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Auteur/autrice : Neal
À la recherche du jardin de Combray (À la recherche du temps perdu de Marcel Proust)
Je souffre de cette tare pour certains inavouable : je n’ai pas lu Proust, et si je ressens parfois quelque mélancolie à n’avoir su me plonger dans l’univers feutré de La recherche, comme on nomme entre initiés le grand œuvre de cet écrivain, je n’en éprouve aucune honte, même lorsqu’on me dit, sur le ton de la confidence et m’intronisant par le fait même dans le saint des Saints : « Vous avez lu Proust, bien entendu ? ».
Il fut une époque où je m’esquivais devant cette question qui n . . .
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Claude Mathieu (1930-1985)
Le recueil de nouvelles La mort exquise, de Claude Mathieu, ne suscite aucune surprise chez les lecteurs d’aujourd’hui : cette œuvre s’inscrit parfaitement dans la production des nouvellistes des années 1980 et 1990. C’est pourtant au milieu des années 1960 que ce recueil fut publié pour la première fois…
Écrivain peu connu et d’une production restreinte, Claude Mathieu aurait pu définitivement sombrer dans l’oubli, ne suscitant que des mentions brèves dans les histoires littéraires, quand il n’en est pas compl . . .
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Extrait d’Agonie* de Jacques Brault
« JE DEVRAIS retourner au parc, lui rendre son carnet, m’excuser, m’expliquer. Quel idiot je ferais ! Il perdrait contenance. Mais non, il n’est plus ce qu’il laissait paraître. Tout à l’heure, c’était évident. Et puis, le carnet en témoigne. Il n’a pas changé ; il est enfin devenu ce qu’il était. Il comprendra. Il me dira peut-être ce que sous-entend le carnet. Il me dépouillera. Il me rhabillera. Je vivrai. Il est mort. Il devinait qu’il allait mourir. C’est pour cela qu’il est venu au Népal . . .
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Accompagnement, humour, magie…
Si chaque jeune a droit à l’instabilité de ses humeurs, mieux vaut que la littérature se fasse tour à tour mystérieuse, distrayante, captivante, discrètement consolante. Dans nombre de cas, l’auteur trouve un créneau et l’occupe livre après livre. Dans d’autres cas, la même plume aborde presque autant de genres qu’il y a de jeunes curiosités. Certains confirment leur attachement à un univers, d’autres fournissent la preuve de leur polyvalence.
Beauté et émotion
Auteur aussi polyvalent que fécond, Gilles Tibo aborde dans Le grand voyage de Monsieur1 le thème du deuil et de la solitude. Tact et finesse sont au rendez-vous. Luc Melanson attrape la balle au bond : son dessin stylise admirablement le personnage du père endeuillé et de l’orphelin. Quelques phrases, des silhouettes presque naïves, des décors sobrement éloquents. L’art de se retirer silencieusement dès qu’est né le besoin de présence. Magnifique.
De Jean Rouaud, on connaissait les romans érigés à la mémoire de ses proches. Il faudra maintenant goûter ses incursions dans le monde des albums, surtout si les prochains comptent autant que La belle au lézard dans son cadre doré2 sur les illustrations de Yan Nascimbene. L’auteur, fidèle à lui-même, crée en trois lignes l’atmosphère et le décor, distribue les rôles. La belle a quitté le narrateur et, peut-être pour ce motif, n’écrira-t-il désormais que des histoires aux finales déprimantes. Yan Nascimbene tire de cette proposition deux dessins où deux moitiés de personnages claquent la porte et s’enfuient. La suite, on la connaîtra si intervient un lézard curieux et moqueur et si apparaît une lectrice qui, elle, ne goûte que les histoires qui débouchent sur le bonheur. La rencontre est belle entre un conteur qui écrit presque trop bien et un illustrateur qui multiplie les angles et les contrastes aussi longtemps qu’ils sont de mise, mais pas plus.
1. Gilles Tibo et Luc Melanson, Le grand voyage de Monsieur, Dominique et compagnie, 2001, Saint-Lambert, 32 p. ; 19,95 $.
2. Jean Rouaud et Yan Nascimbene, La belle au lézard dans son cadre doré, Albin Michel, Paris, 2002, 32 p. ; 19,95 $.
Les paliers de l’humour
Les soupes, surtout si elles adoptent la couleur vert caca d’oie, suscitent rarement l’enthousiasme des enfants. Mange, mon ange !1 de Christine Schneider l’illustre bien. Quand le père, promu cuisinier, attribue à la soupe la capacité de faire grandir, fiston comprend qu’elle peut produire le même effet si on la verse dans le bac à petits pois. Le père n’aura pas beaucoup plus de succès dans son effort pour justifier la couleur du yaourt. La journée se terminera quand même dans la tendresse même si le rosier nain doit manger le yaourt. Sympathique clin d’œil aux préférences enfantines.
Tantôt auteur et éditeur de son œuvre, tantôt auteur publié par Les 400 coups, Robert Soulières ne rate aucune occasion d’étaler son humour débordant. Grâce à lui et aux délirantes illustrations de Stéphane Jorisch, la légende de Rose Latulipe reprend vie dans Le baiser maléfique2. Mystère, séduction, élégant maléfice. Le folklore confine à l’œuvre d’art.
Quand, d’autre part, Robert Soulières toujours cumule les fonctions d’auteur et d’éditeur, tout devient rigolade. Un cadavre stupéfiant3 rajeunit et renouvelle les clichés, vante jusqu’à l’emphase les irremplaçables mérites de l’auteur, interrompt l’action pour le présenter tel qu’au temps où il s’en remettait encore à la quadrupédie, insère avec une parfaite futilité un bloc de
mots croisés aussi incongru que les félicitations de Voltaire au talentueux San Antonio. Le genre, on le sait, ne convient qu’aux coureurs de fond. Faire rire est (presque) quotidien ; faire rire pendant 200 pages, cela requiert souffle et talent. Littérature destinée aux jeunes ? Plutôt loufoquerie offerte à tous ceux qui cherchent jouvence.
1. Christine Schneider et Hervé Pinel, Mange, mon ange !, Albin Michel, Paris, 2002, 32 p. ; 16,95 $.
2. Robert Soulières et Stéphane Jorisch, Le baiser maléfique, Les 400 coups, Montréal, 2002, 32 p. ; 14,95 $.
3. Robert Soulières et Caroline Merola, Un cadavre stupéfiant, trad. de l’anglais par Christiane Léaud-Lacroix, Soulières, Saint-Lambert, 2002, 228 p. ; 9,95 $.
Le coin des sourires
Je ne sais pas si Le camping du petit géant plaira aux vendeurs de tentes et autres adeptes de la « villégiature instantanée », mais il provoquera chez bien des jeunes et leurs parents le déferlement des souvenirs. La fois où la toile de la tente coulait. La fois où une mouffette s’est présentée. La fois où les matelas pneumatiques ont perdu le souffle. Bonne convergence du texte et du dessin.
Gilles Tibo et Jean Bernèche, Le camping du petit géant, Québec Amérique, Montréal, 2002, 64 p. ; 7,95 $.
Briller au hockey au point de marquer quelques milliers de buts par partie, cela est à la portée du petit garçon de Alex et la belle Sarah. Surtout qu’il porte sur son chandail le numéro 4 (rendu célèbre par Jean Béliveau) et qu’il s’agit d’impressionner la recrue de l’équipe, la belle Sarah. Les interventions canines compliqueront les choses, mais puisque Sarah ne joue que pour le plaisir, pourquoi Alex tiendrait-il au triomphe ? Le ton est léger, le dessin gentiment moqueur, l’histoire fera sourire aussi bien les contemporains d’Alex que les parents qui admirent et encouragent leurs rejetons.
Gilles Tibo et Philippe Germain, Alex et la belle Sarah, Dominique et compagnie, Saint-Lambert, 2001, 32 p. ; 7,95 $.
Comme elle sait si bien le faire, Cécile Gagnon recourt avec Célestin et Rosalie au thème familier de la princesse dont la main est promise à celui qui vaincra les épreuves imposées. Les choses se compliquent quand la victoire penche vers un candidat que la princesse chasserait de ses cauchemars. Qu’on ne s’inquiète pas, toutefois : la magie n’est pas réservée à Harry Potter. Les jeux de mots sont généralement stimulants et accessibles.
Cécile Gagnon et Stéphane Jorisch, Célestin et Rosalie, Soulières, Saint-Lambert, 2002, 52 p. ; 7,95 $.
Dans Marilou Polaire et la magie des étoiles, l’héroïne, toujours effervescente, opte pour une carrière d’astrologue. Peut-être ne croit-elle pas elle-même à ses prévisions, mais elle veillera à ce que les étoiles livrent le bonheur promis. Ce qu’il faut de taquineries, de gaffes et de menaces sans conséquence pour que Marilou Polaire conserve son large public.
Raymond Plante et Marie-Claude Favreau, Marilou Polaire et la magie des étoiles, La courte échelle, Montréal, 2002, 64 p. ; 8,95 $.
De Billy Bob, qui en est à sa huitième aventure Dans le ventre du lapin, n’attendons rien de cohérent, ni même de plausible. Ce n’est pas le genre du duo Philippe Chauveau-Rémy Simard. Tant mieux d’ailleurs pour les petits qui, sur les genoux des génies adultes qui lisent vite et à haute voix ou à demi endormis déjà au creux du lit, demandent à la lecture de les faire basculer en riant dans les délires du rêve. L’énorme lapin modelé par le chef cuisinier les accompagnera si bien qu’ils en raconteront sûrement de nouvelles aventures demain matin.
Philippe Chauveau et Rémy Simard, Les aventures de Billy Bob, t. 8, Dans le ventre du lapin, Boréal, Montréal, 2002, 56 p. ; 8,95 $.
Julia, dans son cinquième texte, Julia et la fougère bleue, se lie d’amitié avec une copine à taille variable qui semble surgir en droite ligne de l’univers d’Alice au pays des merveilles. Christiane Duchesne ne dissimule d’ailleurs pas la source de son inspiration. Comme il se doit, quand on s’appelle Julia et qu’en plus on rêve, ni la peur ni les raisonnements secs n’ont droit de cité. Si la copine est trop grande, on le lui dit et elle s’adapte. Si l’on veut quitter le monde souterrain, un appel à la fougère bleue et le tour est joué. Malgré cela, Julia ne craint pas les pouvoirs de sa nouvelle copine. Elle a raison : elle sait, elle, ce qu’est un jardin et ce qu’est un chien. De quoi fonder sinon une supériorité, du moins une belle assurance. Un récit frais, décontracté, pédagogiquement intelligent et dont Lewis Carroll aurait probablement souri.
Christiane Duchesne et Bruno St-Aubin, Les nuits et les jours de Julia, t. 5, Julia et la fougère bleue, Boréal, Montréal, 2002, 56 p. ; 8,95 $.
Étrange paire que celle du robot Pixolin et de son chien Zip, d’ailleurs aussi robot que son maître. Ces personnages de L’ami perdu ne sont que pièces métalliques, de même que tout ce qui les entoure, mais ils vivent l’amitié comme n’importe quel enfant et n’importe quel chien. Et pendant que la vie disparaît en Pixolin et Zip, elle renaît dans les objets. C’est ainsi que la poubelle, bousculée par Zip, tente de se relever par ses propres moyens. L’ingéniosité du dessin est à la hauteur du texte de Gilles Tibo : Guy England, avec humour, orne les murs des prévisibles photos d’êtres chers, mais il a songé, cohérent jusqu’au bout, à remplir les cadres non de visages, mais de vis, d’écrous… L’enfant qui hésite parfois à s’identifier aux personnages qu’on lui propose se sentira peut-être plus à l’aise avec des robots auxquels il ne craindra pas de se comparer. L’expérience, en tout cas, méritait d’être tentée.
Gilles Tibo et Guy England, Zip et Pixolin, L’ami perdu, Les 400 coups, Montréal, 2001, 32 p. ; 8,95 $.
Le monstre de la cave de Jean-Denis Côté qui avait mérité de grands honneurs à sa première parution en 1998 amorce une seconde existence grâce à la traduction que lui donne Cécile Mapachee en langue algonquine. L’histoire de Kokodji anamisakag conserve son cours familier : l’enfant apprend à exorciser la peur et à apprivoiser les ombres qui, le plus souvent, sont celles d’objets bien peu inquiétants. La traduction, inattendue, éveillera par sa seule présence à d’autres cultures.
Jean-Denis Côté et Caroline Merola, Le monstre de la cave, Kokodji anamisakag, trad. en algonquin de Cécile Mapachee, Éditions du Soleil de minuit, 2002, 26 p. ; 8,95 $.
Univers insolites
La magie comme la conçoit Harry Potter n’est pas la seule voie d’accès aux univers insolites. Les preuves de ce fait surabondent. Dans le deuxième des récits mettant en scène Les triplets de Gradlon, Brigitte, capitaine du vaisseau fantôme, Bernard Boucher permet un coup d’œil sur les allées et venues d’un bien étrange navire. Brigitte l’a vu et a même eu le temps de trouver beau un jeune matelot. Reste à savoir si ce navire aux contours vaporeux a fait disparaître l’épée sous la protection de laquelle vivait le village. L’enjeu importe au plus haut point, car, abandonnée à elle-même, la petite communauté maritime perd confiance et se vide. L’auteur excelle à entremêler le quotidien et les fils incertains des mondes possibles. Il écrit avec précision, use des termes techniques en virtuose, rend respectable le décor des humains et mystérieux les mondes à peine soupçonnés.
Bernard Boucher et Alain Reno, Les triplets de Gradlon, t. 2, Brigitte, capitaine du vaisseau fantôme, Boréal, Montréal, 2002, 166 p. ; 8,95 $.
Avec Le cheval d’Isabelle, Sylvain Meunier, déjà auteur de romans incisifs et originaux, s’intéresse à une jeune cavalière que sa passion pour les chevaux conduit à d’admirables performances, mais aussi à des imprudences qui ne se pardonnent que dans les livres. Son créateur ne la sanctionnera pas pour si peu, au contraire. Il laissera Isabelle percer le mystère d’une antique légende, récompensera son audace, amènera le mystère à s’incarner dans le temps présent. Isabelle en sera comblée. Le mariage des deux univers est assez réussi pour séduire les jeunes auditoires, malgré certains dialogues bas de gamme.
Sylvain Meunier, Le cheval d’Isabelle, Vents d’Ouest, Hull, 2002, 148 p. ; 9,95 $.
La réputation de Francine Pelletier est déjà solidement établie en littérature de science-fiction et de fantastique. Sa signature garantit presque à coup sûr un récit cohérent et pourtant déroutant. Il arrive cependant, surtout quand le nouveau livre, ici Le crime de Culdéric, fait appel à un personnage déjà décrit dans de précédents ouvrages, qu’on présume trop de choses et qu’on laisse circuler la vedette comme si tous les lecteurs la connaissaient de longue date. C’est le cas cette fois. Certes, le talent de l’auteure l’amène à éclairer peu à peu notre lanterne, mais il aurait suffi de quelques lignes en début de récit pour que tous et toutes comprennent plus vite à quel point l’énigmatique et bienveillant Culdéric s’écarte ici de ses habitudes.
Francine Pelletier, Le crime de Culdéric, Médiaspaul, Montréal, 2001, 144 p. ; 8,95 $.
Le pesant mystère de La malédiction de Sonia K. Laflamme, attise la curiosité de Juliana qui ne connaît plus le repos. Elle profite, il est vrai, de l’affection et des confidences d’une grand-mère encore marquée par de tragiques événements lointains, mais cela ne diminue en rien son mérite. C’est elle qui, peu à peu, rassemblera les morceaux en un ensemble cohérent et toujours menaçant, elle qui remontera le cours du temps, elle qui établira d’étranges ressemblances entre la tragédie d’il y a trois quarts de siècle et les retombées modernes de la persistante malédiction. Le manoir où l’auteure situe l’action est habité par des présences multiples ; aux jeunes lecteurs de les identifier et de les apparenter.
Sonia K. Laflamme, La malédiction, Hurtubise HMH, Montréal, 2001, 144 p. ; 9,95 $.
Premier roman de Marc Tremblay, Donovan et le secret de la mine baigne dans une atmosphère digne d’Harry Potter, mais présente quand même de fort valables caractéristiques propres. La magie fait irruption un peu partout, les sortilèges paralysent ou libèrent, les émeraudes suscitent tantôt la cupidité tantôt l’obéissance, mais, cela dit, Donovan se soustrait si souvent aux règles de sa guilde qu’il en devient un assez sympathique délinquant. On l’a mis en garde contre les fées, mais il voyage quand même avec Ellaria, fée mineure, mais ingénieuse. On se demande, en fait, comment la guilde, censément lucide et expérimentée, a pu concocter une méfiance aussi vive et aussi peu utile. Mais c’est peut-être ce que pensent les jeunes en écoutant les mises en garde des adultes. Alors…
Marc Tremblay, Donovan et le secret de la mine, Boréal, Montréal, 2002, 190 p. ; 9,95 $.
Dures et belles réalités
La littérature destinée aux jeunes n’offre pas que magie ou évasion ; plusieurs de ses meilleures réussites racontent la vie (presque) telle qu’elle bat. Ann Lamontagne, par exemple, dans La piste des Youfs II, La cité des murailles, continue à suivre à la trace un Petit Parrain dont la bande détrousse les touristes avec un plausible et inquiétant succès. Les personnages ressemblent aux gens qui marchent dans nos rues, commettent des imprudences qui nous rappellent quelque chose, se mesurent aux professionnels adultes comme le font toutes les jeunes générations. Ann Lamontagne continue aussi, ce dont il faut la féliciter, à soigner l’écriture et à ne se permettre qu’un humour élégant.
Ann Lamontagne, La piste des Youfs II, La cité des murailles, Vents d’Ouest, Hull, 173 p. ; 9,95 $.
L’intrigue de L’inconnu du monastère imaginée par Josée Ouimet fait durer le suspense jusqu’aux dernières pages. Quand affluent enfin les révélations, ce qui s’annonçait ignoble devient un dénouement certes inattendu, mais qui conserve leurs droits aux sentiments les plus divers. Il fallait du métier pour obtenir ce résultat. Quelques gaucheries distraient la concentration. Ainsi, pourquoi parler, mêlant l’hexagonal et le québécois, d’un batte de baseball ? Le Français aurait écrit, ne nous en déplaise, une batte ; le Québécois aurait hésité entre un bâton et un bat emprunté à l’américain. Un batte ?
Josée Ouimet, L’inconnu du monastère, De la Paix, Saint-Alponse-de-Granby, 2001, 112 p. ; 8,95 $.
La rage dans une cage mérite pleinement ce titre violent. Le sentiment d’enfermement enserre si puissamment les deux jeunes protagonistes qu’on ressent presque physiquement l’impuissance, l’injustice, la culpabilité. La rage. Michel Lavoie connaît assez les jeunes pour lire en eux les volcaniques montées de cette rage et pour oser la leur montrer dans une langue presque trop proche de la leur. L’autodestruction est un mal qui frappe avec tant d’efficace cruauté qu’il faut saluer ce coup de sonde audacieux dans les profondeurs adolescentes.
Michel Lavoie, La rage dans une cage, Vents d’Ouest, Hull, 2002, 126 p. ; 9,95 $.
Le Pacifique Sud sert de vaste caisse de résonance au nouveau dépaysement que propose Et si quelqu’un venait un jour de Marie-Danielle Croteau. Les éléments furieux saccagent tout, emportent ceux et celles qui peuplaient l’univers du jeune Teiki et le laissent, fils spirituel de Robinson Crusoé, seul sur son atoll. Viendra plus tard Mira, elle aussi endeuillée de partout. Les deux auront à s’apprivoiser et à attendre. L’écriture, comme d’habitude chez Marie-Danielle Croteau, est fluide, comme embellie et remplie par les heures que l’auteure a vécues dans ces parages. Et la recherche, il va sans dire, coule de source.
Marie-Danielle Croteau, Et si quelqu’un venait un jour, La courte échelle, Montréal, 2002, 158 p. ; 9,95 $.
Quand la cadette, Isabelle, découvre qu’elle aime le même garçon que sa sœur, le drame se met en marche. Tania Boulet en raconte les étapes et les revirements dans Le naufrage d’Isabelle. L’adolescence s’y exprime parfois dans la furie, parfois dans le mutisme buté, toujours avec justesse. L’apparition de lettres anonymes vient alourdir l’atmosphère, provoquer les malentendus, faire lever les hypothèses incontrôlables. Tableau prenant, attachant, qui puise sa force dans le besoin d’amour de l’adolescence et son magnétisme dans le respect de Tania Boulet pour ses modèles.
Tania Boulet, Les naufrages d’Isabelle, Québec Amérique, Montréal, 2002, 209 p. ; 9,95 $.
Gare aux bons sentiments
On prétend que les bons sentiments font la mauvaise littérature. Ce n’est pas toujours vrai. Dans le cas de Vingt petits pas vers Maria de Marie-Célie Agnant, on côtoie ce péril. L’idée était séduisante de redonner sa véritable existence à une femme qui mérite d’être autre chose qu’une domestique interchangeable. Le livre devient cependant prétexte à plaidoyer et laisse l’éditorial l’emporter sur la gratuité littéraire.
Marie-Célie Agnant et Normand Cousineau, Vingt petits pas vers Maria, Hurtubise HMH, Montréal, 2001, 88 p. ; 8,95 $.
Sacrée bougie ! De Carole Melançon traite de l’intimidation que vivent nombre de jeunes dans le milieu scolaire. Comment en sortir ? Le livre propose une solution qui présente l’avantage d’être plausible et l’inconvénient d’une certaine banalité. Nul ne contestera qu’il faille briser le secret étouffant et susciter la coopération entre les victimes, mais est-ce toujours aussi simple ?
Carole Melançon et Isabelle Collerette, Sacrée bougie !, De la Paix, Saint-Alponse-de-Granby, 2001, 80 p. ; 8,95 $.
Gilles Tibo ose à deux reprises s’attaquer (?) aux bonnes causes. Dans La petite fille qui ne souriait plus1, l’abus sexuel. Dans Les yeux noirs2, la cécité. Pari tenu. Les deux petits livres évitent aussi bien la mièvrerie que la surcharge émotive. Les deux bénéficient en outre d’illustrations qui, sans diluer le drame, en rendent la perception plus tolérable. Celles de Marie-Claude Favreau sont frémissantes, puis chaleureuses et apaisées ; celles de Jean Bernèche s’affichent comme autant de négatifs qui couronnent pourtant un émouvant sourire. Une fois de plus, heureuse convergence du texte et du dessin.
1. Gilles Tibo et Marie-Claude Favreau, La petite fille qui ne souriait plus, Soulières, Saint-Lambert, 2001, 52 p. ; 7,95 $.
2. Gilles Tibo et Jean Bernèche, Les yeux noirs, Soulières, Saint-Lambert, 1999, 48 p. ; 7,95 $.
Dans Au delà des apparences de Diane Groulx, bonne cause et littérature fusionnent sans la moindre réticence. Vite planté, le décor à lui seul est une trouvaille : Alexis, impliqué dans un crime majeur, reçoit comme sentence d’effectuer des semaines de travaux communautaires auprès d’enfants handicapés. La suite sera digne de ce début. Qui profite le plus des échanges entre Alexis et Karyle, son protégé trisomique ? C’est la finesse du livre de ne pas imposer son verdict.
Diane Groulx, Au delà des apparences, De la Paix, Saint-Alponse-de-Granby, 2001, 128 p. ; 8,95 $.
Documentation juvénile
Terminons sur deux bouquins qui, à leur manière, concernent les jeunes : une encyclopédie et un lexique élémentaire. Savais-tu ?, Les scorpions fait partie d’une famille de plaquettes qui précisent les faits à propos d’un certain nombre d’espèces. Pour le meilleur, mais aussi pour le pire, les illustrations prennent le pas sur l’information et si elles sont de nature à faire sourire, il n’est pas dit que l’information reçoive toujours son dû. Le désir louable de demeurer abordable a fait oublier l’objectif principal.
Alain M. Bergeron, Michel Quintin et Sampar, Savais-tu ?, Les scorpions, Michel Quintin, Montréal, 2002, 64 p. ; 12,95 $.
Dans le cas de Mon premier vocabulaire de base de Nathalie Elliot, il est difficile de porter jugement, car nul ne sait exactement de quelle latitude jouissait l’auteure. En matière de manuels scolaires ou d’ouvrages apparentés, il n’est pas facile, en effet, de savoir ce que les programmes gouvernementaux imposent. Cela dit, certains doutes sont, je l’espère, encore permis. Au nom de quoi, par exemple, le lundi est-il décrété premier jour de la semaine ? Au nom de quoi poissons et volatiles sont-ils tous rangés parmi les animaux ? Au nom de quoi le noir devient-il une couleur ? Pourquoi, dans l’énumération des parties de l’arbre, les racines sont-elles absentes ? Pourquoi habiter sur la rue et jouer dans la rue ? Vétilles peut-être, mais qui étonnent dans un ouvrage dont on souhaite que les enfants gardent éternellement le souvenir.
Nathalie Elliott, Mon premier vocabulaire de base, 500 mots-clés avec illustrations, Guérin, Montréal, 2002, 86 p. ; 12,95 $.
Ce n’est quand même pas une vilaine cuvée.
Borges ou les délices du clair-obscur (Œuvres complètes de Jorge Luis Borges)
Elle serait longue la liste complète des auteurs que tout le monde cite et tutoie avec le naturel qu’autorise une longue familiarité, mais que je n’ai jamais voulu fréquenter au-delà du bonjour-bonjour. Elle comprendrait Derrida, Lacan, Habermas et bon nombre d’autres penseurs de comparable opacité. On publierait cette liste que, baignant dans mon inculture, je ne rougirais pas. Une autre liste, cependant, à peu près aussi longue me plongerait, sitôt diffusée, dans la honte. Elle révélerait les noms de tous ceux que, fils d’un enseignement vertical et pusillanime . . .
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Du fantaisiste, du gentil, du moral, peu d’esthétique
On écrit beaucoup pour les jeunes. Ils ne peuvent pas encore lire seuls qu’on leur rédige des histoires souvent très belles. Un peu plus vieux, ils sont gavés tantôt de récits utiles, moraux, thérapeutiques, alourdis de questionnaires qui donnent bonne conscience aux parents, mais peut-être peu de plaisir aux jeunes lecteurs, tantôt de narrations fantaisistes qui suscitent et alimentent le rêve. Étonnamment, peu de livres écrits pour les jeunes font une place généreuse à l’écriture, à la beauté, aux voluptés du langage. On écrit comme ils parlent, rarement comme le voudraient la langue et le rêve.
Des histoires pour les oreilles
Les albums illustrés méritent la première escale. Ils sont nourris de l’irremplaçable connivence qui, magiquement, se crée entre l’enfant qui s’apaise et l’adulte qui raconte. Alors qu’on hésitera tout à l’heure à laisser l’enfant lire par pur plaisir, les albums qui exigent la voix de l’adulte se paient la tête des adultes, déboulonnent les mots, permettent à l’enfant qui s’endort de dire ce qui lui était interdit pendant le jour. La fantaisie et la permissivité règnent. Ainsi, Christine Brouillet offre aux enfants l’amitié d’une chauve-souris trop belle pour son bien et qui, sans qu’on perde de temps à expliquer pourquoi ni comment, se permet de voler au grand jour1. Ainsi, Le Raton Laveur propose trois bonnes occasions de rigoler. La première laisse vagabonder le Yayaho, une étrange petite bête qui arrache des syllabes aux mots et les rend aussi farfelus que possible2. La deuxième raconte l’invasion d’une horde d’une parenté insupportable et dont on pourra, contrairement aux usages, penser et dire du mal3. La troisième, dont on confiera la lecture à une grand-maman pourvue d’humour, dit, sur un ton qui rend tout acceptable, à quel point il est difficile pour un enfant de décoder les contradictions des adultes4.
1. Une chauve-souris qui pleurait d’être trop belle, par Chrystine Brouillet, La courte échelle, Montréal, 2000, 24 p. ; 6,95 $.
2. Yayaho, le croqueur de mots, par Geneviève Lemieux et Bruno St-Aubin, Le raton laveur, Mont-Royal, 1999, 24 p. ; 7,95 $.
3. La visite, par Pierrette Dubé et Réal Godbout, Le raton laveur, Mont-Royal, 1999, 242 p. ; 7,95 $.
4. Je ne comprends pas ma Grand-mère, par Béatrice Gernot et Philippe Germain, Le raton laveur, Mont-Royal, 1999, 24 p. ; 7,95 $.
Une fantaisie qui ne l’est pas toujours
À peine a-t-on quitté le terrain où le récit demeurait sous le contrôle de l’adulte lecteur que la méfiance dresse l’oreille. Autant certains auteurs laissent l’enfant baigner dans la fantaisie, autant d’autres insistent pour convertir la lecture en apprentissage scientifique ou moral. Maryse Rouy évite la plupart des écueils dans le portrait qu’elle trace du jeune Jordan1. Le garçon succédera à son père, seigneur de son état, mais à condition de vaincre maintes difficultés, dont son petit caractère. Raymond Plante met de nouveau en scène son espiègle Marilou Polaire2. Elle aime les tours qu’elle joue, beaucoup moins ceux dont elle mérite d’être la victime. L’art de Raymond Plante garde son charme et sa légèreté à un récit qui, pourtant, a la rigueur d’une saine justice.
1. Jordan apprenti chevalier, par Maryse Rouy, Hurtubise HMH, Montréal, 1999, 102 p. ; 8,95 $.
2. Marilou Polaire crie au loup, par Raymond Plante, La courte échelle, Montréal, 2000, 62 p. ; 8,95 $.
Malgré les mérites de plusieurs de ses récits, la « Collection Plus » ne marie pas toujours heureusement fantaisie et didactisme. Le papillon des neiges1 dose bien l’amour d’un père pour sa princesse de fille et recourt sans lourdeur à un corbeau parlant, mais l’enfant ne comprendra pas pourquoi le roi et la reine vivent séparés ni pourquoi il faut abréger une vie pour que l’autre dure. Quant au Père Noël qui est, diraient les adultes, mis en disponbilité2, il attirera sans doute la sympathie, mais ce sera au prix de sa crédibilité. Une fois le livre fermé, le mythe du vieux barbu, pour le meilleur et pour le pire, aura vécu. Avec L’étoile de l’an 20003, la fantaisie recouvre ses droits. Nul ne s’étonnera, et surtout pas un enfant, du dialogue qui se noue entre un garçon et une étoile et que seuls les adultes et les étoiles au cœur refroidi ne peuvent entendre. Ces trois récits poussent à la limite, et parfois au delà, les questions d’après lecture. Certains enfants apprécieront le supplément imposé, d’autres, que je comprendrais, préféreront en rester au simple plaisir de lire.
1. Le papillon des neiges, par Angèle Delaunois, Hurtubise HMH, Montréal, 1999, 70 p. ; 8,95 $.
2. Père Noël cherche emploi, par Johanne Barrette, Hurtubise HMH, Montréal, 1999, 78 p. ; 8,95 $.
3. L’étoile de l’an 2000, par Nicole M. Boisvert, Hurtubise HMH, Montréal, 1999, 70 p. ; 8,95 $.
Fantaisie et tendresse
La littérature pour enfants multiplie les histoires où l’exubérance, d’abord incontrôlée, apprend à laisser de l’espace à autrui. Parfois, la transition s’effectue en douceur, parfois le coup de pouce de l’auteur est trop visible.
Bonne réussite que celle d’Adam1. D’abord réticent à l’idée de passer une semaine chez l’oncle de Bout-du-Monde, il se laisse peu à peu gagner par le personnage et par le village. Shan2, enfant serviable, est récompensé : le poisson rouge qu’on lui confie a même ceci de particulier qu’il parle et résout les questions de mathématiques. Avec Alyssum et Lobélia3, ce sont les fleurs qui prennent la parole. Elles apprennent à grandir, à s’entraider, à former un jardin. Tout cela est frais, attendrissant, vite séduisant.
1. Une semaine de rêves, par Marie Décary, La courte échelle, Montréal, 2000, 63 p. ;8,95 $.
2. Shan et le poisson rouge, par Odette Bourdon, Éditions de la paix, Saint-Alphonse-de-Granby, 1999, 59 p. ; 7,95 $.
3. Alyssum et Lobélia, par Mireille Cusson, Guérin, Montréal, 1999, 55 p. ; 6,50 $.
On entre sur un terrain différent quand la littérature destinée aux jeunes nous les montre aux prises avec les rugosités de la vie. Marilyn1 assume à quelques heures d’avis la tâche de préparer gens et bâtiments à l’arrivée d’un cyclone. Le besoin crée la maturité. Pour Maïté2, c’est l’exemple de la grand-mère qui enseigne à freiner les déferlements. Superbe grand-mère qui se souvient et qui ne condamne pas. Le grand Marcel3 a besoin, lui aussi, de la tolérance d’une grand-mère pour cesser de se conduire en porc-épic. Les bonnes intentions menacent, mais sont encore contenues. Ici encore, les livres de la « Collection Plus » se terminent sur un questionnaire dont il faudra savoir dispenser l’enfant s’il n’y voit qu’une corvée.
1. Le cyclone Marilyn, par Gisèle Pineau, Hurtubise HMH, Montréal, 1998, 78 p. ; 8,95 $.
2. Le Noël de Maïté, par Marie-Célie Agnant, Hurtubise HMH, Montréal, 1999, 78 p. ; 8,95 $.
3. Aline et le grand Marcel, par Christiane Duchesne, Hurtubise HMH, Montréal, 1999, 70 p. ;8,95 $.
Dans son plus récent roman1, la prolifique Sylvie Desrosiers aborde de front, avec sérieux, mais sans morbidité aucune, le thème délicat de la mort. Quand la leucémie frappe un copain, que peut l’amitié ? Que devient la vie ? Karmen Prud’homme2 traite elle aussi, mais avec moins de bonheur, d’un sujet crispant, mais nécessaire : l’adolescent qui se croit laid. Une fin décevante termine bizarrement un cheminement qui, jusque-là, se défendait.
1. Au revoir, Camille !, par Sylvie Desrosiers, La courte échelle, Montréal, 2000, 64 p. ; 8,95 $.
2. Bonne Année, Grand Nez, par Karmen Prud’homme, Hurtubise HMH, Montréal, 1998, 112 p. ; 8,95 $.
L’arche de Zoé fait pire. Les emprunts au Petit Prince et au récit du déluge sont nombreux et mal intégrés, les fautes choquantes, la trame sans véritable unité. Heureusement, une femme plus âgée corrige quelque peu, par sa sagesse, les lacunes d’un récit au didactisme artificiel.
L’arche de Zoé, par Philippe Brulot, Guérin, Montréal, 1999, 85 p. ; 8,50 $.
Au seuil de la vraie littérature
Que les dieux de la littérature en soient remerciés, on trouve encore en bonne quantité les romans pour adolescents qui laissent la thérapie aux thérapeutes et qui font leur métier de conteurs cultivés et intelligents. Il est d’ailleurs fascinant d’en trouver autant qui parlent du passé et de l’ailleurs.
André Noël1 jette beaucoup d’ingrédients, presque trop, dans son récit : mœurs amérindiennes, disparités et dureté de la société blanche du XVIe siècle, pouvoirs magiques, amitié… Le résultat gagne en vivacité ce qu’on pourrait lui contester en unité. Rachna Gilmore2, servie par une excellente traduction, raconte sans jamais verser dans le cliché ou le larmoiement la superbe amitié entre une enfant et la grande adolescente dont le cerveau s’épanouit selon un autre rythme. Le récit ne lésine pas sur les impatiences, les maladresses, les cruautés involontaires, mais il nous fait assister, émus et admiratifs, à l’érosion des préjugés.
1. Les bois magiques, par André Noël, La courte échelle, Montréal, 2000, 96 p. ; 8,95 $.
2. Un nuage sur l’île rouge, par Rachna Gilmore, traduit de l’anglais par Diane Dumont, D’Acadie, Moncton, 1999, 135 p. ; 10,95 $.
De l’île rouge qu’est l’Île-du-Prince-Édouard, on passe ensuite à Haïti. Une Haïti que raconte Marie-Célie Agnant1, avant de laisser son jeune héros atteindre les côtes inhospitalières des USA. Récit poignant, nourri, comme les autres œuvres de l’auteure, de souvenirs lancinants, à l’interface du reportage sans apprêt et de la stylisation. Il faut tout l’art de l’auteure pour empêcher ce contact avec la malédiction haïtienne de créer le traumatisme. Jean Little2, dans une veine comparable, décrit la double transition qui mène Anna de l’Allemagne nazie au Canada et d’une enfance craintive à une adolescence épanouie. Double cheminement aux virages douloureux et aux déceptions incessantes, mais rencontre attachante et terriblement plausible avec une jeune fille en marche vers elle-même.
1. Alexis d’Haïti, par Marie-Célie Agnant, Hurtubise HMH, Montréal, 1999, 143 p. ; 8,95 $.
2. Joyeux Noël, Anna, par Jean Little, traduit de l’anglais par Claudine Vivier, Hurtubise HMH, Montréal, 1998, 285 p. ; 12,95 $.
Deux autres ouvrages méritent plus qu’une mention, tous deux pour l’originalité du propos, l’un plus que l’autre pour la cohérence du récit et la qualité de l’écriture. Richard Blaimert poursuit ici, mais sans le dire avec suffisamment de clarté, le récit amorcé dans La liberté des loups. Son héroïne, qui s’était bellement entêtée, dans le premier roman, à retrouver sa mère biologique, est maintenant confrontée à la mort de cette femme. Faut-il retourner chez ceux qui, une première fois, l’avaient adoptée ? Comment régler sous leur surveillance peu familière les problèmes usuels ou exceptionnels d’une adolescente volcanique ? Richard Blaimert raconte bien et émeut aisément ; il en oublie de lier les deux romans.
La naissance de Marilou, par Richard Blaimert, Vents d’Ouest, Hull, 1999, 177 p. ; 8,95 $.
Carole Fréchette fait mieux encore. De bout en bout, le récit demeure haletant et pourtant solidement charpenté. La structure, peu courante dans les romans destinés aux jeunes et qui, pourtant, se retrouve dans des centaines de films, alterne l’aujourd’hui et l’hier, l’incertitude de ce qui s’en vient et le côté implacable du flash-back. Dolorès est présente dans le souvenir, impossible à retrouver dans la vie d’aujourd’hui. Il faudra pourtant la retrouver, car le rendez-vous manqué attend son explication. Mais peut-être le jour vient-il où mieux vaut en rester à ce qui a eu lieu. Voilà de la littérature.
DO pour Dolorès, par Carole Fréchette, La courte échelle, Montréal, 1999, 147 p. ; 8,95 $.
Et un petit délire avec cela ?
Nous en sommes aux ouvrages destinés aux adolescents plus qu’aux bambins, mais nous sommes quand même, toujours, à deux doigts de la fantaisie, pour ne pas dire du délire. À preuve, Don Quichotte Robidoux1 dont l’effervescence déferle avec les plus apaisants effets et la plus reposante décontraction. À preuve, le plus récent Klonk2 de François Gravel où l’on chercherait vainement, et c’est tant mieux, la moindre trace de cartésianisme. À preuve aussi, mais dans un autre registre, les contes traditionnels québécois que présente Charlotte Guérette3. Mieux vaudrait, cependant, dans ce dernier cas, prévoir ‘ peut-être pour le mieux savourer ‘ le dépaysement que provoque un vocabulaire certes authentique, mais suranné et, du coup, déroutant.
1. Don Quichotte Robidoux, par Jean-Pierre Gagnon, Éditions de la paix, Saint-Alphonse-de-Granby, 1999, 149 p. ; 8,95 $.
2. Klonk et le treize noir, par François Gravel, Québec Amérique, Montréal, 1999, 141 p. ; 8,95 $.
3. La bûche de Noël, par Charlotte Guérette, Hurtubise HMH, Montréal, 1999, 93 p. ; 8,95 $.
Sans oublier le besoin d’enquêter
Un survol de la littérature destinée aux jeunes ne serait pas complet sans un regard sur les innombrables enquêtes qu’elle raconte. Le manuscrit envolé1 appartient d’emblée à ce courant. L’auteure a un métier sûr qui lui permet de mener son lecteur aux conclusions les plus hasardeuses et de déboucher ainsi sur un dénouement aussi inattendu qu’il est souhaitable. L’humour est cependant un ingrédient encore mal maîtrisé. Dominique Demers2, autre auteure en possession de ses moyens, présente quelque chose des mêmes caractéristiques. Le décalage est réussi entre les frustrations et les jalousies initiales et les satisfactions qui terminent l’aventure, mais on est là aussi devant un humour plutôt racoleur dont une auteure de métier pourrait faire l’économie. Raymond Plante appartient lui aussi, son dernier ouvrage le démontre une fois encore3, au cercle grandissant de ceux et celles qui rejoignent les jeunes auditoires sur le terrain de la fantaisie et qui, sans lourdeur, leur font vivre d’abord l’expérience des conclusions hâtives et des jugements téméraires, puis le plaisir des heureux renversements de situations. Dans le cas de Julie Martel4, il est dommage que son récit, ambitieux, mais séduisant, soit à ce point enlaidi de fautes d’orthographe qu’un bon travail d’édition ou de correction aurait dû éliminer. Le talent de la narratrice, lui, est manifeste. Avec Pyer Vaillancourt5, l’enquête se déploie avec charme et efficacité sur deux plans différents : celui d’un véritable apprentissage de la vie dans la nature et celui du mystère à élucider. Quand on aura déchiffré l’énigme de l’immense ombre à deux têtes, l’apprentissage de la nature et de la vie occupera tout l’espace. En abordant L’instant des louves6, on croit, une fois encore, entrer en contact avec une nature certes complexe, mais intelligible. Après tout, chasser le loup pourrait n’être qu’une technique à maîtriser. Quand la magie intervient, cependant, toute la stratégie des chasseurs s’écroule. En bon conteur, Gudule laisse ensuite flotter le mystère, sans le déflorer.
1. Le manuscrit envolé, par Sonia Sarfati, La courte échelle, Montréal, 1999, 96 p. ; 8,95 $.
2. Romé Lebeau, par Dominique Demers, Québec Amérique, Montréal, 1999, 65 p. ; 8,95 $.
3. La fièvre du Mékong, par Raymond Plante, La courte échelle, Montréal, 2000, 96 p. ; 8,95 $.
4. La lettre de la reine, par Julie Martel, Médiaspaul, Montréal, 1999, 162 p. ; 8,95 $.
5. Les aventures de Simon, tome 3, L’ombre mystérieuse, par Pyer Vaillancourt, JCL, Chicoutimi, 109 p. ; 9,95 $.
6. L’instant des louves, Contes de Noël, par Gudule, Hurtubise HMH, Montréal, 1999, 78 p. ; 8,95 $.
Malgré quelques gaucheries dans l’écriture, La marquise de poussière capte et retient durablement l’intérêt. Le récit, qui débute au ras du quotidien, s’emballe tout à coup en faisant surgir l’hypothèse d’interventions infiniment moins naturelles. Inquiétude, tension, supputations, tout y passe. Il n’est même pas certain que la conclusion veuille tout expliquer.
La marquise de poussière, par Marjolaine Bouchard, JCL, Chicoutimi, 1999, 103 p. ; 9,95 $.
Claude Bolduc, lui, ne laisse aucun doute : c’est l’horreur qu’il propose. Il reprend où il avait laissé Le maître des goules (même éditeur) et impose une fois de plus à ses héros et à ses lecteurs l’exploration hasardeuse d’un monde aux logiques déroutantes. D’un livre à l’autre, Claude Bolduc raffine son maniement de l’horreur et son aptitude à faire coexister la vie dite ordinaire et des mondes inexplorés et menaçants.
La main de Sirconia, par Claude Bolduc, Vents d’Ouest, Hull, 1999, 171 p. ; 8,95 $.
Bonne ou médiocre cuvée ? Les deux épithètes conviendraient. La diversité est manifeste. Il est réjouissant, par exemple, de voir autant de bouquins bien faits proposer aux jeunes la découverte des autres cultures. Tout comme est tonifiante la forte présence de la fantaisie dans l’offre faite aux diverses catégories de jeunes lecteurs. Deux bémols cependant. D’une part, une tendance est à l’œuvre qui risque de diminuer le plaisir de la lecture. Lire n’est ni un travail scolaire, ni une thérapie, et les plus beaux sentiments et les questionnaires les plus instructifs peuvent conduire à une moins bonne littérature. D’autre part, plaire aux enfants ne dispense pas de faire œuvre belle et d’écrire un français au moins correct, sinon élégant. Il ne s’agit pas de rendre le livre artificiel, mais de laisser le livre styliser et non pas photographier la réalité.
De quoi envier la jeunesse
Bien des adultes affirment, avec ce qu’ils croient être une humble crainte, qu’ils n’auraient pas le courage d’affronter ce qui attend les jeunes d’aujourd’hui. Ils prétendent donc ne pas les envier… jusqu’à ce qu’ils tombent en arrêt devant ce que la littérature leur offre présentement. Là, le ton change ; on aimerait rajeunir et recommencer à lire. Quelle chance est la leur !
Une série qui s’étoffe
Le Raton Laveur constitue un bon déclencheur pour cette inavouable envie des adultes. Paul Roux parvient, par exemple, grâce à un sympathique et turbulent Ernest, à initier les enfants à un grand mot et à une foisonnante réalité : les pictogrammes1. Ernest renouvelle gaillardement la panoplie des pictogrammes et déclenche une assez belle pagaille. Puis, il s’endort avec un sourire désarmant de candeur.
Sophie-Luce et André Rivest, quant à eux, laissent la jeune Camille se prendre pour une princesse et rêver d’un empire où toute la famille se plierait à ses caprices. Cléopâtre n’aurait pas étalé plus d’exigences. Avec le sourire, maman et papa rappelleront à cette chère Camille que, en bonne logique, il n’y a de princesse que si existent d’abord une reine et un roi. Eux aussi, hélas ! ont quelques droits. Le retour au réel se fait quand même en douceur2.
Michel Luppens et Benoît Laverdière racontent bellement l’histoire d’une Nunuche dont les autres oiseaux, le corbeau Plumeau, et surtout une maman coucou, exploitent la naïveté3. Les vérités de l’histoire naturelle y trouvent leur compte, mais elles n’empêchent pas les auteurs d’y ajouter la fantaisie. Le corbeau, qui attendait sa revanche depuis l’antique fable de La Fontaine, en profite pour jouer au bébé coucou le tour que lui avait joué le renard.
1. Pictogrammes en folie, par Paul Roux, Le Raton Laveur, 2000, 22 p. ; 7,95 $.
2. Camille 1re, par Sophie-Luce et André Rivest, Le Raton Laveur, 2000, 24 p. ; 7,95 $.
3. Un drôle d’œuf de Pâques, par Michel Luppens et Benoît Laverdière, Le Raton Laveur, 2000, 24 p. ; 7,95 $.
Quand texte et dessin convergent
Il arrive que des albums destinés aux enfants soient si joliment illustrés qu’on ne sache plus ce que vaut le texte. Trois albums superbes réussissent l’exploit de combler à la fois l’œil et le cœur. Texte et dessin sont de haut niveau.
La Princesse Isabeau et le Chevalier inconnu marque l’abolition de bien des frontières : celle qui sépare notre temps de l’époque des belles princesses ou encore celle qui départage rêve et logique. Une fois abrogées ces compartimentations, dont les enfants n’ont d’ailleurs nul besoin, il devient même possible aux chevaux de signer des lettres mystérieuses et à une princesse de ne pas tout dire à son roi de père. Il est normal, alors, que le dessin bouscule les marges et ose renouveler la perspective.
La Princesse Isabeau et le Chevalier inconnu, par Samuel Lautru et Frédéric Pillot, Les 400 coups, Montréal, 2000, 40 p. ; 15,95 $.
L’été de la moustache fait cheminer côte à côte ou en contrepoint deux modes aussi imprévisibles l’une que l’autre : celle des chapeaux et celle de la moustache. D’où vient qu’une saison rende la moustache presque obligatoire et que la suivante la dévalorise ? Et pourquoi les chapeaux, hier indispensables, perdent-ils tout à coup la faveur populaire ? Deux amis, dont les commerces dépendent des caprices de ces deux modes, s’inquiètent, s’entraident, réfléchissent. La fantaisie est partout, dans la générosité du dessin comme dans la finesse du texte, mais elle n’interdit pas au lecteur de conclure comme les deux amis : avec bon sens. La mode prend du plomb dans sa suffisance, la liberté prend du galon.
L’été de la moustache, par François Gravel et Anatoli Burcev, Les 400 coups, Montréal, 2000, 48 p. ; 12,95 $.
Quatre magnifiques récits, servis par un dessin aérien et poétiquement naïf, font du Village aux infinis sourires un recueil exemplaire. Le dépaysement est complet, aussi oriental que possible, mais il prend la couleur de l’amitié plutôt que celle d’un exotisme de pacotille. Tout simplement, on vit dans ce village autrement, on se résigne plus facilement aux humeurs de ceux qui commandent de plantureux repas qu’ils oublieront de consommer, on accepte la vie sans exiger d’elle une parfaite connivence avec ses préférences personnelles. Cela comporte comme avantage, entre autres, que le grand-père qui croyait tout savoir des cerfs-volants doit avouer qu’il en sait aussi peu que la jeune génération. Un plongeon dans l’art de vivre.
Le village aux infinis sourires, par Barrie Baker et Stéphane Jorisch, trad. Michèle Marineau, Les 400 coups, Montréal, 2000, 48 p. ; 12,95 $.
L’inconnu et ses multiples avenues
La littérature destinée aux jeunes n’hésite plus à les suivre dans leurs quêtes imprévisibles et incessantes, ni même à les devancer dans ce qu’ils osent à peine entrevoir. À l’occasion de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur, Cécile Gagnon a redonné vie, sur un ton juvénile mais sans trahir le contenu classique de ces contes, à Rose Latulippe et à la chasse-galerie. Pas de référence savante, ni de recréation faussement folklorique, mais simplement le petit quelque chose qui conduira les jeunes lecteurs à aimer, à admirer, à interroger la légende… et donc à lire davantage.
La rose et le diable, par Cécile Gagnon, Soulières éditeur, Saint-Lambert, 2000, 72 p. ; gratuit.
Elles abondent, les enquêtes qui sont le versant libre des recherches que l’école réclame désormais presque dès la maternelle. Opération violoncelle appartient d’emblée à cette veine. Pas question, en effet, que tante Hermine soit à jamais privée de son violoncelle ; encore moins question qu’on endosse sans les vérifier les préjugés qui convertissent un jeune marginal en coupable évident. L’enquête a ceci de particulièrement séduisant qu’elle fait agir avec une efficacité parfaite et une bonne humeur presque inaltérable une jeune fille que son handicap physique aurait pu confiner aux plaintes. Et pourquoi, sur son triporteur, n’aurait-elle pas aux joues cette rougeur qui monte à l’approche du premier amour ?
Opération violoncelle, par Micheline Gauvin, Vents d’Ouest, Hull, 2000, 142 p. ; 8,95 $.
Le métier très sûr de Francine Pelletier lui permet de raconter à la fois le déroulement d’une enquête et le cheminement d’une jeune fille vers la maturité. Presque sans le remarquer, on glisse dans un autre univers, où l’on côtoie de nouvelles espèces, où les parents pratiquent néanmoins les mêmes restrictions mentales, où les ambitions et les hypocrisies de trop d’adultes se déploient sans perdre quoi que ce soit de leur virulence. Ce qui permet à Francine Pelletier de marier en doses subtilement équilibrées le rêve et la vie.
Les eaux de Jade, par Francine Pelletier, Médiaspaul, Montréal, 2000, 166 p. ; 8,95 $.
Michel St-Denis jette carrément par-dessus bord la logique classique. Ce qui, logiquement, est révolu et donc érodé se braque tout à coup devant les yeux. Ce qui n’a pas de sens a pourtant une incontestable réalité. À tel point que les identités ne sont plus qu’un stade dans une imprévisible évolution. Quelques gaucheries témoignent d’une certaine inexpérience (dont l’éditeur aurait pu se préoccuper), mais on comprend à la lecture le verdict du jury qui a accordé à ce livre le Prix littéraire de l’Abitibi-Témiscamingue.
Le secret des brumes, par Michel St-Denis, Vents d’Ouest, Hull, 2000, 162 p. ; 8,95 $.
À plusieurs égards, L’étrange monsieur Fernand présente des caractéristiques analogues, mais en aggravant les moins glorieuses. Si on accède avec un grand naturel à cet univers où les vampires traversent les siècles sans amendement ni vieillissement, les déficiences de l’écriture sont par ailleurs trop nombreuses. Même en accordant aux coquilles un certain droit à l’existence, on se résigne mal aux diriga, au héros deux jours attachés, au rien avoir affaire… Dommage.
L’étrange monsieur Fernand, par Hervé Gagnon et Thomas Kirkman-Gagnon, Éditions GGC, 2000, 238 p. ; 12,95 $.
Avec Projet gicleurs, Michel Lavoie, auteur aguerri et admirablement proche de la jeune génération, pousse un cran plus avant une audace et une honnêteté intellectuelle dont il a maintes fois prodigué les preuves. Il se peut, cependant, que l’onde de choc que lance son récit l’ait empêché de garder la maîtrise de son écriture. Michel Lavoie met en scène trois personnages de jeunes terriblement crédibles : talentueux, contraints par les parents et le milieu au port d’un masque parfait, témoins scandalisés de l’hypocrisie et de la vénalité d’adultes pourtant immergés dans des tâches éducatives, douloureusement incapables de tracer la ligne de démarcation entre l’amitié et l’amour. Le portrait que dresse Michel Lavoie est convaincant et prouve qu’il sait voir et respecter les jeunes. Mon bémol vient de ce que, en cherchant à donner vie à ses héros, il ait parfois péché par excès d’épithètes extrêmes et substitué une certaine grandiloquence à l’émotion qu’on sent pourtant en lui.
Projet gicleurs, par Michel Lavoie, Vents d’Ouest, Hull, 2000, 96 p. ; 8,95 $.
Une documentation en arborescence
Deux titres s’ajoutent à la collection que Gallimard Jeunesse intitule « Les yeux de l’histoire ». Dans un cas, le regard va loin en arrière pour observer La chute de l’empire aztèque1 ; dans l’autre, c’est d’un passé relativement récent qu’il s’agit : La conquête de la lune2. Chaque fois, la documentation abonde. Elle sait même situer l’événement dans un contexte scientifique, historique ou anthropologique. C’est l’occasion, par exemple, d’expliquer visuellement les phases de la lune et même d’entrevoir ce que peut être l’avenir de l’homme sur la lune. La description du face-à-face sanglant entre Cortés et la civilisation aztèque conduit, dans le même esprit, à expliquer le mode de vie qui prévalait en Amérique centrale avant la venue des Européens. On imagine sans peine que des adolescents astreints à une recherche de type scolaire feront grand usage d’une information aussi abondante et aussi généreusement illustrée. Deux commentaires cependant, l’un de forme, l’autre de contenu. Comme le veut la mode, ces albums privilégient une mise en pages éclatée, arborescente, constamment rebelle à tout déploiement linéaire. On fait dans la stroboscopie. L’exposé y gagne en vivacité, il y perd en rationalité et en vision synthétique. Le jeune lecteur risque de sortir de l’exercice avec une masse d’informations en pièces détachées, mais sans balises claires pour bâtir son interprétation. Par ailleurs, on raconte la conquête de la lune comme si le drame de Challenger n’avait pas eu lieu. On réduit à une mention rapide ce qui, s’agissant de la démographie mexicaine, s’apparente pourtant à un génocide. Que dire d’autre, en effet, quand, en soixante ans, de 1519 à 1580, la population du Mexique passe de 25 millions à moins de 2 millions ?
1. La chute de l’empire aztèque, par Richard Platt et Peter Dennis, trad. de l’anglais par Nathalie Corradini, Gallimard Jeunesse, Paris, 2000, 48 p. ; 22,95 $.
2. La conquête de la lune, par Carole Stott et Richard Bonson, trad. de l’anglais par Christiane Prigent, Gallimard Jeunesse, Paris, 2000, 48 p. ; 22,95 $.
En ce sens, la lecture de ces superbes albums ne dispense pas des compléments critiques que peut ajouter l’enseignement.
Rêver, rire, apprendre, frissonner : Des livres pour toutes les humeurs juvéniles
Pour qu’il soit toujours aux yeux des jeunes un plaisir et une présence, le livre doit épouser souplement tous les états d’âme imaginables : rassurer quand le sentiment d’être à part devient trop douloureux, faire rire quand sonne l’heure de la détente, inquiéter juste assez pour que toutes les peurs s’enfuient. Bonne nouvelle pour les jeunes et pour ceux et celles qui aident à leurs choix, les derniers arrivages correspondent d’assez près à ce vaste programme.
Les adultes insistent tellement sur la logique et l’ordre que la fantaisie distillée par certains livres est un véritable cadeau. Ainsi, Mathilde n’en veut pas à son père de lui donner d’horribles souliers qui provoqueront les taquineries de toute la classe, mais elle va quand même au lit en redoutant le lendemain. Le rêve l’enveloppe, les étoiles interviennent auprès des souliers, la paix revient et le lendemain ne fait plus peur. Rêve et livre apaisants.
Les souliers magiques, par Christine Bonenfant et Roxane Fournier, Hurtubise HMH, 2000, 72 p. ; 8,95 $.
Avec Louise Leblanc1 et Sylvie Desrosiers2, la fantaisie puise dans des mondes imprévisibles. Dans le premier cas, c’est la triste vie d’un jeune vampire qu’il faut comprendre. Devoir garder tant de secrets, se sentir tellement différent, ne pas circuler aux mêmes heures que les autres, voilà amplement de quoi gâcher l’existence, à moins que, malgré tout, l’amitié s’en mêle. Si elle est là, qu’importent les différences ?
Dans le second cas, les héros familiers, depuis l’Anglais au vocabulaire boiteux jusqu’au très laid Notdog en passant évidemment par Jocelyne et Agnès, reprennent du service. Cette fois, cependant, le défi diffère, car, avant d’enquêter sur autrui, il leur faut d’abord innocenter Jocelyne sur laquelle pèsent d’injustes soupçons. Même si le chien Notdog étale une intelligence inattendue, surtout chez lui, il ne sera pas facile de séparer ce qui appartient à ce monde-ci de ce qui, peut-être, révèle la présence d’extraterrestres. Dans les deux cas, les auteures sont assez près des jeunes pour ne pas succomber au danger d’une conclusion trop claire.
1. Un vampire en détresse, par Louise Leblanc et Jules Prud’homme, La courte échelle, 2000, 64 p. ; 8,95 $.
2. Les extraterrestres sont-ils des voleurs ?, par Sylvie Desrosiers et Daniel Sylvestre, La courte échelle, 2000, 96 p. ; 8,95 $.
Sans négliger l’écriture
Deux auteurs aux talents multiples prolongent ce voyage fantaisiste, en lui conférant presque constamment une qualité de rédaction particulière. Jean-Pierre Davidts nous ramène le roi Léon. Gaffeur sympathique, monarque aux modestes pouvoirs, le roi Léon éprouve des difficultés qui, peut-être, l’apparentent à ses jeunes lecteurs : l’orthographe, en effet, l’embête… royalement. Mais un roi peut-il avouer pareil problème ? Parcours, comme d’habitude, ingénieux et drôle ; pédagogie désinvolte et efficace.
Les mésaventures du roi Léon (7) : L’ABC du roi Léon, par Jean-Pierre Davidts et Claude Cloutier, Boréal, 2000, 54 p. ; 8,95 $.
Sonia Sarfati, prolifique comme jamais, dans des textes aussi agiles qu’abordables, réussit à émouvoir, à renseigner, à amuser. Laurie1 apprend à la fois l’existence de Cupidon et les imprévisibles cheminements de l’amour. Lysandre2, dont les rêves tournaient aux cauchemars à cause de vilaines grosses bêtes, se rassure grâce à la présence d’un tout petit crocodile aux longues dents. Couché au pied du lit de Lysandre, il assurera la sérénité de ses rêves pendant de nombreux dodos. Enfin, dans un registre un peu plus avancé et avec un scénario plutôt mince, Sonia Sarfati aborde un thème récurrent dans la littérature destinée aux jeunes : celui des apparences trompeuses. Maude3 est irascible, coléreuse, allergique à l’amitié, mais il n’est pas dit que les trois amis ne viendront pas à bout de ce blindage apparemment invulnérable. Deux auteurs aux récits intelligents et à la langue soignée.
1. Laurie l’intrépide (1) : Le prisonnier du donjon, par Sonia Sarfati et Jacques Goldstyn, Boréal, 2000, 56 p.; 8,95 $.
2. Le crocodile qui croquait les cauchemars, par Sonia Sarfati et Caroline Merola, La courte échelle, 2000, 12 p. ; 6,95 $.
3. Panthère, civière et vive colère, par Sonia Sarfati et Pierre Durand, La courte échelle, 2000, 64 p. ; 8,95 $.
Avec tout le courage requis
Avoir peur de l’eau alors que les rivales égalent les dauphins, c’est le grand chagrin de Calembredaine qui maîtrise pourtant bien le métier de sorcière. La guérison viendra lorsque Calembredaine comprendra qu’on peut avouer sa peur et qu’elle n’est d’ailleurs pas seule à la ressentir. Cela risque de devenir lourd et moralisateur ? Non, car les plaisirs de la ruse font aussi partie du scénario. Il le fallait pour que Calembredaine et sa complice tiennent tête à un génie redoutable et à une vague au nom prédestiné de Mascaret.
Calembredaine, par Anne Silvestre et Béatrice Favereau, Hurtubise HMH, 2000, 80 p. ; 8,95 $.
Sylvain Trudel, dont les œuvres pour adultes méritaient les plus grands éloges, multiplie depuis quelque temps les récits destinés aux jeunes. Il s’adresse à eux dans un style nerveux, qui substitue l’action aux épithètes et le geste à la phrase complète et qui ne laisse jamais au temps le temps de s’alanguir. Dans ce récit, Yan affronte la force brutale et la cruauté. Il ose, court des risques, démasque un Max Denferre peu sympathique et ne trouve qu’après son exploit le temps de regarder le ciel et de rêver. Tout cela vite et bien.
Yan contre Max Denferre, par Sylvain Trudel, La courte échelle, 2000, 64 p. ; 8,95 $.
Quand disparaît la poupée de Christina1, les deux sœurs concluent au vol. Qui plus est, elles savent d’instinct qui soupçonner. Comment, en effet, un tel individu ne serait-il pas coupable du vol de la poupée et sans doute de bien d’autres crimes répugnants ? L’affronter va exiger une bien grande audace. Mais Joséphine mérite cela. D’ailleurs, l’individu…
Avec Jiro Taniguchi, la bande dessinée intervient sur des terrains délicats. Il n’est d’ailleurs pas dit que ce soit très heureux. La séparation2, par exemple, vise à expliquer aux enfants qui vivent la séparation de leurs parents, comment une telle évolution a pu se produire. Intention sans doute louable, mais qui réunit contre elle trop de facteurs négatifs pour parvenir au résultat recherché. Le dessin est fade, les bulles peu conformes aux usages occidentaux, les sentiments trop profondément immergés dans des visages impénétrables et la psychologie sommaire, en tout cas inexprimée. Le thème sort de ces difficultés en piteux état.
1. Joséphine a disparu, par Moka, L’école des loisirs, 2000, 62 p. ; 11,95 $.
2. Le journal de mon père (2) : La séparation, par Jiro Taniguchi, Casterman, 2000, 96 p. ; 17,95 $.
L’histoire, toujours l’histoire
Ils sont nombreux, les récits qui expédient les jeunes lecteurs en d’autres lieux et dans des temps révolus. Parfois d’heureuse façon, d’autres fois sans susciter l’intérêt.
La Martinique, par exemple, ne gagne pas grand-chose à servir de décor à une autre aventure du jeune Thibault. Le récit, certes, bénéficie d’une base historique et le vocabulaire exotique présente un charme incontestable, mais ni l’écriture ni surtout les illustrations ne sont à la hauteur. Tenons cependant compte du besoin de ménager les jeunes lecteurs.
Le monstre de Saint-Pierre, par Nelly et Jean-Pierre Martin, illustrations de Pierre Massé, Hurtubise HMH, 2000, 80 p. ; 8,95 $.
Thème dramatique, la déportation des Acadiens revient périodiquement dans la littérature destinée aux jeunes. Alain Raimbault la raconte du point de vue d’un adolescent brutalement séparé des siens, mais qui ne perd pas pour autant la conscience de ses racines. Attrait particulier de cette version, le rôle trop souvent ignoré des Micmacs dans la vie acadienne prend ici de l’importance. À maints égards, les habitudes autochtones deviennent même le vrai sujet du livre. Les illustrations sont plus naïves que convaincantes.
Herménégilde l’Acadien, par Alain Raimbault et Béatrice Leclercq, Hurtubise HMH, 2000, 80 p. ; 8,95 $.
Pour nous donner une autre version de la même période tragique, Andrée-Paule Mignot recourt au truc du journal intime caché au fond d’une cave et retrouvé fortuitement un siècle et demi plus tard. Le journal occupe d’ailleurs tant d’espace dans le récit que le rattachement à l’époque présente en devient artificiel. L’auteure, qui a plusieurs fois démontré son aptitude à rendre l’histoire vivante et intelligible à un jeune public, aurait pu, me semble-t-il, ou s’en tenir au journal ou ménager aux personnages encore vivants un rôle moins effacé. La relation entre les deux époques et notre devoir de mémoire en aurait été mieux soulignés.
Nous reviendrons en Acadie !, par Andrée-Paule Mignot, Hurtubise HMH, 2000, 120 p. ; 8,95 $.
Autre auteure habile à ressusciter le passé, Maryse Rouy nous ramène une fois encore au temps des croisades et aux mSurs souvent brutales de la féodalité. Le jeune Jordan, privé de la présence de son père, doit poursuivre son apprentissage de chevalier sous l’autorité de Sicard qui ne ménage rien pour succéder au seigneur disparu. Jordan en pâtit, sa mère ne sait comment résister, les paysans et les alliés du seigneur absent se partagent entre la fidélité et l’opportunisme. Maryse Rouy excelle à nous familiariser avec les valeurs de l’époque. La parole donnée engage à jamais, le geste généreux crée l’obligation morale, la force peut donner la victoire, mais pas nécessairement le respect. Que les jeunes lecteurs se réjouissent : Jordan a peut-être pris sa revanche, mais son apprentissage n’est visiblement pas terminé !
La revanche de Jordan, par Maryse Rouy, Hurtubise HMH, 2000, 108 p. ; 8,95 $.
C’est à la fois du passé et du présent que nous parle Denis Côté, à la fois de la crise d’Octobre et des frustrations très actuelles de la jeune génération. Comme si courir ces deux lièvres simultanément ne constituait pas déjà un défi suffisant, Denis Côté insère son récit dans un cadre qui aurait pu brimer la liberté d’expression d’un auteur moins aguerri que lui. Le Furet est en effet un personnage défini d’avance, nanti de parents et d’amis aux caractéristiques préétablies et dont différents auteurs racontent les aventures sans contredire ce cadre. Côté, qui monte donc à bord d’un train en marche, se plie à ces règles, mais il offre au Furet et à son entourage un peu de tourisme en terre québécoise. Le Furet aura vite fait, le hasard et sa curiosité conspirant ensemble, d’entrer en contact avec une cellule révolutionnaire. De là à se documenter sur la crise d’Octobre 1970 et à en faire profiter les jeunes Français autant que les jeunes Québécois, il n’y a qu’un pas. Précisons-le pour ceux qui ne connaîtraient pas Denis Côté : s’il sait la différence entre un cours d’histoire et un roman d’aventures, il sait aussi comment fusionner les deux.
Le Furet enquête : Traque dans la neige, par Denis Côté, Albin Michel, 2000, 208 p. ; 9,95 $.
Le renfort des classiques
Il était grandement temps que l’immense « recueilleur de contes » que fut Marius Barbeau soit rapproché des jeunes auditoires. C’est enfin chose faite, et triplement faite. L’Oiseau d’Eurémus1, Criquette est pris2 et Morvette et Poisson d’or3 sont là pour en témoigner. Dans les trois cas, le conte est recréé dans ses meilleures traditions : humour, fantaisie, magie, morale à géométrie variable, persiflage bon enfant, etc. L’initiative mérite d’emblée les félicitations, mais aussi les « Encore ! ». Un bémol cependant : pourquoi resservir trois fois la même introduction ? Certes, l’anecdote du Bonhomme Sept-Heures est superbe, mais la répétition la défraîchit.
1. L’oiseau d’Eurémus et autres contes, par Marius Barbeau, Hurtubise HMH, 2000, 136 p. ; 8,95 $.
2. Criquette est pris et autres contes, par Marius Barbeau, Hurtubise HMH, 2000, 136 p. ; 8,95 $.
3. Morvette et Poisson d’or et autres contes, par Marius Barbeau, Hurtubise HMH, 2000, 136 p. ; 8,95 $.
Un mot, puisque l’entrée en scène de Barbeau incite à parler des auteurs classiques, pour vanter une fois encore la superbe collection Calligram. On y publie des textes courts des plus grands écrivains, depuis Poe jusqu’à Maupassant, en passant par Twain et Zola. Et on les offre avec des illustrations qui ont à la fois la beauté souhaitable et l’empathie avec l’atmosphère de l’œuvre. Par exemple, La Dame de Pique d’Alexandre Pouchkine retrouve, grâce aux illustrations d’Iassen Ghiuselev, l’atmosphère fiévreuse et même étouffante qui imprégnait le texte et que le film, déjà ancien, avait recréée.
La Dame de Pique, par Alexandre Pouchkine, Calligram, 1998, 48 p. ; 8,95 $.
Rien n’interdit aux moins jeunes de prendre prétexte de leur jeunesse de cœur pour profiter de cette manne. En revanche, tout devrait inciter les adultes, pour s’y retrouver dans un univers qui n’en finit plus de s’embellir et de se diversifier, à recourir au maître livre de Françoise Lepage. L’auteure de ce magistral quadrillage de la littérature destinée à la jeunesse manifeste, en effet, toutes les qualités souhaitables en pareille performance et quelques autres encore, comme on le disait de Pic de la Mirandole. Françoise Lepage, en effet, met de l’ordre sans affadir les différences, signale les audaces sans invalider le travail des précurseurs, explique par l’histoire sociale ou le manque de fonds plutôt que par le manque de talents la fadeur de certaines illustrations, ose débusquer l’œuvre médiocre dans un parcours par ailleurs admirable, signale l’embourgeoisement dont sont porteuses les nouvelles orthodoxies même dans les plus prospères maisons d’édition. En toutes choses, Françoise Lepage, sans pédanterie mais avec l’assurance que donnent la culture et la vérification minutieuse, attire l’attention sur ce qui est neuf, sur ce qui correspond plus spécifiquement aux enfants de telle époque et même sur ce qui, pourtant répandu, ne durera pas. Ce qui est rare et infiniment appréciable, c’est que Françoise Lepage, à l’encontre de bien des critiques, moi compris, connaît et respecte suffisamment l’illustration pour l’intégrer à son évaluation.
Bien sûr, l’histoire s’arrête quelque part et Françoise Lepage a choisi de fixer à 1980 sa ligne de partage des eaux. Cela se justifie pleinement. Cela, d’ailleurs, n’a pas tous les inconvénients qu’on pourrait redouter, car bon nombre d’auteurs et d’illustrateurs ont entrepris leurs travaux avant la date couperet. On aura compris qu’il s’agit d’un guide irremplaçable et qui, pourtant, ne pontifie pas.
Histoire de la littérature pour la jeunesse, Québec et francophonies du Canada suivie d’un Dictionnaire des auteurs et des illustrateurs, par Françoise Lepage, Éditions David, 2000, 826 p. ; 35 $.
Enfants à vos marques ! : L’agréable problème de la surabondance
Aucune excuse ne peut tenir : la littérature destinée aux jeunes, même si la notion de jeunesse s’ouvre jusqu’à accueillir tous les âges, abonde et surabonde tellement que le plus capricieux y trouve son compte. Le seul problème, qui n’en est pas un, ce sera d’aider le meilleur à émerger. Selon des critères qui vont de la qualité du texte à la beauté du dessin, de l’harmonie entre écriture et illustrations à la justesse du ton employé, du désir de conduire l’enfant vers son plaisir et son épanouissement au contrôle de l’imaginaire.
L’agréable entrée en littérature
Tout en ayant l’air de ne pas insister, de nombreux petits livres sont de véritables soutiens à l’entrée de l’enfant en littérature. Rien d’austère. Que du plaisir. La joie des yeux. L’occasion d’un éclat de rire de l’enfant et d’une complicité entre les jeunes yeux et l’index de l’adulte qui souligne. Dans cette catégorie, les réussites sont suffisamment nombreuses pour qu’on se permette quelques mises sur la touche.
Quand Elvis présente sa famille1, Elvis parle surtout de lui. Il est beau, intelligent, photogénique et, s’il le faut, modeste. L’enfant trouvera là un compagnon si nombriliste qu’il l’adoptera comme son semblable et qu’ils pourront évoluer ensemble. Les acrobaties du même Elvis2 exercent le même charme. Ce qu’Elvis fait subir au mobilier de sa chambre dépasse peut-être (?) ce que l’enfant a la permission de faire, mais le plaisir que prend l’ourson à organiser un désordre personnel complètement loufoque est tel qu’il dispense la réalité d’imiter la fiction. Tant mieux pour le mobilier !
1. Jasmine Dubé et Roger Paré, Elvis présente sa famille, La courte échelle, 2000, non paginé ; 7,95 $.
2. Jasmine Dubé et Roger Paré, Elvis fait des acrobaties, La courte échelle, 2000, non paginé ; 7,95 $.
L’apprentissage de l’amitié en demande beaucoup aux enfants, surtout au chapitre du partage et des concessions. Si l’un des amis impose toujours son horaire et ses choix, l’autre s’éloignera en laissant derrière lui le silence et la solitude. Pourquoi, dès lors, ne pas négocier, s’entendre ? Béatrice Leclercq enseigne la leçon avec humour et tact, avec une complicité exempte de didactisme. Des phrases courtes qui en disent long, des illustrations qui créent un rythme de lecture bellement trépidant.
Béatrice Leclercq, Deux vrais amis, Le Raton Laveur, 2000, non paginé ; 8 $.
Au feu, Mathieu ramène un personnage que les enfants connaissent et apprécient déjà. Mathieu éprouve ce besoin répandu de pratiquer immédiatement les métiers des adultes, de préférence les plus aventureux. Comme par hasard, la nuit et les rêves rendent possibles ces vocations prématurées. Mathieu peut donc piloter la nuit durant un avion ou participer au combat acharné des pompiers contre l’incendie. Au matin, Mathieu manifeste tant de nouvelles connaissances que la frontière s’estompe entre le rêve et le réel. Parents cartésiens, s’abstenir.
Allen Morgan et Michael Martchenko, Au feu, Mathieu !, La courte échelle, 2000, non paginé ; 7,95 $.
L’histoire d’Une Barbouillée qui avait perdu son nez permet au maître conteur qu’est Raymond Plante d’explorer avec l’enfant le monde fascinant et ignoré d’une famille de clowns. Dans cet univers, perdre son nez rouge chagrine tellement que tous, d’urgence, se mettent en quête de l’appendice manquant. La Barbouillée en profitera pour tout observer et fouiller partout. Par-dessus son épaule, l’enfant aussi verra, notera, comprendra. Le dessin de Marie-Claude Favreau entre en belle osmose avec le récit.
Raymond Plante et Marie-Claude Favreau, Une Barbouillée qui avait perdu son nez, La courte échelle, 2000, non paginé ; 7,95 $.
Dans L’école, c’est fou, Luc Durocher et Philippe Germain rajeunissent et apprivoisent les expressions austères que les parents et autres adultes utilisent à propos des activités scolaires. Les pattes de mouches, l’obligation de soigner son écriture, celle d’attacher ses souliers pour la récréation, autant d’expressions que les grands prononcent distraitement et que les petits interprètent au gré de leur fantaisie. Les petits ont raison et on rigole avec eux. La langue en tire profit.
Luc Durocher et Philippe Germain, L’école, c’est fou, Le Raton Laveur, 2000, non paginé ; 7,95 $.
La fantaisie règne encore quand entre en scène ce cher Eugène. Non seulement il est parfait, mais, dès qu’on lui confie des responsabilités, il impose la perfection. Quand il finit par comprendre que le plaisir aussi a ses droits, peut-être devient-il moins parfait, mais combien plus sympathique.
Jean Heidar et Zappy, Eugène le croco parfait, Les 400 coups, 2000, non paginé ; 9,95 $.
Quand sévissent Les monstres du prince Louis, c’est une gourmandise juvénile qui prend les commandes. La logique sous-jacente est impeccable : si la quantité de biscuits n’est pas suffisante quand surgissent les monstres, il ne faut pas se surprendre si les monstres mangent, en plus des biscuits, les cuisiniers qui ont lésiné imprudemment. La solution, que connaissent ceux et celles qui préparent les collations et les repas, c’est d’en cuire davantage. Une telle logique, servie par un dessin appétissant, plaira à tous les jeunes gourmands.
Louise Tondreau-Levert et Christine Battuz, Les monstres du prince Louis, Les 400 coups, 2000, non paginé ; 9,95 $.
La fantaisie demeure au pouvoir quand se présentent trois titres publiés par les Éditions Michel Quintin. Violaine Fortin1 tente une sympathique quadrature du cercle quand elle raconte les touchantes et difficiles amours d’un oiseau et d’une chauve-souris, d’un Ti-Pit qui déteste le noir et d’une Chouchoune qui, elle, honnit la clarté. Michel Quintin, sûrement contre son gré, soumet le turbulent Nardeau2 aux inconvénients du lit d’hôpital, mais comment faire autrement quand les imprudences du renardeau l’ont sérieusement handicapé ? Danielle Simard3 frappe moins juste quand elle met en scène un ouistiti certes gentil et agréablement délinquant, mais dont on voit mal ce qu’il vient faire comme animal de compagnie dans un univers qui ne peut que lui être cruel.
1. Violaine Fortin et Jean-Pierre Beaulieu, Une chauve-souris chez Germina, Éditions Michel Quintin, 2000, 47 p. ; 7,95 $.
2. Michel Quintin, Nardeau est libre, Éditions Michel Quintin, 2000, 48 p. ; 7,95 $.
3. Danielle Simard, Sapristi mon ouistiti !, Éditions Michel Quintin, 2000, 47 p. ; 7,95 $.
Jérémie est bien jeune encore quand il tombe en amour, mais nul ne s’en plaindra si ce grand sentiment lui permet de se réconcilier enfin avec l’écriture et de mettre de l’ordre dans ses poèmes. Louise-Michelle Sauriol, quant à elle, a profité de la subite frénésie d’écriture de Jérémie pour lui faire visiter le monde et patrouiller l’histoire du livre. Un Jérémie consentant à lire parvient, presque magiquement, à raffiner ses déclarations d’amour.
Louise-Michelle Sauriol et Fanny, Une araignée au plafond, Éditions Pierre Tisseyre, 2000, 60 p. ; 7,95 $.
Un détour par les albums
Pour le plus grand bonheur des enfants, le livre qui leur est destiné se moque du format et des autres règles. Pas question qu’il se laisse enfermer dans des dimensions routinières qui engendreraient l’ennui. Pas question non plus que les éditeurs lésinent sur la couleur. Les meilleures réussites, encore une fois, découlent souvent de l’empathie entre texte et dessin.
En ce sens, L’abécédaire des robots constitue à la fois une réussite et un point limite. La subtilité du texte, en effet, dépasserait la capacité de l’enfant si un dessin superbement déchaîné ne venait à la rescousse. Un album dont un des nombreux mérites est de ne pas sous-estimer l’enfant.
Jacques Thisdel et Alexis Lefrançois, L’abécédaire des robots, Les heures bleues, 1999, non paginé ; 19,95 $.
Destiné lui aussi à un jeune public, Edmond et Amandine suit un cours plus calme. Le dessin attendrit plus qu’il ne titille l’imagination, le texte se déroule gentiment au lieu de toujours pivoter. La relation entre Edmond et Amandine n’est pas d’une transparence totale, mais ce sont là exigences d’adulte.
Christiane Duchesne et Steve Beswaty, Edmond et Amandine, Héritage, 1999 ; 8.95 $.
Même si les meilleurs ingrédients sont entrés dans sa création, l’album que signent Marie-Danielle Croteau et Geneviève Côté ne séduit pas complètement. Le hic est peut-être que le fameux Mouton noir est victime de son succès. Les enfants le savent, en effet, le Mouton noir est le nom du bateau sur lequel l’auteure du texte a fait le tour du monde et dont les aventures ont alimenté de nombreux récits déjà. Quand ce Mouton noir mythique devient un simple petit mouton noir, on comprend moins bien ce qui le rapproche de la baleine.
Marie-Danielle Croteau et Geneviève Côté, La grande aventure d’un petit mouton noir, Héritage, 1999 ; 8,95 $.
On revient à un très haut niveau de qualité quand Lucie Papineau et Alain René font converger leurs ressources. L’histoire se tient, le dessin combine fantaisie et sciences de la nature, la réalité ne s’objecte pas du tout à apparenter le croissant le plus familier (lequel ?) et l’autre qui l’est presque autant. Et l’enfant peut s’endormir sous la protection d’un croissant en attendant que le réveil lui apporte l’autre.
Lucie Papineau et Alain Reno, Gontrand et le croissant des cavernes, Héritage, 1999 ; 8,95 $.
C’est un art du regard que l’enfant absorbe en lisant Un arbre1. Il suffit, en effet, que l’on soit pivert plutôt que cerf-volant, chien plutôt qu’écureuil pour qu’aussitôt l’arbre change d’identité. Cela est dit bellement et dessiné de même.
L’Affreux2 aussi fait du regard une voie vers l’amitié et la tolérance. Celui dont on a dit tant de mal qu’il a fini par se croire à jamais détesté et détestable, voilà qu’il s’attendrit parce que, dans ce conte amérindien intelligemment et bellement raconté, une fillette a su le regarder d’un autre œil.
1. Henriette Major et Geneviève Lussier, Un arbre, Les 400 coups, 2000, non paginé ; 8,95 $.
2. Michèle Marineau et Geneviève Côté, L’Affreux, Les 400 coups, 2000, non paginé ; 8,95 $.
Un dessin qui rappelle L’homme qui plantait des arbres et un texte qui évoque finement le glissement de la réticence à l’affection, voilà qui explique la beauté et le charme envoûtant de Marine et Louisa1. Un des plus beaux albums d’une maison d’édition qui en produit d’admirables.
L’esthétique du dessin et la beauté du texte sont également au rendez-vous dans Vieux Thomas et la petite fée2. On y fait confiance à l’imagination, on fournit tout au plus de sobres repères pour la stimuler, le récit ne se referme que pour laisser le rêve se poursuivre. Un bémol qui en est à peine un : le réalisme de certaines images pourra sembler brutal.
Madame Misère3, en un mot comme en cent, est une petite merveille. La légende, d’origine portugaise, s’ajoute aux centaines d’autres qui racontent les efforts des humains pour négocier avec la mort et en obtenir au moins un sursis. Efforts rarement fructueux. Le personnage de Madame Misère est cependant si attachant et sa silhouette si humble face à la Grande Faucheuse qu’on aimerait que, pour cette fois, la mort perde la partie. Un dessin vivant, original, intelligent accompagne et soutient un texte qui l’est autant.
1. Carl Norac et Claude K. Dubois, Marine et Louisa, Pastel-L’école des loisirs, 2000, 28 p. ; 19,95 $.
2. Dominique Demers et Stéphane Poulin, Vieux Thomas et la petite fée, Héritage, 2000, 32 p. ; 18,95 $.
3. François Gravel et Patrick Bernatchez, Madame Misère, Les 400 coups, 2000, non paginé ; 12,95 $.
Des classiques et des presque classiques
Si, comme tant d’autres, vous avez souvent parlé de la célèbre Alice au Pays des Merveilles1 sans jamais la rencontrer en personne, la chance est à saisir de réparer ce mensonge social. L’édition Librio s’offre à très bon compte et dans une version française d’abord facile.
Le célèbre Riquet à la Houppe2 subit une cure de rajeunissement qui lui enlève une partie de son charme. Le dessin sert bien le célèbre récit, mais on ne voit pas pourquoi un humour lourdement modernisant – par exemple, l’allusion à Paris-Match – a été jugé pertinent. Faudrait-il donc que les fées troquent leur baguette contre un téléphone cellulaire ?
1. Lewis Carroll, Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles, trad. Elen Riot, Librio, 2000, non paginé ; 3,95 $.
2. André Marois et Gérard Dubois, d’après Charles Perrault, Riquet à la Houppe, Les 400 coups, 2000 ; 8,95 $.
Avec Cécile Gagnon et ses cinq merveilleux illustrateurs, on reprend l’orbite du récit en tous points séduisant. Ces contes ont ceci de particulier qu’ils osent démontrer (ou presque) que le crime rapporte et que la ruse n’est pas toujours punie. Immoral ? Pas du tout, car l’intelligence aussi est une vertu et c’est justice que de tromper les trompeurs ! L’idée de confier à cinq illustrateurs différents la tâche d’incarner autant de contes mérite tous les éloges et appelle toutes les récidives.
Cécile Gagnon et les illustrateurs Yayo, Stéphane Jorisch, Ninon, Steve Beshwaty et Isabelle Pilon, Petits contes de ruse et de malice, Les 400 coups, 1999, 44 p. ; 14,95 $.
Autre audace admirable, l’idée de présenter aux enfants la poésie québécoise. Henriette Major choisit les poèmes et en rédige même quelques-uns, tandis que Marc Mongeau embellit le tout d’illustrations élégantes et joyeuses. L’ensemble rend hommage à la poésie québécoise en plus de faire confiance à la capacité des jeunes de se plonger dans cet univers. On peut se demander si tel ou tel poème appartient vraiment à l’univers des jeunes, mais il faudrait être bien prétentieux pour prétendre juger plus sûrement qu’Henriette Major.
Henriette Major et Marc Mongeau, Avec des yeux d’enfant – La poésie québécoise présentée aux enfants, l’Hexagone – VLB éditeur, 2000, 167 p. ; 24,95 $.
Paul à la campagne1 ne mérite rien de ces éloges. Le dessin est médiocre, le texte joualisant, l’humour douteux. À oublier.
En fournissant aux jeunes (et à ceux qui lisent par-dessus leurs épaules) de très fiables informations sur les cétacés du Saint-Laurent2, Évelyne Daigle et Daniel Grenier font œuvre éducative et culturelle. Les faits sont là, les mythes sont étayés ou nuancés, mais, surtout, le respect de la vie s’exprime et séduit. Bel exemple d’une belle éducation.
Pyer Vaillancourt aussi3, à sa manière, familiarise avec la nature, avec ses lois, avec ses exigences parfois abruptes. Simon apprend beaucoup au contact de ses prédécesseurs, mais, comme il se doit, il se montre rapidement digne de confiance et même capable d’aider qui l’a secouru. Vaillancourt réserve une grande place aux manifestations de l’émotion et des sentiments. Ce n’est pas sans besoin !
1. Michel Rabagliati, Paul à la campagne, Éditions de la Pastèque, 1999 ; 24,95 $
2. Évelyne Daigle et Daniel Grenier, avec la collaboration du Groupe de recherche et d’éducation sur les cétacés, Tant qu’il y aura des baleines – À la découverte des cétacés du Saint-Laurent, Les 400 coups, 2000, 44 p. ; 19,95 $.
3. Pyer Vaillancourt, Les aventures de Simon – L’initiation, JCL, 2000, 112 p. ; 9.95 $.
Petite digression
Dans un genre à part et qui ne concerne les jeunes qu’indirectement, il faut mentionner, tant s’y déploient le bon goût et un humour attendrissant, le superbe Ben Encore ! les jeunes un peu moins jeunes y entreront en contact avec des grands-parents qui les aiment, qui se taquinent l’un l’autre, qui s’attachent à des petits travers qu’ils se pardonnent mutuellement. Le dessin est épanoui, les gags tout autant.
Daniel Sheldon, Ben encore !, Coup de Griffe-Mille-Îles, 2000, 48 p. ; 12,95 $.
Et le rêve déferle encore
Peut-être parce que l’époque prétend donner des contours précis et même secs à toutes choses, la littérature offerte aux jeunes multiplie les occasions d’évasion. Ce n’est pas toujours impressionnant et le tri s’impose.
Le Rat de bibliothèque1 fait partie des tâtonnements plutôt maladroits. On veut gagner de nouveaux adeptes aux plaisirs de la lecture, mais on oublie d’inventer une formule distincte des recettes mises au point par La courte échelle et par HMH. Le délire de Somerset2 succombe lui aussi aux attraits de l’humour facile et sans grande pertinence, mais le dessin, ingénieux et plein de clins d’œil, rétablit les choses et reconquiert l’intérêt. Le Piano qui jouait tout seul3 parvient à créer en peu de pages une atmosphère de mystère et de complot, mais peut-être oublie-t-on de donner réponse au questionnement qu’on a suscité. Est-ce voulu ? Il se peut. Du Frida et Kahlo4, que rédige et illustre Sylvie Nicolas, il n’est pas facile de parler. Le style est plutôt sec, mais d’autres le diront évocateur. Penchons donc du côté optimiste : le rêve s’offre, mais seuls y accéderont les enfants dont on soutiendra la lecture. Ce qui n’est pas un reproche.1. Manon Plouffe et Isabelle Collerette, Le Rat de bibliothèque, Éditions de la paix, 2000, 126 p. ; 8,95 $.
2. Hélène Vachon et Yayo, Le délire de Somerset, Héritage, 1999, 48 p. ; 7,95 $.
3. Raymond Paradis et Romi Caron, Le Piano qui jouait tout seul, Éditions de la Paix, 2000, 68 p. ; 7,95 $.
4. Sylvie Nicolas, Frida et Kahlo, Les petits loups, 2000, 64 p. ; 7,95 $.
Clonage-choc1 réussit assez bien la navigation entre le plausible et le capotage dans l’invraisemblable. Ce qu’il raconte peut ou non se produire. Le jeune, comme il se doit, décidera lui-même si cette fiction dépasse la sienne. Peut-être jugera-t-il les personnages bien plus crédules que lui. S’il le fait, il ne fera qu’imiter les adultes qui n’en finissent pas de donner des conseils aux personnages dont ils lisent les aventures. Francine Allard2, tout en manifestant son habituelle dextérité linguistique et en laissant déferler l’imagination débridée qui est devenue sa marque de commerce, succombe peut-être aux tentations de la formule éprouvée : seuls les familiers combleront les fossés et surmonteront les courts-circuits. Peut-être le paradoxe est-il trop accusé : une folie récurrente cesse d’être folle. Ou bien la folie plus folle que la précédente devient-elle excessive. Je ne sais, mais les engrenages s’ensablent. Et l’écriture se détériore et pas seulement dans la concordance des temps.
1. Réjean Lavoie et Marc-Étienne Paquin, Clonage-choc, Éditions de la paix, 2000, 156 p. ; 8,95 $.
2. Francine Allard, Espadrilla Ribocque et l’anneau de Bérénice, Éditions Pierre Tisseyre, 2000, 128 p. ; 9,95 $.
Terminons ce volet fantaisiste dans le plaisir. Nuit blanche1 trouvera aisément preneur chez les jeunes qui, plus librement que jamais, pratiquent, du consentement des parents, le « découchage » alternatif. Que trois adolescentes en profitent pour se raconter des histoires « à faire frémir les morts », qui s’en étonnera ? N’est-ce pas un des buts de l’exercice ? Le Vampire et le Pierrot2 raconte, par soir d’Halloween et avec l’inimitable doigté d’Henriette Major, les secrets de ceux qui veulent se déguiser, des maladroits qui veulent aider et qui compliquent tout, des affections qui surnagent mieux que jamais quand tout semble les contredire. Vas-y, princesse3 demeure (selon moi) l’une des belles découvertes de cette surabondante cuvée. Finesse, humour, saine propension à une délinquance intelligente, tout se conjugue pour faire comprendre que les rois aussi peuvent baigner dans la malhonnêteté et qu’il n’est jamais interdit d’opposer le bon sens et la joie de vivre à ceux qui répandent la grisaille. Une belle entrée en scène d’une romancière à suivre de près.
1. Joan Holub et Cynthia Fisher, Nuit blanche, Folio Benjamin, 2000, non paginé ; 11,50 $.
2. Henriette Major, Le Vampire et le Pierrot, Éditions Pierre Tisseyre, 2000, 94 p. ; 8,95 $.
3. Marie Page, Vas-y, princesse !, Éditions Pierre Tisseyre, 2000, 109 p. ; 8,95 $.
Pleins feux sur La courte échelle
Aucun rapport d’étape sur la littérature destinée à la jeunesse ne serait plausible s’il n’incluait une brassée des productions de La courte échelle. Faire état de la récente fournée n’est d’ailleurs pas une corvée.
Annette et le vol de nuit1 crée admirablement l’atmosphère pesante du vol par effraction. Les victimes se sentent atteintes dans leurs secrets les plus intimes et il leur faut, de toute urgence, identifier et neutraliser l’intrus. L’enquête, malheureusement, constate plus qu’elle ne désamorce. L’auteure voudra peut-être compléter l’enquête ; attendons.
Sylvain Trudel2, magnifiquement, continue sur sa lancée : style alerte, valeurs affichées sans pesanteur, critiques voilées et pénétrantes du conformisme de notre temps, admirable souci d’éveiller les jeunes aux enjeux sociaux. Le modernisme est accueilli, mais Trudel lui demande de respecter les gens.
1. Élise Turcotte, Annette et le vol de nuit, La courte échelle, 2000, 64 p. ; 8,95 $.
2. Sylvain Trudel et Suzane Langlois, Des voisins qui inventent le monde, La courte échelle, 2000, 64 p. ; 8,95 $.
Un cheval dans la bataille brise gentiment la frontière entre le rêve et le réel, entre le besoin qu’éprouve tout enfant d’imaginer un monde magique et chaleureux et ce que la vie quotidienne lui offre. On croit tout perdu, puis l’amitié revient. On souffre d’être écrasé par le regard des grands, puis on retrouve des plaisirs qui leur sont désormais interdits. On appréciera l’évident souci stylistique : c’est trop rare.
Marie-Francine Hébert et Philippe Germain, Un cheval dans la bataille, La courte échelle, 2000, 64 p. ; 8,95 $.
Ma nuit dans les glaces1 constitue, grâce au sens narratif généralement très sûr de Marie-Danielle Croteau, un récit alerte, attachant, aux limites du vraisemblable et pourtant plausible. Tout est vu, perçu, décrit du point de Fred, héros malgré lui d’une aventure frigorifiante.
Marie Décary2 met en scène un jeune Adam qui s’abandonne un peu trop librement peut-être à sa curiosité. Il s’embarque ainsi dans une aventure qui, un temps, le dépasse et le déconcerte. Heureusement, d’autres enfants interviennent et les adultes eux-mêmes apprécient son audace. Un récit vivant et qui dose bien inquiétude et « rescapage ».
1. Marie-Danielle Croteau et Bruno St-Aubin, Ma nuit dans les glaces, La courte échelle, 2000, 64 p. ; 8,95 $.
2. Marie Décary et Steve Beshwaty, Un vrai chevalier n’a peur de rien, La courte échelle, 2000, 64 p. ; 8,95 $.
Vers des auditoires plus aguerris
Avec la catégorie Roman jeunesse, l’auditoire fait face à des récits plus longs et à des scénarios aux mailles plus serrées. La princesse empoisonnée ne remplit pourtant qu’à demi ces exigences. Le récit bénéficie de l’écriture toujours efficace de Sonia Sarfati, mais il multiplie les clichés : décor hollywoodien, fréquentation des vedettes, miraculeuse ressemblance entre la jeune héroïne et la princesse de légende, etc. Beaucoup de Spielberg et peu d’émotion.
Sonia Sarfati et Caroline Merola, La princesse empoisonnée, La courte échelle, 2000, 96 p. ; 8,95 $.
En présentant une nouvelle aventure de sa superbe Ani Croche, Bertrand Gauthier comblera bien des attentes. Le récit baigne dans un délicieux jargon affectif, tel que le bâtissent ensemble les adultes et les enfants dans l’aller-retour des échanges quotidiens. Et la vie est là, telle qu’en elle-même, avec les confidences à la poupée préférée, avec les amours imprévisibles des ex-parents et les demi-frères ou demi-sœurs qui peuvent en surgir, avec les pensées qui agitent Ani Croche… Ani Croche aussi juste que fantaisiste.
Bertrand Gauthier et Gérard Frischeteau, De tout cœur, Ani Croche, La courte échelle, 2000, 90 p. ; 8,95 $.
André Noël récidive dans la veine historique et présente une autre tranche du passé colonial québécois. Ses deux héros, auxquels la magie garde une éternelle jeunesse, quittent le décor de 1535 pour refaire surface en 1614. Ils mesurent, et leurs lecteurs avec eux, les changements survenus dans la colonie. De nouvelles voracités s’expriment, le racisme déferle, mais Pierre et Ahonque vont s’en mêler avec une belle osmose de leurs deux cultures. Rien de lourdement didactique dans le roman d’André Noël, mais un éclairage intelligent sur des temps révolus, mais marquants. Le dessin, plutôt caricatural, dépare l’ensemble.
André Noël et Francis Back, Trafic chez les Hurons, La courte échelle, 2000, 96 p. ; 8,95 $.
Des univers dépaysants
Raymond Plante1, qui intervient avec un égal bonheur dans tous les genres littéraires et auprès de tous les publics, fait basculer cette fois de jeunes lecteurs dans un monde incertain. Ce n’est pas tous les jours qu’une livreuse de pizzas lancée à la poursuite d’un voleur est transportée par miracle sur un autre continent ! Suivre le voleur et sa poursuivante ne laissera à aucun lecteur le loisir de s’endormir. Des illustrations typées et évocatrices rythment efficacement le récit. Dans Les inconnus de l’île de Sable2, Viateur Lefrançois raconte une enquête policière menée par des jeunes aux pouvoirs considérables. Ils n’en abusent pas, car leur effort vise à protéger l’environnement et de sympathiques animaux, mais ils ne lésinent quand même pas s’il s’agit de toucher les méchants d’une crainte salutaire. La langue est adaptée, fluide, entraînante. Du même éditeur, L’autre face cachée de la Terre3 fait aussi bien au chapitre du mouvement, mais ne parvient pas à la même cohérence. Les personnages sont flous, l’écriture sans relief, les enjeux mal cernés. Heureusement, le rythme est trépidant, ce qui rachète bien des gaucheries. Gibus, Maître du temps4 soulève de manière fascinante et abordable des questions fondamentales : la liberté humaine, le passage du temps, l’obligation de choisir et les risques que cela comporte. L’auteur a d’ailleurs effectué depuis son précédent ouvrage d’énormes progrès stylistiques. Le lecteur n’est plus dérangé par d’agaçantes scories et il peut goûter un récit qui le mérite. Quand Henri, qui a osé infléchir le cours du temps, mesure les conséquences de son imprudence, il lui faut revenir au carrefour où s’est produit le dérapage. Cruellement, trop cruellement peut-être, il lui faudra faire mourir de nouveau ceux que le temps avait emportés dans son sillage.
1. Raymond Plante et Christine Delezenne, Les voyageurs clandestins, La courte échelle, 2000, 96 p. ; 8,95 $.
2. Viateur Lefrançois et Ingrid Hardy, Les inconnus de l’île de Sable, Éditions de la Paix, 2000, 120 p. ; 8,95 $.
3. Renée Amiot, L’autre face cachée de la Terre, Éditions de la paix, 2000, 150 p. ; 8,95 $.
4. Hervé Gagnon, Gibus, Maître du temps, GGC éditions, 2000, 182 p. ; 12,95 $.
Auteur prolifique et doué, Laurent Chabin n’allait pas manquer de donner comme inquiétude de base à l’un de ses romans le débat mondial sur les organismes génétiquement modifiés (OGM). Rien comme un roman pour évoquer les risques que les scientifiques réduisent souvent à des calculs peu intelligibles ; rien comme un ouvrage apparemment destiné aux jeunes pour forcer l’opinion publique à une prise de conscience. Chabin se permet, talent aidant, de dramatiser les enjeux en leur donnant une incarnation concrète et même familiale. Ce qu’on entrepose peut bouleverser l’enchaînement des générations, n’est-ce pas ? Les Grecs, auxquels on doit les mythes d’Œdipe, de Sisyphe et d’Icare, n’agissaient pas autrement ; qu’on sache que les OGM peuvent influer sur la musculature, mais aussi sur la psychologie et l’hérédité.
Laurent Chabin, Non-retour, Éditions Pierre Tisseyre, 2000, 187 p. ; 9,95 $.
Surabondance ? Oui, il y a surabondance de la littérature destinée aux jeunes. C’est un défi que parents et éducateurs ont à gérer. S’ils n’interviennent pas, le commerce, avec sa force de frappe proportionnelle aux investissements, déterminera à leur place ce qui doit alimenter l’imaginaire des petits, des moins petits et de l’adolescence. À vos marques, enfants ; à vos marques aussi, parents et autres éducateurs.
L’immense répertoire offert aux jeunes
L’effort dure depuis assez longtemps maintenant pour que les résultats en soient concluants : la rencontre d’excellentes plumes et d’éditeurs déterminés vaut aux enfants et aux autres jeunes générations de quoi lire longtemps, profitablement, diversement. De quoi rêver, s’instruire, frémir, s’ouvrir…
Les albums : de l’information à l’art
De par son format et la générosité de son illustration, l’album peut beaucoup. Dans tel cas, il regroupe avec efficacité tout ce qu’une jeune mémoire peut absorber à propos des dinosaures1. Dans d’autres cas, il va plus loin encore. À propos de la terre2 ou des océans3, par exemple, l’album procède à un utile et attrayant travail de sensibilisation et d’éducation. Décrire n’est alors qu’une première étape ; indiquer les alternatives et suggérer des gestes concrets en constitue une seconde. Pour ce qui concerne les deux albums ici en cause, un fort parti-pris écologique se manifeste, mais sans conscription malsaine des jeunes cerveaux. Gare, pourtant, aux parents qui n’emprunteraient pas discrètement les albums à leur progéniture : ils courront, en effet, le risque d’avoir souvent à expliquer leurs distractions et leurs vilains comportements… Peut-être devront-ils, cependant, comme moi, apprendre patiemment à apprivoiser la mise en page éclatée, discontinue, arborescente avec laquelle les jeunes générations ont appris à composer et qui déroute ceux qui ont grandi à l’époque des exposés linéaires.
1. David Lambert, trad. Claude Lauriot Prévost, Le monde des dinosaures, Hurtubise HMH, Montréal, 2000, 64 p. ; 24,95 $.
2. David Burnie, trad. Jean-Philippe Riby, La Terre notre avenir, Hurtubise HMH, Montréal, 2000, 60 p. ; 19,95 $.
3. Martin Bramwell, trad. Jean-Philippe Riby, Les océans notre avenir, Hurtubise HMH, Montréal, 2000, 60 p. ; 19,95 $.
Le monde de l’art est superbement servi par les deux albums suivants. Siméon et la petite pieuvre raconte la très simple histoire d’un monsieur dont le cœur était tendre et qui, presque sans le savoir, s’ennuyait. Quand la vie, qui parfois fait bien les choses, lui donna l’occasion de secourir Poussy, une pauvre petite pieuvre qui avait réussi à quitter sa cage, Siméon se montra à la hauteur. Entre lui et la petite pieuvre, l’amitié s’installa. La pieuvre, d’ailleurs, se montrait reconnaissante et serviable. Quand Poussy servait à table, elle savait verser le vin en même temps qu’elle offrait le potage et en même temps que… Poussy, hélas !, prit du volume et tous ne furent pas d’accord quand ses tentacules s’étendirent jusque dans les appartements voisins. Le dessin, magnifique de légèreté et d’élégance, rend aussi belle qu’émouvante l’histoire de cette amitié sans pareille.
Daniel Casanave et Bernard Jagozinski, Siméon et la petite pieuvre, Les 400 coups, Montréal, 2000, non paginé ; 15,95 $.
L’album commandé par le Musée du Québec à Chrystine Brouillet déroule à l’intention des jeunes un fil d’Ariane à travers l’exposition consacrée à Jean Dallaire. Olivier, comme trop de ses contemporains, a vite fait de juger ce qu’il ne connaît pas, la peinture entre autres choses. Lui a son violon et il se résigne mal à suivre sa classe dans une visite de musée. Heureusement pour lui et pour nous, le violon, lui, s’intéresse à ce que présentent les tableaux de Dallaire. Olivier, grâce à ce violon curieux et cultivé, se voit transporté à l’intérieur d’une toile et amené à parcourir le monde de Dallaire. L’histoire est un peu mince, mais le travail d’édition est si ingénieux et séduisant qu’on oublie vite le côté un peu artificiel du pari.
Chrystine Brouillet, Le voyage d’Olivier, Musée du Québec, Québec, 2000, non paginé ; 19,95 $.
Dépaysements en tous genres
Les livres offerts aux jeunes misent volontiers sur le dépaysement. Dépaysement dans le temps par les récits qui transportent en d’autres siècles ; plus fréquemment, dépaysement dans l’espace lorsque les héros vivent les réalités de pays étrangers ou la transition d’un décor à un autre.
Le secret de Marie-Victoire ramène, mais en renouvelant certains aspects du thème, au monde des Filles du roi. Un élément frappe, par exemple, qu’on trouve rarement dans les récits pourtant nombreux qui, depuis quelques années, réhabilitent ces jeunes filles : celui de l’annulation du mariage lorsqu’une entente bâclée trop vite s’avérait inappropriée. Cela permet à l’auteure de faire bifurquer son récit et d’équilibrer tensions et joies. La documentation est considérable ; elle nourrit le récit sans pourtant le rendre sec.
José Ouimet, Le secret de Marie-Victoire, Hurtubise, HMH, Montréal, 2000, 149 p.
Avec Alexis, fils de Raphaël, Marie-Célie Agnant poursuit ce qui ressemble de plus en plus à une chronique haïtienne et de moins en moins à un roman. Le résultat est heureux si l’objectif est de sensibiliser deux psychologies et deux sociétés l’une à l’autre ; il paraîtra un peu terne à ceux qui ont besoin de péripéties pour s’ouvrir aux autres cultures.
Marie-Célie Agnant, Alexis, fils de Raphaël, Hurtubise HMH, Montréal, 2000, 222 p. ; 12,95 $.
Le dépaysement se fait linguistique dans les deux belles et courtes histoires offertes par Milagros Ortiz-B.. C’est en trois langues, en effet ‘ français, anglais et espagnol ‘ que se déploie le récit. Le vocabulaire est suffisamment simple, les illustrations assez explicites, les traductions assez près l’une des autres pour que l’enfant le moindrement curieux s’aventure de lui-même à aller voir ce que devient le récit dans une autre langue. Finesse, bon goût, délicatesse font de cet instrument (peut-être) pédagogique un bien sympathique compagnon.
Milagros Ortiz-B., Le jour où le père Noël se perdit dans le désert, Guérin, Montréal, 2000, 36 p. ; 4,95 $ ; La petite fille qui cherchait son sourire…, Guérin, Montréal, 2000, 34 p. ; 4,95 $.
Autre proposition originale, celle de Joujou Turenne : non seulement la narratrice investit dans le texte lui-même un superbe talent de conteuse, mais elle offre une version parlée et chantée du cheminement de Ti Pinge. Planète rebelle, qui s’est presque fait une marque de commerce de ce mariage entre texte et voix, livre ainsi aux jeunes un conte haïtien douloureux comme beaucoup des récits de l’île peuvent l’être, mais l’allège par la vitalité enjouée et communicative de Joujou Turenne.
Joujou Turenne, Ti Pinge (+ CD), Planète rebelle, Montréal, 2000, 34 p. ; 19,95 $.
Aïxa, Châteaux de sable aussi s’intéresse à la transplantation en terre québécoise d’une enfant créole. Des châteaux de sable familiers, il faudra passer aux châteaux de neige. Ce ne sera pas toujours simple, car il faudra laisser beaucoup derrière soi, depuis la parenté aux contours généreux jusqu’aux animaux intégrés au décor et à la vie. En revanche, on redoutera moins les cyclones et les vilains soldats qui cherchent les gens qui ne pensent pas de la même manière que le gouvernement. Du beau travail à tous égards. Que Pirouli, une maison d’édition que je ne connaissais pas, reçoive le coup de chapeau qui salue les arrivées et les réussites.Sans oublier les contes !
Florence Bolté-Mentalo, Aïxa, Châteaux de sable, Pirouli, 2000, 48 p. ; 16,95 $.
Qui dit littérature jeunesse englobe forcément et joyeusement une brassée de contes. Le papillon amoureux met en présence l’un de l’autre deux êtres beaux, mais que tout sépare : un papillon et une rose. Les différences, certes, n’empêchent pas l’amour, mais elles compliquent drôlement le quotidien, surtout si la rose suit son cycle d’épanouissement, de mort et de résurrection pendant que le papillon traverse sa propre série de mutations. Le conte est raconté et illustré sans lourdeur, sans moralisme crispant, avec le doigté qui convient quand débutent les jeunes questionnements. Les leçons à tirer ? Le conte n’en impose ni n’en interdit aucune.
Soraya Benhaddad et Joël Boudreau, Le papillon amoureux, Bouton d’or Acadie, Moncton, 2000, 64 p. ; 8,95 $.
Tite-Jeanne et la pomme d’or s’inscrit dans la veine des innombrables contes où le succès finit par échoir au plus jeune de trois enfants, à celui, en somme, qui n’avait pour lui ni la force, ni l’expérience, mais qui compensait par de discrètes qualités morales et intellectuelles. La nouveauté, c’est que, cette fois, le cadet est une cadette et que, époque oblige, c’est une Tite-Jeanne qui affronte les prétentieux aînés. Les péripéties n’ont rien de particulièrement original, mais le dessin agréable et une rafraîchissante présence féminine suffisent à renouveler le conte.
Melvin Gallant et Denise Paquette, Tite-Jeanne et la pomme d’or, Bouton d’or Acadie, Moncton, 2000, 80 p. ; 8,95 $.
Simone Bussières aussi connaît ses classiques et sait les rajeunir sans les dénaturer. Elle fait donc sa place à la tradition de Noël, mais l’enjolive en permettant aux deux amis que sont l’olivier et le cèdre de se rendre, tout comme les mages, tout comme les bergers, à une certaine grotte à l’occasion d’une certaine nuit. Peut-être les arbres sont-ils devenus sédentaires cette nuit-là après avoir découvert leur utilité. Finesse et culture sont au rendez-vous.
Simone Bussières, Au temps où les arbres marchaient, Guérin, Montréal, 2000, 40 p. ; 4,95 $.
Les grands-pères sont à l’honneur dans les deux contes suivants. Dans le premier, l’aïeul intervient pour montrer à Maya et à Maïpo, deux enfants qui n’ont aucune notion d’arithmétique, comment savoir, en fin de journée, s’il leur manque des moutons1. L’histoire est intelligente et la pédagogie efficace, car le souci didactique n’entrave pas le cours de l’histoire ni ne diminue le plaisir de la lecture. Dans le second, un grand-père qui n’en a plus pour longtemps à vivre réserve à sa petite fille son ultime récit2. Il s’épuise à le terminer, mais il lui faut absolument tout transmettre. La mort est là, présente, annoncée, mais elle s’avance dans une admirable sérénité.
1. Philippe Jonnaert et Nathalie Lemay, Maya et Maïpo, Le Loup de Gouttière, Québec, 2000, 56 p. ; 7,95 $.
2. Marthe Latulippe et Pascaline Naninck, Louna et le dernier Chevalier, Le Loup de Gouttière, Québec, 2000, 72 p. ; 7,95 $.
Et pourquoi pas de simples histoires ?
Une histoire se suffit à elle-même, à condition cependant de susciter et de garder l’intérêt. C’est souvent le cas, mais pas toujours.
À force de vouloir dédramatiser les choses, C’est la vie, Pitchounette1 oublie d’en dire assez. Le ton, qui se veut quotidien et apaisant, est en fait trop dépouillé, trop retenu, pour atteindre à l’efficacité. Quant aux illustrations, elles aussi manquent de relief. Le sujet était pourtant excellent. De par son écriture un peu négligée au départ, La 13e carte2 risquait des reproches analogues. Mais le récit est si bien mené, si vite conduit à la tension dramatique, que les détails cessent de peser dans la balance. Le défi qui se pose à une jeune conscience et que nous raconte l’auteure sur un mode prenant et saccadé n’a rien à envier aux enjeux éthiques auxquels se heurtent les adultes les plus avertis. Comme expérience de vie et comme modèle de courage, on ne fait pas mieux.
1. Sylvie Massicotte, C’est la vie, Pitchounette, La courte échelle, Montréal, 2000, 60 p. ; 8,95 $.
2. Karmen Prud’homme, La 13e carte, Hurtubise HMH, Montréal, 2000, 157 p. ; 8,95 $.
Avec Marie-Danielle Croteau, on a, d’entrée de jeu, l’assurance d’une écriture alerte et d’un grand respect pour les jeunes lecteurs. L’auteure, grande navigatrice devant l’Éternel, veille toujours, en outre, à ce que son récit rapproche de la mer et des marins qui la sillonnent. Jusque-là, tout va bien. On garde cependant l’impression, cette fois, d’un travail vite fait et d’une aisance qui se laisse gagner par la facilité. C’est dommage, car ce qu’apporte cette auteure, de par l’originalité de son parcours et la qualité de sa réflexion, a peu d’équivalent.
Marie-Danielle Croteau, Les corsaires du capitaine Croquette, La courte échelle, Montréal, 2000, 96 p. ; 8,95 $.
Glissons rapidement sur Une histoire de Valentin. On a beau s’adresser à des enfants de sept ans, il n’est pas indispensable, en effet, de pousser aussi loin le côté infantile de l’écriture et l’allure négligé du dessin. Utile sans doute comme instrument pédagogique en raison de l’encadrement qu’on lui ajoute, le livre ne séduira que si un adulte sait le rendre séduisant.
Nicole M. Boisvert et François Thisdale, Une histoire de Valentin, Hurtubise HMH, Montréal, 2000, 70 p. ; 8,95 $.
Belle intention, résultat quelconque
L’idée d’expliquer très tôt aux jeunes les bases de notre système économique et de décoder l’étrange relation qui existe entre le travail et l’argent ne déplaira certes à personne. À condition, cependant, qu’on tienne parole. Malheureusement, malgré le sérieux des auteurs et l’effort pédagogique, ce n’est pas tout à fait le cas dans Le travail et l’argent. Certaines informations passent aisément, d’autres ne correspondent à rien dans l’univers des huit-neuf ans. Surtout, presque rien n’affleure de ce qui constitue l’aspect le plus tangible de l’argent dans le monde des tout petits : les énormes abus qui lui sont attribuables.
Brigitte Labbé et Michel Puech, Le travail et l’argent, Les goûters Philo, Paris, 2000, 40 p. ; 7,95 $.
Place au suspense
Nul public n’est insensible au polar, à l’intrigue policière, à l’angoisse, pas plus celui des jeunes que les autres. Ce secteur est d’ailleurs tellement peuplé qu’on y trouve aisément de l’excellent et du médiocre.
Dans Partie double, le prolifique Laurent Chabin réussit peut-être trop bien à dérouter son lecteur. Un adulte s’y retrouve, mais encore faut-il que jamais ne faiblisse son attention. Quant au jeune, ce savant jeu de miroirs et d’identités se réfléchissant presque sans fin le laissera probablement plus éberlué que conquis. Mais peut-être Chabin a-t-il raison, cette fois encore, de faire confiance à l’agilité mentale de son jeune public.
Laurent Chabin, Partie double, Hurtubise HMH, Montréal, 2000, 160 p. ; 8,95 $.
Norah McClintock, quant à elle, n’échappera en route aucun de ses jeunes lecteurs. On pactise d’emblée avec ce jeune homme qui, contre toutes les apparences et en dépit des témoignages qui accablent sa mémoire, persiste à admirer son père. Mais on aimerait lui dire, pour lui épargner de nouvelles déceptions, que c’est peine perdue, que son père n’a jamais tenu parole, qu’il a trahi tout le monde et son fils. Et puis, se dit-on, laissons-le aller, puisqu’il tient à mener sa propre enquête. Et cette enquête, aussi fine qu’émouvante, tour à tour éprouvante et réconfortante, est menée de bout en bout par un fils en qui beaucoup se reconnaîtront. La traduction rend bien l’atmosphère lourde – presque trop – de cet univers.
Norah McClintock, trad. Claudine Vivier, Enquête à…, Hurtubise HMH, Montréal, 2000, 272 p. ;
Le titre, en lui-même, est déjà un hommage au son : Symphonie en scie bémol. Le récit respectera cette consigne en se déroulant sur un tempo fantaisiste et emporté. Les illustrations, d’une grande finesse, contribueront elles aussi à rendre l’ensemble chatoyant, désinvolte, imprévisible. Seul bémol, l’écriture, que Magnenot maîtrisait pourtant bien en d’autres circonstances, et qui se permet ici d’étonnantes négligences.
Francis Magnenot, Symphonie en scie bémol, Boréal, Montréal, 2000, ; 8,95 $.
Blanc comme la mort mérite à peu près tous les éloges. L’atmosphère est crédible et prenante, l’écriture est correcte et plausible, la mise en situation s’effectue promptement et dans l’efficacité et, surtout, les propos qu’échangent une mère et une fille de ce temps sonnent juste. En peu de pages, nous avons droit à une histoire complète et bien structurée et à un suspense fort bien maintenu.
André Marois et Philippe Brochard, Blanc comme la mort, Boréal, Montréal, 2000, 122 p. ; 8,95 $.
15, rue des Embuscades tient le même pari. L’écriture est alerte, le ton est celui qui convient et le suspense, vite créé, résiste longtemps. La correspondance, art tombé en désuétude jusqu’à ce que surgisse le courrier électronique, reçoit ici sa réhabilitation. La fin déçoit un peu.
Claudie Stanké et Daniel M. Vincent, 15, rue des Embuscades, Hurtubise HMH, Montréal, 2000, 94 p. ; 8,95 $.
Et une grande place au fantastique
Sur le thème pourtant récurrent des mondes parallèles, Marcel Braitstein présente un face à face très réussi entre un anthropologue d’aujourd’hui et une culture qui a précédé notre temps et qui, néanmoins, dure encore. L’intérêt ne tient pas surtout aux théories scientifiques censées expliquer le passage d’un univers à l’autre, mais à la mise en parallèle de différents systèmes de valeurs. L’autre monde contrôle autrement, punit d’une manière différente, imagine une gestion inédite des transports en commun, cherche ailleurs ses sources d’énergie. Tout cela est cohérent et se tient jusqu’à la fin.
Marcel Braitstein, Saber dans la jungle de l’Antarctique, Éditions de la paix, Saint-Alphonse -de-Granby, 2000, 184 p. ; 8,95 $.
Guy Sirois propose, lui aussi, un dépaysement d’une grande cohérence. Certes, Mikkan ressemble aux adolescents de tous les temps et de tous les mondes par son besoin d’autonomie et sa propension à garder pour lui ce que les adultes ne sont pas censés comprendre, mais l’épreuve initiatique qu’il affronte se déroule selon des règles déroutantes et sans lien avec les nôtres. C’est d’ailleurs tout l’art de Sirois que de faire partager le destin de Mikkan sans perdre de temps à trop préciser les contours des bêtes ou des décors qu’il imagine. Il suffit que Mikkan affronte correctement son initiation et entre le front haut dans le monde de l’autre génération.
Guy Sirois, Un voyage de Sagesse, Médiaspaul, Montréal, 2000, 184 p. ; 8,95 $.
Nuits occultes se situe plus près du monde familier et, il faut le dire, à une plus grande distance de la réussite. L’intention pédagogique est tangible et certes louable, mais les soutiens qu’offre le récit à la jeune Sara n’ont rien de très rassurant. La psychologie est sommaire, la tentation suicidaire affrontée avec amateurisme, la méditation simplifiée à l’excès. Et le retour en force des anges gardiens n’a rien de nécessaire.
Suzanne Duchesne, Nuits occultes, Éditions de la Paix, Saint-Alphonse-de-Granby, 2000, 222 p. ; 9,95 $.
La forêt qui marche mêle de façon originale le propos écologique et le fantastique. Pourquoi, demande ce récit, les arbres ne pourraient-ils pas se défendre contre les excès humains ? Pourquoi devraient-ils assister à la désertification de la planète sans mot dire et sans bouger ? La question reçoit une réponse originale, mais qu’on aimerait moins abstraite, plus vulgarisée. Le recours aux légendes est séduisant, mais tant de personnages envahissent la scène que le récit s’emmêle un peu.
Bernard Boucher, La forêt qui marche, Boréal, Montréal, 2000, 129 p. ; 8,95 $.
Avec son superbe Siegfried ou L’or maudit des dieux, Daniel Mativat comble un vide. On connaît trop peu, en effet, cet immense personnage que se disputent avant de le partager presque toutes les cultures du nord de l’Europe. Sans doute pourrait-il également être revendiqué par d’autres peuples tant sont nombreux les liens qui apparentent, par exemple, Siegfried et le monde d’Homère. Comme Achille, Siegfried conserve un point faible. Comme Ulysse, il est le seul à pouvoir utiliser son arme favorite. Comme chez Homère, les dieux se mêlent des affaires des humains et ne s’inclinent que devant l’implacable destin. Narrateur alerte et fidèle, Mativat garde au héros ses dimensions, son côté belliqueux, sa conception de l’honneur, tout comme il met en évidence les différences qui, depuis les temps immémoriaux, séparaient le nord de l’Europe du royaume des Goths. On peut parier que l’épopée séduira la jeune génération comme elle a enchanté les précédentes.
Daniel Mativat, Siegfried ou L’or maudit des dieux, Éditions Pierre Tisseyre, Saint-Laurent, 2000, 272 p. ; 11,95 $.
Terminons sur l’incontournable Harry Potter. Le succès des titres précédents est si total que les nouvelles aventures du jeune étudiant en sorcellerie sont évidemment promises à un engouement comparable. J’avoue pourtant ma tiédeur face au phénomène Potter. Le récit coule sans heurt, certes, et les rebondissements se succèdent sans grand essoufflement de l’écriture, mais la fusion est si imprévisible et si peu cohérente entre le réel et l’univers de la magie qu’on ne peut compter, d’une couverture à l’autre, sur une psychologie à peu près stable. On présente le jeune Harry comme un concurrent d’une parfaite droiture, mais il finit par tricher autant que les autres et il ne devra ses succès qu’aux aides extérieures sur lesquelles il n’est pas censé compter. Comme, d’autre part, la magie intervient parfois bien avant que les ressources humaines soient épuisées, on a le sentiment de circuler dans un récit d’où le raisonnement est banni. Un peu comme dans ces livres « dont vous êtes le héros », l’intrigue invite à choisir entre la gauche et la droite, entre l’effort humain et le recours magique, mais ne fait reposer la décision sur aucune rationalité. La vie de Harry Potter ressemble ainsi à une saga interminable où le hasard se substitue à la vraie fantaisie. Mais tant de millions de jeunes lecteurs peuvent-ils avoir tort… ?
J.K. Rowling, trad. de Jean-François Ménard, Harry Potter et la Coupe de Feu, Gallimard, Paris, 2000, 655 p. ; 29,95 $.
Une littérature bellement encombrée
Pour des motifs qui m’échappent, la littérature destinée aux jeunes ne produit pas toujours des récoltes constantes. D’une saison à l’autre, ses meilleurs fruits se logent dans des catégories variables. Telle cuvée fait la part belle aux albums illustrés, telle autre étonne par la qualité de ses récits historiques, une troisième dorlote la fantaisie. Peut-être cette littérature est-elle victime de son succès : certains sautent à bord d’un train déjà lancé, mais ne sont pas équipés pour le voyage. Heureusement, aucune pénurie ne menace.
Des albums inégaux
Le loup Conteur1 fait partie de ces récits, décidément nombreux, qui encouragent l’alphabétisation en transformant la lecture en activité prestigieuse et presque rentable. Maître Loup n’est admis aux joies de l’amitié que s’il apprend à lire et à raconter des histoires. Le dessin est séduisant, l’intention louable, le propos un peu court.
Babette Cole2, fidèle à sa fantaisie, ne lésine pas quand elle met l’amour en scène. L’amour a tous les droits, depuis celui de quitter le foyer sans permission jusqu’à celui de n’y revenir qu’avec un troupeau de pouilleux amis. Il n’a que faire des difficultés, car il réclame toujours le pardon et l’obtient si aisément. De quoi faire sourire les très jeunes avant de les livrer au sommeil.
Paul Roux3, enraciné dans l’Outaouais québécois, mais branché sur la bande dessinée de tous les horizons, maintient un délicat équilibre entre ses objectifs pédagogiques et sa fantaisie de bédéiste. Il raconte une histoire vraie, celle de la ville de Gatineau, mais il la rend souriante, la truffe d’anecdotes, montre qu’il n’est pas facile de traverser le temps sans changer dix fois de nom. À cette ère de fusions municipales, il est bon que l’humour allège l’atmosphère.
Les albums Dada, que publient depuis peu Les Éditions Mango Jeunesse, sont plus alléchants que convaincants. Celui qui est consacré à Jacques Brel4 débute par une petite crise de dépit de la part des responsables de la collection : la fille de Jacques Brel leur a refusé le droit d’utiliser les textes de son père. On ne voit pas pourquoi les bruits ou les odeurs de la cuisine doivent parvenir jusqu’au salon où le lecteur, lui, ne veut que lire. Heureusement, les images de Tony Soulié compensent pour ce manque de réserve et pour des témoignages par trop prévisibles qui n’apprendront rien aux familiers de Brel.
L’album consacré à Picasso5 par la même collection ne manque pas, lui non plus, de charme pour l’oeil et il évite les grincements disgracieux. Les illustrations de Baudoin paraphrasent intelligemment des photos de Picasso. Ceux et celles qui ont vu le film Surviving Picasso ou qui ont lu le chapitre que consacre Alberto Manguel6 à Dora Maar sourcilleront cependant devant un album où tout n’est qu’hommage à un grand artiste au coeur souvent absent.
Dans la série Le Furet enquête, André Marois7 prend sa place dans le relais. Comme Denis Côté l’avait fait dans le même cadre, il fournit à l’audacieux adolescent et à son clan français un décor typiquement québécois. Ce Marois n’est pourtant pas à la hauteur de l’ingénieux auteur d’Accidents de parcours.
1. Becky Bloom et Pascal Piet, Le loup Conteur, Mijade, 2000 ; 17,95 $.
2. Babette Cole, Monamour, Seuil, 2000, 34 p. ; 19,95 $.
3. Paul Roux, Max et les bâtisseurs, Écrits des Hautes-Terres, 2000, 40 p. ; 11,95 $.
4. Héliane Bernard et Tony Soulié, Le Brel…interdit, Manga Jeunesse, 2000, 27,95 $.
5. Héliane Bernard et Edmon Baudoin, Picasso, L’il et le mot, Manga Jeunesse, 2000, 27,95 $.
6. Alberto Manguel, Le Livre d’images, Actes sud/Leméac, 2001, « Picasso, L’image violence », p. 211 et suivantes ; 39,95$.
7. André Marois, Le Furet enquête, Tueurs en 4X4, Albin Michel, 2000, 165 p. ; 9,95 $.
Dragons et fantômes
De toutes teintes, les dragons peuplent tellement la littérature enfantine qu’il faudrait presque leur réserver une section à part. Surtout si on leur adjoint la famille des fantômes et des squelettes tout aussi peu menaçants.
L’immense expérience de Cécile Gagnon1 lui permet de recycler gentiment en serveuse de dépanneur un squelette qui n’en est plus à un siècle près. Elvira n’effraie pas, elle ne fait sursauter que modérément, même si elle ne cache pas son appartenance au monde des cimetières. C’est plutôt elle qui subit certaines angoisses que l’auteure garde à l’échelle enfantine. Jamais le doigté n’est pris en défaut.
François Gravel aussi sait raconter, tout comme il sait rendre poreuse la ligne de démarcation entre le familier et l’autre réel que débusque le rêve. David2, d’après les adultes, redoute un molosse depuis longtemps disparu, mais cela ne dispense pas le garçon de vaincre une peur qui, elle, est bien réelle. La victoire de David sera d’autant plus glorieuse que les adultes ont peut-être présumé le décès du chien. Le dessin de Pratt, comme d’habitude, est à la hauteur.
Un Dragon de papier3 a raison de tout redouter : il suffirait d’une étincelle pour mettre en cendres celui que les lutins ont dépouillé de son souffle enflammé. Margot, compatissante, s’initie à la magie et à ses incantations, s’efforce de rendre sa redoutable fierté au dragon et fréquente pour un temps les lutins plutôt que ses amies et sa famille. Caroline Merola dirige habilement la circulation qui relie, intense et fluide, le réel et l’imaginaire.
Lancelot, le dragon que présente Anique Poitras4, ferait honte lui aussi à ses parents. Il souffre de rhumatisme et ne profère des menaces que parce qu’il ne sait rien faire d’autre. Peut-être est-il alors possible de négocier avec lui et de troquer sa mansuétude contre un récit qui lui assurerait une renommée éternelle. Après tout, les dragons aussi aiment qu’on parle d’eux ! Marché profitable au dragon, car Anique Poitras raconte bien…
Le Petit Dragon vert5, que présente Raymond Paradis, fait partie lui aussi des dragons au feu éteint. Pour retrouver son souffle brûlant, il devra relever les trois défis dont les contes sont friands. Rien de très original là-dedans, même si l’on vise un auditoire encore naïf.
Il en va autrement dès que Sonia Sarfati prend les commandes, avec son comparse Jacques Goldstyn6. Cette fois, le défi capte d’emblée l’attention : quand le sommeil se refuse à toute une population, il faut, en effet, s’inquiéter, faire enquête, identifier le coupable, ruser avec lui. Laurie, c’est vrai, aura l’aide de tante Agnès, mais qui s’en plaindra si le sommeil revient. Récit fluide et aussi frais qu’intelligent.
Deux titres encore de Boréal-Maboul, tous deux dans l’honnête moyenne. Joséphine le Fouine7 mène, loupe à la main, une enquête dans le petit monde des fourmis. Elle fera au passage un usage par trop attendu de la fable de La Fontaine. Quant à L’Inconnu du placard8, il témoigne du considérable talent de conteur de Laurent Chabin, mais il verse lui aussi si volontiers dans le prévisible que l’intérêt en souffre.
1. Cécile Gagnon, Un compagnon pour Elvira, Hurtubise HMH, 80 p.; 8,95$.
2. François Gravel et Pierre Pratt, David et le Fantôme, Dominique et compagnie, 2000, 48 p. ; 8,95 $.
3. Caroline Merola, Le Monde de Margot (7), Le Dragon de papier, Boréal, 56 p. ; 8,95 $.
4. Anique Poitras et Céline Malépart, Lancelot, le dragon, Dominique et compagnie, 2000, 48 p. ; 8,95 $.
5. Raymond Paradis et Romi Caron, Le Petit Dragon vert, De la Paix, 2000, 96 p. ; 7,95 $.
6. Sonia Sarfati et Jacques Goldstyn, Laurie l’intrépide (2), L’Abominable Homme des Sables, Boréal-Maboul, 2001, 56 p. ; 8,95 $
7. Paule Brière et Jean Morin, Joséphine la Fouine (4), La Voleuse et la Fourmi, Boréal-Maboul, 2001, 56 p. ; 8,95 $.
8. Laurent Chabin et Denis Goulet, Les Mystères de Donatien et Justine (2), L’Inconnu du placard, Boréal-Maboul, 2001, 56 p. ; 7,95 $.
Tout près du réel
La reconstitution historique engendre, par les temps qui courent, de superbes récits. Les ingrédients ne sont pourtant pas faciles à réunir. Il faut, on s’en doute, que la recherche ait fait son patient travail, mais il faut également que le conteur sache prendre ses distances par rapport au moralisme et même à ce qu’on pourrait appeler le « pédagogisme ». Insister lourdement peut être pire que laisser dans l’ombre.
L’Appel des rivières1 satisfait à tous les préalables et contourne élégamment tous les écueils. Le héros Pierre Leblanc attire la sympathie, mais il n’est pas pour autant dévot ni même toujours homme de parole. Il se plaint sous la torture plus que ne le fait le guerrier huron ou iroquois. Il répond à l’appel de la forêt plus vite qu’il n’acquiesce aux ordres du gouverneur ou de l’évêque. Il est de l’étoffe des explorateurs, non de celle des sédentaires. André Vacher en fait un personnage crédible, si plausible qu’on se plaît à imaginer l’histoire comme ce qu’il a si pleinement vécu. N’importe quel jeune lecteur (ou lectrice) retrouvera ici quelque chose des grands souffles conquérants dont on s’ennuie depuis Fenimore Cooper ou Jack London.
Dans un registre moins belliqueux et surtout moins dominé par la logique mercantile, Claude Arbour2 parle de la même nature. Les décennies ont passé et notre temps exige la préservation plutôt que l’arpentage de l’oecoumène. Les grandes joies découlent non plus de la première rencontre avec le bison, mais du rarissime face à face avec l’immense pygargue dont les serres n’hésitent toujours pas à menacer jusqu’aux bernaches. Pourtant, d’une époque à l’autre, les qualités requises sont souvent les mêmes : le sens de l’observation, le respect de la nature et de ses premiers habitants, une saine résistance à l’égard du trop grand conformisme domestique. On s’étonne, tant l’action est lente et en quelque sorte hors du temps, de lire Arbour comme s’il nous racontait une trépidante aventure. Puis, on se dit que, oui, c’est le cas et qu’il suffit de partager sa foi. Très beau.
Avec la magnifique Janet Lunn3, nature et histoire cumulent leurs attraits. Les États-Unis quittent le giron britannique, mais la souveraineté n’est acquise qu’au prix du déchirement des familles. Le père et le fils ne professent pas le même loyalisme, les affections d’hier cèdent le pas aux haines d’aujourd’hui, des vies sont brisées prématurément comme dans toutes les guerres. Et tout cela se passe sous l’oeil des autochtones sidérés des volte-face des Blancs et face à une nature qui réclame son tribut des vainqueurs comme des malchanceux, des amants autant que des familles. La fresque est de celles qui savent insister sur les personnes et leurs valeurs plus que sur les dates et la puissance des mousquets.
1. André Vacher, L’Appel des rivières, Michel Quintin, 2000, t. 1 : Le pays de l’Iroquois, 165 p. ; 8,95 $ ; t. 2 : Le caillou d’or, 161 p. ; 8,95 $.
2. Claude Arbour, L’envol, Michel Quintin, 2000, 149 p. ; 8,95 $.
3. Janete Lunn, Le message de l’arbre creux, Pierre Tisseyre, 2000, 326 p. ; 13,95 $.
Une littérature de bons sentiments
Parce qu’elle n’en finit plus d’exister, il faut bien dire un mot, aussi bref que possible, de la littérature pétrie de bonnes intentions et génératrice d’ennui.
Enfants en guerre1 vise un louable objectif quand il rappelle, témoignages enfantins à l’appui, que la guerre vécue par les enfants pousse la cruauté à des sommets indicibles. Le problème, c’est que la brassée de témoignages sent l’artifice, le remaniement tardif, le lénifiant hommage aux libérateurs américains et, bien sûr, canadiens. Rien ici qui rappelle, même de loin, le Journal d’Anne Frank, Le Journal de Zlata2 ou Des barbelés dans ma mémoire3 d’Alain Stanké.
Le même genre de bonnes intentions fait de Rocket Junior4 un petit livre déplaisamment moralisateur. Que des parents privent leurs enfants du plaisir de jouer en exigeant d’eux des performances morbides, cela, bien sûr, est malsain et répréhensible. Encore faut-il que la dénonciation ne prenne pas l’allure d’un pensum.
L’écologie aussi engendre sa part de plaidoyers cousus de fil blanc. À la rescousse de Ti-Bleu5, d’inspiration tout aussi louable, s’échoue sur le même récif : défendre une bonne cause ne suffit pas à produire de la littérature vivante.
1. Kees Vanderheyden, Enfants en guerre, Boréal, 2001, 164 p. ; 7,95 $
2. Filipovic Zlata, Le journal de Zlata, Robert Laffont, 1993, 219 p. ; 9,95 $
3. Alain Stanké, Des barbelés dans ma mémoire, Stanké, 1998.
4. Pierre Roy, Rocket Junior, Pierre Tisseyre, 2000.
5. Nicole Daigle et Denise Paquette, À la rescousse de Ti-Bleu, Bouton d’or Acadie, 2000, 56 p. ; 7,95 $.
Au filtre de la fantaisie
Les scientifiques prétendront le contraire, mais Jean Perron1, plus près de l’enfance et de la fantaisie, est tenté d’imputer à des sorcières la terrible tempête de verglas qui a récemment plongé le Québec dans le noir et le froid. Entre la malice des sorcières et les imprévisibles caprices des éléments, on peut parier que bien des jeunes (et des moins jeunes) préféreront la première hypothèse et ne rêveront pas d’Hydro-Québec.
Si Julius voit rouge2 quand ses amis perçoivent du vert ou du bleu, ce n’est pas par esprit de contradiction ni par penchant fantaisiste. De jeunes lecteurs tarderont peut-être à l’admettre. L’auteure, à petites touches, rend pourtant l’explication acceptable : l’oeil de Julius obéit, oui, à une fantaisie, mais à une fantaisie qu’il ne contrôle pas. Le petit récit éclaire et renseigne sur le daltonisme sans verser dans la lourdeur.
Autour de Lou3, ils sont nombreux à la trouver rêveuse, tout aussi nombreux à vouloir la ramener sur terre. Dieu merci, elle résiste et préfère l’invitation des oiseaux à celle des adultes qui ont oublié leur enfance et leurs rêves. Le récit est d’autant plus séduisant qu’il puise à pleines mains dans la superbe poésie de Gabriel Lalonde.
Hugo4 est de retour. Avec sa curiosité, sa capacité d’étonnement et son souci d’apaiser les tempéraments. Il s’attaque ici à forte tâche, car l’oncle Claude hait sans retenue les goélands qui salissent le beau quai qu’il a construit sur le lac, tandis qu’un vieil Amérindien met un entêtement comparable à défendre les oiseaux. Andrée-Anne Gratton raconte d’admirable façon. Un de ses grands mérites est de parler des Amérindiens sans recourir aux clichés.
Chauve-souris sur le Net5 surabonde en fantaisie et on s’en félicite. En revanche, le cheminement et l’écriture elle-même paient la rançon. Même le délire le plus sympathique a besoin de repères, sous peine de perdre de sa force de séduction ; ils font souvent défaut.
Grâce à la vigueur de son inspiration, La Cité qui n’avait pas d’étoiles6 échappe à ce risque. Certes, le lecteur, même très jeune, détecte vite les failles dans le projet rocambolesque de Violette. S’il trouve quand même plaisir à accompagner Violette et Vincent jusqu’au bout, c’est que le récit vibre d’espoirs inavoués, de réminiscences littéraires et, peut-être, d’une douloureuse absence d’étoiles. Sous couleur d’une expérience à la Jules Verne, c’est aussi d’une autre exploration qu’il est ici question. L’amitié s’offre, mais le vertige suicidaire n’est pas absent. Comme quoi le scénario le plus concret peut faire entendre d’étranges harmoniques.
On s’étonne encore, de moins en moins j’espère, que des livres destinés aux jeunes abordent le thème de la mort. Et pourtant, les enfants aussi subissent des deuils. La mort tourne également, on devrait le savoir, autour des jeunes existences. Nathalie Loignon7 traite le thème avec maîtrise, finesse, transparence, compassion. Émouvant.
1. Jean Perron et Marie-René Bourget Harvey, Les Sortilèges de la pluie, Le Loup de Gouttière, 2001, 80 p. ; 7,95 $.
2. Roxanne Lajoie, Julius voit rouge, Le Loup de Gouttière, 2001, 64 p. ; 7,95 $.
3. Gabriel Lalonde, Les Ailes de Lou, Le Loup de Gouttière, 2001, 48 p. ; 7,95 $.
4. Andrée-Anne Gratton et Christian Daigle, Hugo, Chasseurs de goélands, Boréal, 128 p. ; 7,95 $
5. Réjean Lavoie et Marc-Étienne Paquin, Chauve-souris sur le Net, De la paix, 2000, 136 p. ; 8,95 $.
6. Christian Gagnon, La Cité qui n’avait pas d’étoiles, Boréal, 2001, 128 p. ; 8,95 $
7. Nathalie Loignon, Christophe au grand coeur, Dominique et compagnie, 2000, 76 p. ; 8,95 $.
Tout près de la vie
Le quotidien défend vigoureusement son fief dans la littérature destinée aux jeunes. D’excellents auteurs réussissent d’ailleurs, à partir d’un concret bien observé, à enclencher un questionnement aux volutes imprévisibles. Ainsi, Le huard au bec brisé1 prend prétexte d’une anomalie numismatique pour plonger le lecteur en plein drame familial. Certains virages du récit manquent de naturel et l’on se familiarise trop peu avec la logique propre à la numismatique, mais le sujet ne manque pas d’originalité.
Monsieur Engels2 met en scène un Benjamin que le piano ennuie de suprême façon même si, de l’avis de tous, il possède un don manifeste pour cette musique. À partir de ce fait, que l’on pourrait reproduire à l’infini, Hélène Vachon évoque superbement une question que nul ne saurait esquiver : la possession d’un don entraîne-t-elle une responsabilité ? L’auteure effectue le passage du banal au fondamental avec un merveilleux naturel. La conclusion, finement, se refuse au simplisme.
Le lézard et le chien galeux3 raconte l’adaptation d’une jeune Coréenne, Suo, à un environnement thaïlandais. Cela, déjà, suffirait. François Beaulieu va pourtant plus loin et ajoute aux présences humaines des autres écolières, de l’enseignante et de la directrice l’étrange et exigeante amitié entre Suo et un très susceptible lézard. Détour fantaisiste, mais fécond dont Suo tire grand avantage et qu’appréciera le jeune lecteur.
Laurent Chabin4, décidément prolifique, illustre plus nettement encore l’étonnante parenté entre le quotidien, présumé trivial, et le légendaire, censément hors du réel. Le mineur, que le métier enferme dans les entrailles de la terre, se heurte, certes, au roc et à ses résistances, mais il surmonte sa peur du noir et de l’enfermement en puisant dans un bagage de légendes et de récits refilés d’une génération à l’autre. Non seulement le mineur triomphe ainsi de l’ombre, mais, surtout dans le cas d’un mineur toujours insatisfait comme le père de Pierre, il cherche dans les mythes un sens à sa recherche et à ses explorations. Chabin part d’un fait historique pour évoquer la légende des Hommes-creux et celle du Cerf céleste qui a peut-être enfin pénétré dans le monde des humains. Du très beau travail. Lecture dès huit ans ? Peut-être pas.
1. Josée Ouimet et Daniela Zekina, Le huard au bec brisé, Pierre Tisseyre, 2000, 96 p. ; 8,95 $.
2. Hélène Vachon et Bruce Roberts, Monsieur Engels, Dominique et compagnie, 2000, 122 p. ; 8,95 $.
3. François Beaulieu et Paul Roux, Le lézard et le chien galeux, Vents d’Ouest, 2001, 115 p. ; 8,95 $.
4. Laurent Chabin et Rémy Simard, Le Cerf céleste, Boréal, 2001, 102 p. ; 7,95 $.
Collectifs de haut niveau
Deux collectifs attirent l’attention. Le premier, en proposant des contes1 ; le second, en esquissant des Futurs sur mesure2. Dans les deux cas, réussite. La brassée de contes offerte par des voix porteuses de cultures diverses à l’occasion de La Grande Nuit du conte illustre admirablement ce que le mixage des générations et le métissage des imaginaires peuvent produire de mieux. Les amorces varient, le non-dit recouvre du semblable et du différent, mais le conte, toujours, plaide pour la vie, le respect, l’empathie. À lire à intelligible voix.
Dans le cas des futurs taillés sur mesure (pour le meilleur comme pour le pire), on constate, mais d’une tout autre manière, que la diversité des angles d’approche n’interdit pas la convergence des préoccupations. L’ordinateur, à peine intégré à l’actuel, lance des ondes de choc vers le futur. La génétique, avec ses manipulations, sa chimie, sa prétention à réduire les zones d’incertitude, inquiète ou séduit. L’éthique, semble-t-il, hésite à intervenir, mais peut-être est-elle tout simplement en train de chercher ses marques, ne sachant pas si les anciens repères demeurent utiles ou s’il urge d’en inventer d’autres. La moyenne des textes est d’excellent niveau.
Terminons sur une mention spéciale : Dragon noir et fleurs de vie3. Le thème de la jeunesse paumée, si rebattu qu’on le dirait voué à la banalité, connaît, en effet, sous la plume de Louise-Michelle Sauriol, un véritable renouveau. L’amour commande et impose sa loi, quitte à modifier tout à l’heure l’identité de l’aimé. Le dragon noir n’aime guère qu’on lui dispute la proie qu’il asservit depuis les premières seringues, mais on peut sinon l’émasculer, du moins le faire reculer. Et même l’infranchissable fossé des générations, moyennant le pardon, l’humilité et les larmes, peut se refermer. L’intrigue rebondit sans cesse, mais les personnages débordent tellement de vie et de chaleur humaine qu’on s’attacherait à eux même s’ils ne bougeaient plus.
1. Collectif, La Grande Nuit du conte, Planète rebelle, 2000, 69 p. (avec CD audio) ; 19,95 $.
2. Collectif de l’AEQJ (Association des écrivains québécois pour la jeunesse), Futurs sur mesure, Pierre Tisseyre, 2000, 204 p. ; 9,95 $.
3. Louise-Michelle Sauriol, Dragon noir et fleurs de vie, Vents d’Ouest, 2001, 142 p. ; 8,95 $
Des faiblesses ? Sans doute. Comment en irait-il autrement quand règne la surabondance ?
Récits, romans, légendes…
L’enfant qui entreprend une carriére de liseur ou de lectrice (on n’ose dire liseuse) est vite sollicité par tous les genres littéraires. Au départ, le délire et la fantaisie servent d’appâts et font rire les enfants et sourire les adultes.
Très tôt, le conte se pointe le nez, puis les récits historiques, puis la sorcellerie, puis les intrigues policières, puis… À chacune et à chacun de brouiller cet ordre et de savourer à son gré tel genre littéraire avant tel autre.
Textes et illustrations
La formule a fait ses preuves : l’image et ses couleurs servent souvent d’antichambre à la lecture. Le texte consent à partager la vedette, en attendant d’occuper plus de place. Dans ce genre hybride, certains personnages reviennent et s’efforcent de se renouveler. Parfois ils y parviennent, parfois ils déçoivent. Ainsi, Compte tes sous, Mathieu !1 ramène un personnage dont les rêves ont beaucoup fait rire, mais qui, cette fois, déroute sans vraiment séduire. Elvis, un familier lui aussi, garde mieux la forme. Qu’il danse2 ou se déguise3, l’ourson se donne en spectacle comme tout enfant aime le faire, agit à la fois comme amuseur et comme auditoire et répand la joie de vivre.
1. Allen Morgan et Michael Martchenko, Compte tes sous, Mathieu !, La courte échelle, 2001, 24 p. ; 7,95 $.
2. Jasmine Dubé et Roger Paré, Elvis aime danser, La courte échelle, 2001, 24 p. ; 7,95 $.
3. Jasmine Dubé et Roger Paré, Elvis se déguise, La courte échelle, 2001, 24 p. ; 7,95 $.
La collection « Chrysalide » que publie la maison Bouton d’or Acadie cherche encore sa voie. Le bon coexiste avec le vacillant. Monette, la tannante de petite puce1 apprivoise finement le monde de l’informatique et l’adapte aux possibilités de l’enfant. Saute, saute, c’est la fête2 recrée assez bien le monde des comptines que les enfants mémorisent et citent ensuite à tort et à travers. Il arrive cependant que l’inspiration tombe en panne et que le rythme fasse défaut. Dans Le ciel tombe3, la sottise est si largement répandue chez beaucoup d’animaux que le renard, seul à savoir calculer, a beau jeu de triompher. La partie est si inégale et la fin si prévisible que l’intérêt s’évapore.
1. Géraldine Saulnier-Cormier et Marc Landry, Monette, La tannante de petite puce, Bouton d’or Acadie, 2001, 32 p. ; 7,95 $.
2. Claudette Bourgeois-Richard et Denise Bourgeois, Saute, saute, c’est la fête, Bouton d’or Acadie, 2001, 24 p. ; 7,95 $.
3. Marguerite Maillet et Anne-Marie Sirois, Le ciel tombe, Bouton d’or Acadie, 2001, 24 p. ; 7,95 $.
Étonnamment, on trouve des disparités analogues entre certains albums du Raton Laveur, une maison pourtant fiable et aguerrie. Mamie part en voyage1 accumule les calembours et les rimettes faciles à partir des noms de lieux, mais présente peu de trouvailles et manque parfois de goût. Le dessin, heureusement, compense. Pour l’amour d’une grenouille2 et Tout pour plaire à mon nouveau papa3 ramènent Le Raton Laveur à son niveau usuel de qualité. Dans le premier cas, le texte est étonnamment abondant, mais les métamorphoses sont si inhabituelles, le suspense si bien maintenu, les illustrations si minutieusement délirantes que l’ensemble est une réussite exemplaire. Dans le second cas, les gaffes exaspérantes et sympathiques se multiplient quand un enfant n’attend pas de comprendre les vœux de son nouveau papa pour chercher à les accomplir. Bruno St-Aubin est de retour avec des illustrations qui dispensent le texte de conclure lourdement.
1. André Hamelin et Benoît Laverdière, Mamie part en voyage, Le Raton Laveur, 2001, 24 p. ; 7,95 $.
2. Marie-Nicole Marchand et Bruno St-Aubin, Pour l’amour d’une grenouille, Le Raton Laveur, 2001, 24 p. ; 7,95 $.
3. Luc Durocher et Bruno St-Aubin, Tout pour plaire à mon nouveau papa, Le Raton Laveur, 2001, 24 p. ; 7,95 $.
La rencontre entre un personnage imprévisible et un dessin aux frontières du collage et du surréalisme fait des albums de Madame B de petites œuvres d’art. Que Madame B perturbe la vie de l’école1, qu’elle gaspille son dimanche à combattre l’inondation2 ou qu’elle visite le zoo3, le régal se répète. Humour fin, non-conformisme sûr de son bon droit, fantaisie intelligente.
1. Bénédicte Froissart et Mylène Pratt, Madame B à l’école, Les 400 coups, 2001, 32 p. ; 8,95 $.
2. Bénédicte Froissart et Mylène Pratt, Le dimanche de Madame B, Les 400 coups, 2001, 32 p. ; 8,95 $.
3. Bénédicte Froissart et Mylène Pratt, Madame B au zoo, Les 400 coups, 2001, 32 p. ; 8,95 $.
On retrouvera la même heureuse combinaison entre texte et dessin dans Alexis, chevalier des nuits. Le virage est un peu brusque qui transforme le fragile Alexis en Bayard sans peur et sans reproche. Peut-être l’enfant qui redoute le noir de la nuit hésitera-t-il à imiter ce courage subit. Mais le dessin est si jouissif et Alexis s’abandonne si volontiers à son nouveau sommeil qu’on souhaitera la même conversion instantanée à tous les petits peureux.
Andrée-Anne Gratton et Pascale Constantin, Alexis, chevalier des nuits, Les 400 coups, 2001, 32 p. ; 9,95 $.
Plus ou moins près de l’école
Pour toutes sortes de motifs, dont certains sont d’ordre purement pécuniaire, la préoccupation scolaire hante de nombreux éditeurs. Greffer des questions à une histoire, cela, j’imagine, peut valoir au livre d’être qualifié de manuel et de mériter une remise différente. L’opération s’effectue parfois sans entamer le plaisir de la lecture, parfois avec lourdeur et dans l’artifice.
Kankan le maléfique puise intelligemment dans le folklore africain de quoi raconter une histoire aux rebondissements incessants et initier à une autre culture. Les notions à assimiler sont si nombreuses et si riches que les questions surgissent d’elles-mêmes à la fin du livre.
Louis Camara et Béatrice Favereau, Kankan le maléfique, Hurtubise HMH, 2001, 80 p. ; 8,95 $.
Le petit lion (un autre !) fait sourire et apprendre, sans qu’un objectif nuise à l’autre. Même s’il ne terrorise ni le serpent, ni l’éléphant, ni la girafe, le petit lion a le droit, du fait qu’il a mangé une fleur, de se juger terrifiant. L’enfant retrouvera sans effort les mots-clés ou, s’il sait tricher, les images qui les contiennent. Très beau.
Collectif d’enfants (sous la dir. de L’ICEM – Pédagogie Freinet) et Cécile Geiger, Le petit lion, PEMF, 2000, non paginé.
On n’en dirait pas tout-à-fait autant du dernier-né de la série Anatole . Bien sûr, la sympathique famille de vampires procure toujours autant de plaisir au jeune lecteur par sa façon de décrire le plus sérieusement du monde un univers pourtant farfelu. Toutefois, l’effort pour justifier un nombre suffisant de questions en fin de volume provoque une dilution du récit et risque de tarir le plaisir.
Marie-Andrée Boucher Mativat et François Thisdale, Les enfants d’Anatole, Hurtubise HMH, 2001, 72 p. ; 8,95 $.
La veste noire a le mérite de combiner sans lourdeur la description d’un problème social et une intrigue policière alléchante. Une triste réalité envahit l’univers des jeunes, mais on leur laisse assez d’espace pour qu’ils sachent comment réagir. Le choix des questions ne s’effectue cependant pas avec le même naturel : à côté d’interrogations qui visent le texte lu, il s’en trouve qui sentent le didactisme. Yayo, dessinateur toujours inspiré, aide à créer l’atmosphère.
Évelyne Wilwerth et Yayo, La veste noire, Hurtubise HMH, 2001, 80 p. ; 8,95 $.
L’arbre à chaussettes suit le séduisant parcours de la fantaisie pendant la durée du récit, mais accumule ensuite les questions rattachées de plus ou moins près à l’histoire et les formule dans un registre plus sec. Dommage.
Alain Raimbault et Marc Mongeau, L’arbre à chaussettes, Hurtubise HMH, 2001, 72 p. ; 8,95 $.
On aimerait louer sans réserve Le crayon et le collier tant sont patentes les qualités du livre. L’analphabétisation est pour tant d’enfants une telle tragédie qu’on s’émeut de ne pouvoir la vaincre dans un plus grand nombre d’occasions. Le récit d’Angèle Delaunois est donc touchant autant que nécessaire. Les réticences ? Elles viennent de ce que le savoir offert soit constamment rattaché à l’Europe et que même les textes proposés aux jeunes curiosités africaines proviennent d’auteurs bien blancs et bien lointains. La sympathie ne fait pas de doute, mais la pédagogie confine à l’ethnocentrisme.
Angèle Delaunois et Daniela Zékina, Le crayon et le collier, Pierre Tisseyre, 2001, 48 p. ; 14,95 $.
Cette difficulté d’écrire en fonction de l’autre s’observe aussi dans le Larousse des jeunes. Autant, en effet, on apprécie qu’un dictionnaire destiné aux jeunes intègre les vertus d’un dictionnaire visuel et permette de partir de l’objet pour inventorier le vocabulaire qui le concerne, autant il est agaçant que les illustrations proviennent en trop d’occasions d’un contexte européen et ignorent les réalités nord-américaines. Agaçant, par exemple, de trouver l’image du hérisson, mais pas celle de la mouffette. De façon plus globale, le dictionnaire recourt à une pédagogie qui n’est pas sans défenseur, mais qui correspond de près à l’esprit du temps : l’exemple et le cas particulier passent avant la définition. Avec le risque, diront certains spécialistes, que la préséance accordée systématiquement à la mise en situation retarde le passage à la pensée abstraite. Il est vrai que Piaget situe autour de 11 ans la naissance de la pensée abstraite et que ce dictionnaire vise les 7/10 ans, mais le doute est permis.
Larousse des jeunes, Édition nord-américaine, 2000, 1 098 p. ; 29,95 $.
Allégo rit avec les jeunes propose aux jeunes une cinquantaine de textes courts. La rédaction est sobre, la compréhension rendue facile, les leçons aisément saisies. Selon une méthode qui ne souffre pas de variation, avec les avantages et les inconvénients de la stabilité, l’auteur utilise ces textes pour stimuler la réflexion et conduire le jeune lecteur à formuler ses propres solutions. Les thèmes ne sont peut-être pas assez diversifiés pour soutenir l’intérêt, mais demander à de jeunes cerveaux de trouver le pourquoi des comportements, ce n’est certes pas superflu.
Michel Dufour, Allégo rit avec les jeunes, Histoires magiques interactives, JCL, 2000, 152 p. ; 19,95 $.
Bien sûr, le monde animal
Il serait évidemment impossible de ne pas trouver dans une brassée de livres pour jeunes quelques titres animaliers. Le présent assortiment ne fait pas exception.
Terreur, le cheval merveilleux a plusieurs atouts en sa faveur. Le titre est suffisamment contrasté pour qu’on y lise le défi, le dessin est racé et dépayse à souhait, l’intrigue a les méandres et les surprises qui conviennent.
Martine Quentric-Séguy et Isabelle Charbonneau, Terreur, le Cheval Merveilleux, Pierre Tisseyre, 2001, 70 p. ; 7,95 $.
Fripouille confie à un jeune chien le soin d’exprimer un des grands malheurs de la vie : le sentiment d’être laid. La tristesse du chiot et la solitude de son jeune maître en feront des complices. Ils auront besoin de toutes leurs ressources pour abattre les résistances d’un grand-père grincheux. Quelques tournures artificielles n’empêchent pas l’émotion de s’exprimer avec conviction.
Pierre Roy et Alexandre Rouillard, Fripouille, Pierre Tisseyre, 2001, 70 p. ; 8,95 $.
Un amour de chat fait subir un test rigoureux à l’humour des jeunes lecteurs. Michel Lavoie, qui connaît bien son public, sait sans doute jusqu’où il lui est permis d’aller trop loin. Il use et abuse donc de cette latitude, multiplie les pirouettes et les calembours, se moque de tout le monde, lecteur et auteur compris. Il fait ainsi la démonstration, sous l’oeil un peu ahuri du lecteur adulte, que les jeunes rient davantage, pratiquent un humour différent et savent ne pas se braquer si la fantaisie impose sa loi au quotidien.
Michel Lavoie, Un amour de chat, L’Interligne, 2001, 110 p. ; 9,95 $.
Avec Chanel et Pacifique1, la fantaisie cède le pas à la facilité. L’écriture n’est plus jeune, mais infantile et négligée. Le dessin est frais, mais ne compense qu’à demi.
Deux titres signés Marie-Soleil ramènent la fantaisie au premier plan, mais ne maintiennent pas toujours l’écriture au meilleur palier. La petite vache d’or2 a la morale un peu lourde et les dialogues plutôt artificiels, mais certaines expressions particulièrement heureuses allègent le récit. La reine punk3 fait mieux au chapitre du naturel, mais démocratise un peu légèrement le mode de vie des abeilles et prend certaines libertés avec la langue (ramener au lieu de rapporter, même diapason…).
1. Dominique Giroux et Marie-Claude Favreau, Chanel et Pacifique, Pierre Tisseyre, 60 p. ; 7,95 $.
2. Marie-Soleil, La petite vache d’or, Guérin, 2001, 34 p. ; 4,95 $.
3. Marie-Soleil, La reine punk, Guérin, 2001, 54 p. ; 6,50 $.
Gare aux premières impressions
Maints auteurs misent sur la propension des jeunes à conclure avant d’avoir tout pris en compte : ils tendent le piège, laissent le lecteur y tomber et le mènent ensuite, avec plus ou moins de doigté, à un verdict plus nuancé. L’opération est souvent fort bien réussie.
Le magicien ensorcelé raconte un de ces cheminements. Le magicien Rapapipe fait surgir un personnage bien différent de celui qu’il avait prévu et que sa baguette devait créer. Rapapipe découvrira pourtant qu’une compagne généreuse et débrouillarde peut séduire autant et plus qu’une princesse. Les illustrations stylisent bellement le récit.
Christine Bonenfant et Béatrice Favereau, Le magicien ensorcelé, Pierre Tisseyre, 2001, 70 p. ; 7,95 $.
Un été abominable place rapidement le décor : Timothée, un jumeau malheureux et imprudent jusqu’à l’accident, qui le vouera à l’inaction et donc à l’ennui. Il passera des heures à soumettre toutes choses et, bien sûr, le voisin à l’examen de ses lunettes d’approche. Il verra ou croira voir, il dramatisera, il doutera de tout le monde, y compris de sa mère. Le dénouement permettra de vérifier si l’enquête de Timothée était suffisamment rigoureuse. Récit bien mené.
Diane Groulx et Jocelyne Bouchard. Un été abominable, Michel Quintin, 2001, 85 p. ; 8,95 $.
L’apport de Sylvain Trudel à la littérature destinée aux jeunes mérite toujours l’attention. L’écriture, fluide et poétique, habitue à la clarté et à l’élégance du propos. Les valeurs, à base de respect et d’ouverture à l’autre, contrastent heureusement avec celles de la concurrence à tout prix. L’amitié, toujours inattendue et presque toujours au rendez-vous, remodèle les horizons qui semblaient bouchés et confirme qu’il y a avantage à tendre la main.
Sylvain Trudel et Suzane Langlois, Un secret dans mon jardin, La courte échelle, 2001, 64 p. ; 8,95 $.
Pas de S pour Copernic marque l’entrée de l’excellent Jean Lemieux en littérature pour la jeunesse. Il y apporte sa curiosité, son art de bouger, son sens de la contestation intelligente. Il n’est pas certain que son François-Xavier soit toujours reposant à fréquenter, mais les jeunes aux innombrables questions gagnent ici un compagnon de route.
Jean Lemieux et Sophie Casson, Pas de S pour Copernic, La courte échelle, 2001, 64p. ; 8,95 $.
Coco Bonneau, le héros s’ouvre d’une manière bien déprimante pour le garçon que Laurent le costaud a choisi comme souffre-douleur. Que faudrait-il pour que la petite brute s’humanise ? Est-ce même pensable ? L’art de Caroline Merola sera de donner chair à ces espoirs avec beaucoup de tact et à la satisfaction de tout le monde.
Caroline Merola, Coco Bonneau, le héros, La courte échelle, 2001, 64 p. ; 8,95 $.
Adam est un autre de ces jeunes qui font face à rude concurrence au moment où ils tentent de prendre leurs dimensions. Caramela est aussi jolie que son nom, mais Zacharie faisait partie du décor bien avant qu’Adam envisage d’y entrer. Insoluble ? Mais non, puisque le hasard vole au secours d’Adam, l’emporte avec sa Caramela dans un tourbillon débridé, le ramène sur terre à temps pour éviter les reproches et les sanctions. C’est tout juste s’il est nécessaire, en terminant le récit, d’expliquer à Adam ce qu’est un coup de foudre. D’ailleurs, les illustrations de Steve Beshwati sont là pour montrer à quoi ressemble le bonheur.
Marie Décary et Steve Beshwaty, Un amour de Caramela, La courte échelle, 2001, 64 p. ; 8,95 $.
Magie et sorcellerie
Un survol de la littérature offerte aux jeunes se doit de faire escale au pays de la magie et de la sorcellerie. Hommage à Harry Potter et aux héros de Pullman, mais plus que cela.
La foisonnante série Rougemuraille, avec ses dizaines de titres, étonne de bien des façons. Les quatre tomes de la sous-série Salamandastron racontent les guerres féroces que se livrent les seigneurs blaireaux qui défendent leur forteresse et la horde sanguinaire qu’a rassemblée Ferrago l’Assassin, une belette dont les yeux bleus n’ont rien de romantique. Dès le départ, un plan fait voir le territoire litigieux ainsi que les voies d’accès. On en aura besoin, car les stratégies des deux camps en dépendent. Ce plan ne sera pourtant pas d’un grand secours quand certains personnages recourront, au plaisir probable de lecteurs français, à divers accents régionaux de l’Hexagone. Nul plan n’est nécessaire, en revanche, pour comprendre que tout ce beau monde (animal) considère la bouffe comme un plaisir jamais assouvi. La logique pourra s’estimer lésée lorsque le lièvre se comportera en guerrier courageux ou lorsque la taupe et l’écureuil s’enfuiront de conserve, mais qui prétend que la logique devait triompher ? Gare à ceux et celles qui tâteront de cette série : elle a la taille et la longueur d’une saga, comme elle en a souvent l’intérêt.
Brian Jacques, Salamandastron, t. 1 : Ferrago l’Assassin, 2000, 187 p. ; t. 2 : La fièvre du fossé tari, 2000, 192 p. ; t. 3 : Le serpentissime, 2000, 192 p. ; t. 4 : Mara de Rougemuraille, 192 p. ; trad. de l’anglais par Jacqueline Odin, Mango ; 7, 95 $ chacun.
Signalons, dans cet accueillant créneau de la sorcellerie, un ouvrage qui se détache de l’orthodoxie, celui de Verrue-lente, consultante en maléfices. Ce qui étonne et pourrait plaire, ce n’est pas que la magie perde quoi que ce soit de ses droits, mais que la narratrice, audacieusement, morcelle en nouvelles autonomes ce qui aurait pu n’être qu’un seul et unique récit. Le lecteur en acquiert une liberté renouvelée, l’auteure échappe à certaiines contraintes. Malheureusement, malgré le côté assez sympathique de la sorcière consultée, on doit déplorer l’imprécision des citations, un humour mal contrôlé, une exploitation mal tempéré de la chanson populaire.
Claire Daignault, Verrue-lente, consultante en maléfices, Pierre-Tisseyre, 2001, 118 p. ; 8,95 $.
Dérapages et réacrochages
Raymond Plante avait frappé trop juste dans son précédent récit pour échapper à l’obligation d’une suite. Jeff a pris goût aux voyages inexpliqués et Juliette n’a rien perdu de ce qui faisait sa vitalité. On continue donc à patrouiller l’inconnu, à s’imbiber d’hypothèses saugrenues, à passer, puisqu’il le faut, par la large boîte d’un instrument de musique pour aboutir dans un autre monde. Même si les règles applicables aux univers capricieux demeurent, par définition, d’application aléatoire, on ne se surprendra pas si la suite du Yellow Star, régie par des règles (presque) familières, ne suscite pas la même surprise. La maîtrise de Plante est toujours manifeste, mais une certaine routine menace.
Raymond Plante et Christine Delezenne, Les rats du Yellow Star, La courte échelle, 2001, 96 p. ; 8,.95 $.
Anne-Marie Fournier respecte les règles non-écrites de la littérature à fort indice de mystère. Elle tire bon avantage de l’étroite parenté que crée l’âge entre une jeune auteure et son auditoire, mais le récit vaut davantage comme promesse que comme résultat immédiat. La langue, parfois plus juvénile que correcte, est par trop portée aux « hyper » et aux « super » qui révèlent surtout les déficiences du vocabulaire.
Anne-Marie Fournier, Mystères et chocolats, L’Interligne, 2001, 84 p. ; 8,95 $.
Le Maxime qui s’agite dans Le mystère des nuits blanches appartient à la race des chercheurs. S’il ne dort pas la nuit, mais n’en éprouve aucun inconvénient, cela mérite enquête. Peu lui importe que les scientifiques adultes aient déclaré forfait, lui trouvera l’explication. De fait, son enquête respecte les meilleures règles du genre : elle satisfera à la fois le besoin qu’éprouvent les contemporains de Maxime de tout expliquer et celui qu’ils ressentent de trouver avant les adultes.
Andrée-Anne Gratton et Leanne Franson, Le mystère des nuits blanches, Pierrre Tisseyre, 2001, 80 p. ; 7,95 $.
Deux titres de la même maison d’édition ramènent en arrière, l’un à une tragédie dûment documentée, l’autre à un classique de la littérature américaine.La dernière nuit de l’Empress of Ireland1 offre à Josée Ouimet l’occasion de reconstituer, de façon fort rigoureuse d’ailleurs, un naufrage dont l’ampleur n’a rien à envier au drame du Titanic. Rude journée pour Robin2, de son côté, reprend en termes juvéniles le thème de Rip Van Winkle. Même si le cinéma a maintes fois décrit le désarroi de celui qui se réveille dans une époque autre que la sienne, Susanne Julien sait mettre ce dépaysement classique à la portée des jeunes lecteurs et doser fort délicatement la peur nécessaire et la confiance souhaitable.
1. Josée Ouimet et Élisabeth Eudes-Pascal, La dernière nuit de l’Empress of Ireland, Pierre Tisseyre, 2001, 150 p. ; 8,95 $.
2. Susanne Julien et Bruno Saint-Aubin, Rude journée pour Robin, Pierre Tisseyre, 2001, 140 p. ; 8,95 $.
François Beiger colle de plus près encore au vérifiable. Quiconque aime la nature et les animaux savourera ces deux comptes rendus qui tiennent du reportage plus encore que du roman d’aventures : un Européen fait avec rigueur et ouverture d’esprit l’apprentissage du Grand Nord et du cométique. Même si le décalage demeure patent entre, d’une part, le parler québécois et, d’autre part, la compréhension qu’en retient Beiger, les deux récits sonnent vrai. Peut-être goûtera-t-on davantage encore les dons de dessinateur animalier de Philippe Mignon. Ses chiens de trait sont, en effet, d’une vérité exemplaire. Pour des motifs qui échappent à toute justification, ces deux ouvrages ne sont pas paginés.
François Beiger et Philippe Mignon, La route de Nimipi et La vallée des caribous, Bilboquet, 2000,112 p. chacun ; 12,95 $.
Et encore du mystère et de l’aventure
La piraterie occupe peut-être moins d’espace qu’autrefois dans l’imaginaire des jeunes, mais s’il n’en tient qu’à Danielle Marcotte cela devrait bientôt rentrer dans l’ordre. Son récit, plein de rebondissements, axé sur des personnages très typés, garde l’attention en éveil et même en état d’inquiétude jusqu’à la fin. Les ingrédients classiques sont au rendez-vous, depuis le trésor caché jusqu’à l’embarquement clandestin, mais l’excellente écriture trouve moyen de les renouveler.
Danielle Marcotte et Bernard Duchesne, La terreur des mers, La courte échelle, 2001, 96 p. ; 8,95 $.
Avec Chante pour moi, Charlotte, on entre dans le monde de la maladie, de la mort annoncée, du deuil. Mais on y trouve surtout l’amitié et la tendresse. Marthe Pelletier ose décrire la vie comme elle se présente parfois, cruelle et implacable, mais elle veille à ce que la sérénité accompagne l’émotion. Les illustrations participent de la même atmosphère.
Marthe Pelletier et Rafael Sottolichio, Chante pour moi, Charlotte, La courte échelle, 2001, 96 p. ; 8,95 $.
Frédérick Durand nous entraîne à la suite de Marie l’amnésique dans un monde insolite. D’étranges logiques s’y croisent. Des personnages assez peu rassurants au départ composent un Cirque aux mystères sur lequel Marie finira par s’appuyer. Il appartiendra à Marie, cependant, de vaincre elle-même les difficultés et de retrouver son ancien monde.
Frédérick Durand, Le carrousel pourpre, Hurtubise HMH, 2001, 150 p. ; 8,95 $.
Skip Moën écrit avec fougue, générosité et puissance. Son « cycle de l’innommable » puise à pleines mains dans le vaste répertoire des puissances maléfiques, mais tout cela est remanié, remodelé, revigoré, comme si les monstres surgis des mondes alternatifs avaient trouvé grâce à Moën un deuxième souffle. L’écriture, extrêmement efficace, varie ses effets, son rythme, ses évocations, de telle sorte que la peur colle à l’épiderme, que le coeur sent l’épouvante le gagner, que le sang ralentit dans les veines. Même les défis d’ordre psychologique ressemblent à des impasses : tous les choix semblent mauvais, mais il faut quand même choisir. Nous sommes décidément fort loin du charmant conte de fées pour enfants sages.
Skip Moën, La porte des ténèbres, L’Interligne, 2001, 114 p. ; 9,95 $.
Laurent Chabin, comme il a pris l’habitude de le faire, entraîne son public vers l’Ouest. La géographie est précise et nettement décrite, mais c’est bien la seule certitude rassurante que consente Chabin : son Marcus, en effet, se débat contre un déferlement de mystères et d’inquiétudes. A-t-il tué son père ? Doit-il ou pas faire confiance à ce médecin ? Doit-il ou non abandonner la voiture qui lui a permis de fuir ? L’intrigue est complexe, mais elle parvient, d’un rebondissement à l’autre, à un dénouement raisonnablement ficelé.
Laurent Chabin, La valise du mort, Hurtubise HMH, 2001, 158 p. ; 8,95 $.
L’enquête de Nesbitt ne se déroule pas comme Nesbitt l’aurait voulu. On le trompe, on lui ment, on lui sourit pour mieux le leurrer et il ne s’en aperçoit que tard. Trop tard. Il avait raison de se méfier et de soupçonner anguille sous roche, mais ce flair qui faisait son orgueil ne l’a pas toujours guidé vers les coupables. Habilement, Jacinthe Gaulin transforme les erreurs de Nesbitt en tremplins vers de nouvelles hypothèses et l’on parvient enfin à (presque) tout savoir.
Jacinthe Gaulin, L’enquête de Nesbitt, Hurtubise HMH, 2001, 140 p. ; 8,95 $.
Réussites d’ici et d’ailleurs
Depuis l’immense succès de Harry Potter, on n’en finit plus de lui chercher des rivaux d’un poids comparable. Quand on lit Philip Pullman, on sait que cette quête peut cesser : la saga est tout aussi considérable que celle de Potter, les personnages mieux construits, la magie utilisée à meilleur escient et, surtout, les enjeux beaucoup plus intelligents. Le miroir d’ambre, par exemple, renoue avec certaines des préoccupations majeures de l’être humain. Peut-on descendre au royaume des morts pour obtenir le pardon d’un père et en revenir vivant ? Comment juger les églises qui manipulent les consciences et qui éliminent les adversaires comme si la fin justifiait les moyens? C’est du grand art que de brasser des thèmes aussi fondamentaux sans jamais ralentir l’action ou sombrer dans l’abstraction. Un effort est requis pour se familiariser avec les particularités du « poignard subtil » ou du « daemon », mais la récompense vaut le coup.
Philip Pullman, À la croisée des mondes, t. III, Le miroir d’ambre, trad. de l’anglais par Jean Esch, Gallimard, 2001, 480 p. ; 27,95 $.
Terminons sur un double coup de chapeau en direction d’Ann Lamontagne. Le Petit Parrain1 fait pénétrer dans le monde de l’intimidation juvénile. Comment y faire face ? Comment identifier le manipulateur qui impose sa loi sans sortir de l’ombre ? Ces questions, nos écoles savent qu’elles n’ont rien d’abstrait. Il faudra attendre la suite de ce roman pour savoir si les Chevaliers blancs auront gain de cause contre le Petit Parrain, mais déjà on peut parler d’un roman aussi réussi qu’utile. Les mémoires interdites2 appartient à une autre tonalité. L’auteure s’attache cette fois au jeune Grégoire dont le talent d’écrivain s’affirme précocement. On l’admire au point de voir en lui le prochain vainqueur du Concours littéraire des jeunes auteurs. Mais voilà qu’un regard plus averti que les autres retrouve dans les compositions de Grégoire les textes d’auteurs déjà célèbres. Plagiat ? Comment serait-ce possible puisque Grégoire compose sous surveillance constante ? L’énigme est de taille à intéresser jeunes et moins jeunes et à faire intervenir certains scientifiques particulièrement bêtes.
1. Ann Lamontagne, La piste des Youfs, t. 1, Le Petit Parrain, Vents d’Ouest, 2001, 164 p. ; 8,95 $.
2. Ann Lamontagne, Les mémoires interdites, Vents d’Ouest, 2001, 206 p. ; 8,95 $.
Bonnes lectures !
L’adolescence, cette fois, est mieux traitée que l’enfance
Les chiffres en provenance de l’Observatoire québécois sur la culture et les communications confirment l’impression du lecteur : dans le monde de l’édition, toutes les saisons ne se valent pas. Janvier aura été plantureux, le trimestre de juin à août plutôt paisible. En littérature jeunesse, ce trimestre aura raréfié les albums et recouru surtout aux auteurs familiers pour s’adresser aux tout jeunes. Il aura, cependant, fait la part plus belle à la zone infiniment poreuse qui unit, plus qu’elle ne sépare, l’adolescent et le lecteur adulte.
Lecture et puériculture
Constatons-le une fois de plus : bien des livres tournés vers l’enfance se veulent une contribution éducative en même temps qu’une distraction. Reste à réussir le dosage.
Angèle Delaunois (Niouk, le petit loup), qui ne dissimule pas sa sympathie pour un animal que la littérature a souvent mal traité, met en scène un petit loup qui ressemble comme un frère, présomption et irréflexion comprises, à combien de nos bambins. Le louveteau regrettera son imprudence, mais retrouvera vite l’affection qu’il craignait avoir perdue.
Angèle Delaunois, Niouk, le petit loup, Pierre Tisseyre, Montréal, 2001, 64 p. ; 7,95 $.
Noir, noir charbon (Catherine Dufour Fournier) oppose, avant de les éveiller à l’amitié, un jeune New-Yorkais et une débrouillarde Hawaïenne de la même génération. L’action ne manque pas et les préjugés détalent bientôt à toutes jambes. La psychologie est plutôt sommaire et les virages assez brusques, mais quand on saura que l’auteure compte à peine une douzaine de printemps, on admirera le résultat. Il plaira d’ailleurs aux contemporains de l’auteure.
Catherine Dufour Fournier, Noir, noir charbon, De la Paix, Saint-Alphonse-de-Granby, 2001, 80 p. ; 7,95 $.
Sujet inattendu que celui-là : qui, en effet, songerait, sinon un auteur respectueux de la curiosité enfantine, à se pencher avec sympathie sur les sangsues ! Jean-Pierre Dubé (Globule, la petite sangsue et Globule et le ver de terre) réussit le tour de force de ne rien dire qui soit faux à propos de son petit vampire tout en le rendant (presque) sympathique. Les enfants, quant à eux, en déduiront que chacun a droit à son mode de vie, la sangsue comme le ver de terre. Tant mieux !
Jean-Pierre Dubé et Tristan Demers, Globule, la petite sangsue et Globule et le ver de terre, Michel Quintin, Montréal, 2001, 64 p. ; 7.95 $.
Les visiteurs des ténèbres se pencheront eux aussi sur des êtres couramment calomniés : les chauves-souris. Jean-Pierre Guillet atteint d’emblée les deux objectifs d’un tel sujet. L’aventure qu’il raconte permet aux préjugés courants de s’exprimer jusqu’à l’épuisement, mais elle conduit ensuite à l’assimilation sereine de l’information souhaitable. Les amateurs de mystère reçoivent leur dû ; ceux qui aiment savoir et comprendre en auront aussi plein les bras.
Jean-Pierre Guillet et Christiane Gaudette, Les visiteurs des ténèbres, Pierre Tisseyre, Montréal, 2001, 62 p. ; 7,95 $.
Deux petits livres du (trop ?) prolifique Laurent Chabin gardent en contact avec le monde animal, mais laisseront le petit lecteur sur sa faim. La tortue célibataire1 permet d’entrevoir le drame des espèces menacées d’extinction, mais ne précise ni le problème ni sa solution. Où sont les ours2 tourne court également et n’explique rien.
1. Laurent Chabin et Daniel Dumont, La tortue célibataire, Michel Quintin, Montréal, 2001, 46 p. ; 7,95 $.
2. Laurent Chabin et Jean Morin, Où sont les ours ?, Michel Quintin, Montréal, 2001, 48 p. ; 7,95 $.
Les amphibiens de Bobbie Kalman laissent de côté la fiction et l’anthropomorphisme. On voit donc salamandres et crapauds dans toute leur beauté (?) et l’on apprend, en même temps qu’on présente aux enfants leur histoire, leur utilité, les risques que le progrès (?) leur fait courir. Les illustrations sont de premier ordre, l’information fiable et abordable.
Bobbie Kalman, Les amphibiens, trad. de l’anglais par Guillaume Forget, Banjo, Mont-Royal, 2001, 32 p. ; 8,95 $.
Sans surprise, l’hygiène s’inscrit dans les rapports entre les enfants et la société et donc dans la littérature destinée aux enfants. Quand Max ne veut pas se laver de Dominique de Saint Mars, il est peut-être temps qu’il rencontre un chien qui se néglige encore plus que lui et qui, sans le vouloir, lui enseigne les plaisirs de la propreté. Nul n’insiste, mais la leçon est profitable.
Lili va chez la psy de Dominique de Saint Mars ne s’adresse qu’à un public restreint. En effet, autant il est bon de rassurer l’enfant qui se croit anormal parce que s’impose le recours à la psychologie professionnelle, autant il serait excessif de laisser entendre que tous et toutes doivent en passer par là. Les nuances, malheureusement, font défaut.
Dominique de Saint Mars et Serge Bloch, Max ne veut pas se laver, Calligram, Fribourg, 2001, 48 p. ; 7,95 $.
Dominique de Saint Mars et Serge Bloch, Lili va chez la psy, Calligram, Fribourg, 2001, 48 p. ; 7,95 $.
Pas encore le bain de Erna d’Entremont Mayne fait mieux encore. Une petite barbouillée, en effet, se fait fort de démontrer à quel point il est utile de retrouver sur soi les traces du dernier repas ou des plus récents châteaux de sable. Les sophismes sortent en droite ligne de la mauvaise foi enfantine et n’en sont que plus convaincants. Jusqu’à ce que l’enfant, à force de saleté, soit privée des baisers parentaux et consente à essayer autre chose. Fin, drôle, peut-être pas vrai, mais plausible.
Erna d’Entremont Mayne et Marie-Claude Favreau, Pas encore le bain !, Banjo, Mont-Royal, 2001, 24 p. ; 7,95 $.
Avec Ernest et les vitamines, on revient à une pédagogie plus universelle. Paul Roux, scénariste et dessinateur, excelle à répandre l’humour et une superbe vulgarisation sur les problèmes les plus complexes. Oui aux vitamines, disent ses personnages, mais pas en quantités industrielles, pas à propos de n’importe quoi, pas sans surveillance. La prudence devient ici une compagne sympathique et qu’on peut donc écouter.
Paul Roux, Ernest et les vitamines, Banjo, Mont-Royal, 2001, 24 p. ; 7,95 $.
Quelques fantômes et beaucoup de magie
Ténèbres et fantômes font partie de l’univers enfantin et Bruno Bettelheim avait bien raison de les juger nécessaires et même thérapeutiques.
Le grand mérite de Libérez les fantômes de Gilles Côtes, ce sera, en plus de présenter un récit alerte et agréablement peu plausible, de mettre l’accent sur la connivence entre un frère et une sur. Pourquoi, en effet, cette complicité ne vaudrait-elle pas celle qui unit copains et copines et dont on parle tant ? L’énigme sera résolue, les amitiés exerceront de nouveau leur vigueur centrifuge aux dépens de l’entente fraternelle, mais un moment privilégié aura renforcé des liens méconnus.
Gilles Côtes et Marc-Étienne Paquin, Libérez les fantômes, De la Paix, Saint-Alphonse-de-Granby, 2001, 128 p. ; 8,95 $.
Le fantôme du lac Vert de Martinae Valade raconte aussi une histoire d’amitié. Amitié qui rapproche l’enfant de 8 ans et le vieillard de 78 ans et qui permettra d’élucider le mystère contre lequel ont buté les gens trop peu ouverts. L’auteure intègre dans le même récit des thèmes que l’on voit rarement ensemble : course au trésor, retour sur des temps enfuis, confidences d’une vieille dame plutôt que celles de l’enfant… Le tout est prenant.
Martinae Valade et Fanny, Le Fantôme du lac Vert, Pierre Tisseyre, Montréal, 2001, 72 p. ; 7,95 $.
On ne sait pas trop s’il faut croire Aquarine quand elle jure n’avoir pas perdu la boule dans Aquarine a-t-elle perdu la boule ? de Martine Richard. Il se peut qu’Aquarine ait seulement la tête dure et qu’elle ne veuille pas donner raison aux adultes quand ils prétendent que les animaux ne parlent pas. Mais rien n’interdit aux enfants de se fier plutôt au poisson qui parle et de chercher où vont les animaux après leur mort. Récit qui échappe à la logique, mais qui laisse leur place au chagrin et au rêve compensatoire.
Martine Richard et Romi Caron, Aquarine a-t-elle perdu la boule ?, De la Paix, Saint-Alphonse-de-Granby, 2001, 75 p. ; 7,95 $.
Les deux petits livres que consacre Laurent Chabin au sympathique personnage de Malourène (Malourène et la reine des fées et Malourène et la dame étrange) valorisent aussi finement l’un que l’autre la seule vraie beauté, celle du cœur. Malourène n’a pas à copier qui que ce soit, pas même la reine des fées, pour devenir une merveilleuse petite fée. Et Malourène comprend que les animaux, du moins ceux dont l’homme n’a pas déformé la sensibilité, n’ont nul besoin de la parole, puisque leur regard détecte la beauté. Du meilleur Chabin.
Laurent Chabin et Jean Morin, Malourène et la reine des fées et Malourène et la dame étrange, Michel Quintin, Montréal, 2001, 64 p. ; 7,95 $.
À dire vrai, Daphnée n’a de sorcière que le chapeau (Daphnée, la petite sorcière de Josée Ouimet). Par ses autres caractéristiques, elle appartient tout bonnement à l’espèce enfantine. Elle se construit des scénarios, rêve de faire goûter à son chat un gâteau de sable qu’elle imagine empoisonné, s’étonne de voir l’étrange voisine cueillir et apprêter les pissenlits que son père préfère chasser de sa pelouse. Sympathique, curieuse, friande de connaissances, Daphnée s’ouvre avec naturel à d’autres coutumes.
Josée Ouimet et Romi Caron, Daphnée, la petite sorcière, De la Paix, Saint-Alphonse-de-Granby, 2001, 80 p. ; 7,95 $.
Après les animaux qui parlent et ceux qui se contentent de regarder, il fallait bien s’attendre à ce que les galets eux-mêmes revendiquent le droit de s’exprimer. C’est fait avec Le galet magique de Monik Pouilloux. Ce galet volubile possède des pouvoirs considérables, dont celui de transporter Marine dans un autre univers et de lui faire rencontrer Agilorapidorusé dont le caractère s’améliorera rapidement. Le récit, évoluant dans un monde simplifié, téléscope les évolutions et fait naître l’amitié dans le sillage immédiat de l’affrontement. On aurait pu quand même souhaiter une écriture plus soignée. Même en langage parlé, il n’est pas indispensable de demander : « Tu es où ? »
Monik Pouilloux et Marc-Étienne Paquin, Le galet magique, De la Paix, Saint-Alphonse-de-Granby, 2001, 111 p. ; 8,95 $.
La truelle magique de Sophie Bérubé possède des pouvoirs dont Fleur, égoïste et imprudente, a vite fait d’abuser. À elle et à elle seule les étoiles, la lune, le soleil. Mais quand le ciel est ainsi dépeuplé, Fleur comprend son erreur. Beau récit, superbes illustrations, apprentissage du bon sens sans lourdeur moralisatrice.
Sophie Bérubé, La truelle magique, Guérin, Montréal, 2001, 40 p. ; 4,95 $.
Quelques solitaires
Rares sont, dans cette cuvée, les formats particuliers qui abondent à l’époque des fêtes. Citons-en quand même trois qui ne sont d’ailleurs pas sans mérites. L’école, c’est toujours aussi fou ! Luc Durocher s’adonne pour la troisième fois à une superbe haute voltige linguistique. Ces clichés que l’on utilise sans penser à ce que l’enfant peut en comprendre sont pris au pied de la lettre et dessinés en conséquence. Bel exercice. Et drôle.
Luc Durocher et Philippe Germain, L’école, c’est toujours aussi fou !, t. 3, Banjo, Mont-Royal, 2001, 24 p. ; 7,95 $.
Un très bel album produit par Les 400 coups tente de répondre à l’éternelle question Mais… où vont les étoiles filantes ? de Bernard Jagodzinski. Car le mystère se retrouve partout, aussi bien dans le ciel australien que dans celui du Groënland. L’occasion est belle, et le dessinateur l’exploite admirablement, de styliser gentiment chaque coin du globe et d’unir tous les peuples dans un même regard vers le ciel. La réponse ? Allez voir.
Bernard Jagodzinski et Daniel Casanave, Mais… où vont les étoiles filantes ?, Les 400 coups, Montréal, 2001, 28 p. ; 10,95 $.
Le mystère du lac de Pierre Hamon marque l’entrée d’un nouvel acteur en littérature destinée aux jeunes. L’intention est nette : il s’agit d’inciter les jeunes à créer leurs propres entreprises. La littérature n’a pas grand chose à attendre de cette pédagogie plutôt utilitaire. Admettons cependant que le travail est professionnel, que l’intrigue se défend fort bien et que, par conséquent, le jupon ne dépasse pas trop souvent.
Pierre Hamon et François Miville-Deschênes, Le mystère du lac, Éditions Dorimène/L’Institut de la fondation de l’entrepreneurship, Charlesbourg, 2000, 72 p.
Valeurs éprouvées ou proposées
Même si La courte échelle occupe toujours efficacement le territoire qu’elle a conquis au fil des ans, d’autres éditeurs se taillent à ses côtés un espace non négligeable. Par exemple, les éditions Pierre Tisseyre et les éditions De la Paix.
Tranches de petite vie chez les Painchaud de Claire Daignault ne passera pas à l’histoire comme le meilleur texte de l’auteure. Faute d’une histoire à raconter, on se rabat sur des clichés et sur des calembours dont bien peu font sourire. L’éditeur n’aide pas à la cause en consacrant au moins une douzaine de pages à la promotion de ses bouquins et de ses collaboratrices. Un jeune auditoire n’y verra aucun intérêt.
Claire Daignault et Romi Caron, Tranches de petite vie chez les Painchaud, De la Paix, Saint-Alphonse-de-Granby, 2001, 84 p. ; 7,95 $.
La même maison fait mieux avec Julien César de Jocelyne Ouellet. On comprend vite que Julien, à force de rêver des victoires qu’il aurait pu remporter à une autre époque et sous un autre épiderme, se rend partout indésirable. Le jour vient, cependant, où Julien découvre le plaisir de raconter ses rêves au lieu de les assener. La violence cède sagement la place à l’expression et les mots se substituent aux poings, pour le plus grand plaisir de tous et, au premier chef, de Julien. On ne saurait demander mieux.
Jocelyne Ouellet et Marc-Étienne Paquin, Julien César, De la Paix, Saint-Alphonse-de-Granby, 2001, 111 p. ; 8,95 $.
Dans Mon oncle Dictionnaire de Jean Béland, des adolescentes trop curieuses sont piégées par celui qu’elles croyaient tromper. La finesse de l’astuce rachète un peu la lourdeur du texte et détourne un peu l’attention d’une typographie qui, parce qu’on sous-estime les jeunes lecteurs, multiplie les majuscules au lieu de s’en remettre à l’intelligence. À trop insister, il arrive qu’on lasse.
Jean Béland et Élisabeth Eudes-Pascal, Mon oncle Dictionnaire, Pierre Tisseyre, 2001, 64 p. ; 7,95 $.
Signalons, en insistant juste assez, une émouvante réussite : le Simon et Violette d’Andrée-Anne Gratton. L’histoire est fine, l’écriture intelligente, les personnages magnifiquement plausibles. L’aventure, pourtant, commençait mal. Qu’allait faire Simon, transplanté dans une nouvelle école et invité comme tout le monde à présenter à la classe un de ses grands-parents ? Doit-il avouer qu’il n’a, lui, aucun grand-parent ? Va-t-il se porter pâle ? L’idée lui vient de faire appel à une vieille dame et d’en faire une grand-mère d’occasion. Problème résolu ? Non pas, car l’éphémère grand-mère porte le nom de Violette et s’habille d’étrange manière. La suite révélera les étonnantes ressources de la vieille dame et marquera le début d’une chaleureuse amitié. Magnifique.
Andrée-Anne Gratton et Leanne Franson, Simon et Violette, Pierre Tisseyre, Montréal, 2001, 62 p. ; 7,95 $.
De La courte échelle, la production est abondante, en provenance d’auteurs familiers, mais aussi de recrues. Raymond Plante ramène sa Marilou Polaire (Marilou Polaire sur un arbre perchée1), d’abord réticente à l’idée de manger des escargots, mais capable, faim oblige, de changer d’idée. Les personnages, fermement campés, parlent et bougent avec le naturel né d’une longue fréquentation. Le titre, Raymond Plante le souligne, renvoie à Italo Calvino.
Dans un autre bouquin, Raymond Plante met de nouveau en scène Jeff et Juliette, ses deux jeunes vagabonds de l’espace et du temps. Grâce à l’étrange tunnel qui leur ouvre les chemins les plus inattendus, ils se mettent cette fois à la recherche de La petite fille tatouée2. Malheureusement, le récit est si attentif à préparer la suite qu’il en oublie de présenter une intrigue substantielle.
1. Raymond Plante et Marie-Claude Favreau, Marilou Polaire sur un arbre perchée, La courte échelle, Montréal, 2001, 64 p. ; 8,95 $.
2. Raymond Plante, La petite fille tatouée, La courte échelle, Montréal, 2001, 96 p. ; 8,95 $.
La Sophie de Louise Leblanc (Sophie court après la fortune) reprend du service elle aussi. Elle s’imagine riche, adulée, enviée. Mais encore faut-il gagner le gros lot et donc parier, parier, parier. Sophie encaisse une cinglante leçon, mais elle retombe sur ses pieds et entreprend de raconter son expérience à ceux et celles que le jeu peut tenter. Grâce à Louise Leblanc, ce qui aurait pu être moralisateur est aussi souriant qu’utile.
Louise Leblanc et Marie-Louise Gay, Sophie court après la fortune, La courte échelle, Montréal, 2001, 64 p. ; 8,95 $.
La Rosalie de Ginette Anfousse (Le grand roman d’amour de Rosalie) n’allait pas demeurer à l’écart de ce qu’on pourrait appeler le carambolage des amours juvéniles. Quand les adultes ont des amours à géométrie variable, pourquoi les jeunes échapperaient-ils à une certaine versatilité et comment Rosalie ne douterait-elle pas de la constance de son grand héros viking ? Elle devra traverser une période de doute et voir si, de l’autre côté… Le métier de Ginette Anfousse est si patent qu’on peut espérer l’élimination d’expressions comme « trop exagéré » ou « aussi pire ».
Ginette Anfousse et Marisol Sarrazin, Le grand roman d’amour de Rosalie, La courte échelle, Montréal, 2001, 96 p. ; 8,95 $.
Notdog, chien laid et détective médiocre, est quand même de nouveau mis à contribution par Sylvie Desrosiers (Quelqu’un a-t-il vu Notdog ?), avec un résultat aussi inattendu qu’heureux. Il est vrai qu’une méduse avait aidé Notdog à devenir aussi discret que désirent l’être les meilleurs enquêteurs. Les inséparables, quant à eux, fournissent leur quote-part habituelle d’analyse, de curiosité et, dans le cas de John, d’approximations linguistiques. Un bon récit dans une série qu’adorent les jeunes.
Sylvie Desrosiers et Daniel Sylvestre, Quelqu’un a-t-il vu Notdog ?, La courte échelle, Montréal, 2001, 96 p. ; 8,95 $.
Sur les traces de Lou Adams de Josée Plourde, c’est une véritable reconstitution historique réussie par Anne et son amie Claude. Il a suffi d’une pierre tombale, avec ses initiales énigmatiques, pour que s’éveille la curiosité des deux comparses, curiosité qui ne prendra du repos qu’une fois le passé délesté de ses secrets. L’intrigue est solidement structurée, les révélations plus que plausibles, l’enquête menée avec ce qu’il faut d’intuition et de doute.Le thème des jugements téméraires, jugements dont les jeunes n’ont évidemment pas le monopole, revient à l’avant-scène grâce à deux plumes de grand calibre.
Josée Plourde et Doris Barrette, Sur les traces de Lou Adams, La courte échelle, Montréal, 2001, 96 p. ; 8,95 $.
Dans Clémentine n’aime pas sa voisine, Chrystine Brouillet donne la parole à Clémentine, minuscule et méfiante lutine. Celle-ci en profite pour déblatérer contre la nouvelle voisine. Comme si, d’avance, elle voulait empêcher Gustave de se lier à Juliette. Jalousie ? Allez savoir ! Peut-être les lutines ressemblent-elles aux humaines jusque dans leurs petits défauts, mais peut-être que non. Chose certaine, la vie se charge vite de préciser la vraie nature de la nouvelle voisine.
Chrystine Brouillet et Daniel Sylvestre, Clémentine n’aime pas sa voisine, La courte échelle, Montréal, 2001, 64 p. ; 8,95 $.
Dans l’histoire que raconte Sylvain Trudel (Le voleur du poisson d’or), la condamnation du mendiant, préjugés aidant, précède l’enquête. À quoi, d’ailleurs, celle-ci pourrait-elle servir ? Quand disparaît un petit poisson d’or, qui douterait de la culpabilité du vagabond mal recyclé depuis ses années de Klondyke ? Nicolas, qui s’était lié d’amitié avec le personnage, s’entête à le défendre, au risque d’indisposer tous les bien-pensants du village, à commencer par sa propre parenté. L’attitude est belle, mais le résultat ? Chez Sylvain Trudel, littérature et bons sentiments ne s’opposent pas.
Sylvain Trudel et Suzane Langlois, Le voleur du poisson d’or, La courte échelle, Montréal, 2001, 64 p. ; 8,95 $.
Deux titres, malgré le prestige des auteurs, laissent un peu songeur. Quand Gilles Gauthier se demande Comment on fait un enfant parfait1, sa réponse est plus bizarre que séduisante. Passe encore qu’un couple rêve d’un enfant, même si la cinquantaine a sonné. Passe encore qu’il fasse confiance au docteur Frank N. Schtein. Mais faut-il vraiment que ces imprudentes fréquentations débouchent sur des triplés aux caractéristiques inégales et parfois monstrueuses ? On ose espérer que la suite qui est promise nous ramènera le Gauthier qu’on avait appris à apprécier.
Il en va de même du nouveau texte de Jean Lemieux, Les conquérants de l’infini2. Comme dans le précédent ouvrage rédigé à l’intention des jeunes, une excellente idée de départ ne parvient pas à s’incarner vraiment. L’infini, thème fascinant s’il en est à l’âge où surgissent les inquiétudes métaphysiques, est tantôt présenté comme une interminable addition de chiffres tantôt comme le lieu où le jeune FX est rendu. Dans les deux cas, l’histoire manque de chair. Les œuvres offertes par Jean Lemieux aux adultes sont de si grande qualité qu’il trouvera bientôt un ton adapté aux jeunes.
1. Gilles Gauthier et Pierre-André Derome, Comment on fait un enfant parfait, La courte échelle, Montréal, 2001, 64 p. ; 8,95 $.
2. Jean Lemieux et Sophie Casson, Les conquérants de l’infini, La courte échelle, Montréal, 2001, 64 p. ; 8,95 $.
Quand l’espace s’amplifie
Si ces derniers arrivages n’égalent pas toujours certaines surabondances du passé, ce qui est aujourd’hui destiné aux jeunes adultes ou aux adolescents persistants, comme on voudra, est d’une richesse incomparable. Comme si la littérature destinée aux jeunes arrivait à maturité et renonçait enfin aux frontières artificielles entre le livre offert aux adolescents et le livre tout court. Si tel est le cas, saluons une tendance heureuse.
Michel Lavoie est de ces éducateurs inventifs et respectueux qui pratiquent la maïeutique littéraire de la plus admirable façon. Il excelle à identifier très tôt les jeunes talents, à leur donner confiance et visibilité. Il possède ce don, inentamé après des années, de s’étonner devant les potentiels tout neufs et de présumer, avec une superbe confiance, qu’ils tiendront parole. Son Évasions, recueil de textes rédigés par de jeunes audaces, fournit la preuve qu’il a raison : il faut, tant certains textes sont intelligemment construits, se redire constamment, avec une sorte d’incrédulité, qu’ils proviennent vraiment d’adolescentes. Car, il faut le constater et y réfléchir, la jeune littérature est affaire féminine.
Michel Lavoie.(sous la dir. de), Évasions, Vents d’Ouest, Hull, 127 p. ; 9,95 $.
Louise Simard (Les chats du parc Yengo) fait partie de ces auteurs qui logent une recherche minutieuse en amont comme en aval de l’imaginaire. Tout comme elle a patrouillé la route de Parramatta avant de raconter l’histoire des patriotes québécois déportés aux antipodes, elle a balisé minutieusement le territoire où se déroulent les aventures de Claude, son aventureuse et généreuse jeune vétérinaire. Le récit y gagne en crédibilité, les valeurs de Claude en solidité.
Louise Simard, Les chats du parc Yengo, Pierre Tisseyre, Montréal, 2001, 144 p. ; 10,95 $.
Dans Les mirages de l’aube, Josée Ouimet fait converger l’un vers l’autre des destins improbables, celui du jeune Français que bouscule la stratification sociale, et celui de la jeune Amérindienne que Jacques Cartier a emmenée en France et qu’il ne parvient pas à protéger comme il le voudrait. Josée Ouimet raconte bien et donne à ses personnages une séduction faite de sincérité un peu naïve et d’indestructible soif de liberté. L’époque renaît de ces pages, sans la sécheresse des manuels d’histoire ni le conformisme des rectitudes politiques.
Josée Ouimet, Les mirages de l’aube, Pierre Tisseyre, Montréal, 2001, 182 p. ; 10,95 $.
Phénomène courant en littérature pour adultes, mais rarissime dans celle qui nous occupe ici, Le cycle de la vie de Sabrina Turmel fait intervenir l’écriture elle-même dans le récit. Le narrateur s’arrête périodiquement et s’interroge sur la justesse de ses décisions et sur la pertinence des difficultés qu’il jette sur la route de ses personnages. Pourquoi, par exemple, a-t-il créé un personnage qui courtise sa Moéra ? Technique sans doute déroutante, mais qui peut, mieux que bien des cours magistraux, faire entrer le jeune public dans le saint des saints, dans ce lieu qui n’est pas un lieu, mais où les personnages créés par un auteur jouissent d’une inconcevable autonomie. Étonnant et certainement fécond.
Sabrina Turmel, Le cycle de la vie, De la Paix, Saint-Alphonse-de-Granby, 2001, 112 p. ; 8,95 $.
Danielle Simard offre un livre aux multiples mérites (Le pouvoir d’Émeraude). C’est pourtant devant une écriture extraordinairement jouissive et devant l’immense tumulte des personnalités mises en mouvement qu’il faut s’incliner. Émeraude, en effet, vit en contact avec une famille élargie où le père brocanteur achète sans doute plus qu’il ne vend, où la mère et ses amies s’abandonnent avec santé à toutes les fantaisies, où un jeune et mystérieux jeune homme séduit toutes les générations. Quand ce Tzigane fait don à Émeraude d’un petit accordéon aux pouvoirs incontrôlables, tout est en place pour la grande aventure. Et, d’un bout à l’autre du livre, déferle une écriture emportée, libre, aux rythmes imprévisibles. Les adolescents qui s’y abandonneront se sentiront conviés à vivre, et leurs aînés se demanderont s’ils n’ont pas raté quelque chose.
Danielle Simard, Le pouvoir d’Émeraude, Pierre Tisseyre, Montréal, 2001, 136 p. ; 10,95 $.
Sylvain Meunier est, lui aussi, de ces auteurs effervescents dont le contact ne peut qu’enrichir et libérer les jeunes générations. L’arche du millénaire aborde, en effet, d’entrée de jeu, à la fois des thèmes aussi modernes que le souci écologique et l’intérêt pour le cosmos tout entier, et aussi éternels que la relation père-fils et l’amour. Quand s’ajoute la jalousie d’un scientifique pour celui qui le dépasse et que se manifeste l’intransigeance sectaire, le jeune Olivier trouve des défis à sa mesure ; ses compétences techniques hors du commun ne suffiront pas à assurer sa survie et la réussite de sa mission. On est ici en présence d’un écrivain doué et qui sait traiter les jeunes comme des pairs.
Sylvain Meunier, L’arche du millénaire, De la Paix, Saint-Alphonse-de-Granby, 2001, 200 p. ; 9,95 $.
Ann Lamontagne, qui aime se colleter avec des thèmes exigeants, s’intéresse dans Sabaya, toujours avec le même doigté, à la réincarnation. Il est fréquent, en pareils cas, de s’adresser surtout à ceux et celles qui acceptent l’hypothèse d’une existence incarnée au fil des siècles dans des enveloppes diverses et de ne pas perdre de salive et d’encre à évangéliser les indécrottables sceptiques. Telle n’est pas l’approche d’Ann Lamontagne. Elle raconte à quiconque veut l’entendre, et il n’est pas facile de se fermer les oreilles, que le Patrick disparu par suicide n’a pas pour autant quitté Sabaya. Il est encore là, tout près, dans une autre enveloppe. L’auteure ne plaide pas, mais elle laisse la possibilité se déployer librement, susciter l’incrédulité ici, l’adhésion là-bas. Si l’on prend en compte que l’écriture d’Ann Lamontagne se soucie du mot juste, de l’expression racée, du clin d’il intelligent, on comprendra qu’il s’agit là d’un bouquin qui, par sa forme autant que par son attitude d’écoute respectueuse, civilise en même temps qu’il intéresse.
Ann Lamontagne, Sabaya, Vents d’Ouest, Hull, 2001, 196 p. ; 9,95 $.
Le père d’Alex est-il L’espion du 307 de Louise-Michelle Sauriol ? Les agents venus l’arrêter l’affirment, mais Alex ne croira pas aisément à la culpabilité de son père. S’engage donc, dès l’arrestation, une enquête certes dangereuse, mais qui fournira à Alex l’occasion de voyager, de s’initier aux mystères des thérapies génétiques et de se faire valoir auprès de l’autre sexe. Les rebondissements sont nombreux, les virages rarement prévisibles, le rythme presque constamment maintenu. Une lecture que toutes les générations peuvent apprécier.
Louise-Michelle Sauriol, L’espion du 307, Vents d’Ouest, Hull, 2001, 168 p. ; 9,95 $.
Terra express de Paula et Ken Dolphin passionnera tous les cybernautes, mais pas eux seulement. La recherche que doivent mener Ursule et Max dans le cadre d’une exigence collégiale les oblige à recourir aux meilleurs logiciels d’exploration géographique. Max, qui ne voit pas Ursule dans sa soupe, laisse sa compagne faire la majeure partie de la rédaction. Il ne s’en tirera pourtant pas si aisément, car Ursule disparaît et le professeur exige de Max qu’il complète le travail. La suite doit autant au monde psychologique qu’à l’informatique. Max, en effet, cherche tout autant le complément d’information requis par le professeur que la trace d’une compagne devenue impressionnante. Ingénieux, moderne, structuré comme une épreuve de décryptage, le bouquin est, de surcroît, très correctement rédigé. Et Ursule, que les machos le sachent, dépasse nettement Max en compétence informatique.
Paula et Ken Dolphin, Terra express, De la Paix, Saint-Alphonse-de-Granby, 2001, 130 p. ; 8,95 $.
Denis Côté, jeune vieux routier de la littérature destinée aux jeunes, entreprend avec La machination du Scorpion noir ce qui deviendra une série à épisodes multiples. Le personnage est, en effet, bâti pour durer et sa famille, qui participe malgré elle à ses tribulations, est équipée de caractéristiques aux applications infinies. Jos Tempête, riche, athlétique, prudent et renseigné, ne parvient pourtant pas à soustraire sa fille Iliade aux sbires à peine humains des mafias asiatiques. Il devra donc, malgré un secret que ne révèle pas ce premier épisode, appeler à la rescousse un trio de mousquetaires rescapés d’aventures anciennes. (L’un d’eux, étonnamment, se prévaudrait de « cent trente kilos de muscles, répartis sur un squelette d’un mètre soixante et un… » ) Ne dévoilons pas le dénouement. On aura quand même compris que Jos Tempête sera pleinement rétabli quand débutera la prochaine tranche de ses aventures. Denis Côté a localisé un filon que bien peu d’auteurs exploiteraient aussi bien que lui.
Denis Côté et Frédéric Rébéna, Les aventures de Jos Tempête, La machination du scorpion noir, Nathan, Paris, 2001, 206 p. ; 12,95 $.
Au départ, André Marois (Les voleurs d’espoir) avait fait ample provision d’atouts plus qu’avantageux : informatique, inquiétude nationale, dépaysement temporel… Cela n’aura pas suffi. Le bouquin, en effet, dérape aisément vers le mauvais goût, le simplisme, la facilité. L’excellent auteur qu’est André Marois demeure ici nettement en-deça de ses possibilités.
André Marois, Les voleurs d’espoir, La courte échelle, Montréal, 2001, 158 p. ; 9,95 $.
Terminons sur deux romans qui, comme les meilleurs de ceux qui viennent d’être évoqués, ignorent la ligne de démarcation entre jeunes et adultes et conviendraient à tous les publics. Le premier, Si deux meurent… de Robert Sutherland, raconte, à cadence rapide, les tribulations d’un jeune couple venu examiner le lointain chalet dont leur famille vient d’hériter. L’accueil de la population locale n’a rien de chaleureux et les menaces deviennent rapidement explicites. Cela ne fera pas reculer Sandy et David, mais les mettra à plusieurs reprises à deux doigts de la mort. Vivant, alerte, ingénieux. Quelques maladresses déparent la traduction.
Robert Sutherland, Si deux meurent…, trad. de l’anglais par Michelle Tisseyre, Pierre Tisseyre, Montréal, 2001, 216 p. ; 34,95 $.
Maryse Pelletier (La fugue de Leila est de ces auteurs dont on peut acheter les livres de confiance, avant même de savoir de quoi exactement ils traitent. Elle excelle à créer l’atmosphère, elle accorde autant d’importance au cadre physique, s’il est pertinent de le faire, qu’aux sentiments enfouis au plus profond des personnalités. À cela s’ajoute une audace stylistique qui se manifeste différemment d’un livre à l’autre, mais qui explore sans cesse de nouveaux recours. Dans un autre livre (L’odeur des pivoines, chez le même éditeur), elle osait remettre en question l’existence d’un personnage et même l’éliminer au beau milieu du récit. Cette fois, elle se permet de clore d’une courte phrase en italique bon nombre des étapes de son récit et de synthétiser de cette manière le sens de ce qui précède. Tous les lecteurs ne goûteront pas cette intervention, mais il est fascinant d’en observer l’efficacité. De toutes manières, Leila est un être si attachant, si mystérieux, si vulnérable aussi, que Vincent, et son lecteur avec lui, a raison de tout entreprendre pour la retrouver, la ramener à son orchestre et à la vie.
Maryse Pelletier, La fugue de Leila, La courte échelle, Montréal, 2001, 156 p. ; 9,95 $.
Cuvée particulièrement alléchante, par conséquent, surtout par les titres qui oublient de se demander à quel public ils appartiennent.
Littérature jeunesse : Un arrivage différent
Pour des motifs qui m’échappent, la plus récente cuvée de livres destinés aux jeunes ressemble peu aux autres. Pas inférieure ni supérieure, mais différente. La courte échelle, dont beaucoup de titres visent d’habitude l’adolescence, adresse cette fois un clin d’œil à la petite enfance. Le Livre de poche et d’autres éditeurs français lancent divers titres sur le marché québécois. Et les albums, presque absents lors du dernier bilan, reviennent en force, grâce surtout à la maison Les 400 coups. Arrivage différent et fort valable.
Puisqu’albums il y a
De la série Puce, qui comprend aumoins quatre titres, je retiens le minuscule album où le minuscule bébé présente son minusculemonde familier : Ma famille. Exception faite de la mère qui a droit à la dernière caresse, les personnes s’éclipsent au profit d’objets familiers aux multiples possibilités de divertissements : un vieux soulier, un chapeau… L’idée de rapetisser celle qui est déjà petite fait finement entrevoir ce qu’une « puce » peut ressentir au pays des géants. Texte et dessin sont en belle harmonie.
Élise Turcotte et Daniel Sylvestre, Puce, Ma famille, La courte échelle, Montréal, 2001, 16 p. ; 6,95 $.
Hop au lit !, que je cueille dans la série Les petites vies d’Apolline, verse dans une pédagogie analogue. Quand vient le temps du dodo de la poupée, Apolline imite à merveille les précautions parentales : elle refuse de donner un bonbon, elle vérifie la visite à la toilette, elle consent à une dernière histoire, mais elle demeure inflexible sur le but de l’exercice, le dodo. Décidément, on comprend mieux ce qu’on enseigne.
Didier Dufresne et Armelle Modéré, Les petites vies d’Apolline, Hop, au lit !, Mango jeunesse, Paris, 2001, 20 p. ; 7,95 $.
Avec Babette Cole, l’apprentissage s’effectue par l’absurde. Les bonnes manières présentent de beaux principes constamment contredits par un naturel qui revient au galop. Le leçon n’est pas perdue, au contraire, car le délirant désordre que cause l’absence de bonnes manières montre avec un sourire à quel point elles sont nécessaires. Autre pédagogie, même objectif.
Babette Cole, Les bonnes manières, Seuil, Paris, 2001, 32 p. ; 19,95 $.
Le petit chef-d’œuvre qu’ont concocté de conserve Carole Tremblay et Josée Masse, Recette de garçon à la sauce pompier, alimentera quant à lui tous les types de taquinerie. Peut-être aussi permettra-t-il de subtils désamorçages de l’éternel sexisme. Les filles, sœurs ou marraines, en profiteront pour souligner les infériorités masculines ; les garçons, jeunes ou vieux, mais tous visés, choisiront ce qui justifie (?) leur indéracinable vanité ; les parents saisiront l’occasion de caresser, d’embrasser, de faire rigoler. Dessins et recettes convergent vers un plaisir communicatif.
Carole Tremblay et Josée Masse, Recette de garçon à la sauce pompier, Les 400 coups, Montréal, 2001, 24 p. ; 7,95 $.
Les bisous explorent avec goût et aisance le merveilleux univers de l’affection offerte et reçue. Tous les baisers se ressemblent ? N’importe quel enfant sait que cela est faux, même s’il est probablement vrai, comme le prétend la maman, qu’un baiser par jour est une pomme d’amour. Pourquoi et comment l’enfant, même s’il en apprécie l’abondance et la diversité, confondrait-il les baisers bruyants de l’oncle, ceux du grand-père dont la barbe pique… et les grands coupsde langue du chien affectueux ? Tous font plaisir, certains plus que d’autres, mais l’important demeure que l’affection s’exprime et qu’on en apprécie l’expression. Le dessin est suffisamment débridé pour toujours relancer l’intérêt vers le prochain baiser.
Angèle Delaunois et Fanny, Les bisous, Les 400 coups, Montréal, 2001, 32 p. ; 9,95 $.
À en juger par Le Noël de Tom, le souvenir des vastes rassemblements familiaux du temps des fêtes n’est pas disparu des mémoires. On veille même, au cas où la tradition orale se perdrait, à montrer comment les choses se passaient quand arrivaient par dizaines les oncles et les tantes, les cousins et les cousines, et que la boustifaille tournait à la surabondance. La reconstitution est d’ailleurs réussie, autant dans le propos que dans le dessin : chacun retrouve, pour une des rares fois de l’année, le cousin préféré qui habite malheureusement trop loin, les inimitiés des temps passés refont surface instantanément, les mères interviennent pour que les chansons se substituent aux taquineries et le coucher s’effectue à temps pour que la cheminée refroidisse et que le Père Noël procède discrètement à sa distribution. À croire que les traditions se ressemblent d’un pays à l’autre au moins une fois l’an.
Colette Hellings et Marie-Aline Bawin, Le Noël de Tom, Mango jeunesse, Paris, 2001, 24 p. ; 13,95 $.
Philippe Béha saisit, avec La Reine rouge, l’occasion d’une étincelante fantaisie. La Reine ne tolère que le rouge et rien ne l’oblige à justifier son choix. Les autres couleurs subissent ses foudres et, s’il n’en tient qu’à elle, elles disparaîtront. Pendant l’affrontement, rien n’obéit aux règles usuelles : les phrases du texte ondulent comme des banderoles emportées par le vent, l’appétit de la Reine s’emporte contre les édifices et bouffe à grands coups de mâchoires les opposants et les défenseurs. Le dessin, rouge et rugissant, débridé à souhait, est puissant et (apparemment) incontrôlé. Le ciel, seul, ne se laisse pas intimider : devenu gris, il fera sentir sa propre colère et contestera le rouge. Un très beau combat qui laisse beaucoup d’espace aux éléments.
Philippe Béha, La Reine rouge, Les 400 coups, Montréal, 2001, 32 p. ; 12,95 $.
Quel enfant n’a pas suivi la course d’un nuage dans le ciel et rêvé de jouer avec lui ? Cédric maintient la tradition et il a la chance, quand il déclare Je veux un nuage !, d’en trouver un qui aime jouer. Si Cédric veut de la pluie, il n’a qu’à peinturer son nuage en gris. Le nuage pleuvra et offrira même un orage. Qu’importe à Cédric si la chambre accueille la mer et si un vilain requin s’attaque à l’ours en peluche. Cédric se tirera d’affaires, mais, loin d’avoir pris une bonne résolution, ce sera pour demander à son nuage de lui offrir une autre saison. Dessin simple et efficace, qui donne le goût à l’enfant de dessiner ses propres fantaisies.
Isabel M. Arqués et Angela Pelaez, trad. par Michelle Nikly, Je veux un nuage !, Nord-Sud, 2001, 28 p. ; 22,95 $.
Avec La légende de Jos Montferrand, on entre dans un monde aux contours un peu flous. Le personnage a existé, au point qu’un édifice porte maintenant son nom et abrite de très sérieux fonctionnaires, ce qui n’est pas accordé à toutes les légendes. L’album dissipe d’ailleurs tout doute quant au renom de l’homme fort. On ne sait trop cependant, et c’est dommage, où s’arrête la réalité et quand la légende ajoute ses embellissements. Il y a risque, me semble-t-il, que les jeunes lecteurs demandent aux aînés ce que la légende contient de vérité et que, faute de repères fiables, les réponses hésitent. Un titre comme Le légendaire Jos Montferrand aurait contourné la difficulté.
Danielle Marcotte et Ninon, Le Légende de Jos Montferrand, Les 400 coups, Montréal, 2001, 44 p.; 14,95 $.
Avec Un héros pour Hildegarde, une fascinante collaboration se poursuit entre une excellente conteuse et un musée qui met intelligemment la culture à la portée de la jeune génération. Après Alfred Pellan et Jean Dallaire, c’est Jean Paul Lemieux qui est mis en valeur par Chrystine Brouillet. Le récit est plus prenant encore que les précédents, car il parvient mieux à établir sa propre cohérence, tout en intégrant avec finesse plusieurs des plus belles réussites du peintre. La meilleure des pédagogies donne ici de merveilleux résultats.
Chrystine Brouillet, Un héros pour Hildegarde, d’après l’œuvre de Jean Paul Lemieux, Musée du Québec, Québec, 2001, 44 p. ; 19,95 $.
La fantaisie fidèle au poste
Auteur récemment apparu dans la littérature jeunesse, Bernard Boucher retient déjà l’attention. Yann et le monstre marin raconte avec souffle et goût une histoire où les jeunes imprudences occupent une place importante, mais dans laquelle des adultes nettement campés sont aussi respectables que dans le quotidien. Personne ne blâmera Yann de tenter l’impossible et tous comprendront l’inquiétude que sa navigation suscite. Le traitement est original, accessible autant que soigné, l’écriture mieux que correcte.
Bernard Boucher et Alain Reno, Les triplets de Gradlon, Yann et le monstre marin, Boréal, Montréal, 2001, 128 p. ; 8,95 $.
Mon cheval de papier raconte une touchante solitude : une allergie interdit l’approche des amis à quatre pattes. Il faudra créer un ami qui ne fasse pas éternuer. L’animal de papier sera différent, mais, en bon compagnon de route et de vie, il accueillera les confidences et ne révélera aucun secret. En raison de la subtile poésie qui imprègne le récit, peut-être la première lecture devrait-elle s’effectuer avec l’aide d’un adulte. Plus tard, le jeune lecteur découvrira tout seul le raffinement du texte.
Brigitte Beaudoin et Pierre Gauthier, Mon cheval de papier, Le Loup de Gouttière, Québec, 2001, 50 p. ; 7,95 $.
Aux confins du conte enchanté et de la dure réalité, des enfants vont à la rencontre d’autres enfants. L’enfant qui tissait des tapis jette, en effet, une passerelle entre les enfants esclaves exploités jusqu’à la mort et ceux d’ici qui ignorent ce drame, mais qui s’ouvrent le cœur pour se préparer à le vaincre. Le récit évite le ton moralisateur et la dramatisation à outrance ; sa poésie suffit à bouleverser. De fort belles illustrations de l’auteure rendront les souvenirs indélébiles.
Sylvie Nicolas, L’enfant qui tissait des tapis, Le Loup de Gouttière, Québec, 2001, 62 p. ; 7,95 $.
Dans Samhain, La nuit sacrée, la lecture détectera peut-être l’influence de Rowlings et de Tolkien. Brièvement et subtilement. Le métier très sûr d’Ann Lamontagne a tôt fait de reprendre ses droits et de construire, une fois de plus, une histoire originale et culturellement riche. L’ordinateur, apparenté spontanément au monde des réalités non négociables, sert de tremplin vers un univers de fantaisie où le Petit Peuple reste fidèle à ses traditions. Ainsi coexistent bellement un ordinateur qui n’aime pas qu’on l’abreuve de chocolat et un monde féérique régi par un étrange code de politesse. Belle et imprévisible rencontre.
Ann Lamontagne, Samhain, La nuit sacrée, Alexandre Stanké, Montréal, 2001, 150 p. ; 14,95 $.
John Bellairs, en proposant La pendule d’Halloween, semble marcher sur les brisées du monde magique de Harry Potter. L’Association des magiciens, par exemple, rappelle de près les écoles de sorcellerie. Mais comment accuser John Bellairs de plagiat, puisque la version originale de son livre date de… 1973 ! Mérite-t-il plutôt, en raison de ses mérites propres, d’être traité en précurseur ? Peut-être pas. John Bellairs raconte bien, mais il ne s’aventure pas dans le monde hallucinant et trouble des puissances maléfiques. En ce sens, il provoque moins de frissons (et de plaisir). Quand même bien ficelé.
John Bellairs, Kévin et les magiciens, La pendule d’Halloween, trad. de l’américain par Nikou Tridon, Du Rocher, Monaco, 2001,233 p. ; 14,95 $.
Dans Julia et le premier cauchemar, la fillette s’endort et rêve. Un cauchemar l’emporte dans ses terreurs et elle risque, si elle n’obtient pas de secours, de finir son existence en « tapis pour danses de sorcières ». Peu réjouissant ! Y a-t-il moyen d’interdire à jamais l’intrusion des cauchemars ? Ce n’est pas si simple. Le récit, qui dépend peut-être trop des aventures précédentes, explore de façon fine et rassurante un univers que certains enfants redoutent. Les illustrations sont sympathiquement échevelées.
Christiane Duchesne et Marie-Louise Gay, Les nuits et les jours de Julia, Julia et le premier cauchemar, Boréal, Montréal, 2001, 51 p. ; 8,95 $.
Le Noël du roi Léon, 8e tome de la série, ne propose pas sa meilleure mésaventure, mais le personnage est toujours suffisamment gaffeur et ses projets assez farfelus pour que sa venue soit toujours un plaisir. Jean-Pierre Davidts demeure fidèle à l’habitude qui marque la série : le jeune lecteur saura, en refermant le livre, ce qui est vérifiable et ce qui appartient à l’imagination.
Jean-Pierre Davidts et Claude Cloutier, Les mésaventures du roi Léon, 8. Le Noël du roi Léon, Boréal, Montréal, 2001, 53 p. ; 8,95 $.
Temps et espace, réel et rêve
Les jeunes ne se limitent pas à l’exploration du trécarré familier. Odile Weulersse, Le chevalier au bouclier vert, déborde généreusement ce cadre pour reconstituer l’époque et les lieux de l’amour courtois, des tournois meurtriers, d’une chevalerie capable du pire comme du magnifique. L’action ne manque pas, mais les personnages sont si irrévocablement typés que l’affrontement semble un duel entre le bien et le mal. Duel dont l’issue tardera peut-être, mais ne surprendra pas. L’écriture est fluide à souhait, mais le jeune lecteur québécois peinera peut-être à s’insérer dans un vocabulaire parfois spécialisé.
Odile Weulersse et Yves Beaujard, Le chevalier au bouclier vert, Hachette/Le livre de poche, Paris, 2001, 283 p. ; 9,95 $.
Autre bouquind’origine française, Le tigre est libre ce soir s’en tient à notre époque, mais il la déborde grâce à l’étrange aptitude de l’héroïne à envahir la vie et les pensées de ses interlocuteurs. Quand ce regard décide de fouailler, rien ne lui résiste, pas même sa propriétaire, la très dynamique Lou. On notera les niveaux de langage et les différentes lisibilités. Le début donne lieu à un déferlement de verlan et d’argot ; on y survit à peine. Puis, les choses se calment et l’auteure et ses lecteurs d’ici communiquent dans la même langue.
Isbelle Dominguez, Lou Hendrix, Tome 1, Le tigre est libre ce soir, Michel Lafon, Île de la Jatte, 2001, 238 p. ; 19,95 $.
Avec une magnifique désinvolture, Claude D’Astous, La vallée aux licornes, présume qu’il n’est pas nécessaire d’expliquer qui sont les licornes. Bien maladroit serait d’ailleurs celui qui freinerait un magnifique dépaysement pour exiger la fiche signalétique de ces animaux fabuleux. Claude D’Astous dose à merveille les incursions dans les relations classiques (?) entre fées et licornes et les retours brutaux dans ce monde où les parents, toujours tatillons, ne veulent pas d’uncheval dans leur salon. À lire Claude D’Astous, maints parents reprendront espoir : peut-être leur adolescente volcanique est-elle une fée qui s’ignore.
Claude D’Astous, Jocelyne Thiffault et Diane Lacasse, La vallée aux licornes, Pierre Tisseyre, Montréal, 2001, 160 p. ; 8,95 $.
La faille de Vadran évoque une terre que l’auteure situe dans un lointain avenir. L’histoire est raisonnablement agencée, mais aboutit au prévisible. L’orthographe et la ponctuation plus encore sont si malmenées que l’intérêt y perd.
Stéphanie Paquin, La faille de Vadran, GGC, Sherbrooke, 2001, 172 p. ; 12,95 $.
Courte escale réaliste
Deux petits livres ramènent sur terre d’utile et d’agréable manière. L’animal secret recourt au bon vieux truc du jugement téméraire : l’enfant, sur la foi d’une conversation interceptée, conclut que sa mère part en guerre contre un monstre. L’inquiétude se dissipera quand on connaîtra l’identité de la bête. Fort bien fait et solidement documenté.
Danielle Simard et Bruno St-Aubin, L’animal secret, Michel Quintin, Montréal, 2001, 43 p. ; 7,95 $.
À toutes fins utiles, c’est un véritable cours sur le soin des oiseaux de compagnie que propose Mieux connaître, Mieux aimer mon oiseau de Liz Palika. Tout se loge dans une plaquette d’une soixantaine de pages où les illustrations apportent un éclairage abondant et utile. De quoi changer la vie de l’oiseau de compagnie… et celle de sa compagnie.
Liz Palika, Mieux connaître, Mieux aimer mon oiseau, Michel Quintin, Montréal, 2001, 64 p. ; 9,95 $.
À la croisée des générations
La littérature offerte aux jeunes taille une place généreuse au paternalisme de la jeune génération. Après tout, les adultes sont si peu débrouillards.
Quand Guillaume lance tout azimut son SOS, Un amoureux pour ma mère, tous les espoirs et toutes les craintes sont de mise. Certes, Guillaume pardonne à sa mère d’appartenir à l’époque d’avant la bonne musique, mais il n’est pas dit que les préférences de la mère et du fils coïncideront toujours. Le récit coule de source, les personnages sont plausibles et attachants, l’écriture adaptée.
François Beaulieu, SOS, Un amoureux pour ma mère, Vents d’Ouest, Hull, 2001, 161 p. ; 9,95 $.
C’est pur hasard si Charlotte échange son sac contre celui dans lequel le premier ministre transporte le texte confidentiel de la future politique d’éducation. Indiscrétion bien involontaire, par conséquent, mais qui lance Dominique Demers dans une autre de ses performances polyvalentes. Si, en effet, le récit de Une drôle de ministre demeure léger, fantaisiste, presque aérien, la réflexion pédagogique le traverse avec force. Dominique Demers confirme ainsi, sans s’appesantir sur la leçon, les théories de sa demoiselle Charlotte : le rêve aussi est éducatif.
Dominique Demers, Une drôle de ministre, Québec Amérique, Montréal, 2001, 128 p. ; 8,95 $.
Qu’on se le dise, Momo de Sinro est de retour avec Première blonde pour Momo de Sinro. Pour la troisième fois, François Barcelo l’invite à réussir une première. La conquête de Jessica mérite tous les sacrifices et Momo le reconnaît sans ambages, mais, quand même, n’est-ce pas payer un prix exorbitant que de participer à une épreuve cycliste avec un vélo defille ? François Barcelo, égal à lui-même, parvient comme par magie à faire sourire les adultes sans jamais ridiculiser ses jeunes lecteurs. Art difficile que celui de l’humour sans victime.
François Barcelo, Première blonde pour Momo de Sinro, Québec Amérique, Montréal, 2001, 140 p. ; 8,95 $.
Le mystère dumanoir de Glandicourt constitue une lecture aux multiples versants agréables. Le premier, c’est que Hervé Gagnon progresse à grands pas d’un bouquin à l’autre. Il n’y a pas de commune mesure entre son premier et celui-ci. L’autre plaisir, que l’auteur met lui-même en exergue, c’est l’adjonction d’un jeune copilote dans le compte rendu de l’enquête en cours comme dans l’enquête elle-même. L’enquêteur est rescapé jusqu’à la fin par un fils plus déluré que lui ; le romancier, quant à lui, est fier de proclamer sa dette à l’égard de la jeune génération. Le livre, de bon niveau, n’en devient que plus sympathique : la réussite est honnêtement partagée.
Hervé Gagnon et Thomas Kirkman-Gagnon, Le mystère du manoir de Glandicourt, GGC, Sherbrooke, 2001, 268 p. ; 12,95 $.
Des vies parfois ardues
Le Christophe d’Hélène Gagnier, La longue attente de Christophe, entre dans la vie par une toute petite porte : parents disparus, famille d’accueil plutôt mesquine, petits emplois précaires et plus originaux que prudents… Seul espoir : l’improbable retour du père. Les personnages sont, dans l’ensemble, plausibles, même si certains virages font un peu grincer la psychologie. L’atmosphère est lourde, presque trop, mais elle rend presque tangible le chagrin de Christophe. De quoi prouver à bien des jeunes lecteurs qu’il y a pire que leur sort.
Hélène Gagnier, La longue attente de Christophe, Pierre Tisseyre, Montréal, 2001, 126 p. ; 8,95 $.
Gudule, que le public européen semble apprécier grandement, s’attaque, avec La vie à reculons, à un drame dont l’intensité ne diminue pas en touchant une société plutôt que l’autre. En ce sens, le récit destiné à la francophonie européenne rejoint les adolescents de partout. Là-bas ou ici, l’adolescent séropositif risque une effarante solitude, se heurte aux préjugés de l’école et de l’entourage, s’autorise tous les dérapages comme de légitimes compensations. La lecture sera entravée par le langage des plus jeunes personnages : il n’est pas plus exportable que peut l’être un certain joual…
Gudule, La vie à reculons, Hachette/Livre de poche, Paris, 2001, 189 p. ; 9,50 $.
Il y a pourtant moyen d’exprimer des sentiments semblables dans une langue universellement compréhensible et Véronique Massenot, Lettres à une disparue le démontre d’émouvante façon. Dans une Argentine sous la coupe de l’arbitraire militaire, les disparitions blessent plus cruellement encore que les meurtres. La mère dont l’enfant a été enlevée ne sait plus si elle espère en vain. Elle écrit d’admirables lettres à celle qui, peut-être, n’existe plus, mais ne peut les poster. Si l’incertitude se résorbe un jour, il sera toujours temps de le faire. Beau petit livre au ton juste.
Véronique Massenot, Lettres à une disparue, Hachette/Livre de poche, Paris, 2001, 90 p. ; 7,95 $.
Audace et consolation
Tout comme la disparition du mur de Berlin a ouvert le marché littéraire à des œuvres boudées par les censeurs de Moscou, le vent qui souffle sur la littérature jeunesse suscite des œuvres inattendues et des explorations audacieuses. Les tendances lourdes conservent cependant leurs auditoires. Le paysage s’en trouve sainement contrasté.
Nourrir la curiosité
La curiosité n’existerait pas que l’enfant l’inventerait. Sans elle, comment rattraper la société des adultes, se mettre au diapason et, qui sait, prendre une longueur d’avance sur ceux qui boudent les questions ? Tant mieux si les livres nourrissent cette curiosité. Dans la collection « Savais-tu ? », c’est au tour des crocodiles de révéler leurs secrets avec Savais-tu les crocodiles ?1 Ils le font avec bonne humeur, ne cachant pas leur voracité, mais en expliquant que chaque espèce doit pondre ses œufs, grandir, communiquer, vivre en bande ou en couple, manger tout le mangeable. D’un titre à l’autre, les caricatures de Sampar servent le texte d’Alain M. Bergeron et Michel Quintin de plus près. Un flot d’informations déferle et l’humour en facilite la rétention. Leïla, enfant touarègue2 s’inscrit dans la série « Enfants du monde » et initie aux mondes méconnus. Les auteurs Hervé Giraud et Jean-Charles Rey ont d’emblée troqué l’exotisme de pacotille contre le regard amical sur l’humain différent de soi. Texte et photographies pratiquent dépaysement et respect. Les images déconcerteront les enfants d’un Occident sédentarisé et englué dans son confort, puis provoqueront questions et compréhension. L’eau, la condition féminine, la transhumance, le désert et le soleil incandescent, autant de facettes de l’univers touarègue qui éveilleront l’enfant aux persistantes différences culturelles.
1. Alain M. Bergeron, Michel Quintin et Sampar, Savais-tu les crocodiles ?, T. 10, Michel Quintin, Montréal, 2002, 64 p. ; 7,95 $.
2. Hervé Giraud et Jean-Charles Rey, Leïla, enfant touarègue, PEMF, Mouans-Sartoux, 2002, 20 p. ; 10,95 $.
Le conte du petit Amazigh de Wahmed Ben Younès choisit une autre tonalité. Le récit, bilingue, sonne comme un chant de résistance. La langue et la culture berbères sont menacées par un monstre à sept têtes qu’il semble futile de nommer. Le jeune lecteur s’étonnera du fossé linguistique et admettra que chaque collectivité a droit à son âme et à l’expression de son âme. Qu’il soit cependant permis de s’interroger sur ce recours un peu grinçant à la satanisation pour défendre une langue et une culture auprès des enfants. Le conte et la légende pourraient sensibiliser sans cette lourde insistance.
Wahmed Ben Younès, Conte du petit Amazigh, Le Figuier, Québec, 2002, 48 p. avec CD.
Vulgarisateurs de renom, John Crossingham et Bobbie Kalman examinent cette fois le phénomène de la migration. Les exemples pullulent, depuis les parcours de l’anguille jusqu’aux vols transcontinentaux des bernaches ou des sternes. Peut-être même l’observation a-t-elle perdu en précision ce qu’elle a gagné en diversité. Dans La migration, on mentionne, en effet, plus qu’on explique. Le splendide monarque ne reçoit qu’une mention laconique. Les lemmings ne livrent à peu près rien de leur mystère. La noyade de milliers de caribous n’est pas éclairée par la recherche. Peut-être l’intention était-elle de s’adresser à des jeunes qui découvrent le phénomène ; ceux dont la curiosité était déjà aiguisée resteront sur leur faim.
John Crossingham et Bobbie Kalman, La migration, trad. de l’anglais par Paul Rivard, Banjo, Mont-Royal, 2002, 32 p. ; 8,95 $.
Avec Pierre Chastenay, la précision est au poste. Je deviens astronome guidera l’astronome amateur, en plus de constituer une source de motivation. Car l’auteur parle d’astronomie avec une ferveur communicative, avec cette foi qui suscite l’engagement scientifique. Les principaux instruments d’observation, cherche-étoile, lunettes ou télescope, sont présentés, décrits, démystifiés. Leurs talents sont comparés, leur coût aussi. Les précautions, indispensables face au soleil, sont formulées et reformulées, avec l’insistance d’une lucide pédagogie. Pédagogie qui fournira des trucs mnémotechniques pour distinguer les premier et dernier quartiers de la Lune. Les distinctions, dont l’enfant s’enorgueillira vite pour éblouir ses géniteurs, sont clairement établies entre planètes, étoiles, satellites, étoiles filantes. À peine reprochera-t-on à l’auteur, emporté par son enthousiasme, d’omettre certaines explications, comme celle que requerrait la lune « gibbeuse ». Un bel album illuminé par une passion, une curiosité qui consent à la rigueur.
Pierre Chastenay, Je deviens astronome, Michel Quintin, Montréal, 2002, 48 p. ; 24,95 $.
Quand coule la fantaisie
Curiosité et fantaisie s’unissent parfois pour cheminer de conserve. C’est le cas quand Gilles Tibo emprunte les yeux du Petit Bonhomme pour identifier tantôt ses mots (Les mots du Petit Bonhomme1), tantôt ses musiques (Les musiques du Petit Bonhomme2). Quiconque observe l’enfant s’aperçoit, en effet, qu’il gobe avec une sereine boulimie lettres, mots, bruits. Il sait que les mots ont une maison. Il a, lui, sa voix intérieure. Il étiquette mentalement les objets qui l’entourent et dresse l’inventaire des sons produits par les mains ou les jouets. Les préfaces des deux albums, l’une rédigée par la violoniste Angèle Dubeau, l’autre par le génial Sol, confirment que musiques et mots s’offrent à l’enfant infiniment plus intensément et plus vite qu’il n’y paraît. Dessin et texte pétillent d’intelligence.
1. Gilles Tibo et Marie-Claude Favreau, Les mots du Petit Bonhomme, Québec Amérique, Montréal, 2002, 48 p. ; 12,95 $.
2. Gilles Tibo et Marie-Claude Favreau, Les musiques du Petit Bonhomme, Québec Amérique, Montréal, 2002, 48 p. ; 12,95 $.
L’abécédaire des pays imaginaires de Réjane Bougé et Maude Bonenfant, bel et exigeant album, offre sa fantaisie et ses richesses à ceux et celles qui savent lire comme on goûte. Peu de profit pour ceux qui confondent lecture et course fébrile. L’humour, en effet, y est fin, recherché, dissimulé au détour des mots et des phrases. La curiosité doit se faire attentive, ralentir, s’habituer aux tonalités du conte. Heureusement, une découverte souriante récompensera chaque temps d’arrêt et chacune des relectures. Ce serait sous-estimer les jeunes que de les croire incapables d’accéder à un imaginaire intelligent et un peu codé. Pourquoi, d’ailleurs, ne pas lire l’album avec eux ?
Réjane Bougé et Maude Bonenfant, L’abécédaire des pays imaginaires, Les Heures bleues, Montréal, 64 p. ; 19,95 $.
Autre album qui invite à une lecture partagée, L’auberge de Nulle Part de J. Patrick Lewis et Roberto Innocenti. Illustrations et texte multiplient les détours pour évoquer la meilleure littérature. Les lecteurs qui fréquentent cette auberge y stimulent leur imagination, car les grands conteurs y délèguent leurs personnages. Dans tel coin, Huckleberry Finn. Dans un autre, la Petite Sirène. Et là-bas, est-ce l’aviateur du Petit Prince ? Et là, Don Quichotte ? Pour peu qu’un adulte aide à décoder les allusions, le passage dans cette étrange auberge constituera un tremplin vers les indispensables lectures qui y sont évoquées, celles de Charles Dickens, d’Italo Calvino, d’Emily Dickenson, de Cervantès… Permission est donc accordée à l’adulte de lire l’album en cachette et de guider ensuite la jeune génération à travers une galerie de chefs-d’œuvre littéraires. Roberto Innocenti, à lui seul, justifierait la contemplation de l’album.
J. Patrick Lewis et Roberto Innocenti, L’auberge de Nulle Part, Gallimard, Paris, 2002, 48 p. ; 24,95 $.
L’humour et ses modulations
Grosse commande pour le lutin Barouf dans Barouf au pôle Nord : à la demande du père Noël, il doit combler le rêve d’une fille de cheikh, rien de moins qu’un Noël neigeux dans le désert. Avec l’aide de l’oie blanche Kéra, qui lui sert de fusée porteuse, Barouf part en mission. Des collaborations inattendues lui porteront secours et l’imagination fera le reste. L’auteure Sonia Sarfati, aussi à l’aise lorsqu’elle quitte le monde du vraisemblable que lorsqu’elle crée des personnages plausibles, écrit bellement, efficacement, avec finesse.
Sonia Sarfati et Jacques Goldstyn, Barouf au pôle Nord, La courte échelle, Montréal, 2002, 64 p. ; 8,95 $.
Roddy Doyle, dans Le chien au nez rouge, lance son humour vers tout ce qui bouge, y compris son lecteur. Il taquine celui qui le lit, lui impose des messages publicitaires délirants, retricote son début, multiplie les précisions loufoques et aboutit à une drôlerie alerte et soutenue. C’était une trouvaille que de substituer le chien Flannigan, imprévisible et gavroche, au renne Rodolphe tombé malade juste avant la distribution des cadeaux de Noël. Mais une trouvaille ne serait que cela si elle s’essoufflait en quelques pages. Ce que réussit Roddy Doyle exige un autre souffle : le délire dure 160 pages, le rythme ne faiblit pas, la truculence prend le relais des pitreries, la géographie se montre conciliante et les négociations entre Flannigan et le père Noël tournent à la caricature. De quoi rigoler.
Roddy Doyle et Brian Ajhar, Le chien au nez rouge, Scholastic, trad. de l’anglais par Groupe Syntagme, 2002, 160 p. ; 8,99 $.
D’après Muzo, même une petite sorcière peut devenir amoureuse. Dans Amanda Crapota, Le philtre d’amour, celle-ci envisage d’ailleurs avec optimisme la conquête du garçon qui lui plaît, car elle sait quel philtre cacher dans le gâteau offert au désirable garçon. Ce n’est pourtant pas si simple de prévoir les caprices de la jeune nature humaine et Amanda, toute sorcière qu’elle soit, aura des surprises. Texte simple, dessins presque rudimentaires, mais situation propice à de sympathiques malentendus.
Muzo, Amanda Crapota, Le philtre d’amour, Albin Michel, Paris, 2002, 30 p. ; 7,95 $.
Peut-être l’album de Dominique Demers et Hélène Desputeaux, Pour Noël, Damien veut un chien, devrait-il porter un avertissement : « Danger. Ceci peut inciter vos enfants à imiter Damien ! » Que Damien veuille un toutou pour Noël, on le conçoit. Qu’une mère soit réticente à l’idée d’accueillir dans sa maison un ouragan de poils, on le conçoit également. Que le père, qui ne s’occupera probablement pas de ramasser les dégâts, pactise un peu lâchement avec la demande et obtienne qu’un tout petit chien serve de compromis, cela aussi est imaginable. Ce qui était moins prévisible, c’était que l’énorme et tumultueuse Bavette, au grand dam de la mère, remplace la minuscule bête à laquelle celle-ci se résignait. Bavette saura-t-elle se faire accepter ? Il semble que oui. Le dessin d’Hélène Desputeaux, superbement effervescent, montre pourtant que Damien et son monstre appelé Bavette constituent un redoutable défi à l’ordre maternel. Vous aurez été avertis !
Dominique Demers et Hélène Desputeaux, Pour Noël, Damien veut un chien, Les 400 coups, Montréal, 2002, 32 p. ; 12,95 $.
Contes et mystères
Quel cadeau plairait à la reine Aurore boréale ? C’est ce que Rose cherche à savoir dans Le cadeau de Rose, car cela la tirerait de son isolement et de sa pauvreté. Hélas ! Elle est, à la manière de Cendrillon, en concurrence avec des gens riches. L’amitié que lui porte l’étoile Églantine viendra à son aide. Texte simple de Louise Burgoyne, atmosphère bien créée, solution un peu étonnante puisque l’amitié entre Rose et Églantine semble en faire les frais.
Louise Burgoyne et Denise Bourgeois, Le cadeau de Rose, Bouton d’or Acadie, Moncton, 2002, 72 p. ; 8,95 $.
Avant même de naître, Le piano muet était voué au succès. Texte (de Gilles Vigneault), musique (de Denis Gougeon) et illustrations (de Gérard Dubois) étant tous de bon calibre, l’album, de fait, mérite des éloges. L’ensemble est sobre, contenu, pudique : ce qui a fait taire le piano ne se raconte pas à coups de superlatifs ou de trompette, ni dans le fracas des couleurs violentes. Écouter livre à la main la version sonore qu’offre le CD rappellera l’atmosphère de Pierre et le loup et montrera à quel point une osmose a agi entre l’élégance du texte, l’ocre feutré des illustrations et la capacité d’évocation de la musique.
Gilles Vigneault, Denis Gougeon et Gérard Dubois, Le piano muet, Fides, Montréal, 2002, 52 p. avec CD ; 24,95 $.
Il fallait beaucoup d’imagination et de générosité pour rendre émouvant le cri grinçant du corbeau. C’est chose faite, grâce à La légende du corbeau d’Isabelle Larouche et Julie Rémillard-Bélanger. Beau conte où le croassement rappelle aux chasseurs de ne rien oublier en quittant leur igloo. Puisqu’il y va de leur vie d’écouter le corbeau, une forme de reconnaissance apaise les protestations de l’oreille.
Isabelle Larouche et Julie Rémillard-Bélanger, La légende du corbeau, trad. en inuttitut de Sarah Beaulne, Éditions du soleil de minuit, 2002, 24 p. ; 8,95 $.
Sagas en germes ou épanouies
Depuis que Harry Potter a prouvé que les jeunes peuvent ingurgiter des récits interminables, des sagas naissent ou renaissent. Toutes ne méritent pas de passer à la postérité.
À en juger par le deuxième tome des aventures du génial Artemis Fowl, Artemis Fowl, La mission polaire, ce n’est pas demain la veille que ce surdoué habitera un univers minimalement prévisible et constant. On passe de la mafia russe à un centaure responsable des services d’espionnage, d’un nain cambrioleur pestilentiel à des policières qui guérissent comme des elfes, avec le résultat que la logique ne vaut pas plus cher que celle d’un Nintendo. Si un des bons (?) a des ennuis, Eoin Colfer modifie le cours des choses pour inventer l’antidote, l’allié, le miracle qui permettront de recoudre le doigt amputé ou de réactiver miraculeusement les armes frappées d’inefficacité dans le chapitre précédent. Le réalisateur de cinéma qui préfère les effets spéciaux à un scénario intelligible trouvera ici de quoi s’inspirer.
Eoin Colfer, Artemis Fowl, T. 2 : Mission polaire, trad. de l’anglais par Jean-François Ménard, Gallimard, Paris, 2002, 357 p. ; 23,95 $.
La princesse au dragon de Marion Zimmer Bradley ne correspond pas, du moins pas dans son gabarit actuel, à la famille des sagas. Cependant, le récit laisse la porte ouverte à des tomes ultérieurs. Apprécions déjà l’ancrage du projet dans un monde médiéval. Un code existe, éprouvé par le temps, qu’on ne saurait enfreindre ; cela, qui ne stérilise pas l’imagination, empêche de confondre arbitraire et fantaisie, facilité et liberté. On campe dans le virtuel, mais des balises existent qui valorisent l’élégance.
Marion Zimmer Bradley, La princesse au dragon, Du Rocher, Monaco, 2002, trad. de l’américain par Monique Lebailly, 105 p. ; 14,95 $.
Beau récit libre et cohérent, Le phare d’Isis de Monica Hughes hisse le fantastique à son meilleur niveau. Oui, Isis est située à plusieurs parsecs de la Terre. Oui, des Terriens, chassés par la pollution de la planète autrefois bleue, débarquent sur Isis. Oui, un jeune Terrien admire jusqu’à l’attachement l’énigmatique Nolwenn qui fut, des années durant, gardienne du phare d’Isis. Clichés à la tonne ? Attention ! Nolwenn est admirablement adaptée aux exigences d’Isis, mais à quel prix a-t-elle acquis cette protection ? Des mutations, indispensables et marquantes, provoquées ou lentement subies, en auraient-elles fait une femme moins attirante ? Mark, le Terrien, devra affronter la question ; Nolwenn aussi. Le fantastique aborde ici les questions fondamentales : la différence, la tolérance, les préjugés. Une saga dont on désire déjà la suite.
Monica Hughes, Le phare d’Isis, trad. de l’anglais par Jean-Louis Trudel, Médiaspaul, Montréal, 2002, 271 p. ; 12,95 $.
Aux frontières des hypothèses
Le mystère des marais de Michel Lebœuf fait penser à l’univers de Kafka. Une métamorphose a lieu et le héros se retrouve grenouille. Son horizon se réduit à trois objectifs, précis et exigeants : manger, ne pas être mangé, perpétuer l’espèce. Et ces règles contraignent comme si, dans nos gênes, subsistait la trace d’anciens impératifs. Récit troublant et solidement construit.
Michel Lebœuf, Le mystère du marais, Michel Quintin, Montréal, 2002, 112 p. ; 8,95 $.
Dans L’aigle et le héros de Colette Quesnel, les mythes sont mis à contribution. Les valeurs aussi. Combien de collectivités ont consenti, lors d’une invasion, à s’en remettre à ceux qui, hier encore, inspiraient la méfiance ? Face aux cyclopes, doit-on parier sur la paix et la coexistence ou sur la peur et la fuite ? Affrontement entre des cyclopes dignes d’Homère et un jeune héros moins arrogant qu’Ulysse, mais aussi efficace.
Colette Quesnel, L’aigle et le héros, De la Paix, Saint-Alphonse-de-Granby, 2002, 72 p. ; 8,95 $.
Le diable a beau avoir vieilli, il a conservé sa séduction. Dans Le Diable et l’istorlet, il impose encore sa magie et son arbitraire. Il intervient, en tout cas, dans les centres de recherche les plus modernes, ridiculise les raisonnements scientifiques, autorise ou interdit les voyages qui carburent à la pensée. Luc Pouliot maîtrise ces constantes. Mais, s’il gère bien les règles du jeu, il ne rend pas son diable suffisamment menaçant.
Luc Pouliot, Le Diable et l’istorlet, Hurtubise HMH, Montréal, 2002, 152 p. ; 9,95 $.
Deux bouquins démontrent qu’en matière de littérature la relève est aux portes. Anne Prud’homme, tôt entrée en littérature, confirme son talent. L’intrigue de La cible humaine est tricotée serrée, diverses pistes demeurent également plausibles et menaçantes, on ne sait s’il faut présumer le bon sens du héros ou, au contraire, douter de son équilibre. Indice sûr d’une croissante maturité littéraire, Anne Prud’homme termine son récit en renvoyant le lecteur à ses doutes. Et donc à son plaisir.
Anne Prud’homme, La cible humaine, Vents d’Ouest, Hull, 2002, 146 p. ; 9,95 $.
Fort de l’exemple d’Anne Prud’homme, l’admirable éducateur qu’est Michel Lavoie pousse de nouvelles cohortes à l’écriture. Le défi regroupe dans cet esprit les textes de neuf jeunes filles (où sont les garçons ?) dont plusieurs méritent déjà une reconnaissance publique. Beaucoup d’originalité dans le déploiement des thèmes et des enjeux.
Michel Lavoie (sous la dir. de), Le défi, Vents d’Ouest, Hull, 2002, 164 p. ; 9,95 $.
À proximité du quotidien
À côté du fantastique et de la fantaisie, le réel, toujours résistant, conserve son emprise.
Si Émile veut un petit frère, son lapin Clico risque de perdre sa place. Drame. Le récit de Kathleen Michaud se débarrasse un peu vite du bébé trouvé par hasard et qui menaçait de s’incruster. Dessin expressif, mais peu délié.
Kathleen Michaud et Éric Bertrand, Émile veut un petit frère, Sedes, Paris, 2002, 16 p. ; 7,95 $.
Belles questions de Raymonde Painchaud à propos de l’origine des livres dans D’où viennent les livres ? Le rôle de la bibliothécaire est mis en relief, car c’est vers elle que convergent les demandes. Où trouve-t-elle les récits qu’on lui demande ? Les écrit-elle elle-même ou bénéficie-t-elle de connivences privilégiées avec des auteurs ? Et si le livre naît sur demande, comment savoir si on est écrivaine ? Avant d’avoir écrit ou après ? Certaines réflexions détonnent un peu dans un texte destiné à la jeune génération, mais si rarement que je ne l’ai pas dit.
Raymonde Painchaud et Marie-Claude Favreau, D’où viennent les livres ?, Pierre Tisseyre, Montréal, 2002, 72 p. ; 7,95 $.
J’ai vendu ma sœur (Danielle Simard), clame fièrement Noé, certain que ses parents seront contents eux aussi d’être débarrassés d’une petite chipie qui crie, griffe et mord. Il se trompe, bien sûr, mais comment le blâmer quand on connaît Zoé ? Vivant, drôle, sainement indéfendable.
Danielle Simard, J’ai vendu ma sœur, Soulières, Saint-Lambert, 2002, 64 p ; 7,95 $.
Avec Galoche chez les Meloche d’Yvon Brochu et David Lemelin, une prometteuse série prend son envol. Le chien Galoche, comploteur né, entend éliminer le dénommé Jérémie pour lequel sa maîtresse Émilie éprouve un faible. Drôle, explosif, d’un parfait naturel.
Yvon Brochu et David Lemelin, Galoche chez les Meloche, FouLire, Sainte-Foy, 2002, 120 p. ; 8,95 $.
Et deux conclusions
On a bien fait, au Loup de Gouttière, de ne pas arborer le titre de « Contes philosophiques ». Certes, Les contes d’Audrey-Anne de Marie-France Daniel et Marc Mongeau débordent de questionnements vitaux, mais la philosophie fait souvent peur. Oublions donc le titre et allons à l’essentiel. Ce dense petit bouquin serait signé par Socrate qu’on ne sursauterait pas. Il sonde les comportements, provoque la réflexion sur les différences, invite à justifier le besoin d’intimité, regarde en face nos propensions à la violence… Tout cela sans conclure, tout cela sur le mode interrogatif. De quoi alimenter les discussions en maternelle, en classe et, pourquoi pas, à la table familiale ?
Marie-France Daniel et Marc Mongeau, Les Contes d’Audrey-Anne, Le Loup de Gouttière, Québec, 2002, 112 p. ; 9,95 $.
Nouveau roman de Charlotte Gingras, nouvelle réussite. La fille de la forêt manifeste une fois encore l’extraordinaire aptitude de l’auteure à mettre en scène des personnages vrais, à abolir les frontières entre l’auditoire adolescent et les prétentions adultes, à résorber les pires problèmes de communication humaine sans sacrifier à la facilité ou au jovialisme. Charlotte Gingras s’attaque à ce qui, au départ, semble insurmontable : l’énorme fossé entre une jeune fille chassée de sa forêt et de ses lacs et le monde urbain où tant de gens confondent vie et clinquant, compassion et dames patronnesses. La distance s’amenuise parce que s’effectue un merveilleux travail de sape et d’apprivoisement qui érode l’incompréhension. Des passerelles sont alors lancées qui conduisent au respect, à la confiance, à la générosité des pactes cordiaux.
Charlotte Gingras, La fille de la forêt, La courte échelle, Montréal, 2002, 160 p. ; 9,95 $.
Trente titres, vingt-quatre éditeurs, comment ne pas y trouver son compte ?
Une littérature jeunesse aux mille séductions
L’influence de Harry Potter agit encore, mais la littérature offerte aux jeunes s’aligne déjà moins sur le modèle dominant. Elle l’apprête plus librement selon sa fantaisie et sa créativité. Certaines tendances en profitent pour prendre ou reprendre de la vigueur. Par exemple, les contacts interculturels et les voyages dans le temps.
Vite le dépaysement !
Rien de tel qu’un album pour se plonger doucement dans la littérature des jeunes générations. Surtout s’il associe la poésie chaleureuse d’Henriette Major et les effervescentes illustrations de Philippe Béha. On lit quelques lignes de J’aime les poèmes, l’œil glisse vers les collages, on revient au poème, on retourne aux couleurs et à leurs audaces, avec un enchantement constant. Que deux vétérans de la littérature juvénile plaisent à ce point après tant de rencontres en dit long sur leur attachement à l’enfance.
Henriette Major et Philippe Béha, J’aime les poèmes, Hurtubise HMH, Montréal, 2002, non paginé ; 24,95 $.
La moustache magique intervient à plusieurs reprises dans ce délirant album de Gary Barwin et Stéphane Jorisch, chaque fois pour servir d’échelle à un nez vagabond. Elle pousse et repousse, cette moustache, s’étire selon les dangers, reprend à zéro sa croissance interrompue, sert aux escalades du nez explorateur, se laisse tailler sans mot dire quand le nez veut couper la voie à son poursuivant. Le jour viendra où la course s’apaisera et où le vagabondage débouchera sur… quelque chose ! À chacun d’aller voir. Le dessin est magnifique de fantaisie, l’allusion à un conte classique sert de guide discret. Comme le corps et le visage accordent toute liberté à leurs composantes, les yeux, la bouche, les dents et le nez bien sûr en profitent pour un turbulent tour de piste. Superbe.
Gary Barwin et Stéphane Jorisch, La moustache magique, Les 400 coups, Montréal, 2003, 32 p. ; 12,95 $.
Dans Le prince des marais, l’humour de Robert Soulières inverse la magie d’un des plus célèbres contes de fées. Le prince charmant, personnage normalement porteur de bonheur, s’ennuie à mourir. Il sollicite en vain le baiser de la princesse. La marraine, un peu contre son gré, apportera son aide, une aide inattendue. Le procédé choisi par Stéphane Bourrelle pour les illustrations évoque à la fois le monde de la vie quotidienne et celui, équivoque et flottant, des improbables légendes.
Robert Soulières et Stéphane Bourrelle, Le prince des marais, Les 400 coups, Montréal, 2002, 32 p. ; 12,95 $.
De l’enquête à la création
Clan compact et secret, les Moutons noirs n’admettent que les aspirants à la parole sans faille dans Les Moutons noirs enquêtent de Dominique Patenaude et Jocelyne Bouchard. Quand Céleste, à peine franchie l’initiation, s’enferre dans les mensonges, le groupe est déçu et choqué. On n’a rien contre les joueurs de tours, mais on ne saurait pardonner à qui a promis, puis trahi. Enquête plausible, déroutante et dont le terme, pourtant logique, servira de test à la maturité des Moutons noirs.
Dominique Patenaude et Jocelyne Bouchard, Les Moutons noirs enquêtent, Michel Quintin, Montréal, 2002, 104 p. ; 8,95 $.
On vante tellement l’inoxydable sérénité des grands-parents qu’on sourira aux relations agitées qu’entretiennent Mamie-Jo et Papi Chou dans En avant, la musique ! de Henriette Major et Sampar. Les deux vieux tiennent à gâter leur descendance, mais chacun à sa manière. Quand, en plus, la génération qui sépare Alexandre de ses grands-parents se mêle elle aussi d’orienter les choix de l’adolescent, on comprend que celui-ci hésite entre le sport, la musique rock, le cor de chasse et le sifflement. Comme Alexandre lui-même n’est pas la stabilité incarnée, les virages seront nombreux, soigneusement illogiques et logiquement imprévisibles.
Henriette Major et Sampar, En avant, la musique !, Pierre Tisseyre, Montréal, 2002, 104 p. ; 8,95 $.
Puisqu’il y a crime, il y a aura enquête de la part de La patrouille des citrouilles. Ernest et Émilie ne laisseront pas disparaître les citrouilles de l’oncle d’Ernest et surtout pas l’énorme spécimen qui doit entrer dans les annales comme la plus lourde cucurbitacée des temps modernes. Ensemble, ils guetteront, veilleront, accuseront. Le dessin de Paul Roux, toujours frais et minutieux, sert bien un récit aux multiples rebondissements. Léger, sympathique, truffé de détails qui nécessitent un deuxième ou un troisième regard.
Paul Roux, La patrouille des citrouilles, Banjo, Mont-Royal, 2002, 24 p. ; 7,95 $.
Une histoire tout feu tout flamme d’Élaine Turgeon et Michel Rouleau mérite bien son titre. Sa fantaisie va dans tous les sens, au risque de passer d’un registre à l’autre. Entre le poisson emmené en promenade (!) et les problèmes causés par un étrange club vidéo, il y a une sorte de rupture et l’on cherche l’arrimage entre les deux mondes. N’en faisons pas un reproche : mieux vaut trop d’imagination que pas assez.
Élaine Turgeon et Michel Rouleau, Une histoire tout feu tout flamme, Québec Amérique, Montréal, 2002, 105 p. ; 8,95 $.
Dans sa sixième aventure, Julia et le locataire (Christiane Duchesne et Bruno St-Aubin), la sympathique Julia découvre dans son jardin un affreux petit bonhomme qui, entre autres lubies, se dit propriétaire du lieu. Heureusement, les goûts de Julia et du laideron diffèrent tellement que la coexistence devient possible. Ce qu’aime Julia, l’autre ne s’en approchera jamais. Ce qu’apprécie jusqu’à l’extase le vilain petit bonhomme, Julia n’en voudrait ni dans son lit ni dans son assiette. Ils devront s’habituer à des codes de signalisation opposés : Julia ne doit pas sourire à moins d’être fâchée. Raffiné et ingénieux dans l’art de faire accepter les différences.
Christiane Duchesne et Bruno St-Aubin, Les nuits et les jours de Julia, T. 6, Julia et le locataire, Boréal, Montréal, 2002, 56 p. ; 8,95 $.
Nouvelle variation sur le thème familier du jugement hâtif, Julie et le visiteur de minuit de Martine Latulippe et May Rousseau raconte la terrifiante rencontre avec un loup-garou. Du moins est-ce la conclusion que tire Julie quand son voisin vaque à d’étranges activités nocturnes et arbore une chevelure trop longue… On s’étonnera que Julie englobe ses parents dans ses soupçons au point de les croire de mèche. Mais la peur enfantine a droit à son invraisemblance.
Martine Latulippe et May Rousseau, Julie et le visiteur de minuit, Québec Amérique, 2002, Montréal, 69 p. ; 8,95 $.
Le héros de Je suis Thomas ferait la joie de n’importe quel philosophe. Il s’interroge sur son identité, sur les deux Thomas qui se disputent la maîtrise de sa petite personne, sur les raisons de la guerre… Et comme pour accroître le doute, les cheveux de Thomas poussent avec une telle cadence que les gens le traitent en fille. Sylvie Desrosiers a créé un personnage peu commun et que jeunes et adultes gagneront à fréquenter. Beaucoup d’enfants bouillonnent de doutes, bien peu les explicitent, moins encore trouvent une oreille adulte prête à écouter.
Sylvie Desrosiers et Leanne Franson, Je suis Thomas, La courte échelle, Montréal, 2003, 64 p. ; 8,95 $.
Avec Une lettre pour Nakicha, nous entrons dans le monde des amours pudiques et des douleurs secrètes. Marthe Pelletier ne verse pourtant pas, loin de là, dans le misérabilisme. Qu’un Max en fauteuil roulant se sente peu intéressant aux yeux de la jeune fille qui nage avec vigueur, on le comprend. La dynamique change quand la grand-mère menacée de cécité demande à Max de lui relire les 365 lettres d’amour autrefois rédigées par le grand-père disparu. Max s’exécute sous le regard de Nakicha et de la grand-mère. Ce qu’il lit vient d’une autre époque, mais ressemble de si près à ce qu’il éprouve et à ce que, peut-être, Nakicha aimerait lire que les confidences deviennent possibles. Superbe chassé-croisé de sentiments hésitants. Émouvant séjour auprès de personnages sincères et attachants. Et la fin embellit tout.
Marthe Pelletier et Rafael Sottolichio, Une lettre pour Nakicha, La courte échelle, Montréal, 2003, 96 p. ; 8,95 $.
Tous ces autres mondes
Sans abuser du vocabulaire ésotérique, Julie Martel, dans À dos de dragon, met à contribution des créatures aux natures inattendues ou hybrides. Assez près des humains pour créer une parenté avec les lecteurs, assez étranges pour s’autoriser des gestes déroutants, ils sont de taille plus que modeste, mais ne craignent pas (ou à peine) de parcourir le monde à dos de dragon. Julie Martel, habilement, situe l’action en quelques paragraphes denses et éclairants, puis elle raconte avec verve et couleur les taquineries et les colères, les voyages et les combats, les peurs et les fiertés. À moins de trente ans, c’est déjà son huitième titre.
Julie Martel, À dos de dragon, Médiaspaul, Montréal, 2002, 160 p. ; 9,95 $.
Sans avoir l’air d’y toucher, mais avec l’humour élégant du conteur aguerri, Laurent Chabin, avec La planète des chats, projette son héros dans un monde où les humains font figure de pygmées, mais où, surtout, ils doivent se poser de fort exigeantes questions. Chess trouve la planète où sa chère Saha est disparue, mais là s’arrêtent les bonnes nouvelles. À peine débarqué, il est entouré de rats énormes qui ne s’enfuient que sous les assauts de chats plus colossaux encore. Surprise ! Ces félins aux dimensions de tigres traitent les humains avec la désinvolture que reçoivent nos animaux de compagnie. Le chat maître de Chess et de Saha serait comblé si ces décoratifs petits humains acceptaient en ronronnant leur confortable statut. La tentation est là. La liberté devient l’enjeu, non la survie ou le confort.
Laurent Chabin et Sophie Casson, La planète des chats, Hurtubise HMH, Montréal, 2002, 101 p. ; 8,95 $.
Deux époques se télescopent dans ce trépidant récit de Christophe Lambert intitulé Souviens-toi d’Alamo !. Comme si un étrange couloir rattachait 1836 et 1965, des aviateurs de l’ère moderne disparaissent dans le triangle des Bermudes et aboutissent à Alamo où les hommes de Davy Crockett affrontent les forces mexicaines. Les armes modernes pourraient transformer en victoire la défaite américaine racontée par les manuels, mais comment réagirait l’histoire si le futur retouchait le passé ? La question, nettement formulée, frappe d’autant plus que la reconstitution du passé est minutieuse, fidèle, envoûtante. Christophe Lambert pousse la rigueur jusqu’à livrer ses sources d’inspiration, depuis ses lectures jusqu’à ses souvenirs de jeunesse. L’histoire revit.
Christophe Lambert et Manchu, Souviens-toi d’Alamo !, Mango, Paris, 2002, 214 p. ; 14,95 $.
Sunwing de Kenneth Oppel donne la parole à ceux qui, normalement, ne l’ont pas : chauves-souris, chouettes, rats, vampires… Les humains n’interviennent que pour bouleverser les équilibres entre les espèces. Ils traitent les vivants en objets d’expérimentation, baguent tout ce qu’ils attrapent, transforment les oiseaux en bombes volantes. La méfiance sévit entre des espèces qui s’étaient partagé l’espace et les ressources. Le jeune Ombre, chauve-souris de son état, essaie de rétablir le climat de confiance qui, seul, peut sauver les espèces. Le récit met le courage à contribution et fait assez peu appel à la magie.
Kenneth Oppel, Sunwing, Scholastic, Markham, 2002, 418 p. ; 14,99 $.
L’immense fresque de Paul Stewart, les Chroniques du bout du monde en est à son deuxième tome avec Le chasseur de tempête. Le torrent ne semble pas sur le point de tarir. De nouveaux termes surgissent sans cesse, les complots ne manquent jamais de têtes brûlées, le jeune Spic, à la recherche de son père disparu en mission, part conquérir le phrax dont dépend l’équilibre de sa patrie. Il affrontera la tempête puisque c’est sa rage qui engendre le phrax. Le dessin hallucinant de Chris Riddel mérite l’admiration.
Paul Stewart et Chris Riddell, Chroniques du bout du monde, T. 2, Le chasseur de tempête, trad. Jacqueline Odin, Milan, Toulouse, 2002, 416 p. ; 24,95 $.
Au contact de l’autre
L’environnement est là pour le prouver, c’est souvent par les jeunes que se répandent les messages essentiels. La solidarité entre les peuples fait partie de ces valeurs largement affirmées par la littérature jeunesse. Ainsi, La ligne de butin volante de Myriame El Yamani et Joël Boudreau constitue un souriant voyage initiatique qui permet à Mariette de mesurer les ressemblances et les divergences entre les cultures et les gens. Le Maroc se fait valoir, le Québec prend sa place, l’Orient salue de loin et tous se découvrent parents. Les coutumes s’expliquent et la capacité d’accueil s’en trouve accrue.
Myriame El Yamani et Joël Boudreau, La ligne à butin volante, Bouton d’or Acadie, Moncton, 2002, 59 p. ; 8,95 $.
La visite nordique de Diane Groulx, pour mieux dépayser, présente non pas l’expédition vers les paysages nordiques, mais l’inverse. Le petit demi-frère est souffrant et requiert des soins que le Sud est seul à offrir. Aurélie logera chez ses grands-parents dans la campagne québécoise. Les gens qu’elle rencontre ont tout à changer dans leur perception des populations nordiques. Rien, cependant, qui soit sèchement didactique dans ce récit. Au contraire, Aurélie est vite entraînée par une enquête aux risques imprévisibles. Intelligent, nuancé, magnifiquement documenté et empathique à souhait.
Diane Groulx, La visite nordique, Éditions du soleil de minuit, Saint-Damien-de-Brandon, 2002, 144 p. ; 9,95 $.
Le grand mérite d’Alix Christine Whitfield dans Le chant de Kaalak, c’est la parfaite honnêteté de son regard sur une famille inuite cherchant sa continuité culturelle au Nunavut. Le malheur frappe quand un adolescent plus irréfléchi que méchant tue son père par accident. Le jeune homme s’isole et se complique l’existence par mille sottises. Son cadet, amené à remplacer le père, renforce ses liens avec le grand-père, chasse avec lui, hésite entre la vie traditionnelle et l’école moderne. L’auteure fait comprendre les drames d’une culture menacée.
Alix Christine Whitfield, Le chant de Kaalak, trad. par Lyn Joncas, De la paix, Saint-Alphonse-de-Granby, 2002, 271 p. ; 12,95 $.
Il est heureux que soient racontées les relations entre les arrivants européens et les populations autochtones qui, comme les Micmacs, leur facilitèrent l’adaptation. Il est plus heureux encore que cette « réparation tardive » s’effectue par la voie des contes et des légendes. Un petit garçon pêche une baleine, en effet, doit peu à l’histoire savante et tout à l’imaginaire d’un peuple. Un vieux couple sans ressource accueille le bambin qui sort de la terre. L’enfant leur revaudra cet accueil. Il pêche et nourrit les vieux. Il pêchera même une huître qui cache… une baleine. Le vieillissement et la mort frapperont et les survivants réagiront selon la sagesse séculaire. Le texte, en trois langues, est sobre, aussi affirmatif que s’il n’énonçait que des évidences. Et on s’incline.
Judith Perron, Helen Silliboy, Allison Mitcham et Naomi Mitcham, Un petit garçon pêche une baleine, Bouton d’or Acadie, Moncton, 2002, 24 p. ; 7,95 $.
L’araignée géante d’Estelle Whitton et Stéphane Simard met à la portée d’un public autochtone un court récit qui avait séduit le jeune public francophone il y a trois ans avec la traduction en atikamekw par Martha Niquay. Les peurs que l’enfance doit vaincre sont sans doute assez répandues pour que l’apaisement du conte soit apprécié partout et en toutes les langues.
Estelle Whitton et Stéphane Simard, L’araignée géante, trad. en atikamekw par Martha Niquay,
Animaux proches ou exotiques
Qu’on les laisse s’exprimer ou que l’anthropomorphisme leur prête nos passions, les animaux ne ratent aucune occasion de pointer le museau ou la nageoire dans les récits pour enfants, souvent à titre de compagnon digne des confidences.
Quand disparaît le chien Pistache, Marie s’inquiète. Quand le copain Patrick, jamais en panne de rumeurs et de cauchemars, laisse entendre que les parents de Marie ont cédé à de très orientales tendances culinaires et ont converti Pistache en ragoût, c’est l’affolement. Une fois encore, à l’étonnement du grand-père que je suis, les parents sont présumés capables des pires horreurs. Dans J’ai mangé Pistache de Marilou Addison et Tristan Demers.
Marilou Addison et Tristan Demers, J’ai mangé Pistache, Le Loup de Gouttière, Québec, 2002, 52 p. ; 7,95 $.
Louise Simard, toujours généreuse en observations historiques et scientifiques, suit de nouveau Claude, sa très aventureuse jeune vétérinaire dans Les pumas. En stage au zoo de Saint-Louis, Claude se familiarise avec une diversité d’espèces, mais son cœur s’attache à deux bébés pumas. Mais quelqu’un s’est trouvé une raison de détester Claude et tentera de lui nuire en éliminant les deux chatons. L’enquête occupera dès lors plus de place que le travail vétérinaire. C’est dommage, car Claude s’y révèle d’une moindre rigueur.
Louise Simard, Les pumas, Pierre Tisseyre, Montréal, 2002, 160 p. ; 19,95 $.
L’album Atchoum, petit Sam ! d’Amy Hest et Anita Jeram, les parents doivent le garder à portée de la main en prévision du prochain rhume juvénile. Le sirop est d’un goût détestable et petit Sam n’en veut pas. La cuiller, en plus, est trop grosse ! La négociation est tendre, mais insistante. À la fin, Sam, résigné, avale sa potion. Le dessin, les couleurs, la neige qui tombe mollement, tout donne aux jeunes grippés un certain goût de l’héroïsme.
Amy Hest et Anita Jeram, Atchoum, petit Sam !, trad. par Pascale Jusforgues, Albin Michel, Paris, 2002, 32 p. ; 12,95 $.
Peu d’ouvrages de vulgarisation sur le règne animal offrent autant que l’encyclopédie À la rencontre des animaux de Geneviève Warnau. Tout en multipliant les photographies révélatrices (650), elle constitue un instrument de recherche et de consultation de maniement facile : index, regroupement par habitat, etc. Que d’informations utiles aux travaux scolaires ! Que d’heures épargnées aux parents qui accompagnent ces travaux !
Geneviève Warnau, À la rencontre des animaux, Scholastic, Markham, 2002, 301 p. ; 19,95 $.
Hier, autrefois ou ailleurs
Peut-être parce que les frontières culturelles deviennent poreuses, légendes et mythes de toutes tonalités s’offrent aux jeunes lecteurs. Plusieurs viennent d’auteurs dont la jeunesse s’est déroulée ailleurs ou selon d’autres imaginaires.
Christine-Claire Mallet dans Un squelette mal dans sa peau, ne voit pas pourquoi, et aucun enfant non plus, un jeune squelette ne quitterait pas sa tombe pour vagabonder un peu. Le problème viendra de l’apparence peu courante du jeune curieux. Le bouquin racontera, j’allais dire « de façon vivante », la conquête par le squelette d’une enveloppe respectable. Rien de morbide, les frissons nécessaires, quelques intrusions d’une magie presque toujours débonnaire. L’auteure guide ses jeunes lecteurs dans l’invraisemblable avec un doigté jamais pris en faute.
Christine-Claire Mallet et Romi Caron, Un squelette mal dans sa peau, De la Paix, Saint-Alphonse-de-Granby, 2002, 144 p. ; 8,95 $.
Magali Favre poursuit avec L’or blanc la trilogie amorcée avec À l’ombre du bûcher. Les mêmes jeunes héros se demandent cette fois pourquoi l’or blanc, ce sel essentiel à la vie, ne parvient plus à leur collectivité. Cupidité des intermédiaires ? Haine religieuse à l’égard d’une foi rivale ? L’enquête sera ardue, elle traversera l’inquiétant pays des loups, elle se terminera par un verdict rendu sous un pin plutôt que sous le chêne de saint Louis. Nous sommes en pays occitan, dans une autre France qui ose des mots colorés, originaux. Un lexique les décode.
Magali Favre, L’enfant des drailles, T. 2, L’or blanc, Boréal, Montréal, 2002, 134 p. ; 9,95 $.
Quand Un duc de Normandie, pour mauvaise conduite, est transformé en chien, mieux vaut, si le récit doit se dérouler dans l’exactitude et la bonne humeur, le confier au merveilleux conteur qu’est Daniel Mativat. Le duc Robert ne reprendra forme humaine qu’au moment où, à Jérusalem, les croisés ont besoin de lui. Encore ne sera-t-il humain qu’à temps partiel, le temps de rompre quelques lances avant de retourner à sa niche. Regrette-t-il sa conduite ou rêve-t-il surtout de la belle princesse auprès de laquelle il ne peut qu’aboyer ? Récit enlevé, souriant, racé.
Daniel Mativat, Le duc de Normandie, Soulières, Saint-Lambert, 2002, 93 p. ;8,95 $.
Certains personnages ne cèdent jamais aux tyrans. Ni la prison, ni la torture, ni l’humiliation ne brisent leur volonté. Jarzaban dans Jarzaban et le tyran de François David et Julie Baschet est de cette race digne et têtue. Le face à face entre le despote et le tenace héros adopte le ton épuré du conte oriental. Il en a la sobriété et la solennité. Quelques pages et quelques illustrations bellement stylisées suffisent à créer l’atmosphère.
François David et Julie Baschet, Jarzaban et le tyran, Albin Michel, Paris, 2002, 37 p. ; 12,95 $.
Parmi les réussites, Sur la piste du Diable d’Émilie Smac et Fabrice Wachter campe en bonne place. À première vue, l’idée de remonter le temps avec la jeune Aspirine pour interroger Galilée pouvait ressembler à n’importe quelle dérogation analogue. Dès les premières pages, cependant, un vent de fraîcheur souffle sur le projet et on se laisse porter par les rares qualités pédagogiques du bouquin. La couleur change et sert de signature, les pensées se logent dans des bulles, des flèches souples comme des lassos conduisent aux mots peu courants ou aux coutumes déroutantes. Pendant que Galilée et le grand-père causent comme de vieux copains, Aspirine, toujours les pieds dans les plats, réussit à subir un procès pour sorcellerie aux mains de l’Inquisition. Tout cela en deux heures de notre temps. Tout cela sans la moindre seconde d’ennui.
Émilie Smac et Fabrice Wachter, Sur la piste du Diable, De l’As, 2002, 235 p. ; 25 $.
Assez bonne cuvée. Quelques splendides réussites.
Pierre Manent, l’esprit de la démocratie
L’esprit étend sa curiosité dans tous les sens et paraît prêt à de nombreuses formulations.
Pierre Vadeboncœur, La ligne du risque
Je le dis d’entrée de jeu, j’estime que le dernier livre de Pierre Manent, Cours familier de philosophie politique1, est exceptionnel à plusieurs égards.
Il n’est pas fréquent qu’un intellectuel possédant une connaissance aussi vaste et aussi précise de notre tradition politique, intellectuelle et spirituelle relève le défi de penser ouvertement . . .
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Gilles Archambault : Tendresse et discrétion (entrevue)
Il était presque dix-huit heures lorsque nous nous sommes rencontrés dans un café du centre-ville de Québec. L’homme était fatigué. Sixième entretien de la journée pour son dernier roman, Un homme plein d’enfance. Promotion oblige. Le sourire lui est revenu lorsque je lui ai annoncé que nous n’allions pas ou peu discuter de ce roman.
Je pense encore que j’écris par inaptitude à vivre. Avec le temps j’ai appris à me débrouiller un peu mieux. J’ai un peu plus conscience de mes manques et de mes possibilit . . .
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Hommage à Geneviève Amyot
La poétesse québécoise Geneviève Amyot (1945-2000) s’est éteinte cet été. Un vibrant hommage lui a été rendu à l’Anglicane de Lévis, le 25 août dernier, auquel Nuit blanche a voulu s’associer en publiant intégralement dans les textes originaux de Luc Lecompte, romancier et poète, et de Paul Bélanger, poète et directeur littéraire des Éditions du Noroît.
Geneviève, comment parler de ton œuvre sans user des mots de la violence ? Les taire, ce . . .
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Régine Robin (entrevue parue en 2002)
Historienne, sociologue et écrivaine, professeur à l’Université du Québec à Montréal, Régine Robin a publié une quinzaine d’ouvrages dont plusieurs romans. Berlin chantiers est publié aux éditions Stock.
Nuit blanche : Pourquoi toi, une juive polonaise, t’es-tu intéressée à Berlin ?
Régine Robin : Ma famille s’est toujours intéressée à Berlin. Mon père avait fait de l’allemand au lycée ; il avait une grande culture allemande et un grand amour de la langue et de la littérature allemande ; pour lui, c’était LA langue, c’était Goethe, et il ne fallait pas y toucher. Je m’intéressais à l’Allemagne et à l’allemand bien avant de m’intéresser à Berlin. Après la guerre et durant mon adolescence, les juifs allemands me fascinaient. Je trouvais que mes parents, juifs polonais très pauvres, arrivant d’un shtetl misérable, étaient des ploucs. Les juifs allemands de mon imaginaire et ceux que j’avais rencontrés, étaient médecins, avocats. Ils étaient partis en exil en 1933, mais c’étaient des bourgeois, et je trouvais que le sort ne m’avait pas favorisée en me donnant une famille juive polonaise. Je m’imaginais juive allemande et trouvais cela bien mieux. En étudiant et en me réappropriant le yiddish, en travaillant sur sa culture, j’ai découvert que je partageais très spontanément la vision que la Haskala, (le mouvement des lumières juif) avait du yiddish. C’était ma langue maternelle, on la parlait à la maison, mais je trouvais que c’était du mauvais allemand, un jargon, comme l’avait appelé la Haskala. Il valait mieux apprendre l’allemand. Ça ne nous amène pas encore à Berlin, mais l’Allemagne ne m’était pas indifférente ; il y avait eu l’Holocauste, 51 personnes de ma famille avaient disparu. Il ne m’était pas possible de parler de l’Allemagne comme de n’importe quel autre pays. Il y avait de l’ambivalence dans mon discours, à la fois de la haine pour les bourreaux et cette zone sacrée de la langue et de la culture. Berlin est venu plus tard, je le raconte un peu dans le livre. À la fin des années 1960, j’y avais un ami et j’y suis allée régulièrement tous les ans pendant dix ans ; très progressivement Berlin a fait partie de ma vie.
Tu te définis aussi comme « un flâneur sociologique ». Comment, pour Berlin chantiers, as-tu « flâné » dans Berlin, comment s’est construit ce livre ?
R. R. : Il ne s’est pas construit comme un projet au départ. Je connaissais bien Berlin. Cela m’a été bizarre de revoir cette ville après la chute du Mur. Plus tard les choses se sont un peu normalisées, mais dans les années qui ont suivi sa chute, il y avait à Berlin une effervescence extraordinaire. C’était une ville nouvelle, avec des chantiers partout, en particulier, au milieu, la Potsdamer Platz, qui avait été ce grand terrain vague bombardé et qui tout d’un coup devenait un immense chantier. Il y avait longtemps que je me baladais dans Berlin. J’observais, je m’arrêtais dans les terrains vagues. Certains lieux me fascinaient. Je me souviens de terrains vagues qui n’étaient pas encore en chantier, de pieds de menthe accrochés à de vieux débris d’appartements à moitié bombardés et non reconstruits, de coquelicots au milieu des ruines. Je prenais des notes, mais sans but de livre, en tout cas de livre savant ou d’essai. J’avais des carnets, sur lesquels je consignais des aperçus ; j’avais pris l’habitude de noter mes itinéraires, ce que je faisais dans la journée… J’avais très vite accumulé de nombreux itinéraires. J’ai décidé alors de dessiner un plan de la ville et au crayon rouge de les noter. C’est beaucoup plus tard, après 1995-96, que je me suis dit que toute cette réflexion sur mon rapport au passé et mon rapport personnel à Berlin, pourrait faire un livre, et tout d’un coup quelque chose a commencé à prendre forme. J’ai commencé à me documenter sérieusement, à lire tout ce qui avait été écrit, sur la mémoire collective en Allemagne. Un jour, j’ai été invitée par un centre de recherches à Potsdam ; mes liens avec la ville sont devenus plus structurés, plus universitaires et le projet a pris corps. Cela s’est étendu sur quelques années. Je n’étais pas pressée, d’autres projets passaient avant. Puis j’ai été sollicitée par les éditions Stock. J’avais déjà rédigé énormément de chapitres et je me suis mise au travail.
Berlin a-t-il conservé des traces de la vie juive qui y a été une composante très importante de la vie culturelle ?
R. R. : Bien sûr, mais c’est un sujet très compliqué, parce qu’il y a vie juive et vie juive. Il n’y a plus beaucoup de traces réelles de la vie juive d’avant la guerre et d’avant 1933. Il y a le cimetière de Weissensee, la synagogue restaurée, d’autres cimetières. Il y a ça et là de vraies traces, mais la population a été décimée. Pourtant il y a une population juive importante à Berlin et une renaissance très marquée de la culture juive. Un certain nombre de juifs sont revenus en 1945, pour la plupart à l’Est, des militants communistes qui ne voulaient pas revivre dans l’Allemagne qu’ils estimaient être l’héritière du nazisme ; ils se sont établis dans l’autre Allemagne. Très progressivement la population juive a pris plus d’importance à l’Ouest, parce que les lois de réparation et d’autres leur ont facilité l’installation. L’apport massif de population juive à Berlin a commencé quelques années avant la chute du Mur et s’est accentué après. Il y avait eu d’abord l’arrivée d’émigrants russes (parmi lesquels il y avait aussi des non-juifs) qui avaient fui l’URSS avec le sentiment que renaissait l’antisémitisme et qu’ils n’y étaient plus en sécurité. Mais la vie juive d’avant 1933 est définitivement morte. Peut-être y aura-t-il une nouvelle culture juive allemande d’un autre type. On assiste par exemple, à un renouveau de la musique klezmer. C’est à partir de ces bribes, de cette méconnaissance de la culture juive que va se créer quelque chose d’inédit. Peu importe la définition qu’on donne à ce terme. De ce point de vue Berlin est un laboratoire, une espèce de chaudron très effervescent où quelque chose de nouveau est en train de naître.
Berlin, ville où tout se recompose, se superpose, où les rues changent de nom, les quartiers se transforment. Berlin ville « laboratoire ». Peux-tu nous en parler ?
R. R. : Il faudrait procéder par ordre. Tout se recompose, c’est un chantier. Le Mur est tombé très vite et les Berlinois ont quasiment voulu l’effacer. La première chose à laquelle on est confronté est sa disparition presque totale. Il y a un petit bout à l’Est, un petit bout au centre, il n’y a pas de vestiges. Qu’a-t-on mis à sa place ? Parfois de nouveaux quartiers, parfois des parcs. La structure de la ville est éventrée. Là où il y avait le Mur, on peut en suivre le contour, mais les chantiers sont partout. Pour qui a connu les deux villes séparées par le Mur, il y a des moments où l’ajustement par rapport à la mémoire est un peu difficile à faire. Un exemple type en est la Potsdamer Platz, ce grand terrain vague, mélancolique, ce non-lieu, où j’aimais tant flâner. Aujourd’hui c’est un petit Manhattan sans âme, une espèce de Luna Park qui ne préserve pas la mémoire du Berlin de la Potsdamer Platz des années 20. Il y a là quelque chose de définitivement effacé, si ce n’est cette belle cinémathèque qui est comme un hommage à l’ancienne place. Tout se recompose. Au moment de la réunification, la fameuse statue de Lénine a été déboulonnée, des changements de noms ont été imposés à tout ce qui était à l’Est. Ces changements avaient parfois un sens, parfois pas ; la rue Clara Zetkin est devenue la rue Dorothée ; tous ceux qui avaient été dans les brigades internationales et qui étaient morts en Espagne, avaient leur rue, on a changé ces noms. Berlin s’est recomposé et n’est plus exactement la même ville, et quand on y flâne, quand on regarde attentivement les murs, et qu’on aperçoit une tache plus claire on se dit : « Tiens, là on a enlevé une plaque, le nom de la rue a changé ». Des traces existent mais elles sont ténues. Mon livre est une balade mélancolique dans un passé qui habite encore des espaces mais qu’il faut vraiment aller chercher.
L’histoire se répète-t-elle dans Berlin, avec les mêmes phénomènes que dans la République de Weimar, l’ex-RDA où l’on a essayé d’effacer l’histoire, tous les signes de l’histoire de la vie juive ?
R. R. : C’est évident. Ne serait-ce que par le démantèlement des statues, le changement des noms de rues, ce palais de la République dont on ne sait pas quoi faire et qui est en train de pourrir alors qu’en principe on doit le reconstruire. Ce n’est pas que l’histoire se répète, ce n’est pas du même ordre. Ce qui est du même ordre, c’est l’effacement, chaque fois on est confronté à une volonté d’effacement. On ne voulait plus entendre parler du nazisme, c’était gênant, mais on a été obligé d’en reparler : ça a donné le miracle économique. On n’a plus voulu entendre parler de la RDA absorbée dans l’ancienne RFA pour donner l’Allemagne, mais il y a des retours du refoulé : le PDS, le parti qui regroupe d’anciens communistes contestataires, obtient 40 pour cent des voix dans certains quartiers de Berlin-Est. On n’efface pas 40 ans d’histoire, on ne peut pas effacer le troisième Reich, et pourtant chaque fois on est confronté à cette volonté d’effacement.
Tu parles de la RDA, pays de l’antifascisme. Voulait-on ainsi mieux effacer la période nazie ? Tu dis que l’on se trompe peut-être sur le fascisme actuel dont on situe l’origine à l’Est.
R. R. : Je pense qu’on se trompe lorsqu’on croit que le fascisme vient de l’Est. Ce qui permet ce genre de discours, c’est le désespoir très grand dans lequel s’est trouvée une partie de la jeunesse élevée en Allemagne de l’Est, ce qu’elle n’avait pas forcément choisi. Elle appartenait à la RDA et, tout en étant très entravée – on sait les limites qu’imposait cet État au déplacement des populations et à leur liberté –, elle était socialement très protégée. Tout d’un coup, il n’y a plus eu de pays, l’ex-RDA est devenue une périphérie pauvre : le chômage est bien plus important à l’Est qu’à l’Ouest, les usines ont été complètement démantelées, les gens ont été chassés de leurs habitations, qui ont été récupérées par leurs anciens habitants. Le désespoir s’est emparé d’une partie de la jeunesse. Mais il ne faut pas généraliser non plus ; même si cette jeunesse a très souvent été canalisée vers l’extrême droite, cette forme de contestation sociale n’est pas forcément néo-nazie ; elle prend des allures de Skins, de violence, de marginalité dans le vêtement, dans la chevelure, dans la présentation de soi, dans la pensée. Tout ceci est très présent à l’Est, mais il y a aussi un mini-nazisme, un mini-fascisme très important à l’Ouest. Il faut faire attention à ne pas parler d’un retour du fascisme qui viendrait de l’Est, c’est trop facile comme explication.
La RDA était à la fois un pays impossible d’où les gens fichaient le camp, parce qu’ils n’y étaient pas contents et qu’ils voulaient aller ailleurs, et un pays qu’un fort pourcentage de la population cherchait à rénover. Par exemple, dans les rassemblements de Berlin du 4 novembre 1989, les gens ne disaient pas : « On veut être à l’Ouest », ils disaient : « On veut que la RDA veuille dire quelque chose ». Quand, après la réunification, l’on a tout diabolisé sans aucune nuance, en assimilant même la RDA au troisième Reich, on s’est donné bonne conscience ; faire cette assimilation avait des fonctions politiques et sociales qui me paraissent complètement frauduleuses et cela ne permettait pas de voir ce qui est en jeu aujourd’hui dans le rapport que l’Allemagne peut entretenir avec son passé ou ses passés.
Berlin chantiers est un livre sur l’histoire et comment celle-ci se concrétise dans une ville. Penses-tu que le juif allemand existe encore aujourd’hui ?
R. R. : Tout dépend de ce qu’on entend par juif allemand. C’est un terme intéressant sur lequel je joue beaucoup. Le juif allemand tel qu’on l’a connu avant 1933, très sincèrement, il n’existe plus. L’Allemand de confession mosaïque n’existe plus. Il en reste encore quelques individus, mais ils ont parfaitement conscience d’être dans de la provocation. Celui qui a le mieux parlé de cela, c’est Hans Meyer quand il a dit : « Je ne pourrai plus jamais être citoyen allemand comme je l’ai été », ça, c’est fini. Maintenant on peut être juif et vivre en Allemagne. Comment les auto-désignations se font-elles ? Juif en Allemagne n’est pas la même chose que juif allemand, ou Allemand juif. Allemand juif est impossible, mais juif allemand, qui a été très important, n’est plus. Encore que les juifs allemands sont tous ceux qui, enfants d’anciens juifs allemands, sont revenus en 1945 ; c’est une toute petite minorité. Je pense que ce sont des juifs en Allemagne qui deviendront peut-être à nouveau des juifs allemands, mais d’une tout autre façon ; il faudra un certain temps pour que cela donne autre chose.
J’ai eu parfois l’impression que la question de la Shoah recouvrait la question de la mémoire de la Shoah. Le but du livre est-il la mémoire de la vie juive à Berlin ?
R. R. : Je ne sais pas si la mémoire de la Shoah recouvre la Shoah, mon objectif n’était pas de faire une histoire de la Shoah en Allemagne ou à Berlin. J’ai bien été obligée de rappeler un certain nombres d’événements, comme la Nuit de cristal, les pogroms du 9 novembre 1938, la disparition, l’arrestation et l’envoi par Grünwald à Auschwitz, à Theresienstadt de beaucoup de juifs allemands ; mais mon livre est beaucoup plus un livre sur la mémoire que sur l’histoire. Il ne s’agit pas pour moi de rappeler ce qu’a été la Shoah et son caractère terrible pour les juifs de Berlin, ce n’est pas tant ça aujourd’hui qui est dans notre présent, mais plutôt la confrontation avec la ville de Berlin, des traces de cette vie, de ce qu’il en reste, de ce que je peux convoquer dans mon esprit par mes lectures, par mes balades, par ma connaissance, par la ville elle-même, par ce qu’elle montre ou ce qu’elle ne montre pas. C’est une confrontation avec des traces, ce n’est pas une histoire de la période.
Y-a-t-il un renouveau de la vie juive à Berlin ?
R. R. : Oui, absolument, mais ce renouveau a des manifestations un peu bizarres. Souvent, parce que les gens sont un peu paumés, ce renouveau est repris en main par des organismes communautaires ou de charité, religieux ou culturels déjà installés, dépendant très souvent de l’ambassade israélienne. Les gens viennent y apprendre l’allemand, les rudiments de la religion et s’y rencontrent entre eux. Il y a un renouveau de la musique klezmer, un théâtre juif, des restaurants plus ou moins kasher autour de la synagogue et dans d’autres quartiers. Il y a là toutes les marques d’un démarrage, mais un peu curieux. Je suis peut-être puriste, mais pas du tout religieuse, et la première fois que j’ai entendu la musique klemzer à Berlin, j’ai eu le sentiment que ce n’était pas tout à fait authentique, j’étais dans du quasi. Plus tard je suis allée écouter des récitals de poèmes yiddish, et j’ai eu le sentiment que ce n’était pas tout à fait du yiddish. Alors chaque fois je me disais que c’était curieux, comme s’il n’y avait pas de mémoire de ce qui avait eu lieu avant, mais une volonté de redémarrage dans du quasi, de l’artificiel, fait de bric et de broc. Néanmoins il faut y être très attentif, parce que c’est à partir de ce bric et broc sans tradition, que quelque chose redémarrera.
Peut-on parler de ce « mémorial » que l’on va bâtir à Berlin. Qu’en penses-tu ?
R. R. : C’est une question qui hante la vie publique allemande et berlinoise depuis plus de dix ans, il est difficile de passer à côté. On ne peut pas ouvrir un journal sans qu’il y ait un article, un rappel, un problème, une nouvelle polémique. Il faut rappeler que son emplacement est prévu tout près de la porte de Brandebourg, en bordure du Mur. Au départ, l’idée venait d’une association privée, plus tard elle a été plus ou moins prise en charge par l’État qui a décidé d’organiser un concours d’architecture : une histoire rocambolesque qui a duré plus de dix ans entre les pour et les contre le concours. J’en parle longuement dans mon livre. Le principe en a été finalement voté par le Parlement l’année dernière ou il y a deux ans ; cette fois c’est acquis, il va être construit avec des capitaux privés et publics, mais pour toutes sortes de raisons, il ne se construit pas. La dernière fois que j’y suis passée, en juillet dernier, ça s’arrangeait ; un panneau indiquait l’emplacement d’une première pierre et annonçait la construction pour bientôt. Sur ces entrefaites, Léa Roch, qui vient des médias et est à la tête de l’association qui est à l’origine du mémorial, a fait édifier mi-juillet, un énorme panneau à l’endroit où le mémorial doit être construit. On y lisait : « L’Holocauste n’a jamais eu lieu ». Là, à la porte de Brandebourg. En petit, sur la droite de ce panneau, on pouvait lire : « Passant, si tu vois ce panneau, si à la lecture de cette phrase, tu te sens indigné, si tu réagis, cela prouve que tu es désireux de faire édifier le mémorial. Envoie 5 marks à la fondation ». Tout ça partait d’une très bonne intention ; il fallait accélérer le mouvement de dons pour que cette construction puisse voir le jour, il fallait aussi un peu provoquer les gens, mais c’était complètement fou et ça a eu un effet désastreux. Il y a même eu un néo-nazi bien connu à Berlin qui s’est fait photographier devant ce poster avec une affiche disant : « Et les crimes de Wehrmacht non plus ». Il y a eu une pétition que j’ai même signée. Finalement, sous la pression publique, Léa Roch a fait retirer ce panneau. Le mémorial doit ouvrir en 2004, 2005. Il sera composé d’un champ de stèles qui rappellera le cimetière juif de Prague ; au bout de ce champ il y aura un centre de documentation sur l’Holocauste, sur la vie juive berlinoise avant la guerre. Il y aura aussi une chambre du souvenir, de la mémoire, qui sera un espace de méditation où il n’y aura rien, où les gens seront livrés à eux-mêmes pour réfléchir. Faut-il être pour ou contre, ce n’est pas très important, je suis plutôt pour, même si je connais tous les pièges de la commémoration, parce qu’à partir du moment où le débat a eu lieu, où le principe a été retenu, ça aurait à Berlin un effet extrêmement mortifère de revenir en arrière.
Comment les Allemands de Berlin vivent-ils leur passé par rapport aux juifs ? Y-a-t-il encore un sentiment de culpabilité ?
R. R. : C’est très difficile à détecter, à moins d’avoir des amis avec lesquels on puisse en parler. Il est évident que le sentiment de culpabilité est toujours là. J’en parle dans mon introduction, c’est quelque chose que j’ai éprouvé très souvent, je n’ai jamais un rapport normal avec mes amis allemands. Ils en font toujours trop ou trop peu. Trop quand ce ne sont pas véritablement des amis intimes, simplement des connaissances amicales : ils se mettent souvent en quatre, ils font des choses que même des amis ne feraient pas, et là tout d’un coup on se dit : « Oh ! il se passe quelque chose ». On sent très bien que cette culpabilité parle à travers eux et qu’ils n’en sont même pas conscients. Cette super gentillesse dès qu’ils savent que vous êtes juif a quelque chose d’un peu suspect. Puis il y a l’envers de la médaille ; nous, nous sommes injustes par trop de vigilance, en exigeant toujours d’eux une parfaite correction. Quand il leur arrive de dire un mot qui pourrait être mal interprété, là on se dit : « Ils ont du culot quand même, ils ne savent pas à qui ils parlent, ils ont oublié, ils exagèrent ». Alors que dans une conversation normale, ça passerait. Mais parce qu’ils sont Allemands on va épingler leurs propos. On est trop vigilants ou trop soupçonneux. Cela dit, je suis d’une autre génération, j’ai connu la guerre, je ne sais pas comment se comportent aujourd’hui les jeunes de vingt ans ayant à faire à des gens de ma génération ou un peu plus vieux. J’ai des amis à Berlin qui à l’école primaire chantaient le Horst Wessel Lied, parce qu’il y avait le portrait d’Hitler au mur. Il est difficile de leur dire quand ils ne sont plus jeunes : « Et ton père, il était où, dans la Wehrmacht ? » J’ai d’excellents amis allemands, je vais très souvent à Berlin et j’ai un grand plaisir à les voir, mais je reconnais que ce ne sont jamais des rapports naturels. Le passé pèse, et ce n’est pas une question d’une ou de deux générations ; ce passé-là va peser très très longtemps.
Pour conclure, que t’a apporté l’écriture de ce livre ?
R. R. : Énormément. J’ai l’impression d’avoir fait le deuil d’un ami. Mon rapport à Berlin s’est transformé. J’avais très peur d’y revenir. J’y suis retournée tout de suite pour exorciser cette peur. J’ai maintenant un rapport beaucoup plus simple à Berlin, je pourrais y vivre, y faire mes courses, comme je pourrais vivre à New York, comme je vis à Paris et à Montréal, alors qu’avant mes rapports avec cette ville étaient trop intenses, j’avais toujours des comptes à régler, des choses à y retrouver qui avaient toujours à voir avec le judaïsme. Maintenant, plus. Si je viens à Berlin, je m’y balade comme j’en ai l’habitude, mais ce sera davantage pour l’odeur des tilleuls, et non plus uniquement pour aller au musée juif. Ce livre m’a permis d’habiter la ville et plus simplement de la parcourir.
Régine Robin a publié, entre autres :
Essais : La société française en 1789, Semur-en-Auxois, Plon, 1970 ; Histoire et linguistique, Armand Colin, 1973 ; L’amour du yiddish, Écriture juive et sentiment de la langue (1830-1930), Du Sorbier, 1984 ; Le réalisme socialiste, Une esthétique impossible, Payot, 1986 ; Kafka, Les Dossiers Belfond, 1989 ; Le roman mémoriel, De l’histoire à l’écriture du hors-lieu, Du Préambule, 1989 ; La sociologie de la littérature (en collaboration avec Marc Angenot), CIADEST, cahier no 4, 1991 , nouvelle édition revue et corrigée, 1993 ; Le deuil de l’origine, Une langue en trop, la langue en moins, Presses universitaires de Vincennes, 1993 ; Discours et archive (en collaboration avec Jacques Guilhaumou et Denise Maldidier), Mardaga, 1994 ; Le naufrage du siècle, Berg International/XYZ, 1995 ; Le golem de l’écriture, De l’autofiction et cybersoi, XYZ, 1997 ; Berlin chantiers, Essai sur les passés fragiles ; Stock, 2001.
Œuvres de fiction : Le cheval blanc de Lénine ou l’Histoire autre, Complexes, 1979 ; La Québécoite, Québec Amérique, 1983 et Typo, 1993 ; L’immense fatigue des pierres, XYZ, 1996.Andreï Makine : Une pénétrante harmonie du visible (entrevue)
Un magnifique coucher de soleil glisse lentement derrière la ligne d’horizon. Les quelques îlots de neige durcie qui persistent encore par endroits, en cette fin mars, confèrent au paysage en bordure de l’autoroute 20 un air d’irréalité et je ne peux m’empêcher de penser qu’il doit en être ainsi dans la Sibérie natale d’Andreï Makine à qui Le testament français aura valu, coup sur coup à l’automne 1995, le Prix Médicis (avec Vassilis Alexakis) et le Prix Goncourt, prodiguant, là aussi, un éclairage étincelant sur . . .
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Le théâtre québécois à l’heure des bilans
La vie théâtrale québécoise du dernier quart du vingtième siècle se révèle d’une richesse sans précédent dans son histoire.
Propulsé par la Révolution tranquille, le théâtre québécois, en plus de refléter la quête d’identité et d’affirmation de la société où il s’enracine, s’inscrit dans le mouvement du renouveau théâtral amorcé en Europe au début du siècle. Le théâtre québécois des années 1970 est marqué du signe de l’effervescence . . .Pour lire la suite, veuillez vous abonner. Déjà abonné(e) ? Connexion
Jean Starobinski : Critique et légitimation de l’artifice
Mélancolie et réflexion sont toutes deux un exil. C’est pourquoi, nous enseigne Jean Starobinski, elles ne sont jamais éloignées l’une de l’autre. Elles impliquent chacune un écart, une distance avec la société et avec soi, une certaine ironie, mais aussi le sentiment d’une perte.
Un même mouvement est souvent reconnaissable, dans la mélancolie comme dans la réflexion : le dévoilement. La réflexion présente un péril.Ce thème du dévoilement, on le retrouve encore dans le comportement masqué et la d . . .
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Philippe Sollers : L’écriture au combat
Au printemps dernier, Philippe Sollers a occupé le devant de la scène éditoriale française. Pas moins d’une demi-douzaine de ses anciens ouvrages, dont Paradis, Le parc, et Lois, ont été réédités en format poche.
Dans le même temps, Gallimard a fait paraître le volumineux Éloge de l’infini, présenté par Sollers comme la suite de La guerre du goût. Bien que Philippe Sollers insiste sur le caractère inédit d’Éloge de l’infini
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L’actualité de Gabrielle Roy
Close en principe depuis la mort de son auteure, en 1983, l’œuvre de Gabrielle Roy ne cesse de susciter un vif intérêt chez les critiques, les chercheurs, les éditeurs et le public en général. Parmi ses spécialistes les plus compétents et les plus fidèles, on compte bien sûr au premier chef François Ricard, qui, entre autres ouvrages, nous a donné Gabrielle Roy, une vie (1996), une remarquable et exemplaire biographie de celle dont il a été pendant de longues années le secrétaire, puis l’« agent . . .
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