Close en principe depuis la mort de son auteure, en 1983, l’œuvre de Gabrielle Roy ne cesse de susciter un vif intérêt chez les critiques, les chercheurs, les éditeurs et le public en général. Parmi ses spécialistes les plus compétents et les plus fidèles, on compte bien sûr au premier chef François Ricard, qui, entre autres ouvrages, nous a donné Gabrielle Roy, une vie (1996), une remarquable et exemplaire biographie de celle dont il a été pendant de longues années le secrétaire, puis l’« agent littéraire ou [le] fondé de pouvoir1 ».
En 1992, François Ricard avait fait paraître un Inventaire des archives personnelles de même qu’une description des Inédits de Gabrielle Roy, dont plusieurs ont paru par ses soins : on pense bien sûr ici au Temps qui m’a manqué (1997), suite inachevée de La détresse et l’enchantement (1984), mais il y a aussi des récits, nouvelles et autres textes édités dans des revues comme Littératures (numéro 14, 1996), Études françaises (numéro 3, 1997), Elle-Québec (mars 1991) et les Cahiers franco-canadiens de l’Ouest (numéro 1, 1991). Avec une dévotion intelligente, perspicace et délicate, François Ricard continue d’ailleurs de rassembler et d’inventorier toutes les composantes de l’abondante production de la célèbre romancière de Bonheur d’occasion.
De nombreuses publications d’importance s’ajoutent à celles de François Ricard ; par exemple la Bibliographie analytique des études critiques (1978-1997) par Lori Saint-Martin, en 1998. Des communications, des articles et des thèses sont de même régulièrement consacrés à l’œuvre royenne : signalons, parmi plusieurs, les conférences de Jane Everett à l’Université Laval en 1996, au Collège Glendon de Toronto en 1998 et au congrès de l’American Comparative Literature Association à Montréal en 1999, et celle de Ginette Michaud à l’Université Harvard en 1998, laquelle fut suivie d’un article sur les derniers écrits de Gabrielle Roy, dans la revue Littératures2, en 1999 ; il faut noter aussi l’article de Sophie Montreuil sur la « petite histoire » d’Un jardin au bout du monde, dans Voix et images, en 1998, et les travaux de Christine Robinson, qui fit comme thèse de doctorat, en 1998, à l’Université McGill, l’édition critique d’un roman inédit et inachevé de Gabrielle Roy que François Ricard a intitulé La saga d’Éveline. Auparavant, la même avait signé des articles dans les susdits Cahiers franco-canadiens de l’Ouest (en 1996) et Voix et images (en 1997). On doit encore évoquer ici des ouvrages collectifs comme Portes de communications, paru aux Presses de l’Université Laval, en 1995, Colloque international Gabrielle Roy, publié aux Presses universitaires de Saint-Boniface, l’année suivante, et Bonheur d’occasion au pluriel, édité par Marie-Andrée Beaudet, en 1999. On compte aussi, bien sûr, les rééditions récentes de plusieurs ouvrages de la romancière, dont les Lettres à Bernadette (1988), en 1999, et Le temps qui m’a manqué, en 2000, le tout chez Boréal, qui vient de même de republier, en 2000 également, la Vie de François Ricard.
De nombreuses archives, déposées en quasi-totalité à la Bibliothèque nationale du Canada à Ottawa, rendent possibles ces travaux ininterrompus : parmi les plus fondamentales il y a les fonds dits « Gabrielle Roy », « Gabrielle Roy et Marcel Carbotte », « Jeanne Lapointe », « Éditions Pascal », « François Côté » et « Berthe Simard ». Récemment, au surplus, les recherches royennes s’enrichissaient de pas moins de quatre nouvelles publications, auxquelles sont étroitement associés les noms de François Ricard surtout, et de Jane Everett : Gabrielle Roy inédite3, Le pays de « Bonheur d’occasion4 », Introduction à l’œuvre de Gabrielle Roy5 et Mon cher grand fou…6.
Gabrielle Roy inédite
Le premier de ces quatre livres émane du « Groupe de recherche sur Gabrielle Roy », du Département de langue et littérature françaises de l’Université McGill. Dirigée par les précédents François Ricard et Jane Everett, cette « petite équipe » « a pris pour objet d’étude la totalité des écrits inédits et épars qu’a laissés la romancière ». Le Gabrielle Roy qu’elle nous livre aujourd’hui vise à donner un aperçu des travaux en cours au sein de ce groupe, tels qu’ils ont été présentés lors d’un séminaire d’une journée tenu à l’Université McGill le 25 septembre 1998 : huit communications, suivies d’une table ronde, y furent entendues.
Les quatre premières études de cet essai collectif portent sur des textes jamais publiés ou sur les passages gommés d’écrits édités par Gabrielle Roy. Dominique Fortier se penche d’abord sur les parties des trois versions manuscrites du Temps qui m’a manqué qui ont été retranchées du texte final, soit par autocensure, soit pour des raisons esthétiques : en analysant la distance qui sépare le « je » du personnage du récit (Gabrielle Roy jeune) du « je » de la narratrice (Gabrielle Roy vieillie), Dominique Fortier montre que les pages occultées correspondent « vraisemblablement à l’expression univoque et très affirmée des positions » de l’auteure sur la condition féminine, et se heurtent du coup au projet essentiel du Temps qui m’a manqué, à savoir « une remise en question, […] une constante recherche de la vérité, ou d’une vérité ». Après Dominique Fortier, Yannick Roy procède à une analyse thématique et génétique de la trentaine de nouvelles inédites écrites après Bonheur d’occasion et des trois premiers romans de Gabrielle Roy. Il en arrive à la conclusion que « l’idylle ne constitue pas chez Gabrielle Roy une réparation définitive de la faute ». Sophie Montreuil et Christine Robinson s’intéressent quant à elles au féminisme de Gabrielle Roy. La première compare la nouvelle inédite « La maison rose près du bac », offerte en primeur à la fin du collectif, à deux textes connus, La route d’Altamont (1966) et Le temps qui m’a manqué (1997), pour montrer la continuité mais aussi les divergences thématiques du rapport mère-fille. La seconde regarde le thème de la fidélité dans La saga d’Éveline et souligne la dénonciation des « rôles traditionnels d’épouse et de mère » qu’y mène « la voix ouvertement féministe » de Gabrielle Roy.
Annie Pronovost estime pour sa part que les quelque 30 nouvelles « quasi inédit[e]s » publiées entre 1938 et 1945 ont été des « exercices de style avant Bonheur d’occasion » : ce sont des « nouvelles de jeunesse » qui ont permis à l’auteure de « [faire] ses classes ». Sébastien Hamel et Martine Fisher abordent, eux, un autre genre, soit la correspondance. Sébastien Hamel se donne pour tâche de présenter sommairement l’ensemble des 2009 lettres envoyées par l’épistolière à 140 destinataires, en anglais ou en français, de 1924 à 1983 : s’y « détachent assez fortement » « deux ensembles » formés des échanges avec la cousine Léa Landry, d’une part, et avec sœur Berthe Valcourt, d’autre part. Sébastien Hamel décrit aussi le fichier informatique créé pour rendre compte de cette correspondance « abondante et régulière ». Martine Fisher examine plus particulièrement les 32 lettres que se sont écrites, en anglais, de 1976 à 1983, la romancière et sa grande amie Margaret Laurence, manitobaine de naissance elle aussi. Sophie Marcotte propose enfin des considérations sur l’édition électronique envisagée pour la diffusion d’une partie des nombreux inédits royens, formés de trois principaux ensembles : « la correspondance, les avant-textes d’œuvres publiées et les textes inachevés, abandonnés ou terminés mais jamais publiés ». L’essayiste s’interroge également sur le pourquoi et le comment de cette édition électronique.
Les pages suivantes reproduisent les courts exposés de professeurs de l’Université de Montréal (André Brochu, Gilles Marcotte et Ginette Michaud) et de l’UQAM (Lori Saint-Martin) qu’on avait invités à répondre à la question suivante : « en tant que critique, quel profit espérez-vous tirer de la publication des inédits de Gabrielle Roy ? » Mis à part l’intérêt marqué de Lori Saint-Martin pour la révision féministe de l’œuvre qui en découlera, on ne peut pas dire que les espoirs et les désirs soient très enthousiastes chez ces critiques littéraires, qui prévoient plutôt juger à la pièce.
Gabrielle Roy inédite nous offre ainsi le texte inédit d’une nouvelle « relativement achevé[e] », « La maison rose près du bac », dont l’auteure a laissé « pas moins de cinq états différents », manuscrits ou dactylographiés. Les présentateurs François Ricard et Jane Everett les décrivent en détail, essaient d’en situer la rédaction dans le temps, puis émettent des hypothèses expliquant l’abandon final du texte. En introduction, les mêmes avaient soigneusement distingué les « deux grands ensembles d’inégale valeur » qui composent le corpus de Gabrielle Roy : soit d’abord l’œuvre canonique, c’est-à-dire « la quinzaine de livres » publiés de son vivant et qui forment le « foyer essentiel, unique et irremplaçable » de « la production scripturale de Gabrielle Roy », et ensuite la partie non publiée de l’œuvre. Cette dernière section regroupe les « quatre sous-ensembles distincts » suivants, à savoir 170 textes épars, « quasi inédits », publiés dans les périodiques (nouvelles, contes, billets et reportages), quelque 50 écrits demeurés manuscrits (récits brefs, romans, pièces de théâtre, écrits autobiographiques, récits de voyage, discours), une correspondance pas tout à fait inédite, divisée en quatre parties (lettres à Bernadette, à Marcel Carbotte, à sa traductrice Joyce Marshall et à ses « partenaires » du milieu littéraire canadien-anglais), et enfin des manuscrits, dactylogrammes, jeux d’épreuves et autres avant-textes. Cette quadruple portion, dite « immergée » par Ricard et Everett, doit être considérée comme des « textes de second ordre », « une sorte d’arrière-plan fragmentaire et imparfait » d’une œuvre admirable, et il faut en faire l’étude et la publier « avec d’extrêmes précautions ».
Le pays de « Bonheur d’occasion »
La nouvelle « La maison rose près du bac » rejoint par son style et sa thématique les neuf textes que la maison Boréal vient également d’éditer sous le titre Le pays de « Bonheur d’occasion », avec une présentation de Sophie Marcotte et des mêmes François Ricard et Jane Everett. Des neuf, trois sont inédits : « Rencontre avec Teilhard de Chardin », « L’Île de Sein » et « Voyage en Ungava ». Un quatrième, « Mes études à Saint-Boniface », n’avait fait l’objet jusqu’ici que d’une publication en anglais, dans une traduction d’Alan Brown. Les cinq autres ont déjà paru ici et là – certains plus d’une fois – dans des ouvrages collectifs ou dans des périodiques québécois, canadiens et même parisiens : il s’agit de « Souvenirs du Manitoba », « Le cercle Molière… porte ouverte… », « Ma petite rue qui m’a menée autour du monde », « Ma rencontre avec les gens de Saint-Henri » et l’éponyme récit « Le pays de Bonheur d’occasion ». Comme on peut déjà le subodorer à la lecture des seuls intitulés, la plupart d’entre eux logent à l’enseigne du genre autobiographique. Si deux appartiennent plus précisément à une catégorie connexe, le récit de voyage (« L’Île de Sein » et « Voyage en Ungava »), tous rejoignent les quatre récits du même genre publiés en 1978 dans le recueil d’essais divers Fragiles lumières de la terre. Les lecteurs ont donc « maintenant à leur disposition la totalité des récits de ce type » rédigés par Gabrielle Roy au cours de sa carrière.
Ces neufs textes ont été classés par les éditeurs « en trois sous-ensembles, selon le lieu et la période de la vie de l’auteur[e] auxquels leur contenu renvoie ». Une partie manitobaine réunit d’abord des récits centrés sur l’enfance et la jeunesse de l’écrivaine. Suit une courte section française qui évoque des « faits vécus » lors de son second séjour en Europe, en 1947-1950. Enfin, un ensemble québécois clôt le recueil en proposant trois textes pour ainsi dire de genèse ; deux concernent les origines de Bonheur d’occasion tandis que l’autre raconte le périple en titre, fait en juillet 1961 : c’est de ce « Voyage » que seront tirés le magnifique roman La rivière sans repos de même que les trois nouvelles esquimaudes, ou « inuit », devrait-on maintenant dire, qui l’accompagneront, en 1970.
Avec une prudence, une délicatesse et une conscience professionnelle qui les honorent, les présentateurs insistent sur le caractère posthume de cette publication qui « n’est pas à proprement parler un livre de Gabrielle Roy, puisqu’il n’a pas été préparé ni même voulu par elle » : « ce sont là surtout des traces ou des – épaves – de projets abandonnés, que la romancière n’a pas détruites, certes, mais qu’elle n’a pas non plus livrées elle-même à notre lecture ». Le recueil n’en est pas moins fidèle, pourtant, estiment les mêmes, à « l’une des dimensions essentielles de son œuvre », à savoir « l’imagination autobiographique », c’est-à-dire « la remémoration », « la méditation » et « la recréation, par l’écrivain[e], de son propre passé et des expériences qui ont façonné son être et fait d’elle la femme et l’écrivain qu’elle est devenue (ou a désiré devenir) ». « Consacrer un volume à ses écrits autobiographiques épars et inédits, conclut-on, c’est donc, d’une certaine manière, demeurer dans l » esprit ‘ de Gabrielle Roy et prolonger au moins obliquement une ligne que son œuvre elle-même a tracée. »
De fait, les habitués de l’illustre romancière auront vite fait de reconnaître certaines caractéristiques qui font l’originalité de son écriture. Il ne s’agit pas seulement ici du goût de l’auteure pour les inversions, par exemple, que d’aucuns lui ont reproché dans des écrits antérieurs, ni même de la simplicité remarquable de sa plume, qui, plutôt que de confiner à la sécheresse, aboutit à un dépouillement où éclatent la limpidité et le naturel les plus convaincants. Je n’évoque pas davantage à ce chapitre l’écriture sensuelle de Gabrielle Roy, au sens étymologique du terme, par laquelle elle reconstitue le monde. Je veux plutôt parler d’abord de cette incommensurable générosité du cœur et de cette extraordinaire tendresse du souvenir qui motivent l’écrivaine à s’attarder sur la misère de l’être humain, à déceler ses aspirations à un bonheur durable, à les analyser dans leurs moindres replis, à les traquer dans tous leurs états. Gabrielle Roy remet constamment le monde en question et poursuit une incessante exploration de la condition humaine, dont elle s’emploie à débusquer la nature la plus intime. Il y a lieu d’évoquer ici la « longue quête inépuisable » dont parle l’auteure dans Le temps qui m’a manqué, suite posthume de l’autobiographie de Gabrielle Roy, que vient de rééditer la maison Boréal, « avec quelques modifications mineures », dans sa collection « Boréal compact »7. Quel que soit l’état d’achèvement des textes qui composent Le pays de « Bonheur d’occasion », tous ont cette propension à défouir la signification des êtres et des choses, et l’apport des uns et des autres dans l’existence de l’écrivaine, plutôt que d’en rester à leur seul constat.
Ainsi, de son enfance au Manitoba, Gabrielle Roy garde surtout le souvenir ému d’une « impression de sécurité » et de « l’attrait de l’inconnu ». « Quand, dit-elle, je revois le Manitoba, par la pensée, après toutes ces années, ce que je retrouve le mieux, c’est une générosité de sentiments comme tout naturellement alliée à l’abondance des moissons, à la riche variété humaine de cette province et à l’espace […]. Ce que je voudrais le plus retrouver de ce temps, c’est avant tout un sentiment d’exaltation, ce mouvement de l’âme par lequel, un instant, elle semble s’accorder à l’infini. » « Aujourd’hui, écrit-elle aussi ailleurs, il m’apparaît que le Cercle Molière […] m’aura été, presque au départ de ma vie, porte ouverte. […] Momentanément sur la scène du théâtre. Ensuite sur la scène de la vie. » De sa rencontre d’« une heure d’une valeur unique dans [s]a vie » avec Teilhard de Chardin, elle retient que le personnage était un de ces êtres qui « ont vu une parcelle au moins du feu qui est au centre de l’univers ». De son passage à l’Île de Sein, c’est « l’image parfaite de la solidarité humaine » qui la rejoint. De Montréal, « pays de Bonheur d’occasion », elle constate que, « finalement, c’est le fondamental besoin humain de vivante chaleur, le désir de tendresse et d’échange fraternel » qui l’a menée « en bonne direction ». Du quartier Saint-Henri, elle se rappelle l’« étonnant carrefour humain » où « les prières semblent inlassablement monter de la fumée et de la misère » et où s’exprime avec le plus « de brutalité et de violence l’union du matérialisme moderne et de l’aspiration vers l’éternité ».
Plus que tout autre, le texte de « Ma petite rue qui m’a menée autour du monde » est à cet égard exemplaire de la manière et de la matière royennes. Cet avant-texte partiel et « inachevé » de La détresse et l’enchantement (1984), qui n’en a pas moins connu deux publications posthumes, témoigne d’une intelligence du cœur et d’une lucidité remarquables tout à la fois. Tout en décrivant concrètement la rue Deschambault où elle est née, avec ses maisons bâties d’un seul côté, ses espaces à perte de vue et son voisinage cosmopolite et bigarré, Gabrielle Roy scrute l’âme des êtres et n’a de cesse de trouver une réponse à l’énigme de la vie et de la mort. Et quand elle fait un retour sur les débuts de sa carrière d’auteure, elle écrit : « la plus belle fonction de l’écrivain » est « sans doute » d’« exprimer », « à travers sa propre douleur », « celle de tout ce qui vit, dans un rapprochement qui n’a plus de limites ». Puis, au terme de ce parcours mémoriel, elle fait le bilan de l’itinéraire qui l’a menée de sa ville natale à Montréal en passant par l’Europe : « toutes ces années écoulées, et je suis comme toujours dans ma petite rue. Rien n’est beaucoup changé. Je vais, je viens. J’arrive à ce coin de rue d’où j’entends l’appel des êtres en détresse qui ne savent pas encore que leur mal vient de ce que le monde est morcelé, en pièces séparées, incapables de se rejoindre ». Puis elle conclut : « ai-je seulement avancé un peu depuis le temps que je marche. Je ne le sais pas. Tout ce que je sais – et je le sais tout à coup avec une absolue certitude – c’est que, depuis là-bas, depuis la petite rue du milieu du pays, depuis très loin, je suis dans la bonne route. Je ne puis être que dans la bonne route ».
J’avoue avoir été ému à la lecture de ces pages toutes simples, toutes vraies, faites d’une extraordinaire et brillante limpidité autant que d’une savante et efficace simplicité, qui s’écartent de tout misérabilisme pleurnichard, de tout sentimentalisme puéril, de toute mièvrerie tapageuse et pour ainsi dire racoleuse.
Tous les textes du Pays de « Bonheur d’occasion » n’ont pas cet éclat ni cette prégnance, faut-il le dire. On se surprend même à regretter que le style de reporter très accusé et insuffisamment peaufiné de « L’Île de Sein » et, surtout, de « Voyage en Ungava » vienne ternir quelque peu la transcendance d’autres écrits comme « Ma rencontre avec les gens de Saint-Henri » et le texte éponyme du recueil. Tous, en revanche, transportent et prolongent « l’esprit » dont parlent les présentateurs.
Introduction à l’œuvre de Gabrielle Roy
L’année 2001 aura vu entre autres publicationsl’Introduction à l’œuvre de Gabrielle Roy de François Ricard. Il ne s’agit cependant pas d’une nouvelle étude puisque cette édition, dit-on au verso de la page de titre, « reprend l’édition originale de 1975 » du Gabrielle Roy publié chez Fides dans la collection « Écrivains canadiens d’aujourd’hui8 » : « seules les références bibliographiques relatives aux œuvres de Gabrielle Roy ont été mises à jour », précise-t-on.
En 1975, en effet, François Ricard avait commencé le cycle de ses travaux royens en publiant un essai dont « l’argument central » était d’« aborder l’œuvre de Gabrielle Roy comme un discours ne portant pas tant sur le monde ou sur quelque contenu intellectuel et affectif plus ou moins autobiographique que sur le processus même qui lui donne naissance : l’écriture » ; et ce, en explorant « la double tendance contradictoire inhérente à [celle-ci] », à savoir la « séparation » et le « partage », le « refus » et la « possession », l’« absence » et la « présence ». Dans cette optique, François Ricard utilise les « étiquettes » d’« exil » et de « retour » pour désigner les deux composantes thématiques entre lesquelles alterne l’œuvre de Gabrielle Roy, qu’il divise en « trois grandes époques » : une première va de Bonheur d’occasion (1945) à Alexandre Chenevert (1954), en passant par La Petite Poule d’Eau (1950) et trois nouvelles publiées en 1948 (« Feuilles mortes », « Sécurité » et « La justice en Danaca et ailleurs ») ; une deuxième englobe Rue Deschambault (1955), La montagne secrète (1961), La route d’Altamont (1966) et quelques autres récits (souvenirs manitobains, nouvelles…) ; dans la troisième, on retrouve La rivière sans repos (1970), Cet été qui chantait (1972), Terre des hommes (1967), la nouvelle « L’arbre » (1970) et un article nécrologique sur Germaine Guèvremont (1969).
L’intuition fondamentale de François Ricard demeure juste dans l’ensemble car de l’une à l’autre période on voit se profiler l’opposition entre les deux « tendance[s] majeure[s] », symétriques, complémentaires et concomitantes indiquées plus haut. Même une fois complétée par Un jardin au bout du monde (1975), Ces enfants de ma vie (1977), Fragiles lumières de la terre (1978) et De quoi t’ennuies-tu, Éveline ? (1982), l’œuvre de Gabrielle Roy se soumet toujours plutôt bien à l’« opposition centrale » de l’exil et du retour, dite aussi de la « transgression » et de l’« appartenance », de la « séparation » et de la « communion », du « mouvement » et de la « stabilité », de l’« ailleurs » et de l’« ici », de la « fascination de l’espace » et du « goût de la permanence »… ; de sorte que l’actuelle réédition peut sans doute se justifier.
Cela dit, on conçoit mal néanmoins que l’essayiste, plus d’un quart de siècle plus tard, n’ait pas complété l’étude de l’œuvre dont il avait pleinement conscience qu’elle était « inachevée ». À part quelques changements mineurs dans la formulation, dans l’intitulé de deux chapitres et, le plus souvent, dans les notes infrapaginales, l’édition de 2001 est exactement la même, sous un titre différent, que la première, sans les nombreuses et pertinentes photos ni les extraits de « trois textes moins connus » que François Ricard avait inclus en 1975. Seule s’ajoute une « Présentation », par Anne-Marie Fortier, où l’on s’étonne de découvrir, sous le commentaire introductif attendu, un ton fortement lyrique et poétique. On ne peut dès lors que lever un sourcil pointilleux et interrogateur à la lecture de propos comme ceux-ci : « si on en avait le temps, on pourrait dégager de ces écrits [journalistiques] une sorte d’art du reportage propre à Gabrielle Roy ». Certes, François Ricard en avance « les principales caractéristiques », mais sans plus. Un peu plus loin, il procède de la même façon en réaffirmant qu’il n’existe « aucune étude véritablement approfondie » d’Alexandre Chenevert, tout en suggérant les aspects formels qu’un tel travail « devrait […] mettre en évidence » et qu’il dit « impossible ici ». Ailleurs, l’essayiste commente en ces termes la troisième et ultime partie de la division établie pour aborder l’œuvre de Gabrielle Roy : « quant à la dernière période, il est impossible de dire avec précision quel sera son aspect d’ensemble ou de savoir si le parallélisme observé entre les deux premières s’y retrouvera. Quoi qu’il en soit, cette division se veut purement provisoire ». Et le provisoire de demeurer…, « faute de recul », précise-t-il plus bas ! Et quand Ricard dit : « souhaitons […] que [Gabrielle Roy] réunisse un jour elle-même en volume quelques-uns [des] écrits » qui ont précédé la publication de Bonheur d’occasion, le lecteur sait bien que plusieurs de ces « nouvelles, contes, reportages » ont paru en 1978 dans Fragiles lumières de la terre.
Enfin, aurait-il été si difficile pour l’auteur de la magistrale biographie de Gabrielle Roy de compléter la chronologie royenne, qu’il connaît mieux que personne, et de mettre véritablement à jour une bibliographie qui, en 1975, annonçait notamment deux volumes « sur le point de paraître », à savoirUn jardin au bout du monde, qui a été effectivement édité en 1975, et Peuples du Canada, qui, lui, ne connaîtra pas la publication sous ce titre ni avec l’environnement alors prévu ? Tout bien considéré, est-il justifiable de publier en 2001 une Introduction à l’œuvre de Gabrielle Roy dont la bibliographie est tronquée des propres écrits de l’auteure (La détresse et l’enchantement, pour ne citer que ce titre) et qui ne fait pas la moindre mention de la magistrale Vie que François Ricard lui-même a signée en 1996 et qui vient d’être rééditée ?
À la décharge du critique-secrétaire-biographe, on peut arguer que « le temps qui lui a manqué » a été employé depuis de nombreuses années à la diffusion des œuvres de la romancière : c’est une activité particulière dont il s’acquitte avec un tact et une prudence exemplaires et qui s’ajoute à sa participation à la gestion des nombreuses archives royennes de même qu’à l’animation du susdit « Groupe de recherche sur Gabrielle Roy » voué, on s’en rappellera, à l’étude de « la totalité des écrits inédits et épars qu’a laissés la romancière ».
Mon cher grand fou…
Pendant qu’il rééditait son essai de 1975, François Ricard prenait également part, toujours avec Jane Everett, à l’édition de la correspondance que Gabrielle Roy a échangée pendant plus de trente ans avec son mari, le docteur Marcel Carbotte, gynécologue. La réalisation de ce fort volume, presque aussi imposant que la susdite Vie, en revient toutefois d’abord à Sophie Marcotte, qui présente la publication et introduit chacun des 48 ensembles épistoliers qu’elle regroupe en trois « blocs ». On se souvient que le nom de la même chercheure est rattaché à deux des ouvrages ici recensés, publiés tous deux en 2000. La même année, Sophie Marcotte a d’ailleurs également réalisé comme thèse de doctorat, à l’Université McGill, l’édition des lettres du destinataire, sous le titre Gabrielle Roy épistolière, La correspondance avec Marcel Carbotte.
La « Présentation » de Sophie Marcotte, relativement courte, contient des détails fort éclairants. Ainsi, la publication de cette correspondance, qui représente près du quart de l’œuvre épistolière de la romancière, a été souhaitée par l’auteure, tout comme celle qu’elle a tenue avec sa sœur Bernadette et qui, elle, a déjà été éditée. Les échanges s’ouvrent sur une écrivaine à qui le succès de Bonheur d’occasion vient d’apporter la gloire et qui vient tout juste de faire la connaissance de celui qui deviendra son mari, le 30 août 1947, après de brèves fréquentations. Ils se terminent avec l’infarctus qui terrassa le médecin 32 ans plus tard, non mortellement toutefois.
Comme toute correspondance, les lettres de Gabrielle Roy révèlent les préoccupations et les intérêts quotidiens les plus divers et en même temps les plus prévisibles : la découverte de paysages nouveaux, des réflexions sur les gens rencontrés, des ennuis de santé (qui vont de simples rhumes, ou indigestions, à une bronchite et même à une opération hémorroïdale), l’ennui tout court, de même que des commentaires sur la température, le logement, le transport… S’affichent aussi, chez ces époux qui se prêtent de l’argent et partagent le montant du loyer, des préoccupations monétaires régulières touchant les coûts d’une excursion, d’une pension, d’un motel, d’une traversée transatlantique, de la chambrette d’un train, du dentiste… Il y est également question de reçus de charité pour l’impôt, de chèques d’éditeurs, de coupons d’intérêt… Ailleurs, ce sont les tendres conseils d’une épouse aux tendances maternelles : « dors bien, mange bien, et travaille, mon chéri, dans la paix », « sois prudent ; repose-toi suffisamment. N’exagère pas la cigarette je te prie. Garde-toi bien portant et pense souvent à moi »… On y trouve encore, comme dans tout échange épistolaire, les réalités les moins colorées et les plus banales du quotidien, concernant par exemple l’envoi de fil de coton, le nettoyage des rideaux, la peinture de l’appartement, la pose d’un tapis… Gabrielle Roy confie de même parfois des commissions à son mari : des coups de téléphone à donner, des promenades et des ballades à faire faire, des lettres à écrire, du linge à ranger…
Les missives éclairent aussi d’un jour particulier l’évolution des relations conjugales des Carbotte, qui vont de l’amour fou de jeunes mariés à la tendre amitié d’un couple ayant survécu à d’inévitables mésententes et décidé de conserver forte l’affection qui les unit. Quasi régulièrement quotidiennes au début, les lettres s’espaceront avec le temps, surtout de la part de l’époux, qui se le verra fréquemment reprocher et qui, dévoile Sophie Marcotte, ira même jusqu’à ne plus répondre du tout dans les dernières années. Les « cher compagnon de ma vie », « mon cher chou d’amour », « mon petit enfant chéri » et autres « cher grand fou » laisseront graduellement la place aux simples et presque uniques « cher Marcel » dès 1955.
Sauf en de rares occasions, dont celle du dernier voyage de Gabrielle Roy en Floride, à l’hiver 1978-1979, alors que sa santé chancelle, le regard que porte l’épistolière sur les gens et les choses traduit une attitude positive et une empathie qui lui font taire le détail des prises de bec du couple ou des jugements défavorables portés au hasard des rencontres. La discrétion de Gabrielle Roy touche aussi bien l’homosexualité de Marcel Carbotte, dont il n’est aucunement question, comme le souligne à bon droit Sophie Marcotte, que les travers humains. S’agit-il d’un être « malhonnête plutôt qu’imbécile », d’une personne orgueilleuse et profiteuse, du « plus bel éteignoir que l’on puisse rencontrer », de la « curiosité » des uns, des « lieux communs » de la « conversation » des autres, ou encore du peuple français qui ne sait pas écouter ou qui manque de politesse avec les étrangers, ce ne sont généralement que notations rapides, vite supplantées par la recherche de l’humanité chez autrui. « Je préfère te garder cela [‘ les potins ‘] pour une narration orale », « je […] te réserve mille petites histoires savoureuses à te raconter à mon retour », dit-elle par exemple.
Gabrielle Roy fait preuve d’une même discrétion quand il s’agit des membres de sa famille. Si Anna est un « être tourmenté », Clémence, une « bizarre créature », ou Adèle, une pauvre femme « têtue comme pas une », tous sont en général vus sous l’angle indulgent de qui souhaite « une disponibilité entière à l’humain », compte sur la douceur « de rencontrer la chaleur humaine », préfère « l’onde amère et chaude de l’humain » et reconnaît que « pour traverser les difficultés, les épreuves de la vie, rien n’est meilleur qu’une tendresse, qu’une amitié profonde ». On retrouve ici la « longue quête inépuisable » évoquée plus haut.
On aurait pu par ailleurs s’attendre à des propos inédits concernant l’inspiration créatrice et la réalisation concrète de l’œuvre royenne. Comme le fait remarquer à nouveau Sophie Marcotte, Gabrielle Roy parle peu de sa conception du travail d’écrivain. « Je sais maintenant que le début d’une œuvre exige un certain moment de silence, l’atmosphère […] d’une couveuse », confie-t-elle par exemple en 1948, et il est question ailleurs de son « besoin naturel […] de calme et de réflexion », d’« isolement », de « solitude », du « grand besoin douloureux d’être seule avec cet être intérieur en nous qui est si accaparant et exigeant ». Gabrielle Roy fait de même une fois allusion à la « divine émotion créatrice » et effleure à quelques reprises les difficultés rencontrées lors de la rédaction d’Alexandre Chenevert. Mais, dans l’ensemble, peu de lettres abordent le sujet de la création littéraire, qui est pourtant, avec le besoin de repos, le motif principal des différents séjours canadiens, américains et européens de l’auteure. Et lorsqu’elle fréquente des artistes et des écrivains ou qu’elle évoque la visite de musées et d’expositions, les propos de l’épistolière ne sont pas plus éloquents.
Considérons ici une double hypothèse formulée par la présentatrice. « Il semble », dit Sophie Marcotte, « au fur et à mesure que la correspondance progresse, que Gabrielle s’adresse de plus en plus à un destinataire virtuel, peut-être déjà aux lecteurs de son œuvre qui sont aussi les lecteurs potentiels de sa correspondance, plutôt qu’à Marcel lui-même, qui se retire peu à peu de l’échange ». Et, avance-t-elle aussi, « la lettre s’apparente de plus en plus à un exercice de style, répété presque chaque jour, un peu à la manière du musicien qui exécute ses gammes ». Si elle peut justifier la discrétion des lettres de Gabrielle Roy, la première hypothèse ne saurait en rien expliquer le silence de la romancière sur son travail d’écrivain. Les fréquentes descriptions de paysages, où sont évoqués par exemple de façon visiblement appliquée les cris des oiseaux, les coloris des arbres et les odeurs de la nature, peuvent en revanche servir à accréditer la seconde et à comprendre le côté finalement peu intimiste de cette correspondance qui aurait pu (ou dû ?) l’être.
Au terme de ce rapide tour d’horizon de quelques-unes des récentes publications relatives à l’œuvre de Gabrielle Roy, il est stimulant de voir que les archives royennes recèlent encore des écrits de qualité, que François Ricard et son équipe distillent avec compétence et doigté, tout autant qu’il est rassurant de constater la qualité générale des travaux qui découlent de l’étude d’une œuvre incontournable du corpus littéraire québécois.
1. François Ricard, Gabrielle Roy, une vie, Boréal, Montréal, 1996, p. 478.
2. Il s’agit de la revue trimestrielle publiée par la maison Larousse et le Département de littérature française de l’Université Paris-8 (Vincennes/Saint-Denis). La revue Littératures évoquée plus haut, au pluriel, est celle du Département de langue et littérature françaises de l’Université McGill.
3. Sous la dir. de François Ricard et Jane Everett, Gabrielle Roy inédite, suivi de « La maison rose près du bac », nouvelle inédite de Gabrielle Roy, Nota bene, Québec, 2000, 232 p. ; 19,95 $.
4. Gabrielle Roy, Le pays de « Bonheur d’occasion » et autres récits autobiographiques épars et inédits, édition préparée par François Ricard, Sophie Marcotte et Jane Everett, Boréal, Montréal, 2000, 160 p. ; 17,95 $.
5. François Ricard, Introduction à l’œuvre de Gabrielle Roy (1945-1975), présentation de Anne-Marie Fortier, Nota bene, Québec, 2001, 199 p. ; 10,95 $.
6. Gabrielle Roy, Mon cher grand fou…, Lettres à Marcel Carbotte 1947-1979, édition préparée par Sophie Marcotte, avec la collaboration de François Ricard et Jane Everett, Boréal, Montréal, 2001, 825 p. ; 34,95 $.
7. Gabrielle Roy, Le temps qui m’a manqué, suite de « La détresse et l’enchantement », édition préparée par François Ricard, Dominique Fortier et Jane Everett, Boréal, Montréal, 2000, 109 p. ; 11,95 $. On pourra lire le compte rendu que j’ai fait de cette « beethovenienne symphonie inachevée » dans un numéro précédent de Nuit blanche (n° 71, été 1998, p. 10).
8. François Ricard, Gabrielle Roy, Fides, Montréal, 1975, 192 p.
Gabrielle Roy a publié :
Bonheur d’occasion (1945)*, Boréal, 1988 ; La Petite Poule d’Eau (1950), Boréal, 1993 ; Alexandre Chenevert (1954), Boréal, 1995 ; Rue Deschambault (1955), Boréal, 1994 ; La montagne secrète (1961), Boréal, 1994 ; La route d’Altamont, HMH, 1966 ; La rivière sans repos (1970), Boréal, 1995 ; Cet été qui chantait (1972), Boréal, 1993 ; Un jardin au bout du monde (1975), Boréal, 1994 ;Contes pour enfants, ill. de Nicole Lafond, (Ma vache Bossie (1976), Courte-Queue (1979), L’Espagnole et la Pékinoise (1986), L’empereur des bois), Boréal, 1998 ; Ces enfants de ma vie (1977), Boréal, 1994 ; Fragiles lumières de la terre (1978), Boréal, 1996 ; De quoi t’ennuies-tu, Évelyne ? suivi de Ély ! Ély ! Ély ! (1979), Boréal, 1979 ; La détresse et l’enchantement (1984), Boréal, 1990 et 1996 ; L’Espagnole et la Pékinoise (1986), ill. de Jean-Yves Ahern, Boréal, 1986 ; Ma chère petite sœur (1988), Boréal, 1999 ; Le temps qui m’a manqué (1997), suite de La détresse et l’enchantement, édition préparée par François Ricard, Dominique Fortier et Jane Everett, Boréal, 2000 ; Le pays de « Bonheur d’occasion » et autres récits autobiographiques épars et inédits, édition préparée par François Ricard, Sophie Marcotte et Jane Everett, Boréal, 2000 ; Mon cher grand fou…, Lettres à Marcel Carbotte 1947-1979, édition de Sophie Marcotte, François Ricard et Jane Everett, Boréal, 2001.
*La date entre parenthèses est celle de l’édition originale.