Les lecteurs un tant soit peu familiers avec l’œuvre d’Assia Djebar connaissent son intérêt pour la douloureuse question de l’identité linguistique dans l’Algérie post-coloniale. S’inscrivant tout à fait dans cette thématique, le dernier roman de l’auteure d’origine algérienne raconte le retour au pays d’un homme dans la cinquantaine qui vient de subir une rupture amoureuse. Cet homme, Berkane, veut revoir sa Casbah natale après vingt ans d’exil en France. Il s’installe dans une villa au bord de la mer avec l’intention de se remettre sérieusement à écrire. Berkane revoit Driss, son jeune frère journaliste, renoue avec un ami de jeunesse et fait de nouvelles connaissances, dont celle de Nadjia avec qui il partage une brève mais torride passion amoureuse qui le replonge dans sa langue maternelle. Le retour de Berkane fait surgir des souvenirs qui remontent à son enfance, puis à la fin du régime colonial. Nous sommes en 1991, au moment où les intégristes semblent sur le point de remporter les élections. Arrive l’année 1993 au cours de laquelle Berkane disparaît lors d’un voyage en Kabylie. On retrouve sa voiture dans un fossé. Il avait entrepris d’écrire un livre sur son adolescence pendant la guerre d’Algérie. L’aurait-on confondu avec son frère journaliste qui a fait l’objet de menaces et vit désormais dans la clandestinité ? Ou Berkane a-t-il été enlevé parce qu’il osait écrire dans la langue des anciens colonisateurs ? On l’aura deviné : cet événement renvoie au titre du roman, le roman de l’impossible retour dans un pays dont les plaies ne se sont pas encore refermées depuis l’indépendance.
De nombreux auteurs algériens tentent d’appréhender l’histoire récente de leur pays à travers la fiction, sauf qu’ils ne le font pas tous avec un égal bonheur d’écriture. Et sur ce plan, La disparition de la langue française déçoit : l’ouvrage, dont les idées sont bien appuyées, risque à tout instant de verser dans le didactisme. Le style tend souvent vers un lyrisme exagéré alors que l’émotion, sans doute authentique, ne passe pas. Que dire de la narration sinon qu’elle écrase les personnages qui apparaissent désincarnés, comme privés d’autonomie. Le projet d’Assia Djebar était très prometteur ; dommage que le produit fini donne l’impression d’avoir été davantage rédigé qu’écrit.