Le parcours de l’auteur bifurque une fois de plus d’imprévisible et stimulante façon. À ses débuts, Jean Désy puisait dans ses activités professionnelles de médecin et y insérait l’esprit critique et même un croissant détachement. Le Nord, de simple décor, devint ensuite le mode de vie, la source des réflexions, le symbole de la liberté. Plus tard, les nouvelles sont venues, des romans sont nés et l’essai, qui germait sous les réflexions disséminées un peu partout, a pris sa pleine dimension. Ce n’était pas terminé, puisque Désy tâte maintenant du théâtre.
La mue, cependant, n’est pas encore convaincante. D’une part, parce que le déroulement scénique est soumis au regard de l’essayiste et du biographe. D’autre part, parce que l’auteur ne parvient pas, du moins pas encore, à départager humour et vaudeville. La coexistence du théâtre et de la distance critique pose, toutefois, des questions fécondes. Désy commente l’action comme si le spectateur avait besoin de balises pour évaluer la rencontre, comme si le questionnement de l’auteur, même après la rédaction finale de la comédie, devait prendre le pas sur ce que le public allait retenir de l’intrigue. « En ce moment, par exemple, je me trouve plutôt fou de côtoyer une Poune imaginaire. Seul à taper sur un clavier, je me demande à quel moment je terminerai pour aller faire autre chose, canoter ou marcher en forêt. » Après la scène où le personnage de Paul profère les pires menaces contre son voisin, l’essayiste Désy éprouve de nouveau le besoin d’encadrer les pensées du spectateur : « Qui peut se croire à l’abri de toute violence, de toutes les violences ? Par contre, qu’est-ce qui arrête le bras chez tant de gens depuis des milliers d’années ». Il se peut, et cet espoir se fonde sur l’agilité souvent manifestée par Désy, que l’osmose qu’il tente entre le théâtre et l’analyse extérieure à l’action veuille ressusciter quelque chose de l’antique théâtre grec : le chœur y représentait le public et se permettait d’intervenir dans la présentation. Les choristes exprimaient à haute voix l’approbation ou l’inquiétude des spectateurs et sommaient les personnages de s’expliquer. Désy n’en est pas là ; il ne s’intègre pas à la pièce, mais l’évalue depuis les coulisses. Soit qu’il cherche de nouveaux liens entre théâtre et essai et qu’il ne les ait pas encore établis, soit qu’il veuille maintenir le face-à-face entre les deux genres littéraires sans provoquer leur fusion à la manière d’un Sophocle ou d’un Eschyle. Dans les deux hypothèses, la tentative relève de l’expérimental et nourrit l’attente d’un approfondissement.