Il est rare que les romanciers fassent mourir les tortues. Jusqu’à Galadio, l’un des seuls exemples significatifs en la matière provient de l’œuvre-culte de J.-K. Huysmans, À rebours. Dans ce roman de 1884, une tortue meurt écrasée sous le poids des pierres précieuses que son maître, un dandy névrosé, avait substituées à sa carapace d’origine. Dans le roman de Didier Daeninckx, la mise à mort de Toukouze (l’animal de compagnie de Déborah, la jeune amie juive du narrateur) exprime la brutalité des SA. Elle donne également la mesure du récit qui va suivre : une histoire touchante relatée de main de maître par un auteur qui préfère les traits de plume sobres, voire elliptiques, aux plongées dans le pathos. On ne saurait d’ailleurs que le féliciter de ce choix narratif.
Le récit débute peu de temps avant la Deuxième Guerre mondiale. Galadio est le second prénom d’un jeune Métis, Ulrich, natif de Duisbourg, qui s’est senti allemand jusqu’au jour où le IIIe Reich s’en prend à ce que les nazis qualifient désormais de « honte noire ». Ulrich n’a jamais connu son père, un soldat sénégalais qui a fait partie des forces françaises d’occupation et qui a quitté Duisbourg en 1921. Grâce à un remarquable instinct de survie de même qu’à un heureux concours de circonstances, Galadio réussit à fuir l’Allemagne nazie et à participer au tournage d’un film en Afrique, ce qui le placera au cœur des premiers affrontements entre pétainistes et gaullistes. Mais le jeune homme ne lorgne pas du côté des tranchées : il souhaite plutôt retrouver la trace de son père.
Il n’est pas étonnant que ce roman de Daeninckx ait eu droit à son édition en format poche (à la collection « Les Contemporains » de Larousse) presque simultanément avec sa parution à la collection « Blanche » de Gallimard. Galadio est un superbe roman d’initiation et de survie pendant la guerre et il conviendra parfaitement à un usage scolaire. La narration est fluide et accrocheuse. L’auteur s’appuie sur une documentation que l’on devine très fouillée, mais qui reste toujours très discrète. De plus, Daeninckx attire l’attention sur le sort de victimes oubliées de la Shoah, les Noirs de l’Allemagne nazie. Galadio en séduira plus d’un.