Jack Kerouac disait, jadis, que le seul véritable thème de la poésie était la mort. L’univers qui nous est offert avec cet étonnant ouvrage alliant littérature (prose, poésie) et arts visuels (dessins, collages) se présente d’emblée habité, sinon hanté, par une aliénation mortifère confinant à une stérilité désarmante pour l’humain. En effet, nous sommes invités à parcourir un monde asilaire, carcéral et excessivement crépusculaire. Un individu-fantôme s’y trouve confiné et s’adresse à nous. Il nous parle de l’existence de cet environnement sans issue rappelant à la fois l’Enfer de Dante et 1984 de George Orwell. C’est une « société », on le devine, exagérément aliénée, uniformisée et, surtout, horrifiante à la limite du tolérable, mais de laquelle il est possible de s’échapper par la voie de l’imaginaire. Et cela, malgré l’apparente immobilité de ce curieux narrateur : un de ses « moi » peut effectuer des « sorties » ! C’est dire que la liberté individuelle ne peut être totalement réduite, effacée ou carrément abolie.
Il s’agit d’une « chronique du temps perdu » mettant en scène une quête de l’authenticité. L’auteur insiste, en présentation, sur la possibilité de l’existence d’un lieu où chacun pourrait se retrouver en paix et sans souffrances. Être avec soi et, éventuellement, accueillir l’Autre, sa présence significative. On écrit, sans détour : « Depuis déjà trop longtemps la plupart d’entre nous sommes réduits à ne pas savoir, à ne même pas avoir envie de savoir d’où nous venons. Les scientifiques n’auront fait qu’approfondir la prétention de l’espèce humaine ». Il poursuit : « En nous isolant dès la création, en nous coupant toute forme d’appartenance avec cet autre avec qui nous partageons une histoire, une mémoire, ils ont fait de nous des individus atomisés. Des êtres sans aucune trace de passé, de familles ou de toute autre forme de lien avec l’autre ».
C’est l’art, sous ses différentes formes, qui pourrait éventuellement créer une réconciliation entre soi et le social plus vaste – être ensemble et non seulement unique. Cet ouvrage fait partie d’une trilogie comprenant, chez le même éditeur, La saveur du vide (2004) ainsi que L’ombre du doute (2006). Et mentionnons qu’il est intelligemment préfacé par Dany Laferrière.