Yanvalou pour Charlie est un portrait brossé de l’intérieur, sans tabou, d’un homme sorti de son petit village pour aller se faire une vie à Port-au-Prince ; abandonnant ses souvenirs troublants, insupportables. « Je viens, je m’en souviens, du trou du cul du monde », dit-il.
Voilà que le passé de cet homme, Mathurin, le rattrape et ne le lâche plus. Il avait pourtant réussi. Réussi à s’oublier. Mais le jeune Charlie se présente à son cabinet d’avocat et le propulse de ses mots dans ce passé.
Au cours du récit, l’auteur émet de sérieux doutes sur la sincérité de l’aide humanitaire et de ses acteurs bien nantis. L’adoption internationale y passe aussi au tordeur. Cul-de-sac. Cul-de-sac pour plusieurs jeunes coincés dans leur merde, malgré toute l’énergie dont certains font preuve. Cul-de-sac pour deux enfants de riches aux ambitions de sauveurs du monde chez qui tout éclate en plein visage. Cul-de-sac pour la mère balafrée qui espérait, en s’effaçant, sauver son enfant d’une vie qui n’en est pas une.
Que me reste-t-il de la lecture de ce roman ? Une amertume tenace en bouche. Mais aussi l’impression d’avoir lu un auteur à la plume habile. Pourtant, la structure du roman est brisée. Ses deux premiers chapitres dépeignent chacun la vision d’un personnage. Le premier dans une langue précise d’avocat ; le second, emmêlé dans la voix d’un jeune orphelin pauvre, qui vient tordre la langue, la faire se délier. Sorry d’exister, dit-il. La convention change au troisième chapitre, nous offrant une narration plus neutre. Des événements graves se déroulent. Un plan d’ensemble est brossé. Ce recul était nécessaire, bien qu’il dérange la fluidité de la lecture. Le dernier chapitre laisse poindre le seul espoir qu’on rencontre au cours du roman. Un sac d’argent abandonné par des jeunes après un malentendu dévastateur favorise la réalisation d’un projet éducatif pour des dizaines d’autres enfants.
Bref, ce roman témoigne d’un monde de solitude, d’abandon, où il est malvenu d’avoir des ambitions. C’est l’œuvre d’un poète haïtien important, qui a publié plusieurs recueils de poésie et romans, et dont la poésie transperce les pages du livre, comme un baume. Une poésie parfois dure, comme une impression sur papier d’une douleur fulgurante.