Dans le Hamlet de Shakespeare, l’officier Marcellus se demande s’il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark. Non seulement il semble y avoir quelque chose de pourri à Elseneur ou Helsingør, sur l’île danoise de Zélande, mais aussi de l’autre côté du détroit de l’Øresund, à Helsingborg, en Suède.
L’action du roman de Stefan Ahnhem, Moins 18°, est ainsi située dans deux pays différents et les polices locales ont de la difficulté à communiquer. Bien que similaires, les deux langues sont différentes et, quand règne la mauvaise volonté, tout est possible. Chacune des forces d’enquête tenant à ses chasses gardées et voulant préserver ses prérogatives, les malentendus règneront en maîtres. « Je ne sais pas comment ça marche au Danemark […] mais ici, en Suède, il faut prendre rendez-vous. » Accumulant bévues et désaccords, les inspecteurs – et surtout les criminels – passent d’un pays à l’autre, soit par le pont de l’Øresund, soit par le ferry reliant les deux villes.
Le Suédois Ahnhem est connu pour ses adaptations de romans policiers au cinéma et à la télévision dont, excusez du peu, ceux de Henning Mankell mettant en scène son fameux personnage, l’inspecteur Wallander. Le scénariste sait se transformer en romancier et, après le succès international de Hors Cadre et de La neuvième tombe, il publie le troisième tome d’une série consacrée à l’inspecteur suédois Fabian Risk, dont chacune des enquêtes peut se savourer en solo.
Le titre du thriller annonce déjà une température nordique. Moins 18° plonge en effet dans la réalité des grands froids et dans le cœur encore plus glacial de meurtriers psychopathes. Le film Orange mécanique de Kubrick n’est pas loin. Pendant qu’une auto s’abîme dans les eaux du détroit et qu’on retrouve son conducteur mort depuis deux mois, « aussi froid et dur que des côtelettes d’agneau dans un congélo », de jeunes Danois se vantent sur les réseaux sociaux des tortures qu’ils infligent à des itinérants. « Ils ricanaient…Tout le temps… Comme si ce n’était qu’un jeu. »
En Suède, cette découverte glaciale intrigue, d’autant plus que le conducteur congelé se révèle être une vedette locale aperçue récemment, et au Danemark, personne ne peut croire que des citoyens du pays considéré comme le plus heureux du monde puissent être aussi cruels. Le lecteur, lui, suit les nombreuses fausses pistes que lui présente le machiavélique romancier et se demande quel peut bien être le lien entre ces deux enquêtes abracadabrantes.
Tout l’intérêt du roman réside dans l’habileté d’Ahnhem à finement doser les détails des vies familiales et affectives de ces policiers scandinaves plus ou moins bizarres avec les rebondissements et les revirements de situation des enquêtes, et ce, jusqu’à leur dénouement final. Depuis, je regarde les congélateurs avec méfiance.