Messire Benvenuto (JCL, 2001) avait révélé le talent de François Guérin comme recréateur de l’histoire et de la sociologie. En racontant et en romançant la biographie du sculpteur Cellini, il était parvenu non seulement à le rendre vivant, mais à nous faire comprendre son époque et les défis dont elle était lourde. Cellini, inventif et fantasque, entrait de plain-pied dans notre imaginaire.
Prodige noir tente la même aventure avec un égal succès. Certes, l’époque et le décor diffèrent, les États-Unis plutôt que Florence, le balbutiant vingtième siècle et son racisme plutôt que les affrontements entre mécènes cosmopolites. Mais la performance de l’auteur suscite la même admiration. Voilà un jeune Noir dont le fabuleux talent de pianiste s’épanouit grâce à la reconnaissance d’une famille blanche. Adopté par une femme éprise de musique, l’enfant donne très tôt les preuves d’un don rarissime. Mais comment pourrait-il l’exprimer dans un monde qui présume l’infériorité culturelle des Noirs ? Le hasard permettra quand même à l’enfant d’attirer sur lui l’attention d’un maître du piano et de bénéficier à Paris d’un apprentissage privilégié. Ce sont là des années de détente et de formation qui, peut-être, permettront enfin au jeune prodige une carrière conforme à son mérite. François Guérin ne lésine d’ailleurs pas sur les moyens : son héros, en effet, fréquente Debussy, Cocteau, Satie, Stravinsky ! Comment, sous leurs éloges, ne consoliderait-il pas sa confiance en lui-même ? Mais c’est soudain la guerre. 1914 renvoie le jeune homme à sa terre d’Amérique, une Amérique encore sous l’emprise de ses exclusions. Gershwin a beau s’interposer, l’ostracisme persiste.
Guérin ne sous-estime pas son lecteur. Il n’éprouve pas le besoin de préciser lourdement ce que l’empathie peut et doit faire comprendre. Qu’on ne s’attende donc pas à ce que la conclusion baigne dans une clarté parfaite.