La Pologne que fait vibrer l’auteure ne ressemble guère à celle qu’ont accréditée au Québec la littérature et les médias auprès des générations plus âgées. Présumée fréquentable parce que le public québécois d’hier la savait catholique, la Pologne bénéficiait de plus à nos yeux de l’endossement d’une France elle aussi bien disposée à son endroit. Son dépeçage par Hitler et Staline nous paraissait d’une cruauté particulière. Peut-être faudrait-il remonter à Napoléon et à son ministre Talleyrand pour expliquer la sympathie de Paris : l’empereur tenait à ce qu’existe une Pologne pour empêcher tout rapprochement entre l’Allemagne et la Russie. Preuve que l’idée de découper le monde selon l’intérêt des dominants ne date ni de Yalta ni de Potsdam. Quoi qu’il en soit, Beata de Robien ose de l’inédit en révélant à la France comme au Québec une Pologne capable, comme tout pays, de créer ou d’aggraver ses propres problèmes. Certes, la Pologne subit la loi moscovite, mais elle peut s’adonner aussi, de son propre chef, à la délation, au chantage, à la torture. Du coup, quiconque imaginait la Pologne en victime toujours impuissante est ainsi invité à envisager, avec un certain chagrin, d’autres éventualités. Le roman colle à l’histoire, mais il fait entrevoir l’hommerie.
L’action, à la fois politique et intime, se situe à Cracovie en 1953. La Pologne pleure, comme tous les vassaux de Moscou, la mort du « petit père des peuples », même si, déjà, la vérité sur Staline a commencé à filtrer. La faim sévit et les queues s’allongent au seuil des commerces, les logements, rares et exigus, sont peuplés et surpeuplés de locataires imposés par l’État et dont on redoute les accointances avec le pouvoir, les voyages ne sont autorisés que si les partants laissent derrière eux des proches utilisés comme otages, etc. Malgré tout, la jeune Bashia obéit aux rêves de ses dix-sept ans et s’éprend d’un visiteur français dont elle attend l’amour et peut-être un accès à la liberté. De son côté, le beau Christian juge la Pologne en communiste inconditionnel : comment ose-t-elle adresser des reproches à l’infaillible Moscou ! Sans jamais douter de ses positions, le jeune Français sait mieux que les Polonais ce qui est bon pour la Pologne… Encore là, l’auteure ne fait que mettre l’histoire à contribution ; à l’époque, la nébuleuse communiste française, depuis Aragon jusqu’à Éluard en passant par Sartre-le-versatile, niait farouchement l’existence du Goulag. Le Kremlin ne pouvait ni se tromper ni mal agir.
À la fois intimiste et soumis aux poussées telluriques des idéologies, le roman se termine sur un coup de théâtre qui manque peut-être de vraisemblance.