturel, « à la limite précise de ce qui est et de ce qui n’est pas », mais c’est seul que, à la dernière phrase du roman, il prendra l’avion, résigné autrement à ne parler de la Femme qu’au conditionnel : « Mais l’avion prendrait de la vitesse sur la piste, elle mettrait sa main sur la sienne et c’est ensemble qu’ils s’élèveraient, dans l’exaltation de la puissance et de la liberté. » C’est ce souhait que concrétise l’écriture d’Une mission, le héros achevant la victoire partielle de Marcel Fournier, victoire qui le laissait « en sursis ».
De l’imagination critique
Avec André Belleau, Gilles Marcotte a été l’un des critiques littéraires québécois les plus influents ; sa pensée a été déterminante pour maints chercheurs, particulièrement ceux qui Suvraient dans les champs de l’institution littéraire et de la sociocritique. Ses essais Une littérature qui se fait (1962), Le temps des poètes (1969) et Le roman à l’imparfait (1976), ainsi que les études réunies dans Littérature et circonstances (1989), ont été des jalons de tout premier ordre dans la constitution du discours critique et sont encore aujourd’hui des références. À cet égard, on remarquera que le Prix Athanase-David qu’il vient de recevoir a, cette fois, la particularité de distinguer avant tout une œuvre critique et de reconnaître au discours de l’essai sa pleine autonomie littéraire et à l’essayiste sa position d’« artiste de la narrativité des idées** », selon la formule d’André Belleau. Gilles Marcotte devenu lui-même une institution ? Peut-être, mais alors malgré lui, comme en témoignent les réserves qu’il exprime d’entrée de jeu à Pierre Popovic dans Entretiens avec Gilles Marcotte. C’est néanmoins dans cette optique « institutionnalisante » que cet ouvrage se donne à lire, de même que Miscellanées en l’honneur de Gilles Marcotte, publié sous la direction de Benoît Melançon et Pierre Popovic, deux collègues de Gilles Marcotte au Département des lettres françaises de l’Université de Montréal. Du latin miscellanea, le mot miscellanées signifie « choses mêlées ». Il explique l’aspect hétéroclite de l’ouvrage, lequel ne comporte pas des textes sur, mais de et pour Gilles Marcotte. L’on trouve aussi bien des études savantes que des textes de fiction, l’ensemble rappelant que Gilles Marcotte, qui a été non seulement professeur et essayiste, mais romancier, nouvelliste, anthologiste, journaliste, chroniqueur de musique classique, a décloisonné avec bonheur les pratiques d’écriture. La direction de l’ouvrage a été assumée dans un heureux souci de regrouper des textes qui interrogent des thèmes (le cinéma, la musique ou le hockey, entre autres) ou des auteurs chers à Gilles Marcotte (René Char, Arthur Rimbaud, Jacques Poulin, Réjean Ducharme, par exemple), sans compter un nombre important de lectures sociocritiques qui proviennent du colloque « Une journée dans la vie d’un sociocritique : Gilles Marcotte », organisé à l’Université de Montréal en avril 1995. À ce propos, Gilles Marcotte lui-même, au risque peut-être de « contredire », en quelque sorte, certains collaborateurs des Miscellanées, nous offre le plus beau texte de l’ouvrage, au titre accrocheur : « Un gros animal ». Il y défend l’autonomie et l’irréductibilité du langage littéraire que nie ce gros animal qu’est le social. « La littérature n’a jamais tort », insiste-t-il, ce dont un texte comme Une mission difficile pourrait témoigner, si besoin était. C’est cette autonomie du littéraire qui rend toute la noblesse à la formule de Northrop Frye que cite Gilles Marcotte : l’art apparaît du moment où l’on se dit « ce n’est pas ainsi que j’imaginerais la chose ».
Gilles Marcotte réitère notamment sa position sociocritique dans ses Entretiens avec Pierre Popovic, au titre révélateur : De la littérature avant toute chose. Le titre ne signifie pas qu’il n’y est question que de littérature, mais d’un parcours intellectuel dont le cœur de la réflexion s’alimente au plaisir et à la beauté littéraire. À vrai dire, Pierre Popovic s’intéresse autant à l’homme qu’au chercheur et à l’écrivain, l’interrogeant à la fois sur ses romans et essais comme sur sa famille, sa pratique journalistique, la musique, Cité libre, Parti pris, l’Hexagone, etc. L’ouvrage, intelligemment conduit, permet ainsi d’accéder à la cohérence d’ensemble d’une pensée et d’introduire à l’œuvre.
Enfin, Gilles Marcotte vient de réunir, dans Écrire à Montréal, un ensemble de textes qu’il a publiés dans diverses revues entre 1988 et 1994. L’essayiste s’interroge sur la littérature (essentiellement romanesque) qui écrit Montréal, thématise l’espace urbain et inscrit un parcours dans la ville, qu’il s’agisse de l’écriture minutieuse des romans de Michel Tremblay ou de La bagarre de Gérard Bessette, d’une ambiance plutôt que d’un lieu précis ou encore d’une chronique d’Hector Fabre sur la rue Notre-Dame ; la réflexion est soutenue par cette autre perspective originale, qui sous-tend à une littérature sur Montréal, une écriture depuis Montréal, puisque celle-ci prend les couleurs et le rythme de la ville qu’elle décrit.
Les meilleurs chapitres sont peut-être ceux où l’auteur se distancie de l’univers circonscrit de la ville pour développer sa portée critique et tenter de saisir une évolution du roman contemporain qui « déborde » Montréal ; ainsi les églises de la ville deviennent-elles le prétexte à une réflexion qui inscrit le roman moderne comme « radicalement laïque, a-religieux sinon anti-religieux », et un certain regard sur Le matou sert-il d’amorce pour dégager, dans le roman des années 80, « un nouveau personnage, un nouveau type de romanesque, qui se révèle avant tout par une façon particulière de vivre l’action ». L’on assisterait ici à la naissance du « héros positif », celui qui s’est dégagé de l’inquiétude politique ou historique, qui affirme un certain bonheur de vivre, qui agit. Soit, mais le roman des années 90 apporterait un autre son de cloche, selon Jacques Allard dans Le roman mauve*** ; le titre métaphorise un type de roman qui serait récurrent dans la fiction récente au Québec, un roman au chant grave, qui fait entendre « une musique de l’intervalle, de la panne, du crépuscule », où « s’énoncent les discours intimes » du « mal identitaire » ou des « mensonges de l’amour ». On en reparlera dans vingt ans.
1. Écrire à Montréal, par Gilles Marcotte, « Papiers collés », Boréal, Montréal, 1997, 179 p. ; 22,50 $.
2. Miscellanées en l’honneur de Gilles Marcotte, sous la dir. de Benoît Melançon et Pierre Popovic, Fides, Montréal, 1995, 422 p. ; 20 $.
3. Entretiens avec Gilles Marcotte, De la littérature avant toute chose, par Pierre Popovic, Liber, Montréal, 1996, 192 p. ; 20 $.
4. Une mission difficile, par Gilles Marcotte, Boréal, Montréal, 1997, 101 p. ; 16,95 $.*Manifestes du surréalisme, « Du surréalisme en ses œuvres vives », par André Breton, « Idées », Gallimard, 1983, p. 184.
**Surprendre les voix, par André Belleau, Boréal, Montréal, 1986, p. 86.
***Le roman mauve, Microlectures de la fiction récente au Québec, par Jacques Allard, Québec/ Amérique, Montréal, 1997.Gilles Marcotte a publié, entre autres :
Une littérature qui se fait, Hurtubise HMH, 1962, 1968 et Bibliothèque québécoise, 1994 ; Le poids de Dieu, Flammarion, 1962 ; Retour à Coolbrook, Flammarion, 1965 ; Présence de la critique, Hurtubise HMH, 1966 ; Le temps des poètes, Hurtubise HMH, 1969 ; Les bonnes rencontres, Hurtubise HMH, 1971 ; Un voyage, Hurtubise HMH, 1973 ; Le roman à l’imparfait, La Presse, 1976 et « Typo », l’Hexagone, 1989 ; Anthologie de la littérature québécoise, Volume I, Écrits de la Nouvelle-France, 1534-1760, sous la direction de Gilles Marcotte, La Presse, 1978 et l’Hexagone, 1994 ; Anthologie de la littérature québécoise, Volume II, La patrie littéraire, 1760-1895, sous la direction de Gilles Marcotte, La Presse, 1978 et l’Hexagone, 1994 ; Anthologie de la littérature québécoise, Volume III, Vaisseau d’or et croix du chemin, 1895-1935, sous la direction de Gilles Marcotte, La Presse, 1979 et l’Hexagone, 1994 ; Anthologie de la littérature québécoise, Volume IV, L’âge de l’interrogation, 1937-1952, sous la direction de Gilles Marcotte, La Presse, 1980 et l’Hexagone, 1994 ; La littérature et le reste, avec André Brochu, Quinze, 1980 ; La prose de Rimbaud, Primeur, 1983 et Boréal, 1989 ; La vie réelle, Boréal, 1989 ; Littérature et circonstances, l’Hexagone, 1989 ; Montréal imaginaire, avec Pierre Nepveu, Fides, 1992 ; L’amateur de musique, Boréal, 1992 ; Rimbaud, Hurtubise HMH, 1993 ; Entretiens avec Gilles Marcotte, De la littérature avant toute chose, avec Pierre Popovic, Liber, 1996 ; Une mission difficile, Boréal, 1997 ; Écrire à Montréal, « Papiers collés », Boréal, 1997.Sándor Márai l’exilé
Aux approches de la Première Guerre mondiale, le jeune Sándor s’échappe de la petite ville de l’immense Empire austro-hongrois où il est né avec le siècle. Banale fugue d’adolescent qui ne supporte plus l’ennui familial et une vie factice ?
Non. Celui qui rêve d’être écrivain et qui deviendra l’un des romanciers marquants de la littérature hongroise commence sa vie d’errance. Passant d’un milieu, d’un pays à l’autre, il affirme sa liberté et il se fuit lui-même.
À travers l’Europe
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Renaud Longchamps, Œuvres complètes
Poète et écrivain répertorié comme faisant partie du courant « matérialiste », Renaud Longchamps rature encore une fois la matière première de ses œuvres. L’entreprise, qui devrait compter pas moins de neuf tomes, débute par une auto-archéologie qui a consisté à remodeler des manuscrits inédits et à restituer dans leur ensemble les premières plaquettes publiées dès 1972.
L’écriture est bien peu de choses sans la réécriture, puisque d’emblée elle retraduit (réécrit) une interprétation plus ou moins volontaire du réel. Mais . . .
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Antonio Lobo Antunes, mémoire d’homme
Quand on pense à la littérature portugaise, les noms de Fernando Pessoa et de José Saramago s’imposent. Pourtant, Antonio Lobo Antunes, celui que certains appellent le plus grand écrivain portugais vivant, travaille à une œuvre extrêmement singulière, inspirée de Faulkner, Gogol et Céline. Cet écrivain majeur est fort peu connu au Québec. Plus pour longtemps, peut-être. C’est du moins ce que nous espérons…
Né en septembre 1942, dans une famille de la haute bourgeoisie de Lisbonne, Antonio Lobo Antunes est l’aîné d’une famille de six garçons . . .
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Autour du livre
De leur production à leur réception, les livres et leurs auteurs ont été le lieu de plusieurs analyses et recherches publiées au cours de l’année 2000. En voici le panorama.
Parlons d’abord de la production et plus précisément de ceux qui écrivent les livres. Sous le titre L’écrivain/e dans la cité ?1, les éditions Triptyque publiaient les textes du 17e Colloque annuel de l’Académie des lettres du Québec. Sous la vice-présidence d’honneur de Marcel Dubé, une douzaine d’écrivains et . . .
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