Ayant raté son suicide par absorption de somnifères, la narratrice des Murs se retrouve, après quatre jours aux soins intensifs, dans une chambre d’hôpital où elle est reconnue « irrécupérable », « suicidaire », « dangereuse » et « névrosée ». Devant la gravité de son état, on la transfère dans un établissement psychiatrique où l’on surveille étroitement son anorexie envahissante, son penchant irrépressible à l’automutilation et la faiblesse de ses signes vitaux. Les visites de ses proches, les contacts avec des patients et les tentatives de dialogue des intervenants ne parviennent pas à enrayer son « mal d’être » et à l’amener à renoncer aux lacérations qu’elle s’inflige cinq à six fois par jour avec une lame de rasoir ou avec ses ongles. Un « Monstre » l’habite auquel elle ne peut échapper et elle demeure enfermée entre les « murs infranchissables » dont elle s’est elle-même entourée et qu’elle s’interdit de transgresser. Après quelques mois de ce régime oppressant, la jeune anorexique suicidaire recommence à s’alimenter, moins pour répondre à des besoins physiques que pour simuler une amélioration qui lui vaut bientôt sa sortie de l’hôpital.
L’intérêt de ce court roman réside dans la justesse du ton adopté pour décrire le cheminement chaotique, à la fois lucide et confus, du personnage principal. Le rythme bref, haletant, voire saccadé, de ses réflexions et de ses répliques est à l’image de ses blocages, c’est-à-dire des angoisses qui l’étreignent, des désirs que la jeune femme étouffe volontairement et des pulsions de mort qui l’agitent. Le texte n’est d’ailleurs pas découpé en chapitres traditionnels, mais en séquences d’inégales longueurs, correspondant aux états d’âme et de corps. « J’ai mal, j’ai mal et j’ai froid, tout est froid, mes mains, mes larmes, mes os, mon cœur pompe le froid, ça me pince quand je respire, ça me ravage les poumons, ça me dévore, je suis fatiguée, bordel, je veux mourir, foutez-moi la paix, laissez-moi crever. »
Peu intéressée à lier connaissance avec autrui, la malade en détresse envoie promener tout et tout le monde à répétition, envahie par le froid douloureux qui lui ronge continuellement l’intérieur des os. À quelques exceptions près, au demeurant, les personnages convoqués ne sont pas nommés ou n’ont que des surnoms : « Dr G », « Dr K », « Dr Patate », « Dr Dentelle », « l’Anorexique », « l’Artiste », « Cancer », « l’homme aux lunettes », « l’homme à la caméra »… Cet anonymat en apparence anodin révèle bien la coupure avec le monde où s’enlise la narratrice, pourtant avide de caresses et de chaleur humaine.
Malgré la banalité du constat, il faut bien dire que la jeune auteure montréalaise, riche d’un présent remarquable, a un brillant avenir d’écrivain devant elle.