Surtout connu pour avoir réalisé les longs métrages Deux femmes en or (1970), l’un des plus grands succès du cinéma québécois, et Bonheur d’occasion (1983), d’après le roman de Gabrielle Roy, Claude Fournier aura traversé le siècle précédent, dont le Québec effervescent de l’après-guerre. Dès les années 1950, il se lie d’amitié avec Judith Jasmin, Claude Jutra, Michel Brault et Norman McLaren ; il devient cinéaste à l’ONF dès 1958. À la fois réalisateur, scénariste, producteur, caméraman, et en outre biographe, Fournier tourne au Québec mais aussi au Canada anglais, en France, aux États-Unis, et même en Inde. Ses principaux tournages sont ici évoqués, parfois trop brièvement, au milieu d’innombrables anecdotes. Au passage, on apprend même que le film Le dernier métro (1980) de François Truffaut était en fait inspiré d’un obscur roman hongrois ‘ jamais traduit ‘ portant sur la réclusion forcée d’un metteur en scène durant la Deuxième Guerre mondiale, un récit dont l’actrice Eva Gabor voulait absolument coproduire l’adaptation à Hollywood. Elle proposa même à Claude Fournier d’en devenir le réalisateur, mais ce dernier dut renoncer à le faire, ayant été devancé par le projet similaire produit par Truffaut. Hélas ! Fournier néglige ici de fournir le titre ou le nom de l’auteur de ce livre méconnu, que l’on ne mentionne même pas dans le très exhaustif Dictionnaire Truffaut (La Martinière).
À force de vivre n’est pas que l’autobiographie d’un cinéaste accompli, il est aussi et surtout le récit assez mondain d’un artiste célèbre ayant longtemps fréquenté l’élite québécoise. Biographe de René Lévesque (auquel il consacre une minisérie en 1991), Claude Fournier se liera d’amitié avec Robert Bourassa, non sans quelques réticences, quelques mois avant sa disparition. C’est d’ailleurs chez le cinéaste qu’aurait eu lieu en 1995 une improbable rencontre entre l’ancien premier ministre Bourassa et le futur premier ministre Lucien Bouchard, juste avant le second référendum : épisode inédit raconté ici de manière soutenue. Biographe d’expérience et maître de l’indiscrétion, Claude Fournier sait ficeler des histoires, la sienne comme celle des autres. Bien qu’il frôla la mort à quelques reprises, il ne s’érige pas toujours en héros, discute de ses amours souvent difficiles, et reconnaît par ailleurs qu’il « étai[t] picoleur ». Mes seuls reproches sont sur le plan éditorial : afin de faciliter le repérage, un ouvrage d’une telle ampleur devrait contenir des titres de chapitre, une table des matières, un index des noms et beaucoup plus de dates précises.