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Auteur/autrice : Denis Landry
Roland Bourneuf. Sans doute médite-t-il sur la beauté du monde
Ce qu’il me faut dire immédiatement : Roland Bourneuf m’a enseigné, et tellement bien que je lui ai demandé, c’était en 1978, de diriger mes études de maîtrise, ce qu’il a accepté. Je le désigne volontiers comme mon maître, ainsi que les compagnons appelaient celui qui leur apprenait à travailler, de chantier en chantier. Si j’y tiens, en dépit de l’anachronisme, c’est qu’il favorisait l’expression de la sensibilité dans l’interprétation des œuvres, de préférence à l’application d’un cadre théorique . . .
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Nicole Brossard. Que notre foi demeure
Pourquoi ne pas l’avouer ? Je suis intimidée. Certes devant l’œuvre littéraire, mais tout autant devant l’engagement profond et soutenu de Nicole Brossard à l’endroit de la parole femme.
Dans L’entaille et la durée1, le fil rouge de sa pensée traverse un demi-siècle, de 1969 à 2019, selon une quarantaine d’essais tirés d’un corpus initial de quelque 300 titres. À ce jour, la seule anthologie de la pensée de Brossard publiée l’a été en anglais, en 2005. Le doigté et . . .
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Deux portraits d’une femme unique
Lire de front deux bandes dessinées distinctes racontant la même histoire… l’exercice n’est pas nouveau mais jamais banal non plus. Et quand l’histoire frappe l’imaginaire tout en étant véridique, l’expérience s’avère doublement – que dis-je, quadruplement – enrichissante !
Le destin de Stéphanie St-Clair défie la vraisemblance. À New York, on la surnommait « Queenie » ou encore « la Française », mais elle venait de la Martinique. Partie de rien, elle a monté des affaires (souvent illicites) qu’elle menait d’une poigne de fer. Elle est devenue riche . . .
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Christian Roy : le code secret derrière lequel le poète se cache
C’est décembre, un ciel lumineux brille sur Moncton. Je viens de passer les derniers jours à me laisser imprégner par l’œuvre de celui avec qui je m’entretiendrai durant la matinée. Comme moi, Christian Roy vit dans la capitale culturelle acadienne. Il fréquente des lieux que je fréquente et connaît des gens que je connais. C’est difficile à croire, mais nous ne nous sommes jamais rencontrés.
Dans un café de la rue Saint-Georges, c’est un homme à l’œil rieur et au regard franc que je découvre, un . . .
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Chronique d’un laisser-faire toxique. Pierre Céré et le dossier noir de la Fonderie Horne
L’histoire d’une ville érigée pour satisfaire les besoins d’une compagnie extractiviste ne peut être qu’une histoire d’horreur. Dans Voyage au bout de la mine1, Pierre Céré expose en détail comment, de la Noranda Mines dans les années 1920 à Glencore aujourd’hui, la population de Rouyn-Noranda paye de sa santé la prospérité de la grande entreprise.
Comme le souligne Alain Deneault dans sa préface, Voyage au bout de la mine met en lumière « l’exploitation polluante et . . .
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Jean-Simon DesRochers : sueur chaude, sueur froide
Après une entrée remarquée dans la vie littéraire québécoise par le biais de la poésie, Jean-Simon DesRochers s’est fait connaître d’un plus vaste lectorat grâce à deux romans denses et polyphoniques : La canicule des pauvres (2009) et Le sablier des solitudes (2011).
DesRochers est également professeur de littérature à l’Université de Montréal. Comme chercheur, il s’est intéressé à la création littéraire, privilégiant une démarche au confluent des sciences cognitives, de la philosophie et de l’anthropologie . . .
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Jean-Philippe Dupuis, ce présent éternel de l’enfance
Né à Montréal en 1966, Jean-Philippe Dupuis est cinéaste et poète. Cinéaste, il a remporté, en 2011, le Prix du meilleur film canadien pour Saint-Denys Garneau, au Festival international du film sur l’art (FIFA) de Montréal. Poète, il a fait paraître, depuis 1999, quatre recueils, dont Langue maternelle, finaliste aux prix littéraires du Gouverneur général en 2014.
Les yeux d’un animal au repos, son plus récent livre, évoque l’enfance et ses jeux, la . . .
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La collection « micro r-m » des Éditions du remue-ménage. Visibiliser la contribution des femmes
Dans la collection « micro r-m » du Remue-ménage, nous trouvons quatre titres. Il s’agit de textes assez courts, dont le petit format devrait faciliter la diffusion.
Le travail ménager
Le féminisme italien a une longue histoire. Louise Toupin, professeure et chercheuse montréalaise spécialisée en études féministes, avait déjà publié des entretiens avec deux de ses figures marquantes en 2014 dans son livre Le salaire au travail ménager. Chronique d’une lutte féministe internationale (1972-1977).
Toupin s’entretient d’abord avec Mariarosa . . .
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Onze déclarations d’amour et un plaidoyer pour la liberté d’enseignement
Chaque année, les enseignants de littérature doivent répondre à la même question : quelles œuvres inscrire au plan de cours qui sera remis aux étudiants ? Une nouvelle préoccupation s’y est greffée au cours des dernières années : les œuvres choisies risquent-elles de provoquer de l’inconfort chez les étudiants, de les heurter ? Doit-on opter pour une œuvre du jour ou un classique ? Quelles œuvres sont considérées comme incontournables, voire essentielles pour contribuer au développement d’un fonds culturel commun ?
Deux livres récemment parus s’intéressent . . .
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Pendant le naufrage*
« Toute ma vie, j’ai essayé de fusionner
la poésie, la philosophie et la science
dans une seule phrase universelle. »La chair ne peut générer un authentique désir sans mouvement perpétuel.
Nous ne sommes pas faits pour l’équilibre dans l’échange, même en circuit fermé. Dans la vie ordinaire, nous lisons sans cesse le même programme redondant de la félicité sans perfection.
Entre les biologies surréalistes et les intelligences démentes, existe-t-il un espace non entaché de leur présence ?
Nous sommes . . .
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Le livre de Victor
Extrait d’un récit à paraître aux Éditions 8 en mai 2024
Il me faudrait mettre un terme définitif au mythe de la maison natale que je traîne depuis si longtemps. Le petit pavillon à demi caché dans un bouquet d’érables plein de recoins et de mystère n’a jamais existé que dans mon imagination. Peut-être aussi dans celle de mes deux frères aînés, je ne sais, nous n’en avons jamais parlé dans les quelques années où nous avons vécu ensemble comme adolescents.
Quand mon père . . .
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Dans les eaux boueuses de Perdido. La série Blackwater de Michael McDowell
Emporté par le sida à la veille de la cinquantaine, Michael McDowell (1950-1999) est reconnu aux États-Unis comme un maître de la littérature d’horreur. Auteur de romans gothiques méridionaux tels que Les brumes de Babylone (1980) et Cauchemars de sable (1981), il a aussi scénarisé Beetlejuice(1988) de Tim Burton et coscénarisé L’étrange Noël de Monsieur Jack (1993) d’Henri Selick. La saga en six volumes1 intitulée Blackwater, qui paraît pour la première fois en français . . .
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Jacques Brault. Le jardiner, ses myosotis et sa très vive espérance
C’est en plein confinement, au temps pas très lointain de la pandémie, que Jacques Brault entreprend d’écrire l’essentiel de ce qui sera son dernier recueil. Durant quelques années, une longue maladie l’aura précédemment détourné de l’écriture. Ce sera pour saluer la mémoire de sa compagne de toujours, Madeleine, décédée en 2014, qu’il rédigera enfin À jamais1.
Le statut de ce livre posthume est tout à fait particulier. Il tient d’abord à sa nature, mais sa signature y est . . .
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La BD documentaire au Québec
La bande dessinée québécoise traverse une période dorée. Son essor s’observe notamment dans la veine documentaire.
D’emblée, pour une partie du public moins au fait de l’évolution du neuvième art, il convient de souligner qu’effectivement, il existe une BD pouvant être qualifiée de documentaire, au même titre que certains ouvrages ou films. Le spectre est large, puisque le documentaire comprend tout ce qui ne correspond pas à de la fiction.
Reportages, essais et carnets de tournage
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Le vertige, le tableau et le monstre
Lorsque l’on m’a proposé d’écrire dans cette fameuse rubrique, j’ai fait comme je le fais toujours quand on me donne l’occasion de vivre une expérience littéraire ou professionnelle inédite : j’ai dit oui presque tout de suite. Saisir la balle au bond d’abord, analyser en profondeur ce que cela suppose ensuite.
Cependant, au moment de m’asseoir pour rédiger ces lignes, je me dois d’admettre que l’expérience est assez singulière… et qu’elle m’occasionne plus de maux de tête que je ne l’aurais . . .
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Maïté Snauwaert. Un plongeon dans les journaux de deuil
Professeure à l’Université de l’Alberta, Maïté Snauwaert s’intéresse aux œuvres littéraires et artistiques qui représentent la fin de vie, le vieillissement, et la perte d’un être cher, qu’il s’agisse d’un parent, d’un conjoint ou d’un enfant. Dans son dernier essai11, dont le titre est emprunté à Joseph Luzzi2, écrivain et enseignant expert de l’œuvre de Dante, l’auteure poursuit cette exploration aussi dense que riche par les pistes de réflexion qu’elle propose.
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Jean-François Létourneau. Redresser les cadastres du récit continental
Se décrivant avant tout comme un pédagogue, Jean-François Létourneau a publié un essai sur la poésie autochtone en 2017 (Le territoire dans les veines) et un roman à caractère autofictionnel en 2021 (Le territoire sauvage de l’âme). L’an dernier, il a signé, en compagnie de Sébastien Langlois, un second essai, cette fois s’intéressant à la chanson de tradition orale et à ses multiples ramifications (En montant la rivière). Depuis 2016, Létourneau agit en tant que conteur au sein du projet Marchands de . . .
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Philippe Claudel. « L’enfer, c’est d’avoir perdu l’espoir*. »
Tout comme la quinzaine de romans de Philippe Claudel1, Crépuscule, le dernier opus du secrétaire général de l’Académie Goncourt, est une intrigue policière fortement métissée de saga historique, de fable philosophique et même d’essai politique.
Dramaturge, cinéaste, mais aussi auteur de récits, d’essais et de poésie, Claudel évoque à l’infini le même postulat que proposait il y a 2 000 ans le dramaturge latin Plaute2, qui a par ailleurs inspiré Shakespeare et Molière : l’homme . . .
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Cherie Dimaline. Dénoncer le colonialisme blanc
Membre de la communauté métisse de la baie Georgienne (lac Huron), Cherie Dimaline a proposé récemment une dystopie en deux volets, Pilleurs de rêves1 et Chasseurs d’étoiles2, et le thriller fantastique Rougarou3. Dans chacun de ces romans, véritables paraboles dénonçant le colonialisme blanc, sont revisitées les . . .
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Une amitié en toutes lettres
La connaissance qu’on a de Louis Dantin se limite ordinairement au fait qu’il a réuni les poèmes d’Émile Nelligan et qu’on lui doit ainsi d’avoir permis à un jeune homme trop tôt écarté de la vie littéraire et de la vie sociale d’exister ; quant à Germain Beaulieu, son correspondant pendant une trentaine d’années, cofondateur de l’École littéraire de Montréal et entomologiste de talent, estimé du frère Marie-Victorin, il appartient à la liste de ceux dont l’histoire n’a pas retenu le nom.
Ce déficit . . .
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Les plaisirs hantés de Raphaëlle B. Adam
Elle ne saurait dire d’où lui vient au juste son intérêt pour l’imaginaire. Elle se souvient en revanche qu’à quatre ans, déjà, son film préféré était L’étrange Noël de monsieur Jack, de Tim Burton. Contributrice à différents ouvrages collectifs et à des revues spécialisées depuis 2011, elle a fait paraître un premier recueil de nouvelles en 2020 et un premier roman en 2023. Nous l’avons invitée à nous parler de son travail1.
Patrick Bergeron : Vous avez publié votre premier ouvrage en 2020 . . .
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Patrick Buisson, vieilles lunettes subversives
Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’auteur n’est pas impressionné par le progrès. Son dernier opus, Décadanse1, une brique de 500 pages, fait l’inventaire des jalons ayant marqué l’évolution de la société des « Trente Glorieuses » (1945-1975) en démontant systématiquement le discours triomphant qui l’accompagnait.
De chapitre en chapitre, Patrick Buisson aborde dans l’ordre chronologique les avancées qui ont fait qu’un jeune de 20 ans, en 1975, ne vivait pas du tout dans . . .
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Anima de Michel Onfray : étude d’un objet inexistant
L’usine à bouquins qu’est Michel Onfray (plus d’une centaine d’ouvrages à son actif) nous propose en 400 pages une histoire d’une âme dont il réfute l’existence. Exercice philosophique par excellence.
Michel Onfray, c’est bien connu depuis au moins son Traité d’athéologie (2005), aime à vilipender les religions. En entrevue, il mentionne souvent qu’il tente aujourd’hui d’épargner un tant soit peu le christianisme en vertu du principe qu’on ne tire pas sur une ambulance et parce que cette religion nous a légué une civilisation qui lui tient à cœur. Il reste que l’esprit est ardent, mais la chair est faible : le philosophe n’en rate pas une dès qu’il est question de tourner en ridicule les penseurs de la patristique. Mais soyons honnêtes : en fait, tout ce qui n’est pas matérialiste y passe et les théologiens ne sont pas ses seules têtes de Turc.
C’est ainsi que son nouvel opus1. est consacré à un objet d’étude dont il est entendu d’emblée qu’il n’existe pas : l’âme. Il s’agira donc d’exposer comment cette notion est née dans l’histoire de l’humanité (première partie : « Construire l’âme »), comment elle a pris du plomb dans l’aile (deuxième partie : « Déconstruire l’âme ») et comment elle est disparue (?) de l’horizon humain (troisième partie : « Détruire l’âme ») pour ensuite être recyclée par… Elon Musk (conclusion : « Sous le signe de la méduse »).
De l’Égypte ancienne aux Pères de l’Église
Où naquit, donc, cette idée selon laquelle notre être ne se limite pas au corps matériel, mais comporte également quelque chose qui y survit ? Alors qu’on nous apprend traditionnellement que ce sont les Grecs qui ont séparé le corps et l’âme, Onfray nous signale que ceux-ci tenaient en réalité cette vision du monde de l’Égypte. Mais avant ? Pour décrire la pensée de l’homme préhistorique, le philosophe recourt volontiers aux formules étourdissantes dont il est friand : « À l’époque, pas d’âme immatérielle dans un corps matériel : tout est matière, et l’esprit est probablement matière aussi. À moins que l’inverse dise mieux les choses : tout est esprit, et la matière est esprit aussi. Une matière spirituelle, un esprit matériel, sous forme d’un souffle qui correspond à ce qui dans la vie veut la vie et n’est plus là quand la mort s’y trouve ».
Ce serait donc à partir des Égyptiens puis des Grecs que l’humanité occidentale cultive l’idée d’une âme mystérieusement unie au corps pendant la vie et séparée de lui à la mort. On sait que le flambeau sera repris par le christianisme quoique, selon Onfray, avec une touche diabolique : « Le christianisme […] garde le dualisme, qui coupe le corps en deux, l’âme d’un côté, la chair de l’autre ; […]. Mais son originalité se trouve dans la métamorphose de l’âme blanche des platoniciens en âme noire des chrétiens ».
Pourtant, comme l’auteur le rappelle à juste titre, « les évangiles ne se soucient nullement d’une âme à punir en enfer ou à récompenser au paradis, d’un corps coupé en deux avec, d’une part, la chair détestable, de l’autre, l’âme vénérable ». C’est en effet saint Paul au Ier siècle puis, parmi les voix les plus entendues, saint Augustin au début du Ve siècle qui nous enseigneront à consciencieusement mépriser le corps. Dans le détail, on restera prudent quant à l’interprétation faite par Michel Onfray des écrits patristiques, interprétation dont plusieurs éléments ont été brillamment réfutés par l’historien Jean-Marie Salamito dans Monsieur Onfray au pays des mythes2. Mais pour l’essentiel, il n’est peut-être pas faux d’affirmer que le christianisme est « moins christique que paulinien » : « Craindre et trembler, voilà la matrice du paulinisme, c’est très exactement le contraire de l’enseignement de Jésus ». Cela dit, ces coups de boutoir contre l’institution ecclésiastique nous éloignent un peu de la question de fond, léger travers qu’on observe à plusieurs reprises dans l’ouvrage.
Ni Dieu ni âme
L’histoire d’une âme qui n’existe pas, c’est en fait l’histoire de deux visions du monde : l’une avec Dieu et l’autre sans Dieu. Les matérialistes, tenants de cette seconde cosmologie, ont toujours existé ; c’est seulement qu’ils n’ont pas toujours eu le porte-voix le plus puissant dans notre histoire. Épicure, par exemple, à cheval entre les IVe et IIIe siècles avant notre ère et grand maître à penser de notre auteur, aurait « violemment » été attaqué par les Pères de l’Église « parce que sa pensée radicalement matérialiste interdit leurs fictions ».
La pensée patristique, puis scolastique, a dominé l’Europe jusqu’à l’ère moderne, et le « point de bascule de notre civilisation » arrive au XVIIIe siècle sous la plume d’un personnage inattendu : Jean Meslier, prêtre athée dont le Testament n’a été publié qu’après sa mort survenue en 1729. Le bon curé ne voulait en effet pas s’attirer les foudres de sa hiérarchie en exposant son matérialisme invétéré de son vivant, mais il a soigneusement noté ses idées, que Voltaire fera publier en 1762. Selon Onfray, qui aime à faire découvrir au public des penseurs dont l’histoire canonique n’a pas tendance à retenir le nom (cf. sa Contre-histoire de la philosophie en 13 volumes), personne avant Meslier n’a aussi franchement que lui affirmé que « Dieu n’existe pas » : « [P]our Meslier le corps et l’âme sont constitués d’une seule et même matière ! […] La matière peut donc percevoir, sentir, connaître, aimer, haïr, désirer, subir les passions de l’âme. Toutes ces opérations se réduisent à des modifications de la matière ».
Onfray ne se préoccupe pas de savoir à quoi rime une âme matérielle : on a évacué Dieu, c’est l’essentiel. Il est moins complaisant envers l’idéaliste Socrate, qu’il pousse sans ménagement jusque dans ses derniers retranchements. En effet, au maître de Platon qui affirme que l’âme n’est lucide qu’en « envoyant promener le corps » pour ne pas être abusée par lui, il objecte ceci : « Mais Socrate ne nous dit pas comment une âme sourde, une âme aveugle, une âme impassible, une âme ascétique, une âme apathique, une âme insensible pourrait connaître et de quelle manière ! »
Une somme à la Onfray
L’originalité d’Anima se trouve sans doute dans l’idée de faire l’histoire de la notion d’âme, aujourd’hui assez négligée mais qui fut si prégnante dans l’histoire de l’humanité, d’un point de vue totalement extérieur – pour ne pas dire cynique – en traçant un arc complet depuis la préhistoire jusqu’à l’époque contemporaine, et même au-delà. Car le philosophe, dans une pirouette inattendue, établit une continuité entre l’âme idéale de Platon ou de Plotin et les ambitions visionnaires d’Elon Musk, qui annonce un monde où l’on pourra transplanter les data de votre cerveau dans une machine, voire dans un autre cerveau. L’idée que ces fameuses données numérisées puissent constituer la version moderne de l’âme a de quoi laisser perplexe, et on salue bien bas la capacité de l’auteur à frapper l’imagination, mais enfin, le lien n’est peut-être pas aussi évident qu’il voudrait le faire croire. On sait en fait que le transhumanisme figure au nombre des préoccupations les plus intenses du prolifique philosophe, mais, si justifiée soit cette préoccupation par ailleurs, il n’est pas évident qu’elle ait véritablement sa place dans un traité sur l’âme. Le lecteur en jugera.
Comme souvent avec Onfray, la richesse et la diversité des auteurs cités coupent le souffle. Certes, les interprétations que fait le philosophe des œuvres qu’il commente suscitent parfois des réserves ; nous avons parlé plus haut de Jean-Marie Salamito, et on pourrait mentionner aussi le tollé suscité par son livre sur Freud en 20113. On lui reconnaîtra à tout le moins la capacité à la fois de déterrer ou de ramener à la lumière des auteurs inconnus ou méconnus, d’en résumer la pensée de manière cohérente et de jeter un regard critique nouveau sur les plus connus. En effet, du lointain Pythagore au presque contemporain Édouard Glissant, en passant par Origène, Plotin, Montaigne, Descartes, Gassendi, Maupertuis et tant d’autres, on ne peut douter du caractère exhaustif de l’inventaire d’Anima.
1. Michel Onfray, Anima. Vie et mort de l’âme de Lascaux au transhumanisme, Albin Michel, Paris, 2023, 412 p.
2. Jean-Marie Salamito, Monsieur Onfray au pays des mythes. Réponses sur Jésus et le christianisme, Salvator, Paris, 2017, 147 p.
3. Michel Onfray, Le crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne, Grasset, Paris, 2010, 624 p.EXTRAITS
L’âme immatérielle, immortelle, telle que la pensent Pythagore et après lui Platon, puis les chrétiens, voilà donc une idée égyptienne. Ce que confirme Hérodote dans son Enquête sur l’histoire et les coutumes du peuple égyptien : « Ce sont encore des Égyptiens qui, les premiers, ont dit que l’âme humaine est immortelle ».
p. 46Rousseau attaque la religion chrétienne non parce qu’elle est religion, mais parce qu’elle est chrétienne et que, en vendant son arrière-monde et son au-delà, elle s’arrange des misères du monde ici-bas et collabore avec ceux qui entretiennent l’injustice sociale et qui, en vertu de la jurisprudence paulinienne selon laquelle tout pouvoir vient de Dieu, célèbrent la soumission aux pouvoirs terrestres comme moyen de gagner le salut.
p. 319Le philosophe [Rousseau] et le politicien [Robespierre] veulent un Homme Nouveau : ce sera celui des Jacobins ; ce sera aussi celui des fascistes et des bolcheviques ; c’est aujourd’hui celui des transhumanistes.
p. 327L’effondrement de l’Europe judéo-chrétienne ne va pas sans la disparition d’une philosophie digne de ce nom – je m’inclus dans ce constat bien évidemment… […] L’Histoire s’écrit désormais depuis la partie occidentale de l’Amérique, qui voit s’éloigner d’elle « l’Europe aux anciens parapets », pour la nommer avec les mots de Rimbaud, à la vitesse d’un corbillard emballé.
p. 377Hélène Leclerc, la collectionneuse d’instants
Hélène Leclerc habite le monde en poète. Elle écrit de brefs poèmes – que l’on appelle haïkus – où la vie se déploie et s’éveille. Ces trois petites lignes, qui ressemblent à une respiration, apportent un rythme très particulier à la poésie. Elles nous apprennent à lire, elles nous réapprennent à voir. En aérant le poème, Hélène Leclerc nous rappelle la nécessité de la lenteur et de la méditation.
Ses haïkus apaisent notre agitation et laissent entendre, souvent pour la première fois, le . . .
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David Goudreault. Autrices criminelles recherchées
David Goudreault a récemment fait son entrée dans l’emblématique dictionnaire français Le Robert illustré (2024). Au Québec, il est régulièrement invité sur les plateaux de télévision, où il est surtout connu en raison de ses performances de slameur. Son aisance naturelle, sa prestance scénique et son talent pour briller devant les caméras contribuent certainement à son succès. Conscient de cette popularité forgée par les médias, c’est avec une pointe d’ironie qu’il écrit dans son recueil Vif oubli : « Une . . .
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