Imaginez un instant le cahier du poète. Celui qu’il trimbale un peu partout, dans lequel il griffonne, note, rature, écrit. Approchez-vous d’un peu plus près. Penchez-vous sur une page. Une toute petite page, une seule, lignée et garnie de deux marges sur les côtés. Restez ainsi quelques instants. Et puis regardez.
Le dos courbé, l’oreille tendue, l’œil fasciné : c’est ainsi qu’il faut lire le bien beau petit livre du poète José Acquelin, intitulé Paradoxes de la fragilité, En marge du poème. Car c’est bien dans les marges qu’on est convié. Non pas dans l’écriture du poème, non pas dans l’accomplissement de l’œuvre, mais dans le lent, le patient travail de la poésie ‘ qui est la vie, ou à tout le moins une certaine manière de vivre, d’être à l’écoute de tout, de rien. Des yeux, des mains. Des courants d’air entre les branches des peupliers. Des blancs entre les sons que font les voix des hommes. « Écrire commence quand on a débordé de la page. Vivre aussi. Et il en est beaucoup qui meurent dans les marges. » Et lorsque le poète écrit, et lorsque l’on se penche sur son travail, on découvre la générosité des marges, on aperçoit la pensée, le langage à l’œuvre.
Aphorismes, observations, réflexions, petites colères passagères, immenses questions tout enfantines, élans d’amour ou d’amitié démesurés : tout cela s’écrit dans les marges. On trouve, à côté du poème qui se déploie, toutes sortes d’autres voies esquissées, que l’on suivra peut-être plus tard. Ou peut-être pas. Car le poème n’arrive jamais seul : il naît de la pâte des mots, dès lors à sculpter, à creuser, à évider. Et, de tous ces éclats qui partent çà et là, de cette sorte de bran de scie langagier, il reste ce qu’il reste, c’est-à-dire de petites phrases vaguement obscures mais infiniment vraies ou encore l’ombre incertaine d’autres poèmes à reprendre une autre nuit, un autre lendemain matin. Bref, il reste ce qui n’a pas encore sa place et qui pourtant existe. Une multiplicité de possibles : « Chaque poème défait et refait le monde. Ou plutôt déconstruit un monde pour mettre au monde les mondes qui semblent ne pas en être et qui pourtant le croisent si souvent ».
Oui, voilà bien la beauté des Paradoxes de la fragilité de : on y entend battre le cœur de la poésie, on y entend se débattre la pudeur des mots, là, juste là, à même son corps, sa tête, sa vie ‘ qui ne sont jamais en somme qu’en marge de la vie qui les traverse et de la parole qui s’y insinue.