Auteur/autrice : Neal

  • Paul Villeneuve

    Paul Villeneuve

    Paul Villeneuve (Jonquière, 30 juin 1944 – Dolbeau-Mistassini, 30 octobre 2010) n’aura jamais donné la pleine mesure de son indéniable talent et de sa passion pour le Québec, à travers les mots qui, selon lui, aideraient son pays à advenir. Comme le pays, son œuvre reste une grande entreprise inachevée et orpheline.

    Villeneuve se consacre très tôt à la littérature. Ses études au collège de Jonquière le mènent à un baccalauréat en sociologie, une matière qu’il enseigne quelque temps au collège Ahuntsic. Il a très tôt une vision d’un Québec libéré et veut favoriser, par les mots, sa pleine émancipation politique.

    Après la parution de J’ai mon voyage ! (1969), un bon premier roman, en pleine mouvance contre-culturelle, Villeneuve rédige deux œuvres plutôt marginales : Satisfaction garantie (1970) et Le pays souterrain (1971). Il prend ensuite quelques années pour aboutir à son œuvre maîtresse, Johnny Bungalow. Chronique québécoise, 1937-1963 (1974), malheureusement indisponible aujourd’hui.

    Roman ambitieux et dense, Johnny Bungalow reste une de ces rencontres littéraires absolument marquantes. Le critique Jacques Pelletier était clair à l’époque de sa parution : « On n’a pas beaucoup parlé, en tout cas pas suffisamment, de l’extraordinaire roman de Paul Villeneuve qui est sans conteste l’œuvre la plus importante publiée jusqu’ici cette année. Il s’agit d’une œuvre considérable – plus de quatre cents pages de texte extrêmement serré – qui, l’éditeur a raison de le prétendre,-e67890-< ‘fera époque’ tant par ses qualités d’écriture que par la vision de la réalité québécoise qu’elle met en forme1 ».

    Clarifions tout de suite : Johnny Bungalow n’a pas été complètement ignoré, loin de là, bien que les circonstances commerciales lui aient été défavorables. Je songe surtout aux déboires des Éditions du Jour, responsables de la qualité moyenne de la présentation matérielle du livre. Quant au texte lui-même, il aurait gagné à être consciencieusement revu, resserré, retravaillé. Alors lecteur dans la maison de l’éditeur Jacques Hébert, Victor-Lévy Beaulieu le souhaitait : « Il faut bien dire qu’il y a tout un travail au niveau de l’édition qui ne se fait pas. Le manuscrit de Villeneuve, je l’avais lu quand j’étais au Jour. Ma suggestion c’était que le roman soit coupé de moitié : il aurait été bien meilleur. Il ne manque pas grand-chose à ce livre-là pour être un grand livre2 ».

    En quelque sorte, il manquerait à Johnny Bungalow 150 pages de trop !

    Que raconte ce roman ? Au tribunal, Jean Martin, alias Johnny Bungalow, se défend d’un crime dont les circonstances exactes seront connues plus tard. Johnny explique au juge et à la cour son rôle dans une affaire où il est « accusé de tentative de meurtre, d’assaut, etc. » Ses propos ressemblent à ceux d’un sympathisant felquiste, sympathie dont l’accusera justement Perry, son beau-père. Sa défense, c’est le roman que nous lisons, « la vie de deux générations d’hommes et de femmes […] ayant vécu dans la misère ». Cette plaidoirie initiale couvre dix pages, après quoi on retourne en arrière pour suivre le périple de la famille Martin de Montréal jusqu’en Abitibi, nouvelle terre promise, où le père succombe à un bête accident de travail impliquant un cheval, clin d’œil à l’Angéline de Montbrun de Laure Conan. On assiste ensuite au retour de la mère et des enfants à Montréal, à leur vie difficile, à la prise de conscience politique de Jean, devenu Johnny à la faveur de la rencontre de sa mère avec Perry, le père adoptif anglophone (qui s’exprime également dans un français impeccable). Son frère Marc va tranquillement se ranger. André, son autre frère, sombrera lentement dans une folie dont il ne se sortira plus. Le récit nous conduit jusque sur la Côte-Nord et ses installations hydro-électriques, nouvelles à l’époque, où la révolte de Johnny prend une dimension collective et le mène aux multiples comptes qu’il entend régler avec lui-même, avec son passé de colonisé et, surtout, avec ce père adoptif qui cristallise une bonne partie des griefs de Johnny. Johnny aime pourtant Perry au point de s’être fait tatouer leurs prénoms côte à côte sur le bras gauche. Après une tentative de meurtre sur la personne de Perry, Johnny fuit vers les États-Unis, pourchassé par la police.

    Cette chronique débute en 1937 et s’achève en 1963. Elle conte l’histoire d’une famille victime de la Dépression puis des difficultés du Canadien français à une certaine époque : le chômage, la double aliénation linguistique et politique, la misère endémique. Jusque vers la moitié du roman, Aimé, le père, puis Marguerite, la mère de famille, apparaissent au premier plan, véritables héros de cette saga. Marguerite représente un des plus beaux personnages de femme du roman québécois, toutes époques confondues.

    P. Villeneuve photographié par Gabor Szilasi en 1970/BAnQ

    Autre magnifique aspect du récit de Villeneuve, on voit défiler, au fil des chapitres, le roman de la terre puis le roman urbain, le roman réaliste façon Parti pris, une manière de parodie du roman policier, avec des allusions à des figures associées à chacun de ces genres, comme celle du survenant, très nettement identifiable en la personne de l’oncle Jean-Joseph. Le critique Claude Janelle avait observé avec quel art Johnny Bungalow condense un siècle d’histoire de littérature québécoise et « fait la synthèse de trois et même de quatre générations littéraires au Québec3 ». « Villeneuve, remarquait encore Jacques Pelletier, réussit à la fois à éviter l’idéalisation de ses personnages et à l’autre extrême leur misérabilisation. En ce sens, il fait preuve de profond réalisme4. » Pour Paul Villeneuve, l’Abitibi de 1937, c’est aussi le roman de la terre, le Montréal de 1940 se confond avec le roman de la ville, aussi bien le Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy que Les Plouffe de Roger Lemelin. La thématique de son temps : le pays, la revendication politique, Villeneuve la revisite également à travers sa lecture des sociologues Albert Memmi et Frantz Fanon, comme de tous les autres contempteurs des colonialismes de tous acabits.

    Rappelons encore que le roman de Villeneuve a figuré parmi les quatre finalistes au Grand Prix littéraire de la Ville de Montréal, avec L’épouvantail d’André Major, Une chaîne dans le parc d’André Langevin et Neige noire d’Hubert Aquin, qui remporta le prix. En 1974, quelques commentateurs avaient vu en Johnny Bungalow « l’un des événements marquants de la saison littéraire5 », un roman « emporté par un souffle puissant6 », comparable aux Raisins de la colère de John Steinbeck, le monumental chef-d’œuvre de 1939. Par son ambition, très certainement, Villeneuve visait aussi haut que le romancier américain, car comme le soulignait le critique Réginald Martel, Johnny Bungalow « englobe et dépasse la littérature proprement dite. […] Tout est violence et tout est tendresse dans la puissante chronique de Paul Villeneuve. […] Une œuvre pas fignolée, une œuvre qu’il vous jette au visage parce qu’il ne peut plus la retenir7 ». En général, la critique a donc bien senti toute la force de l’œuvre, en dépit des réserves émises ici et là : « C’est un roman énorme, picaresque, confus qu’a écrit M. Paul Villeneuve […]. J’en admire l’ampleur, j’en déplore le désordre8 ». On s’en accommodera jusqu’à nouvel ordre et, jusqu’à un certain point, ce désordre me plaît, il participe de la vigueur même du roman, dans la mesure où l’on peut préférer une œuvre vivante, puissante et marquée par cette démesure, à n’importe quel roman gentil et sans cicatrice.

    Brusquement, Villeneuve délaisse l’écriture et le public perd sa trace. Aujourd’hui, une réédition s’impose.

    La lecture comme compagnonnage

    Les années 1960 et 1970 ont donné lieu à une mise en question de la représentation romanesque par le biais de jeux d’écriture et d’une subversion des rapports entre la fiction et le réel. Pensons aux Emmanuel Cocke, Victor-Lévy Beaulieu et Jean-Marie Poupart, qui jouaient alors la carte de l’autodérision et du sabotage. Mais leur intention subversive les distingue de Johnny Bungalow, plus près d’un roman comme Le cassé de Jacques Renaud, dont l’objectif n’est certainement pas de brouiller les cartes de la vraisemblance romanesque. Si Villeneuve crée avec son héros des liens ambigus, s’il établit une frontière poreuse entre le roman et les commentaires sur le roman, Johnny Bungalow conserve malgré tout un réalisme en assez bonne et due forme.

    Si j’avais à rééditer ce roman, je serais embarrassé par ses nombreuses « Notes pour le compagnon-lecteur » : 123 notes inégalement distribuées sur 400 pages. En voici quelques exemples : « Cela se passe en 1937, dans les dernières années de la grande crise économique » ; « En 1941, eut lieu une grève spontanée aux usines d’aluminium d’Arvida ; l’arrêt de travail dura quelques jours… » ; « En tentant de désamorcer une bombe, un policier fut blessé gravement… » En gros, ces notes sont de trois ordres : documentaire, linguistique et narratif. L’une explique un québécisme ou un terme technique, telle autre nous dévoile un renseignement (« Marguerite et ses enfants logeaient dans trois chambres dans le sous-sol de la maison de Perry »), cette autre, encore, définit brièvement le concept économique de plus-value. Le principe me plaît comme il déplaira à d’autres. Utiles, ces notes donnent l’impression d’une étude inscrite au cœur même d’un roman, elles télescopent la fiction et l’histoire. Je songe à certaines œuvres de Vladimir Nabokov et de Jorge Luis Borges, bien sûr, mais aussi à des romans comme L’antiphonaire ou Trou de mémoire d’Hubert Aquin, œuvre baroque et éminemment politique qui joue explicitement sur ce même rapport délicat entre fiction et réalité. Maladresse de l’auteur ou choix concerté ? Négligence éditoriale ? Soumission à une mode passagère ou influence directe ? En remettant ce roman sur le marché, l’éditeur aurait un choix à faire : conserver ces notes telles quelles ou les éliminer.

    Johnny Bungalow, lecteur de Paul Villeneuve

    P. Villeneuve signant un exemplaire de J’AI MON VOYAGE. Photo par Gabor Szilasi en 1970/BAnQ

    Une importante « Annexe historique » sous-titrée « Lettre à Johnny » clôt le roman. Elle est de janvier 1974, alors que la partie précédente du roman est datée d’octobre 1969-octobre 1973. Là encore, le romancier joue la carte de la confusion des références, il entremêle le vrai et l’invention romanesque. En réponse à une demande de son héros, le narrateur ajoute vingt pages de mise au point sur la situation du Québec. Le roman se fait didactique, sans fausse honte : « Je ne suis pas historien, écrit Villeneuve, et les trous dans mes connaissances de l’histoire du Québec me laissent souvent honteux… » Nous apprenons que Johnny Bungalow résulte des entretiens que Villeneuve aurait eus avec Johnny lui-même en 1967. Villeneuve informe Johnny que son roman a été accepté. Cette « Lettre à Johnny » prolonge le récit : on découvre que Madeleine vit toujours et que Johnny se cache de la police. On peut imaginer le roman coupé de moitié et l’Annexe alors incorporée au roman. Le critique Louis Morin9 avait carrément préféré l’Annexe au roman lui-même, la jugeant mieux réussie et plus touchante. Cette adresse du romancier à son personnage porte le récit à un palier supérieur. Villeneuve écrit à Johnny : « […] je serais le plus malheureux du monde si tu étais obligé de lire mon livre – qui est une partie de ta vie – en prison ».

    Comme chez Aquin, comme chez Jacques Godbout ou chez Victor-Lévy Beaulieu, projet romanesque et projet politique s’entremêlent, l’histoire entre dans la narration et transforme le rapport au monde du héros et celui du romancier à son propre univers romanesque. On pense à l’Appendice que Jacques Ferron place à la suite de sa réédition de La nuit, en marquant explicitement sa volonté d’incarner son univers fictif : « Alors j’ai regretté que La nuit n’ait été qu’une fiction », écrivait Ferron. La remarque vaudrait pour Johnny Bungalow. Ferron y répondait après coup – Villeneuve, lui, répond d’avance aux éventuelles mouvances de l’histoire.

    Ces « Notes pour le compagnon-lecteur » et l’Annexe sont pour Villeneuve une médiation entre le texte et le monde. Tout comme nous, Johnny Bungalow devient lecteur de Paul Villeneuve, dans un fragile et dérangeant équilibre qui fait parfois les œuvres fortes.

     

    Inédit « Se mettre à l’œuvre » (extrait)
    Par Paul Villeneuve, printemps 1973

    Je pense et repense à Johnny Bungalow ; il devient en quelque sorte mon double, une sorte de création de l’esprit qui me propulse en avant ; je me vois revenant d’Abbitibbi, mon manuscrit sous le bras et faisant la tournée des amis avec un gallon de vin, leur payant la traite, leur lisant des extraits de mon livre, exalté, heureux, fier, fou comme un enfant qui vient de construire un grand château de sable sur une plage brûlante ; et je parle et je parle, et je raconte le cheminement de ce livre, les mille et un détours que j’ai franchis, les aventures intérieures qui en ont jalonné le parcours depuis trois ans, les autres livres qui se sont écrits en même temps que mon Johnny. Ce livre constitue en fait le centre géométrique d’une production aussi diversifiée que féconde je crois. L’acte d’écrire prend maintenant un caractère non seulement de pure libération mais devient une façon d’être, une façon d’aborder le monde et peut-être de le transformer.


    Paul Villeneuve a publié :
    Les heures rouges, drame (dans Écrits du Canada français), 1966 ; J’ai mon voyage !, roman, Du Jour, 1969 ; Satisfaction garantie, récit, Claude Langevin éditeur, 1970 ; Le pays souterrain, pamphlet, Du Cri, 1971 ; Johnny Bungalow. Chronique québécoise, 1937-1963, roman, Du Jour, 1974.

     

    1. Jacques Pelletier, « Paul Villeneuve : naissance d’un romanesque épique ? », Liberté, vol. 16, nº5-6, septembre-décembre 1974, p. 106.
    2. Jacques Pelletier, « Victor-Lévy Beaulieu, écrivain professionnel », Voix et images, vol. III, n°2, décembre 1977, p. 190.
    3. Claude Janelle, « Le Johnny Bungalow de Paul Villeneuve. Un témoin littéraire et social », Le Jour, samedi 22 juin 1974.
    4. Jacques Pelletier, « Paul Villeneuve : naissance d’un romanesque épique ? », op. cit., p. 107.
    5. Marcelle Fontaine, « Johnny Bungalow », dans Maurice Lemire, Gilles Dorion et Aurélien Boivin (dir.), Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, t. V, 1970-1975, Fides, Montréal, 1987, p. 464.
    6. Denise Pelletier-Bouchard, « ‘Johnny Bungalow, chronique québécoise’, le troisième roman de Paul Villeneuve », Le Quotidien, samedi 27 avril 1974.
    7. Réginald Martel, « Du roman comme acte fou », La Presse, samedi 20 avril 1974.
    8. Jean Éthier-Blais, « Au nom de l’humanité souffrante », Le Devoir, samedi 11 mai 1974.
    9. Louis Morin, « Paul Villeneuve. Johnny Bungalow », Livres et auteurs québécois, 1974, p. 54-55.


    EXTRAITS

    nous devenons des vauriens ! nous devenons des chiens pas de couilles ! on nous engraisse à la petite semaine, et, pendant que le territoire est de plus en plus exploité par vous savez qui, on nous hypnotise avec de la bière, des autos, des disques, des musiques qui nous assourdissent et nous empêchent d’entendre les longs cris des machines qui tournent le territoire sens dessus dessous et charroient le bois, les mines et bientôt l’eau ailleurs dans des pays étrangers…
    Johnny Bungalow, p. 362.

    Au fond, je ne suis qu’un instrument dans un immense et long processus de libération, et tout ce que j’espère c’est de pouvoir être à la hauteur des tâches qui vont m’incomber lorsque je me mettrai à l’œuvre à plein temps […].
    Johnny Bungalow, p. 380.

    Je pense que je dois être un poète dit Jean-Joseph, mi-sérieux, mi-blagueur. Je vous ai ramené des cadeaux plein mon sac, mais vois-tu Julien, moé j’ramène surtout des souvenirs ; ces souvenirs, c’est à moé en propre, à moé tout seul mais j’peux les partager avec tout le monde ; j’peux les donner à tout le monde ; j’peux les partager sans arrêt ; c’est la seule chose au monde qui s’épuise pas…
    Johnny Bungalow, p. 205.

     

     

  • David Treuer, le conteur ojibwé

    David Treuer, le conteur ojibwé

    L’Américain David Treuer est né à Washington en 1970 d’une mère ojibwée et d’un père juif autrichien, émigré aux États-Unis en 1938 pour fuir la montée hitlérienne. L’écrivain est âgé d’à peine six ans lorsque sa mère Margaret Seelye Treuer est nommée juge d’une cour tribale. La famille rejoint alors la tribu Chippawa de la réserve de Leech Lake, au Minnesota, où l’écrivain grandira.

    Lors du . . .

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  • Yvon Paré, l’enfant qui ne voulait plus dormir

    Yvon Paré, l’enfant qui ne voulait plus dormir

    Romancier, poète, conteur, essayiste et chroniqueur littéraire, Yvon Paré quitte Montréal en 1972 après des études universitaires en lettres pour revenir s’installer à La Dorée, son village natal situé dans le haut du Lac-Saint-Jean. Après plus d’une douzaine de publications, dont cinq romans, deux essais, un recueil de poésie et trois récits de voyage écrits en collaboration avec Danielle Dubé, il revient sur son parcours d’écrivain, ses obsessions et ses craintes dans son plus récent livre, L’enfant qui ne voulait plus dormir.

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  • Au nom du père et du six

    Au nom du père et du six

    Une quinzaine d’années ont déjà passé depuis l’espèce de petit tremblement de terre provoqué par le Mailloux (2002) d’Hervé Bouchard, « citoyen de Jonquière ». Il y avait dans ce premier livre inclassable, axé sur l’enfance de Jacques Mailloux, une verdeur amusante, une inquiétude existentielle ambiante, surtout un remarquable imaginaire des mots que les livres suivants ont confirmé superbement. Disons-le tout de suite : Hervé Bouchard est indéniablement un immense écrivain, comme il s’en fait un ou deux par génération.

    La richesse de la langue . . .

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  • La servante écarlate de Margaret Atwood

    La servante écarlate de Margaret Atwood

    Cette chronique du livre jamais lu a quelque chose de la confession. C’est comme avouer une faute. Et dans mon cas, pour une écrivaine et pour une femme, la faute est grave. Je n’ai jamais lu La servante écarlate de Margaret Atwood. Je l’ai acheté lors de la parution de la traduction et je ne l’ai jamais ouvert. Je l’ai aussi perdu en cours de route… En tout cas, il n’est plus dans ma bibliothèque. Je ne l’ai pas lu parce qu’en lisant la quatrième de couverture, je . . .

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  • Des écrivains à l’assaut du monde

    Des écrivains à l’assaut du monde

    La littérature du Saguenay–Lac-Saint-Jean prend son envol au début des années 1980 avec de jeunes écrivains qui se démarquent dès leur première publication. Nicole Houde sonne la charge avec un récit percutant, La malentendue, et remporte le Prix des jeunes écrivains du Journal de Montréal en 1984. Danielle Dubé fait une entrée fracassante avec Les olives noires, prix Robert-Cliche en 1984. Elle signe un livre à succès qui entraîne le lecteur en Espagne pendant la crise d’Octobre. Elle indique la voie à Jean-Alain Tremblay, lauréat en 1989, avec La nuit des Perséides, puis à André Girard en 1991 avec Deux semaines en septembre. Arlette Fortin avec C’est la faute au bonheur en 2001, et Reine-Aimée Côté avec Les bruits en 2004 seront aussi lauréates de ce prix littéraire du premier roman.

    Alain Gagnon publie Le gardien des glaces en 1984, un roman original et troublant, malheureusement ignoré par la critique. Le romancier cherche sa voix depuis 1970 et explore plusieurs genres. Dix ans plus tard, il fait tourner les têtes avec Sud (1995), un roman qui entraîne le lecteur dans les univers troubles de William Faulkner et Erskine Caldwell. Thomas K., en 1997, démontre toutes les facettes de son talent.

    Élisabeth Vonarburg délaisse la chanson et fait paraître L’œil de la nuit en 1980. Chroniques du pays des mères (1991) la propulse sur la scène internationale. Avec cette œuvre traduite en plusieurs langues, l’écrivaine devient une grande figure de la science-fiction.

    Du côté du théâtre, Michel Marc Bouchard est un inconnu en 1980. Les feluettes, son œuvre forte, est présentée pour une première fois par le Théâtre Petit à Petit (Montréal) en 1987. Un succès immédiat. Daniel Danis étonne en 1992 avec Cendres de cailloux. Je me souviens d’une présentation dans le noir total à Jonquière. Une expérience sensorielle difficile pour nombre de spectateurs. Un an plus tard, Larry Tremblay se démarque avec The Dragonfly of Chicoutimi ; Jean-Louis Millette y est criant de vérité. Jean-Rock Gaudreault écrit pour la scène à la fin des années 1990 et rafle de nombreux prix. Parmi ses pièces, je pense surtout à Une maison face au nord (1993). Il impose son monde singulier et devient une présence incontournable sur plusieurs scènes du monde.

    Plusieurs écrivaines s’aventurent du côté de la jeunesse. Marjolaine Bouchard, avec Le cheval du Nord (1999), s’attarde à la légende d’Alexis le Trotteur. Isabelle Larouche publie une première fois en 2003 et Sylvie Marcoux remporte le prix Tamarac en 2011.

    Enfin, dans les années 2000, Hervé Bouchard avec Mailloux (2002) et Parents et amis sont invités à y assister (2006) attire tous les regards. Guy Lalancette s’impose également avec des œuvres bouleversantes. Les yeux du père en 2001 et Un amour empoulaillé en 2005 sont en lice pour plusieurs prix. Samuel Archibald connaît le succès avec Arvida (2011) et Geneviève Pettersen dans La déesse des mouches à feu (2014) étonne par son langage et la dureté du milieu chicoutimien qu’elle décrit.

    Au fil du temps, des carrières exceptionnelles se dessinent. Larry Tremblay particulièrement. Ses pièces sont traduites en une dizaine de langues. Il fait sa marque aussi dans le genre romanesque avec Le mangeur de bicyclette (2002), Le Christ obèse (2012) et L’orangeraie (2013), qui connaît un succès exceptionnel. Michel Marc Bouchard en fait tout autant comme scénariste avec les films Les feluettes en 1996 et L’histoire de l’oie en 1998. Christine, la reine-garçon devient un succès au grand écran en 2015. L’auteur reçoit l’Ordre national du Québec en 2012. Daniel Danis s’installe en France et est nommé chevalier de l’Ordre des arts et des lettres de la République française en 2000. Il est le seul dramaturge à avoir remporté trois fois le Prix du Gouverneur général du Canada.

    Effervescence

    Cette production littéraire remarquable s’amorce avec le regroupement de quelques écrivains autour d’une coopérative d’édition en 1984, Sagamie/Québec. Le recueil Traces (1985) rassemble des textes de Gil Bluteau, Alain Gagnon, Danielle Dubé et Guy-Marc Fournier, prix Jean-Béraud-Molson en 1974 avec L’aube. La maison publie la poésie de Carol LeBel, l’auteur d’origine haïtienne Maurice Cadet et Ultimacolor de Gilbert Langevin en 1988. Des dissensions mettent fin au projet.

    L’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie (APES) prend le relais. L’APES rejoint les écrivains vivant au Saguenay–Lac-Saint-Jean et ceux qui ont migré un peu partout au Québec. Le regroupement publie le collectif Un lac, un fjord pendant une quinzaine d’années aux éditions JCL. Plus de 200 nouvelles voient le jour. Deux numéros de XYZ. La revue de la nouvelle seront aussi consacrés aux écrivains du Saguenay–Lac-Saint-Jean pendant ces années. Par ailleurs, l’APES multiplie les événements. Suzanne Jacob, Denise Desautels, Robert Lalonde, Victor-Lévy Beaulieu, Louise Desjardins, Hélène Pedneault, Louise Dupré, John Saul et Nancy Huston participent à des lectures publiques avec les écrivains de la région. La gastronomie et la littérature font bon ménage dans le Festival des mets et des mots pendant plus de cinq ans.

    Le Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean, au début des années 1990, crée ses prix littéraires en récompensant les auteurs selon les critères de l’APES. Les premières lauréates sont Lise Tremblay avec L’hiver de pluie et Nicole Houde avec Lettres à cher Alain.

    À l’extérieur de la région, Larry Tremblay, Hervé Bouchard, Danielle Dubé, André Girard, Alain Gagnon, Élisabeth Vonarburg et Nicole Houde mettent la main sur des prix prestigieux. Marie Christine Bernard reçoit le prix France-Québec en 2009 avec Mademoiselle Personne. Le Prix du Gouverneur général est attribué à Nicole Houde pour Les oiseaux de Saint-John Perse (1994) et à Lise Tremblay pour La danse juive (1999). Pierre Gobeil reçoit le Grand prix du livre de Montréal avec Dessins et cartes du territoire en 1993. La région s’enorgueillit de trois prix Ringuet (attribués par l’Académie des lettres du Québec) consécutifs pour mon roman Le voyage d’Ulysse (2014), Épisodies (2014) de Michaël La Chance et Tas-d’roches (2015) de Gabriel Marcoux-Chabot.

    Lieu

    Comment caractériser la littérature du Saguenay–Lac-Saint-Jean ? Bien sûr, la géographie joue un rôle particulier. Le premier à montrer l’aspect inquiétant du fjord du Saguenay est Gil Bluteau dans Meurent les alouettes en 1978. Un homme veut en finir avec la vie et descend le Saguenay en canot jusqu’à Tadoussac, où son aventure s’arrête. Ce climat d’inquiétude se retrouve chez André Girard, particulièrement dans Zone portuaire (1997), Lise Tremblay dans La pêche blanche (1994) et La sœur de Judith (2007), et Nicole Houde dans La maison du remous (1986) et Je pense à toi (2008).

    Le lac Saint-Jean joue un rôle tout à fait différent. Il suffit de s’éloigner de la rive, d’aborder une île ou encore de se réfugier sur les glaces en hiver comme dans Le gardien des glaces (1984) d’Alain Gagnon pour échapper aux fureurs humaines. Guy Marc Fournier évoque cette présence rassurante en 1973 dans Ma nuit.

    Dans Les feluettes, Vallier trouve le repos en prenant le large dans sa longue embarcation. Pierre Gobeil reprend le thème dans Tout l’été dans une cabane à bateau (1988). Dans Mistouk (2002) de Gérard Bouchard, un personnage échappe aux fureurs de ses ennemis en se réfugiant sur une île du lac Saint-Jean. La violence se déclenche dès qu’il revient sur la terre ferme. Il trouve la mort dans les rapides qui se dressent comme une frontière entre le lac et la rivière Saguenay. Son grand corps de géant dérive sur le fjord jusqu’à une anse tout près de Tadoussac où ses os blanchiront.

    La nature et l’espace deviennent des personnages qui bousculent les individus dans les œuvres fortes d’Alain Gagnon, de Gérard Bouchard, de Michel Marc Bouchard et de Guy Lalancette. Dans Le voyage d’Ulysse, le lac devient le centre du monde et mon personnage découvre la vie en longeant les rives du Grand Lac sans fin ni commencement pendant plus de vingt ans. Le clin d’œil à Homère est évident.

    Rayonnement

    Que serait le théâtre québécois sans Larry Tremblay, Michel Marc Bouchard, Daniel Danis et Jean-Rock Gaudreault ? Dany Boudreault s’impose aussi sur la scène comme comédien et auteur. Il joue dans Je suis Cobain (peu importe) qu’il a lui-même écrit. Avec ce texte, il remporte le prix du meilleur texte Cartes premières en 2010. Il signe par ailleurs avec Maxime Carbonneau Descendance, publiée à L’instant même en 2014, et est lauréat du Prix du Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean en 2014. Il a publié aussi deux recueils de poésie aux éditions Les Herbes rouges. La relève est assurée.

    De nouveaux romanciers attirent l’attention. Marie Christine Bernard, Richard Dallaire, Geneviève Pettersen, Samuel Archibald, Marie-Paule Villeneuve et Marité Villeneuve publient des œuvres solides et singulières. Marjolaine Bouchard et Hervé Gagnon mélangent l’histoire, l’action et le suspense. La poésie de Tony Tremblay, Kim Doré, Marie-Andrée Gill, Charles Sagalane et Laurance Ouellet Tremblay retient l’attention.

    Et L’APES ne rate jamais une occasion de mettre les écrivains et leurs œuvres en évidence.

    Il faut enfin signaler le travail de la maison d’édition La Peuplade, qui se distingue par son travail et ses publications. À sa façon, elle réalise le rêve de Sagamie/Québec en s’imposant sur la scène internationale, particulièrement du côté des pays nordiques. Mylène Bouchard et Simon Philippe Turcot révèlent de nouvelles figures d’ici et d’ailleurs. Marie-Andrée Gill, entre autres, apporte une couleur autochtone à la production d’ici.

    Le Saguenay–Lac-Saint-Jean offre des œuvres étonnantes, marquées par des thèmes singuliers et uniques. La région bouscule les créateurs du Québec et leur ouvre souvent de nouvelles voies. Un monde en soi.

     

     

  • BD : des nouveautés à lire et à relire

    BD : des nouveautés à lire et à relire

    Certaines bandes dessinées, contrairement à ce que d’aucuns pourraient être tentés de croire, méritent, voire nécessitent une seconde lecture afin qu’on en saisisse bien toute l’essence – elle est loin l’époque où, à la manière de Blake et Mortimer, la fonction du dessin consistait simplement à appuyer les textes et les dialogues. Et pour chaque album il y a une raison différente de faire une relecture.

    Quelque chose de géant

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  • Codes et voix innues contemporaines

    Codes et voix innues contemporaines

    Un soir de septembre 2017, à la Librairie du Quartier, à Québec, j’assiste au lancement de Manikanetish1 (« petite marguerite », en innu), le dernier roman de Naomi Fontaine. Je connais Naomi pour l’avoir accompagnée en cours d’écriture de son premier roman, Kuessipan2, dans le cadre d’un programme de Première Ovation. Déjà, un professeur invité, de passage à l’Université Laval, François Bon, avait reconnu le talent de Naomi. Le manuscrit sur lequel elle travaillait, qui allait donner l’un des premiers romans « innus » écrits au Québec, nous . . .

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  • Un hold-up, des meurtres… et des longueurs

    Un hold-up, des meurtres… et des longueurs

    Le romancier et nouvelliste américain Richard Ford, lauréat du prix Pulitzer en 1996 pour son roman Indépendance, a remporté le prix Femina étranger 2013 pour Canada1. Ce récit d’apprentissage au rythme lent, très lent, dépeint la Saskatchewan comme une terre d’accueil morne, mais sécuritaire, pour fuir la violence et le désordre moral des États-Unis du début des années 1960.

    « Un moment de grâce dans les lettres américaines », écrit Lorrie Moore dans The New Yorker . . .

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  • La somme des oublis

    La somme des oublis

    Tôt ou tard, la question se pose: quelle influence mes parents ont-ils eue sur ma décision de devenir écrivain ? Sur mon écriture ? Qu’écrirai-je sur eux maintenant qu’ils ne sont plus là ? Certains y consacreront un livre, tantôt pour comprendre, tantôt pour se libérer de quelque ascendance, tantôt pour leur rendre hommage.

    Les cas de figure sont aussi nombreux et variés qu’il y a d’écrivains, que le sont les familles. Paul Auster a écrit son premier récit, L’invention de la solitude

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  • Exploits et crimes de l’Homo sapiens

    Exploits et crimes de l’Homo sapiens

    L’épithète ne doit pas tromper : Sapiens. Une brève histoire de l’humanité1de Yuval Noah Harari ne verse ni dans la précipitation ni dans le résumé caricatural. Si l’ampleur du dessein fait paraître cette histoire brève, elle demeure nuancée dans ses jugements, libre de ses questionnements, inattendue par ses angles d’analyse, parfois provocante. Contrairement aux survols truffés de dates et de généraux, elle osera même s’interroger sur ce que l’évolution a pu apporter au bonheur humain.

    Adam et ses . . .

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  • Georges Leroux

    Georges Leroux

    Né en 1945, Georges Leroux arrive à l’âge professionnel au moment où le Québec met la hache dans le cours classique qui l’a formé et s’étourdit momentanément dans les mouvances révolutionnaires. Cette charnière entre l’« humanisme » et la « modernité », cette jonction entre tradition religieuse et sécularisation imprégneront tout son parcours de penseur et de citoyen.

    On ne se refait pas : Georges Leroux est un intellectuel. Ce qui le branche, ce sont les livres, l’étude, la philosophie. Rien ne le fascine autant qu’une bibliothèque, rien ne le motive . . .

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  • Jacques Chauviré (1915-2005)

    Jacques Chauviré (1915-2005)

    Jacques Chauviré fut médecin pendant 40 ans et se voulut écrivain, ce qu’il resta toute sa vie : comme Georges Duhamel ou Louis-Ferdinand Céline naguère, Martin Winckler ou Jean-Christophe Rufin de nos jours, il fit de son métier un ferment de son art.

    C’est aux parisiennes éditions du Dilettante, pionnières et longanimes dans le domaine de . . .

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  • Guy Gauthier

    Guy Gauthier

    Fin septembre 2017, le dramaturge, mémorialiste et poète Guy Gauthier participe à Winnipeg au Winnipeg International Writers Festival et à la scène francophone Livres en fête, lance son premier recueil de poésie en français, une de ses pièces Off-Off-Broadway est mise en scène, et il est conférencier au colloque international Rencontre des imaginaires tenu par les universités de la ville. Ces événements ont constitué une espèce de retour au bercail littéraire pour un auteur franco-manitobain trop méconnu.

    Guy Gauthier est né à Saint-Norbert au Manitoba en 1939. La famille déménage brièvement au Québec avant de revenir s’installer à Saint-Boniface, où Gauthier se trouve voisin du poète Louis-Philippe Corbeil, qu’il fréquente assidûment.

    Jeune homme, il est, comme Corbeil avant lui, renvoyé du collège de Saint-Boniface pour indiscipline. Il poursuit ses études en anglais au Saint Paul’s College, où il obtient son baccalauréat en 1963. Durant ses années universitaires, il se met à écrire, principalement en anglais, par mesure de rébellion contre l’étau de la Langue et de la Foi. Le jeune auteur se prête alors à certaines expériences d’isolement pratiquées à la Faculté de psychologie dans le cadre d’un programme de recherche de l’armée américaine.

    Dramaturge

    C’est au Saint Paul’s College qu’il rédige, en 1963, sa première courte pièce Spotlights, de style avant-gardiste : « C’était un ballet autant qu’une pièce. Les jeux de lumière et l’expression corporelle y tenaient une place au moins aussi grande que le dialogue1 ». Deux ans plus tard, la pièce est traduite en français et montée par le Cercle Molière dans le sous-sol de l’ancienne basilique de Saint-Boniface. Le spectacle étonne, pour ne pas dire qu’il détonne dans ce haut lieu de la religion : « Le théâtre trop moderne et quelquefois trop abstrait de Guy Gauthier n’avait pas de chance de se développer dans la petite ville de Saint-Boniface2 ». Cette pièce, qui lance la modernité du théâtre made in Manitoba, sera aussi montée par le Venture Theatre de Winnipeg, le New York Theatre Ensemble et le Centre national des arts à Ottawa. Il faudra toutefois attendre septembre 2017 avant de revoir le théâtre de Gauthier à Saint-Boniface : sa pièce Off-Off-Broadway The Hobby Horse est montée en traduction (Le cheval de bois), et le Cercle Molière présente quelques extraits des Projecteurs et de Maudite soit la nuit.

    De 1963 à 1967, le dramaturge, alors chauffeur de taxi, est actif dans le monde théâtral de Winnipeg, particulièrement avec la compagnie du Venture Theatre, qui avait son pied-à-terre dans le sous-sol de la gare du Canadien National. Lui et un ami, Arthur O’Reilly, y allaient souvent passer la nuit, « jusqu’à ce que le CN [prévienne] Venture Theatre, explique Gauthier, et par la suite on nous refusait l’entrée3 ». Sa pièce Riel of Orange, montée par la troupe en 1964, est un des premiers drames à se pencher sur la figure mythique de Louis Riel.

    L’auteur prête occasionnellement main-forte au Cercle Molière, où il rencontre deux bêtes de scène québécoises, Jean-Marie Lemieux et Yvon Thiboutot, qui s’intéressent à son théâtre et qui lui facilitent des entrées à Montréal. En 1967, armé d’une bourse du Conseil des arts du Canada, Gauthier arrive à Montréal où Claude Préfontaine, directeur de l’Égrégore, songe à monter deux de ses courtes pièces. La production n’aura pas lieu. Ce sera ensuite au tour de Jean Guy de l’Estoc à Québec de s’intéresser à l’œuvre de Gauthier, sans succès.  « Montréal ne fut pour moi qu’une suite de déceptions.4» Le dramaturge aura toutefois l’occasion d’assister à un moment clé du théâtre québécois. Invité par son ami winnipégois Arthur O’Reilly, qui avait été régisseur pour André Brassard, il assiste à la mise en lecture des Belles-sœurs de Michel Tremblay le 4 mars 1968.

    Mais c’est New York qui l’attire et il s’y installe dès 1969. Il est reçu à plusieurs reprises par Edward Albee dont le producteur, Richard Barr, s’intéresse vivement à l’écriture de Gauthier, souhaitant que le dramaturge passe des courtes pièces Off-Off-Broadway à un « major work » pour la grande scène, lui disant : « We’ll do great things together5 ». Mais Broadway n’a jamais intéressé l’auteur manitobain, qui composera une vingtaine de pièces pour le théâtre Off-Off, jouées dans une variété de bars et de cafés plus ou moins réputés et d’autres légendaires comme le théâtre du Judson Memorial Church, où avaient exposé Claes Oldenburg, Jim Dine, Robert Rauschenberg et Yoko Ono. Sa pièce The Snows of Spring, qu’Yvon Thiboutot avait cherché à monter en traduction à Montréal en 1968, est mise en scène par le New York Theatre Ensemble en 1972 et reprise l’année suivante à Istanbul en Turquie.

    La dernière pièce de Gauthier jouée à New York, en 1975, Ego Play (publiée sous le titre d’Ego fatigue), est une création de Playwrights Horizons, compagnie Off-Broadway qui allait connaître un succès et qui perdure. C’est la fin d’une aventure ; le dramaturge, trouvant que sa vision n’est jamais réalisée sur scène, se détournera du théâtre pendant dix-sept ans.

    En 1992, de retour à New York après un bref hiatus au Kentucky, l’auteur se remet au théâtre, en français cette fois, et l’écriture le tire d’une dépression suicidaire. Son drame hautement biographique, Si jeunesse savait, dresse le portrait conflictuel d’une famille franco-manitobaine. En 2009, Maudite soit la nuit, qui décrit la relation entre Charles Baudelaire et Jeanne Duval, est mise en lecture à Paris. En 2011, la troupe Moving Parts Paris met en lecture son drame franco-manitobain.

    Poète

    Dès l’université, Guy Gauthier compose de la poésie en alternance avec son théâtre et obtient rapidement le prix de poésie Bukofski de l’Université du Manitoba pour un long poème intitulé « Dreams for Dr. Freud ».

    Par la suite, il publiera dans une variété de revues littéraires américaines et canadiennes dont The Fiddlehead et The Antigonish Review. Il fait aussi paraître des poèmes concrets ou « trouvés » dans des anthologies allemandes. À New York, il publie North of the Temperate Zone en 1977 et il est invité à lire sa poésie à la chaîne de télévision Sterling Manhattan.

    Ses premiers poèmes en français datent de 1977 et certains sont parus dans l’Anthologie de la poésie franco-manitobaine (1990). Ils se trouvent regroupés avec l’ensemble de sa poésie en français dans La hantise du passé (2017). On remarque dans ce retour à la langue française l’attachement du poète à son pays, à sa culture et à la grande épopée « canayenne » : « Mon enfance vit en moi. Je suis, je serai toujours, l’enfant rêveur qui disparaît dans l’école buissonnière de son imagination6 ».

    Les poèmes enfantins – comme les qualifie le poète –, titrés « Moments arrachés à l’oubli », nous plongent dans l’intimité familiale. « Hugo a écrit de nombreux poèmes sur l’enfance, mais c’est toujours un adulte qui observe les enfants… Dans mes poèmes sur l’enfance, je suis un enfant. Ce sont, pour ainsi dire, des poèmes enfantins7 ».

    Le ton enjoué ainsi que les poèmes d’attachement à l’épopée canadienne (« L’Anse au Foulon », « Les Filles du Roi », « Le Coureur de Bois », « La Vérendrye », « D’Iberville ») masquent une lutte plus intense et intérieure, celle du retour à la langue mère qui serait une victoire sur l’Œdipe : « Mon père s’opposait à mon rêve d’être poète, et je sens que j’ai longtemps évité la poésie par fidélité aux vœux de mon père. Et bien que j’en écris enfin, je résiste encore à l’idée même de la poésie. J’écris des poèmes prosaïques, comme si je refusais toujours d’écrire de la poésie8 ».

    Mémorialiste

    Dès son arrivée à New York, Guy Gauthier tient un journal littéraire qui compte aujourd’hui 20 000 pages. Écrit d’abord uniquement en anglais, avec des passages occasionnels en français, le journal est depuis le début du millénaire principalement rédigé en français. De larges extraits ont été publiés dans les deux langues, à compte d’auteur et chez des éditeurs réputés, dont Journal 5.1 aux éditions du Blé. L’œuvre qui vise à raconter sur le vif comme une opération à cœur ouvert est plutôt unique en son genre. Certes, de grands auteurs ont laissé des journaux intimes, francs et révélateurs, on peut songer à L’aveu d’Arthur Adamov ou Si le grain ne meurt d’André Gide. Ce type d’œuvre toutefois est généralement rédigé au bénéfice de la réputation de l’auteur. Mais un journal qui cherche à dévoiler toute la vérité sur son auteur, qui ne cache pas les défauts et les obsessions, qui affirme les plaisirs et les passions, où se joignent observations quotidiennes et notes de voyage, où se retrouvent des réflexions sur la littérature et sur l’art même du journal, voilà un véritable journal. « Mon idéal – irréalisable – serait de présenter la totalité d’un être humain, sans omettre les détails repoussants…9 »

    Le journal ne cherche pas à se censurer ni à bien paraître, au point de conserver des coquilles, des phrases non terminées qu’il étale au grand jour dans une espèce de rédaction masochiste : « […] il faudra enfin garder toutes les fautes d’orthographe, les fautes de grammaire, mettre à nu les insuffisances de mon français, ne rien cacher, ne rien dissimuler…10 » Comme j’ai pu l’écrire précédemment11, cette écriture masochiste trouve son dénouement dans un syllogisme parfait : je suis humilié, je le dis, donc je jouis.

    Par sa mixité et son étendue, c’est au Journal littéraire de Paul Léautaud que l’entreprise de Gauthier peut se mieux comparer. L’écriture du journal cherche à être réaliste, elle vise la plus grande authenticité de transcription dans l’espoir de capter sans dérive l’émotion du moment.


    1.Jeanne Benoist, « Deux pièces canadiennes au Cercle Molière », La Liberté, 19 août 1965, p. 3.
    2. Annette Saint-Pierre, Le rideau se lève au Manitoba, Des Plaines, Saint-Boniface, 1980, p. 211.
    3. Guy Gauthier, Les projecteurs et autres pièces, Du Blé, Saint-Boniface, 2015, p. 14.
    4. Ibid, p. 18.
    5. Ibid, p. 23.
    6. Guy Gauthier, La hantise du passé, Du Blé, Saint-Boniface, 2017 p. 108.
    7. R. Léveillé, Anthologie de la poésie franco-manitobaine, Du Blé, Saint-Boniface, p. 376.
    8. Lettre de Guy Gauthier à J. R. Léveillé, 10 juin 2017.
    9. Guy Gauthier, Journal 5.1, Du Blé, Saint-Boniface, , 2003, p. 289.
    10.Ibid, p. 290.
    11. J. R. Léveillé, « Faute de frappe : apologie du Journal », dans Parade ou Les autres, Du Blé, Saint-Boniface, 2005.

  • Rodney Saint-Éloi, poète-romancier et éditeur

    Rodney Saint-Éloi, poète-romancier et éditeur

    Poète, romancier, essayiste et éditeur, Rodney Saint-Éloi* est né en Haïti en 1963. Ila émigré au Québec en 2001 et deux ans plus tard, il fondait les éditions Mémoire d’encrier. Aujourd’hui, il se définit comme un « passeur de mots et de mémoires », son rôle le plus important, confie-t-il en entrevue.

    Rencontré à Montréal dans les locaux de sa maison d’édition, au cœur de La Petite-Patrie, Rodney Saint-Éloi parle de ses projets. Dreadlocks ramassées en queue de cheval, sourire aux lèvres . . .

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  • From Greenland with Love

    From Greenland with Love

    Homo sapienne1, premier roman de l’auteure groenlandaise Niviaq Korneliussen, est quelque chose comme une bombe queer, un texte existentiel et audacieux dans le fond comme dans la forme, une « parole qui n’[est] ni du bruit ni le ronron du système2 » et qui propose une sociabilité conçue en dehors des modèles dominants.

    Fia, Inuk, Arnaq, Ivik et Sara sont des personnages ingouvernables. Iels3 écoutent Joan Jett and the Blackhearts, les Foo Fighters, Pink, Rihanna et Greg Laswell. Iels entrent en relation, se font mal . . .

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  • Les pamphlets de Céline : publier l’impubliable

    Les pamphlets de Céline : publier l’impubliable

    Je ne suis pas un spécialiste de Louis-Ferdinand Céline, mais un éditeur. Aux éditions Huit ont été réédités, entre autres, Les Incas de Marmontel (chef-d’œuvre du préromantisme français, daté de 1778), des romans d’auteurs de l’École patriotique de Québec (active de 1860 à 1895), un traité de prononciation du français publié au Massachusetts en 1870 et un recueil de contes, Legends of le Detroit, paru initialement en 1884.

    Ces œuvres, disparates du point de vue de leur contenu, avaient en commun d . . .

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  • D’un dialogue de sourds sur la langue

    D’un dialogue de sourds sur la langue

    Des admonestations francophiles du frère Untel jusqu’à la sortie de Marc Cassivi contre les puristes échaudés par les sonorités d’un franglais à la mode, la langue demeure un sujet particulièrement sensible au Québec, une pomme de discorde que se disputent âprement les experts tant patentés qu’improvisés, et ce, depuis maintenant plusieurs décennies.

    Souvent, au Québec, les débats sur la langue dépassent les simples dimensions linguistiques et normatives pour rejoindre le terrain fondamental de l’identité collective. En ce sens, tout . . .

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  • La passion des mots

    La passion des mots

    Cher Émile, cher Gilles, chers membres de l’Académie des lettres du Québec, chers Daniel Canty et Pierre Nepveu, chers amis ; nous sommes réunis ici ce soir par une passion que nous partageons tous : celle des mots. Cette passion, ce n’est d’abord qu’un plaisir, celui de regarder les mots prendre vie et forme, s’agencer au gré des humeurs, du hasard, des gens que l’on croise sur sa route, d’un certain style aussi, sans doute ; puis de les voir jouer entre eux, parfois se jouer de nous ; plaisir enfin de les mener ailleurs, de les partager, de les enseigner, de les traduire en autre chose. Jusqu’à ce que le plaisir devienne passion.

    Dès que j’ai eu le désir de prendre la plume pour faire autre chose que de raconter – mais je reviendrai sur cette grave question, celle de raconter ou non –, j’ai su que ce serait ardu, long, mais aussi inévitable et exaltant.

    L’aventure commence jeune, comme pour plusieurs. Un journal personnel, beaucoup de lettres – des aérogrammes ! –, de petits bouts de papier ici et là, qui peu à peu allaient proposer un fil, une trame. Mais le vrai début, ce sera avec la belle équipe des Éditions de L’instant même. Avec Gilles Pellerin et Marie Taillon au gouvernail, et les Bertrand Bergeron, Hugues Corriveau, Diane-Monique Daviau, Monique Proulx pour nous pousser vers le large. Encore aujourd’hui, quelques décennies plus tard, je me reconnais dans ces élans. « Nous aurions un petit genre », lance Gilles Pellerin, sourire en coin, dans un livre consacré à la nouvelle. Nous l’avons toujours, je l’espère, ce petit genre. Dans le bon sens du terme, bien sûr. Un genre ludique, en tout cas, fragmenté, fugace. Nous avions un rapport, disons, élastique avec le réel. La nouvelle s’y prêtait bien, certes, mais le roman ne perdait rien pour attendre. L’authenticité nous importait peu, nous préférions l’étrangeté, l’ailleurs, le plus ou moins vraisemblable, et nous étions portés par le rythme, la tension, et surtout : les chutes, que nous aimions plutôt ouvertes ! Le jeu, toujours, régnait en maître. Nous racontions vaguement des histoires, nous attardant davantage au mouvement des choses qu’aux choses elles-mêmes, au regard que l’on porte sur elles plutôt qu’à leurs attributs véritables, puis au regard que l’on peut porter sur ce regard ; et fuyant généralement toute introspection trop sérieuse, car, pour citer Yves Beauchemin, nous étions « peu enclin[s] à l’analyse psychologique, préférant laisser le lecteur se faire une idée des personnages à leur seul comportement ». Ou, pour reprendre une de ces phrases dont André Ricard a toujours le secret, lancée lors d’une lointaine Rencontre québécoise internationale des écrivains, « le paysage est dans l’œil de celui qui aime ». Des élans qui nous rapprochaient des grands Latino-Américains, dont nous nous réclamions plus ou moins ouvertement. Et si la nouvelle nous attirait, je rappellerais Cortázar, justement, pour qui il y a des nouvelles de cinq cents pages et des romans de cinq pages. L’important étant, encore une fois, le regard, mais aussi le souffle, la portée, l’intention. Il faudra cependant un autre Latino-Américain pour me rappeler l’importance, tout de même, du récit. Il s’agit d’Adolfo Bioy Casares, un jour où je lui rendais visite dans sa vieille maison un peu sinistre de Buenos Aires. Je me trouvais avec Marie José Thériault, qui préparait un livre d’auteurs et d’artistes d’Argentine et du Québec. Et il y avait là aussi l’épouse de Bioy, l’évanescente Silvina Ocampo, et quelques écrivains de cet éternel creuset littéraire que constitue la métropole du Rio de la Plata. Nous avions parlé de ses livres, bien sûr, et surtout d’une de ses nouvelles, que j’allais traduire pour le livre de Marie José ; et après m’avoir avisé que je venais de m’asseoir dans le fauteuil de Borges – ce qui ne fut pas sans ébranler le néophyte –, et après que je lui eus dit plutôt cavalièrement que les histoires m’intéressaient peu, Bioy me dira ainsi : « Jeune homme, pour moi, rien ne vaut une bonne histoire ! »

    Ce qui m’avait impressionné presque autant que de m’être assis dans le fauteuil de Borges ! Et qui, depuis, m’a amené peu à peu à apprécier quand même les bonnes histoires. N’empêche qu’en cette matière, je reste plus près de mon cher Juan Carlos Onetti, qui, lui, n’a toujours raconté à peu près rien, tout en nous gardant sans cesse sur le qui-vive. Le qui-vive stylistique, c’est quand même un exploit !

    Ces Latins du Sud, ils m’auront aussi appris l’essentiel : le rêve n’est pas une fuite du réel, c’est une autre façon de l’appréhender. Ce n’est pas le vide, c’est une autre substance aussi riche que le réel, qui gambade à côté, comme une ligne parallèle tracée tout contre nos existences. Le rêve, disait le même Cortázar, mais aussi Juan Carlos Onetti, que j’allais bientôt traduire et qui allait tout bousculer sur son passage, enfin sur le mien, le rêve, c’est la vie.

    Traduire Onetti aura été un moment décisif dans mon travail d’écrivain. C’était risqué tout de même, car le traduire était parfois bien plus exaltant qu’écrire. Jusqu’à ce que j’en vienne, je crois, à fusionner les deux opérations en une seule, à revenir simplement au plaisir des mots. Qui est le même au fond, que l’on traduise ou que l’on écrive. La traduction ayant même ce grand avantage de nous dispenser d’inventer une histoire ! Mais rappelons Bioy Casares : les bonnes histoires ont tout de même leur charme.

    La traduction comporte aussi l’immense avantage de l’humilité – le traducteur n’est-il pas d’abord un ouvrier des mots, au service de l’œuvre d’un autre ? La traduction a ainsi cette merveilleuse caractéristique que ce n’est pas soi que l’on met devant, mais bien l’autre, un autre que l’on chérira, si on en a la chance, et qu’on s’emploiera, dans l’ombre, à pousser vers la lumière. Ce qui n’est certes pas toujours aisé, mais moins éprouvant que de se mettre soi-même devant.

    L. Jolicoeur, D. Canty et G. Pellerin

    En juin dernier, je participais à un symposium organisé par Isabelle Miron à l’UQAM, intitulé joliment « Le récit nomade ». On m’y avait invité sous prétexte que j’écrirais de la littérature de voyage. Je sais que Gilles Pellerin me présente parfois comme un écrivain du voyage… Et il est vrai que j’ai participé au fil des ans à d’autres rencontres sur la littérature dite de voyage, notamment avec Louis Gauthier – tout un honneur pour moi, d’ailleurs, ayant toujours grandement apprécié sa finesse, son humour un peu timide, sa façon de voir le voyage par le petit bout de la lorgnette. Comme cet autre maître, Nicolas Bouvier : faire de l’art avec presque rien. Loin d’ici, peut-être, mais surtout loin de tout exotisme. Et au fond, qu’on soit loin ou près, ça n’a guère d’importance. C’est plutôt notre rapport au réel qui compte. Et il se trouve que ce qui m’entoure lorsque je suis loin me stimule davantage que l’immédiat géographique et temporel. Ceci dit, l’esprit nomade, pour reprendre l’expression proposée lors du symposium, peut frapper n’importe où, y compris en pleine rue Sainte-Catherine, qui pour un gars de Québec peut être étonnamment dépaysante !

    À ce symposium de l’UQAM, on m’a demandé de parler de mon livre Poste restante, puisqu’il y est question d’un long voyage entrepris dans les années 70 autour du monde. Ce qui m’a amené à réfléchir d’une façon nouvelle à cet écrire-là que je cultive depuis des lustres, sans trop réfléchir aux motifs, aux intentions, aux désirs sous-jacents, à tout cela qui nous habite quand on écrit, et surtout quand on écrit sur l’ailleurs.

    Belle préparation, en somme, à ce que je tente d’exposer ici.

    En fait, plutôt que de littérature de voyage – ce qui risque toujours de nous faire aboutir à côté de la collection Lonely Planet dans les librairies –, nous pourrions parler de littérature de l’ailleurs, sans que cet ailleurs ne doive être défini de trop près. Ou d’écriture-voyage. Écrire porté par le hasard, quelques regards, un laisser-aller, une fusion avec le moment présent. Tout en se rappelant Paul Bowles lorsqu’il affirmait que « le touriste veut partir dès qu’il arrive, alors que le voyageur pourrait bien ne jamais revenir ».

    Revenons à Nicolas Bouvier : « On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait. » La phrase est bien connue, mais demeure pour moi le meilleur condensé du récit de voyage : l’art de se défaire. Je pense aussi à Jorge Semprun, qui rend l’exil plus vif et réel que bien des ancrages ; à José Saramago, lorsqu’il fait dériver le Portugal, le laissant, et nous avec, seul devant absolu, ou quand il s’amuse à transformer le cours de l’Histoire pour le simple plaisir de jouer avec les histoires ; à Antonio Tabucchi et à son presque immobile Nocturne indien ; à Romain Gary, qui, racontant Djibouti, ne raconte rien en fait, mais réussit à nous passionner pour ce rien. Ou à l’écrivain polonais Wlodzimierz Odojewski, dont le court roman Une saison à Venise propose une espèce de non-histoire où la Venise du titre n’apparaîtra jamais dans le récit.

    Pas de doute, j’aime les histoires sans histoire où on parle de chimères qui ne se concrétisent jamais, d’absences qui meublent davantage que bien des présences. Choses inaccessibles qui sont belles pour cela justement. Mon recueil Saisir l’absence témoigne de cet engouement pour ce qui n’est pas là. L’absence comme moteur, comme un insaisissable que l’on essaie tout de même de saisir, pour plonger dans cette impossible mais exaltante quête d’absolu, et parce que, comme disait Cyrano, « c’est bien plus beau quand c’est inutile ». Dans la même veine, mon récit Poste restante se construit entre un personnage qui vite s’estompe et n’existe plus que par son absence, puis un autre qui appelle à l’autre bout et tardera des mois – et bien des pages – à apparaître. C’est à travers cette tension entre une absence et une attente que se noue, comme souvent dans ce que je tente d’écrire ou de traduire, ce « récit de voyage » et, au-delà de la trame, des histoires racontées, le cœur de ce que je souhaite communiquer.

    C’est aussi ce plaisir de l’ailleurs, ce désir de le rapprocher de nous, qui me poussera à traduire non seulement des maîtres qui, comme Onetti, m’auront montré la voie en écriture, mais aussi les auteurs de la relève. Avec en général la complicité de l’Instant même, là encore, j’ai eu le plaisir de préparer des anthologies d’écrivains du Chili, du Mexique, de l’Argentine, de l’Irlande, et du Québec aussi, bien sûr, question de saine réciprocité. Pour s’approcher de l’autre, mais aussi pour découvrir comme il nous est proche. Les parallèles que nous avons pu faire entre l’Amérique latine et le Québec, comme si l’un reprenait là où l’autre laissait son histoire, il faut le dire, nous laissaient parfois sans voix. Latins du Nord que nous sommes, après tout, comme se plaisent à nous le rappeler nos amis mexicains.

    Traduire, donc, c’est l’exaltation d’écrire, sans le souci d’inventer une histoire. Et avant Onetti, il y eut d’abord Miguel de Unamuno, dont le premier roman, Paz en la guerra (Paix dans la guerre), n’avait étonnamment jamais été traduit en français, quand on m’a demandé de m’y consacrer, vers le milieu des années 80. Expérience fascinante, qui m’a fait comprendre combien tout le Unamuno ultérieur se retrouvait dans ce roman de jeunesse, en apparence contenu et quelque peu conventionnel. Expérience qui m’a fait comprendre également à quel point les auteurs latino-américains, contrairement à ce qu’on pense souvent, avaient été influencés par ce magnifique écrivain quelque peu oublié aujourd’hui hors d’Espagne.

    Si Onetti m’a initié à l’Amérique latine, on voit qu’il a également beaucoup à voir avec mon attachement pour l’Espagne, par Unamuno interposé, notamment. Et s’il m’a ouvert ainsi aux deux faces du monde hispanique, on a vu que c’est également lui qui m’a lancé dans le monde de la traduction littéraire et de l’écriture. Sans compter que ce même Onetti est aussi responsable de ma carrière universitaire : c’est en effet lui, enfin son écriture, qui me poussera à faire un doctorat et à devenir professeur de traduction.

    Mais ce n’est pas tout. C’est aussi Onetti qui me fera adopter une position peut-être pas très orthodoxe en matière de traduction littéraire, mais que j’ai adoptée sans réserve depuis que j’ai traduit trois de ses romans : la distance face à l’auteur. Le respect le plus strict de l’œuvre, certes, mais surtout le désir de reproduire son effet sur le lecteur, plus que la supposée intention de l’auteur. Une appropriation, nuancée, mais active aussi, de l’autre. Et surtout : l’inutilité de consulter l’auteur. Et cette façon de travailler est issue entre autres d’une anecdote qui a eu une importance capitale dans ma vie de traducteur…

    C’était à la fin des années 80, j’avais décidé d’aller vivre en Espagne pour m’approcher d’Onetti, qui vivait en exil à Madrid depuis l’époque où les militaires avaient pris le pouvoir en Argentine et dans son Uruguay natal. Je n’avais pas encore saisi à l’époque que ce n’est pas là où l’auteur vit qui compte quand on traduit, mais là où il vibre dans ses livres. Je comprendrai ainsi plus tard seulement que c’est à Buenos Aires et à Montevideo qu’il me fallait aller ; ce qui viendra en son temps. Quoi qu’il en soit, je me décide un bon jour d’aller consulter Onetti, pour lui demander notamment si le dénommé Billar qui apparaissait au début de son roman Para esta noche (Nuit de chien) était le même personnage que le Bidar de la fin. Onetti, amusé certainement de cet enthousiasme fébrile, me répond qu’il y a longtemps qu’Onetti a cessé de l’intéresser, qu’il y a des choses bien plus exaltantes à lire, Faulkner par exemple, que je n’ai qu’à faire à ma tête. Perplexe, je décide, non sans consulter son fils Jorge, que ce Billar/Bidar n’est qu’un seul et même personnage. J’appelle Christian Bourgois, mon éditeur (c’était bien avant l’époque des courriels), pour lui demander de corriger, avant que le livre n’aille sous presse, ce que nous convenons être une erreur typographique. Quelques semaines plus tard, une fois le roman publié, Bourgois me convoque chez lui à Paris pour me montrer une lettre de l’auteur, écrite en espagnol. Je la lui traduis sur place, pâlissant au fur et à mesure de ma lecture. Il s’agit d’une lettre de trois pages où Onetti, avec force détails, explique qu’un de ses personnages aurait été cavalièrement assassiné par ce jeune traducteur canadien au drôle de nom… Auquel cas, disait-il souhaiter, le fantôme du personnage devrait poursuivre ce triste traducteur inlassablement jusqu’à la fin de ses jours, lui apparaissant brusquement derrière une porte de garde-robe, ou dans la baignoire un soir de pleine lune, voire contre la fenêtre un matin d’hiver…

    Dure vie que celle de traducteur ! Et grand maître du jeu que cet Onetti. Mais si cette histoire reste un brin traumatisante, mon admiration pour Onetti n’allait guère en souffrir. Au contraire, en fait ! Ces entourloupettes si propres à Onetti et à ses semblables, où tout finit toujours par quelque altération du réel, m’auront beaucoup appris ! Et c’est là sans doute le legs principal de ces années de fréquentations hispaniques : un monde un peu trouble qui m’habite à jamais, dans mes lectures, dans ma façon de traduire, d’écrire, d’enseigner, dans le regard que je porte sur une place espagnole quand j’y déambule à l’heure du paseo, dans la manière d’entrer dans un bar de Montevideo, Buenos Aires, Mexico ou Grenade. Et qui fait aussi que si j’assume sans réserve mes sources d’inspiration, si je puise abondamment dans mes écrivains fétiches quand j’enseigne, si j’estime indispensable de tout savoir des auteurs que je traduis, je ne les consulte cependant plus jamais.

    Mais si mes premiers livres jouaient invariablement autour de la frontière ténue entre fiction et réalité, entre réel et imaginaire, il n’y avait là en somme rien de très original, car le but même de la littérature, depuis Cervantès en tout cas, n’est-il pas justement de confondre les mondes ? Le rêve est la vie, disions-nous. C’est peut-être en écrivant mon roman Le masque étrusque que je l’ai senti particulièrement. J’ai entrepris ce roman dans le but de parler de la beauté des choses, de l’attachement qu’elles font naître chez ceux qui les regardent, ou les possèdent ; puis, plus concrètement, je souhaitais m’affranchir d’un objet précieux, un masque étrusque que m’avait légué mon père, qu’on m’avait dérobé, aussi lourd à porter que désormais inaccessible. Or, une fois immortalisé par l’écrit, l’objet, dépersonnalisé sans doute, s’est en effet allégé ; mais à la fois, paradoxalement, il est devenu plus palpable, plus réel. La fiction m’a rapproché du réel, pour ainsi dire. Et comme l’objet en question orne la page couverture du livre, il s’en trouve d’autant matérialisé et omniprésent. Au point même que si un jour le voleur véritable de ce masque venait à croiser l’image devenue publique de l’objet perdu, convoité, recréé par la fiction, ce serait le juste retour des choses : le heurt véritable et unique entre réel et fiction. Très borgésien, nul doute !

    Dans une nouvelle, un récit, un roman – je n’écris pas de poésie, mais j’en ai traduit, alors je pourrais ajouter la poésie –, ce qui m’importe toujours c’est l’atmosphère, l’élan, le souffle, le jeu, le rythme, l’alternance entre la lenteur et le mouvement, le présent et le passé ou l’avenir, l’infiniment petit et l’incommensurable, l’absence et le trop-plein, ou l’attirance, qui est une forme plus tangible de l’absence. Et en traduction, c’est du même ordre : on cherche l’essence de l’autre plus que ses mots, on devine sa visée, on s’en approche, mais sans trop le toucher – Borges disait des Argentins qu’ils se baladent dans la rue comme s’ils avaient un bâton à la main avec lequel il tâterait les autres à une distance toujours respectable (ils auraient fait de bons traducteurs !). Nous jouons ainsi du même bâton, de la même perche. Le traducteur cherche à appartenir à l’autre ou à le faire sien, mais sans le phagocyter – Dieu merci, nous ne sommes plus à l’époque des belles infidèles ! Il reproduit un souffle, une intention, un jeu, une forme, plus qu’une histoire. Le traducteur de Kundera qui transforme son style délibérément sobre en délire baroque est bien plus condamnable que celui qui traficotera quelque élément d’une histoire de peur qu’elle ne résonne guère chez l’autre visé.

    L’écriture et la traduction, nul doute, ont toujours été pour moi de la même eau. L’une appelant l’autre et lui répondant. Selon les travers du moment, les pannes sèches de l’écriture, toujours sauvées par l’égale créativité de la traduction.

    Je disais plus haut que ce qui me porte par-dessus tout, c’est le simple plaisir des mots : les écrire, les enseigner, les traduire. J’aimerais conclure ici en évoquant un dernier jalon dans cette aventure des mots qui aura été la mienne, et qui touche à ce qu’on pourrait appeler : l’engagement. Il y a quelque trois ans maintenant, Émile Martel, alors président de P.E.N. Québec, me demandait de travailler à un texte qui résumerait tous les enjeux de la traduction et de la traductologie. En une page ! Ma première réaction fut une sorte de vertige. En raison de l’ampleur de la tâche, peut-être ; mais aussi par crainte de trouver la page bien courte. Des mois plus tard, après de nombreuses discussions avec Émile, d’abord, puis avec différents membres de la centaine de centres PEN dans le monde, après des rencontres à Barcelone, Johannesburg et ailleurs, naissait la Déclaration de Québec sur la traduction littéraire, les traductrices et les traducteurs, qui allait être adoptée au congrès mondial du PEN, à Québec, le 15 octobre 2015. La Déclaration devait commencer par une phrase-choc : « La traduction est un art violent. » Le consensus étant chose délicate, et malgré notre attachement à Émile et moi pour cette envolée certes peu pacifique, mais ô combien réelle, l’incipit du texte définitif se lira finalement ainsi : « La traduction est un art de passion. » Le compromis n’est pas si mal, tout de même. Car il résume au fond l’essentiel. Écrire, traduire, enseigner, c’est d’abord une question de passion. Le reste coule de source.

     

  • Plus dure sera la chute : plonger dans la dépendance avec Stéphane Larue

    Plus dure sera la chute : plonger dans la dépendance avec Stéphane Larue

    Le plongeur1 est ce roman qui a raflé au printemps 2017 un Prix des libraires amplement mérité. C’est aussi et surtout le récit brillant d’un épisode trouble dans la vie de Stéphane, un étudiant en graphisme au cégep du Vieux Montréal et dont l’homonyme, Larue celui-là, a confessé ailleurs le fond de vérité biographique.

    À première vue, le narrateur se présente pourtant comme un jeune homme sans . . .

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  • L’automne en BD (une sélection)

    L’automne en BD (une sélection)

    Selon l’Almanach des fermiers, l’hiver qui s’en vient sera froid, et l’on prévoit des précipitations au-dessus de la normale. Cette nouvelle ne devrait pas faire frémir les amateurs du neuvième art car, étant donné la quantité de nouveautés qui sont attendues cet automne, il sera facile de passer les froids mois d’hiver en bonne compagnie. Voici une sélection des titres qui ont attiré notre attention, en commençant par ceux des éditeurs québécois.


    [Éditeurs québécois]

    Petite maison d’édition qui compte seulement quelques années d’existence mais qui sort admirablement bien son épingle du jeu, Pow Pow présente trois nouveautés dont la suite tant attendue de Whitehorse (prix Bédélys 2016) de Samuel Cantin, ce récit loufoque où l’on suit Sylvain Pastrami alors qu’il tourne son documensonge, un faux documentaire sur un faux documentaire. Sauf que tout ne tourne pas rond sur le plateau et la tension monte entre les différents protagonistes.

    Thomas Blais-Leblanc, alias Thom, présente VII, sa toute première création. Le titre fait référence au numéro du tome que le personnage Titus Caropin, auteur de son état, tente d’écrire alors que l’inspiration lui fait défaut. Tandis que ses fidèles lecteurs s’impatientent, la grande faucheuse en personne décide de prendre les choses en main. Une réflexion drôle et sincère sur la mort et la création.

    Finalement, Julie Delporte présente une réflexion personnelle à saveur féministe à propos de la création, de la vie et du travail dans Moi aussi je voulais l’emporter.

    Alto publie En cuisine avec Kafka, le dernier album de Tom Gauld, illustrateur britannique qui collabore avec The Guardian et The New York Times. Ce livre offre de courtes histoires à l’humour absurde, parfois tenant sur une seule page, qui mettent en scène des robots, des animaux et des livres.

    Du côté de La Pastèque, Siris sort non pas le second tome mais l’intégrale de Vogue la valise, un récit autobiographique. Dans le premier tome, paru en 2010, il livre le récit touchant de son enfance, entre un père alcoolique incapable de conserver un emploi, une mère attentionnée mais à bout de ressources, et des frères et sœurs qui se promènent d’orphelinats en familles d’accueil. De tous les livres à saveur autobiographique à paraître cet automne, celui-ci est probablement le plus attendu.

    Sur une tout autre note, l’illustrateur italien Matteo Berton signe sa première bande dessinée avec Voyage au centre de la Terre d’après le roman de Jules Verne, un exercice qui aura pris trois ans.

    Et alors que l’on n’y croyait plus, Réal Godbout et Pierre Fournier publient Élixir X, une aventure de Red Ketchup, cet agent bien spécial du FBI. L’histoire, qui paraissait en feuillets dans le magazine Croc, était restée inachevée depuis la fermeture du mensuel en 1995.

    [Auteurs québécois, éditeurs étrangers]

    Les auteurs et dessinateurs du Québec sont bien présents chez les éditeurs européens. Dans le domaine de la bédé historique, Glénat Québec fait paraître le diptyque 1642 (scénario de François Lapierre et Tzara Maud). D’un côté, on retrouve la perspective des colons français avec Ville-Marie, avec des dessins signés par Jean-Paul Eid qui s’est fait remarquer avec  La femme aux cartes postales. L’année dernière, sur son blogue, il avait présenté une planche de son travail, un extrait fort prometteur. De l’autre côté, le point de vue des Hurons et des Algonquins est représenté par François Lapierre avec Osheaga.

    Julie Rocheleau, qui a signé les dessins de la série Fantômas, dont l’intégrale (Dargaud) sera disponible sous peu, et qui s’est fait remarquer avec la magnifique adaptation de La Petite Patrie (La Pastèque) de Claude Jasmin en 2015, publie Betty Boob (scénario de Véro Cazot ; Casterman), qui raconte, dans un style comédie musicale, l’histoire d’une jeune femme amoureuse devant composer avec les séquelles d’un traitement du cancer du sein.

    Mikaël, Québécois d’adoption, fait paraître le premier tome de la série Giant (Dargaud). L’action se situe dans l’entre-deux-guerres, à New York, où l’on suit des travailleurs sur le chantier d’un gratte-ciel. À la suite d’un accident mortel, un travailleur d’origine irlandaise écrit en secret à la veuve de son collègue décédé en se faisant passer pour son défunt mari, et lui fait parvenir de l’argent.

    [Auteurs étrangers, éditeurs étrangers]

    Du côté des auteurs européens, la rentrée de l’automne est marquée par des parutions grandement attendues. La traduction de La forêt millénaire de Jirô Taniguchi, un récit écologique mis en couleur à l’aquarelle, est publiée chez Rue de Sèvres. Ce maître incontournable de la bande dessinée japonaise, auteur de L’homme qui marche et Quartier lointain, est décédé en février dernier. Triste conséquence, ce livre qui se voulait le premier d’une série de cinq tomes restera une œuvre à jamais inachevée.

    Corto Maltese, célèbre personnage du défunt Hugo Pratt, est de retour dans Equatoria (Casterman), deuxième aventure créée par le tandem composé de Juan Díaz Canalès (qui signe les scénarios de Blacksad) et de Rubén Pellejero (lauréat de l’Alph’Art du meilleur album étranger avec Le silence de Malka). L’action commence à Venise, où Corto est sur la piste d’un mystérieux artefact, ce qui l’amènera jusque dans les jungles d’Afrique équatoriale, sauvant au passage Winston Churchill d’un attentat avant de naviguer avec Henry de Monfreid, types de rencontres que reconnaîtront les habitués du marin à la casquette blanche.

    Jean-Louis Tripp, un des deux codessinateurs et coscénaristes de la série désormais terminée Magasin général, nous offre le premier tome d’Extases (Casterman), un album intimiste où l’auteur se met à nu et réfléchit à propos des relations amoureuses, de son rapport au corps et à la sexualité. Un livre qui fait office de témoignage doux et sincère, fort probablement savoureux à souhait, loin des Manara de ce monde.

    Lors de la Première Guerre mondiale, la France a enrôlé dans son armée de nombreux jeunes hommes issus de ses colonies africaines. C’est pour rappeler cette réalité que Jean-Claude Fournier, dessinateur de Spirou entre 1968 et 1981, et Kris s’unissent pour faire paraître Plus près de toi (Dupuis), où le lecteur suit Addi, un jeune séminariste qui est contraint d’échanger sa robe contre l’uniforme militaire. Une série qui promet beaucoup.

    Dans Alexandrin ou L’art de faire des vers à pied (Futuropolis) d’Alain Kokor et Pascal Rabaté (qui a signé l’adaptation d’Ibicus), il est question d’un poète, Alexandrin de Vanneville, qui vend de porte en porte ses poèmes à la pièce. Lorsqu’il rencontre un adolescent en fugue, il décide de l’initier aux arts de la poésie et de la débrouillardise.

    Il y a aussi la rencontre entre François Schuiten (le dessinateur des Cités obscures) et Benoît Sokal (Canardo) pour le premier tome de la série Aquarica (Rue de Sèvres), où l’on plonge dans les années 1930, dans un petit port de pêche, à une époque où les mystères de la mer étaient insondables.

    [Mentions honorables]

    Le début du XXe siècle fut marqué sur le plan des idées par les écrits de Karl Marx. Pour comprendre toute la portée de cette influence, on pourra lire la biographie de Rosa Luxemburg dans Rosa la rouge de Kate Evans (éditions Amsterdam). On y retrace le parcours intellectuel de cette militante socialiste ainsi que son implication politique jusqu’à son assassinat en 1919. De leur côté, Patrick Rotman et Benoît Blary publient Octobre 17 (Seuil Delcourt), où ils présentent le contexte social et politique des mois décisifs de 1917, au moment où Lénine et Trotsky sont engagés dans des événements qui seront par la suite connus sous le nom de révolution d’Octobre.

    Toujours dans la bande dessinée historique, avec un scénario de Denis-Pierre Filippi et des dessins de Patrick Boutin-Gagné, on pourra suivre Jacques Cartier (Glénat) lors de son deuxième voyage sur les côtes de la Nouvelle-France. C’est pendant ce séjour, qui durera un an, qu’il pourra établir un dialogue avec le chef Donnacona et fera ériger un fortin où lui et son équipage effectueront le premier hivernage documenté de Français au Canada.

    L’inceste n’est pas un sujet populaire ni très fréquent dans la bande dessinée. C’est pourtant le thème du livre d’Ingrid Chabbert et Clémentine Pochon, Luna la nuit (Les Enfants Rouges). Toujours dans la catégorie des sujets peu communs, Kérosène (Futuropolis), d’Alain Bujak et Piero Macola, qui met en scène des Romanichels contraints à quitter leur lopin de terre, cédé à l’armée, et qui doivent se loger ailleurs. Mais où aller lorsque personne ne veut de vous ?

    Du côté de la bande dessinée philosophique, Anne-Lise Combeaud, Jean-Philippe Thivet et Jérôme Vermer présentent la pensée de dix philosophes à propos du bonheur dans Philocomix (Rue de Sèvres).

    L’exercice qui consiste à adapter un roman en bande dessinée est toujours périlleux mais jamais inutile. Notons que David Sala (Casterman) adapte le roman Le joueur d’échecs de Stefan Zweig, dernier texte qu’il publiera avant son suicide, tandis que Laurent Lefeuvre reprend cinq nouvelles de Claude Seignolle, ce maître du récit fantastique, dans Comme une odeur de diable (Mosquito). Le premier homme, roman inachevé d’Albert Camus, a été mis en dessins par Jacques Ferrandez chez Gallimard. Finalement, Marcello Quintanilha a adapté le roman L’Athénée (Çà et là) de Raul Pompeia, considéré comme un classique de la littérature brésilienne.

    Les amateurs de Lewis Trondheim – qui était l’invité du 6e Festival de BD de Montréal en mai dernier – fait renaître son personnage Lapinot. Dans Un monde un peu meilleur (L’Association), ce personnage attachant, décédé en 2004, revient avec sa bande d’amis dans des aventures où, somme toute, il est surtout question des grands tracas du quotidien. Seul changement, il porte désormais un chandail noir avec un dessin de tête de mort.

    Dans la catégorie des suites, le dixième album de Pico Bogue (Alexis Dormal et Dominique Roques), intitulé L’amour de l’art (Dargaud), soulignera le dixième anniversaire de ce délicieux personnage, tandis que le tome 4 des Vieux fourneaux, La magicienne (Dargaud), de Paul Cauuet et Wilfrid Lupano, permettra de suivre cette brochette de personnages en perpétuels conflits générationnels.

    Les Schtroumpfs reviennent avec Les haricots mauves (Alain Jost, Thierry Culliford, Pascal Garrray et Nine Culliford ; Le Lombard), où une nouvelle plante vient bouleverser leur régime alimentaire – une analogie avec les OGM ? L’intérêt des histoires de ces petits gnomes bleus est qu’elles présentent souvent une critique assez mordante de notre société. Il suffit de replonger dans Le Schtroumpfissime, paru en 1965, pour s’en convaincre. Dans ce tome, où il est question d’élire un chef en l’absence du Grand Schtroumpf, l’un des candidats détourne l’attention en offrant du jus de framboise et, une fois au pouvoir, distribue des médailles pour inciter les villageois à une corvée. Détail frappant, le bonnet couleur or que le Schtroumpfissime revêt fait étrangement penser au toupet jaune d’un certain président.

    Pour terminer, une question reste en suspens : est-ce que Enki Bilal saura nous surprendre avec Bug (Casterman) et son histoire futuriste où il est question d’un homme qui revient d’une mission sur Mars accompagné par ce qui semble être un martien alors que la Terre est paralysée à la suite de la disparition de toutes les données numériques ?

  • Mille fuck you

    Mille fuck you

    Je n’ai pas pu lire ton deuxième roman. J’ai bien essayé dans une chambre d’hôtel de Sudbury pendant le Salon du livre, mais ça n’a pas marché. Je voulais le lire dans le bain comme je le fais dans toutes les chambres d’hôtel que je visite – toujours dans le bain, je te jure, une vraie farce – et… Et je n’ai pas pu lire ton deuxième roman. Je savais ce qu’il disait, je savais beaucoup de phrases que je voulais garder intactes dans leur rythme et avec les coupures qu . . .

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  • Les tunnels sombres de la liberté

    Les tunnels sombres de la liberté

    Belle prise pour Albin Michel : Underground Railroad1, le sixième roman de Colson Whitehead (un auteur jusque-là publié en français chez Gallimard), cumule les récompenses. Il a remporté le prix Pulitzer 2017, le prix Arthur-C.-Clarke 2017 et le National Book Award 2016. Honneurs bien mérités : l’œuvre est éblouissante.

    Underground Railroad est aussi le dernier livre lu par Barack Obama pendant qu’il occupait le Bureau ovale. Selon le 44e président américain, le roman de Whitehead « rappelle que la douleur d’avoir . . .

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  • Serge Patrice Thibodeau, poète du Grand Livre

    Serge Patrice Thibodeau, poète du Grand Livre

    La poésie de Serge Patrice Thibodeau est à la fois l’une des plus riches et l’une des plus exigeantes de la littérature franco-canadienne. Son souffle poétique d’une grande maîtrise et l’élégance aérienne de son écriture ont régulièrement été récompensés, notamment par le prix Émile-Nelligan (1992) et à deux reprises par le Prix du Gouverneur général (1996 et 2007).

    N’empêche que la composition des recueils de Thibodeau pose un défi d’accessibilité. Anticipant les difficultés de lecture, l’auteur a écrit une préface pour chacun de ses deux premiers recueils, élucidant certains aspects de leur composition. Cette sorte d’avertissement au lecteur ne rassure peut-être qu’à moitié, car le poète renvoie, entre autres, aux points et contrepoints de la musique baroque tout en garantissant – paradoxalement, pour des œuvres aussi écrites – qu’une lecture à voix haute permet le mieux la plongée dans sa poésie.

    La nécessité d’apprivoiser cette écriture si travaillée et calculée ne devrait pas pour autant décourager le lecteur. Le jeu en vaut la chandelle s’il permet d’accéder à l’ambition érudite du poète de communiquer, voire de communier, avec les « Grands Livres » de la civilisation humaine, et de le voir interroger la place de la littérature acadienne dans cette totalité.

    « Pourquoi Prague ? »

    Dans sa préface au Cycle de Prague1 (1992), le poète avoue candidement devoir expliquer son intérêt pour la capitale tchèque, parmi toutes les villes de la planète. Il est vrai que la cohérence du choix d’écrire sur Prague et de publier à Moncton, aux Éditions d’Acadie, ne saute pas aux yeux.

    Se profile ici un enjeu majeur de la littérature franco-canadienne, souvent présenté comme le choix périlleux et définitif entre partir et rester. On peut comprendre de la part d’un artiste le souci de procéder à la « défense et illustration » de son lieu d’origine, en particulier lorsque ce dernier est perçu comme étant fragile. On peut tout aussi bien comprendre l’impulsion qui le pousse à quitter le lieu d’origine, en douceur ou en claquant la porte, dans une quête d’anonymat ou d’universalité. On peut même envisager une évolution entre ces deux positions opposées : soit un artiste réinvestissant son milieu, soit un artiste le délaissant à la longue.

    À première vue, Thibodeau semble appartenir à la catégorie de ceux qui sont partis – en l’occurrence, pour les endroits les plus éloignés, géographiquement et culturellement, de son Acadie natale – et revenus, puisqu’il s’est établi à Moncton autour de 2005. C’est cependant l’errance qui représente le mieux son rapport à l’espace, la figure du poète nomade ou voyageur étant omniprésente dans ses écrits2. Certains commentateurs ont vu dans ce choix individuel de l’errance un écho à l’errance collective forcée des Acadiens, apatrides depuis le XVIIIe siècle.

    Or, il s’agit peut-être surtout d’un besoin, tout à la fois primal et intellectuel, d’inscrire le lieu d’origine en continuité avec tous les « ailleurs » du monde, de lier le destin de l’Acadie à celui de la civilisation humaine. En ce sens, pourquoi pas Prague ? Ou Jérusalem, ou Damas, ou Katmandou, lieux évoqués dans d’autres recueils de Thibodeau ?

    Ce n’est pas seulement sur le plan géographique que la trajectoire de Thibodeau est intrigante. Sur le plan de son engagement, on le connaît comme militant de longue date pour le respect des droits de la personne au sein d’Amnistie internationale. Aussi, depuis 2005, il est directeur général et littéraire des éditions Perce-Neige à Moncton. Dans le cadre de ses fonctions, il est en position d’influencer l’évolution de la littérature acadienne pour plusieurs années encore.

    Dans le parcours humaniste de Thibodeau, le livre n’est jamais bien loin. Le poète s’est fait essayiste avant d’être éditeur, et a signé La disgrâce de l’humanité. Essai sur la torture (1999). Son établissement à Moncton ne l’éloigne pas non plus de ses préoccupations humanistes. Historien, archéologue et traducteur amateur, Thibodeau s’est plongé dans la recherche en histoire acadienne. Il est l’un des plus ardents défenseurs de la nécessité d’inscrire la Déportation, qu’il n’hésite pas à qualifier de crime contre l’humanité, dans la liste des horreurs de l’Histoire. Pour le prouver, il a traduit et publié le Journal de John Winslow à Grand-Pré (2010), Winslow ayant été l’un des officiers britanniques chargés de la Déportation.

    D’un Prix du Gouverneur général à l’autre

    La poésie de Thibodeau aussi connaît une évolution marquée. Le recueil qui lui a permis de remporter son premier Prix du Gouverneur général, Le quatuor de l’errance suivi de La traversée du désert (1995), relève d’un mysticisme inspiré par les grands auteurs soufis, dont les œuvres ponctuent en exergue les sections du recueil. Sa forme est mathématique : l’unité en est le tercet, repris sept fois et encore trois fois, le trois et le sept étant les chiffres de la perfection divine.

    Publié la même année, mais moins expansif et moins dense, Nous, l’étranger est probablement la meilleure porte d’entrée dans l’œuvre de Thibodeau. D’emblée, le titre manifeste la conscience que l’Acadie occupe une place marginale dans le cadre global de la civilisation humaine. Cette posture, naturelle chez le voyageur imbu d’altérité, est originale dans le contexte d’une communauté constamment appelée à l’affirmation identitaire.

    Il est alors approprié que Nous, l’étranger soit le contrepoint personnel du Quatuor de l’errance, qui retrace l’histoire des premières civilisations humaines. En trois temps, trois espaces et trois sections du recueil, Thibodeau remonte le temps de l’expérience familiale. Ainsi se succèdent « La Rochelle, 1654 », que l’on suppose être le lieu d’origine de ses ancêtres au moment de leur départ pour le Nouveau Monde, « Chipoudie, 1755 », lieu et moment de la Déportation, et « Madawaska, 1789 », lieu de relocalisation des ancêtres. Dans la dernière partie en particulier, on est confronté à l’effort du poète d’inscrire l’expérience acadienne à la remorque de l’Histoire, quoique dans une géographie parallèle.

    Serge Patrice Thibodeau au cap Enragé

    Les recueils de la décennie suivante s’élaborent à partir de principes, plus géométriques qu’arithmétiques, de disposition des poèmes sur la page. Ils sont de plus en plus des explorations du paysage, parfois basés sur des photographies que prend le poète lors de ses voyages. Dans Que repose (2004), par exemple, les poèmes évoquent les figures dessinées au ciel par les vols d’oiseaux migratoires.

    Seul on est (2006), pour lequel Thibodeau a remporté une deuxième fois le Prix du Gouverneur général, est de facture beaucoup plus fluide que Le quatuor de l’errance. Il se construit entièrement sous le signe de l’eau. Rétrospectivement, on constate que c’est une tendance qui remonte aux débuts de l’écriture du poète. On sait que Thibodeau écrit en voyage ou à partir de ses voyages. Il faut ajouter qu’il est souvent porté par l’eau : ruisseaux, rivières, fleuves, ports, baies, océans, mais aussi îles et littoraux, anonymes ou toponymes. Dans Seul on est, publié tout juste comme Thibodeau s’établissait à Moncton, apparaissent le marais et le mascaret, paysages incontournables de la ville. La rivière Petitcodiac figure au palmarès des étendues d’eau du poète au même titre que Rivière-Verte, nom de son village natal dans le nord-ouest du Nouveau-Brunswick, tout comme le Danube, la Vistule ou la Seine de La septième chute (1990), son premier recueil.

    Le dernier recueil de poésie de Thibodeau, L’Isle Haute en marge de Grand-Pré (2017), cumule les intérêts récents du poète : la photographie de voyage, l’exploration archivistique de l’histoire acadienne et un souci de culture universelle. Bien que son objet soit une minuscule île perdue de la baie de Fundy, avec une superficie de 3 par 0,4 kilomètre, et déserte de surcroît, l’ouvrage montre bien, par son ambition archéologique et encyclopédique, que le petit fait néanmoins partie de la géographie et contribue à l’histoire planétaire.

    En ce sens, Serge Patrice Thibodeau est peut-être le poète franco-canadien qui cherche le plus volontairement à inscrire son œuvre dans une perspective mondiale. Et pour le poète-éditeur, ce qui vaut pour lui-même vaut pour l’ensemble : « La micro-production littéraire acadienne est une goutte d’eau dans l’océan de la littérature universelle. Mais je persiste à croire malgré tout que cette goutte d’eau est absolument nécessaire, qu’elle peut changer l’ordre des choses, par accident, peut-être, comme le fameux battement d’ailes d’un papillon3 ».


    1. Serge Patrice Thibodeau, Le cycle de Prague, Éditions d’Acadie, Moncton, 1992, p. 9.
    2. Thibodeau est d’ailleurs l’auteur de deux récits de voyage, Lieux cachés (2005) et L’attrait des pôles (2013).
    3. Serge Patrice Thibodeau, « Quelle est la place de la littérature acadienne dans le monde? », dans Ghislain Clermont et Janine Gallant (sous la dir. de), La modernité en Acadie, Chaire d’études acadiennes, Moncton, 2005, p. 252.


    EXTRAITS

    ces livres me sera-t-il donné un jour d’en imiter
    la transparence et le rayonnement
    de dégager par tout le corps leur odeur musquée
    de cuirs anciens
    le regard vêtu de poudre d’or et la parole nue ?
    la vanité du tain se consume
    aile opaque contre l’âpre flamme du temps
    Nous, l’étranger, p. 9.

     

    Une voix raconte : le mascaret, à l’aube, et ses glaces de bronze ;
    seul on entend toutes les voix, on se tait devant le très beau,
    face au blizzard blanc, s’y projeter, s’infiltrer dans le vaste souffle
    de la joie affairée des tourbillons, ce blanc fuyant entre les pages

    du livre s’étale
    dans la sphère ébahie
    – luisante île déserte –
    dont le pouls d’un seul sang
    est le centre.
    Seul on est, p. 11.

     

    [A-t-on finalement comblé un trou de mémoire, un trou noir, un trou dans la poche ? Il débarque à Grand-Pré les mains vides et sans un mot, en vacillant un peu, le ventre à l’envers. Sachant qu’une page du Grand Livre a été arrachée, soit. De Grand-Pré, il reste toujours la grandeur. Du dérangement.]
    L’Isle Haute en marge de Grand-Pré, p. 17.

  • Berlin secret de Franz Hessel

    Berlin secret de Franz Hessel

    L’écrivain Franz Hessel est aujourd’hui moins connu que ne l’est son fils Stéphane par l’action spectaculaire que celui-ci a accomplie il y a peu, par sa personnalité et son histoire hors du commun. Né en Allemagne, devenu français, héros de la Résistance lors de la Deuxième Guerre, déporté, évadé, puis diplomate en de nombreux postes, proche de Mendès France et de Mitterrand, infatigable lutteur pour les droits de l’homme, l’écologie et l’Europe, tel un bouillant jeune révolutionnaire il lança, alors qu’il . . .

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