La poussière du temps de Michel David nous plonge dans le Québec des années 1940. Le Québec urbain, essentiellement, quoique les incursions dans la famille Sauvé de Saint-Joachim nous permettent d’apprécier le contraste entre l’est de Montréal et la campagne. Manifestement, les deux familles sont pauvres. Mais les Sauvé de la campagne, au moins, ont de l’espace, une activité économique qui ne repose pas sur l’exploitation de l’homme par l’homme, et surtout, une atmosphère familiale chaleureuse. En ville, on dirait que l’exiguïté des appartements et la pauvreté confinant à la misère entraînent la morosité et la dureté qui caractérisent la famille Dion.
C’est cette dureté que découvrira Jeanne chez son mari après leurs noces. En effet, on le sait, le code social du temps n’autorisait pas les futurs époux à se fréquenter d’une manière qui leur permit de se connaître vraiment. La déconfiture de Jeanne n’est certainement pas un fait isolé à cette époque.
Et c’est justement le tableau d’une époque que souhaite nous brosser l’auteur dans ce premier tome de ce qui est appelé à devenir « une grande saga du Québec du XXe siècle » (quatrième de couverture). Il y réussit bien, par la description du quotidien dans un milieu où le fait de trouver un appartement décent relève de l’exploit, celui d’acheter un réfrigérateur, du luxe, et celui d’acquérir une automobile, du rêve. Soulignons que l’auteur évite judicieusement de nous rabâcher les commentaires qui semblent aujourd’hui des morceaux obligés dans le discours sur cette période, au sujet notamment de la toute-puissance de l’Église et du tabou entourant la sexualité. Il y avait donc d’autres dimensions de la vie dans les années 1940 ! En revanche, on peut s’interroger en le voyant nous mettre constamment sous les yeux les malheurs de Jeanne, aux prises avec la charge des enfants et avec un mari égoïste, sans trop sembler se préoccuper de la vie extrafamiliale du mari en question, qui doit travailler dix heures par jour pour un salaire de crève-faim censé faire vivre cinq enfants. Pas de doute, l’auteur a connu l’époque qu’il décrit, mais il a connu aussi le féminisme qui l’a suivie.
Cela dit, précisons que les effusions d’émotion et les événements spectaculaires sont rares dans cette chronique qui nomme les choses dans un style neutre sans plus, mais il demeure que le roman se lit d’une traite.