Auteur/autrice : Neal

  • Jean-François Lisée : Le lys dans le lisier

    Jean-François Lisée : Le lys dans le lisier

    Rougi du sang de tant de braves
    Ce sol jadis peuplé de preux
    Serait-il fait pour des esclaves
    Des lâches ou des malheureux ?
    Chant patriotique post-1837

    Jean-François Lisée n’est pas un inconnu, ni le dernier venu. Journaliste de talent, auteur prolifique d’ouvrages réfléchis et bien documentés qui ont connu de beaux succès (dont le fameux diptyque Le tricheur/Le naufrageur en 1994, chez Boréal), il fut conseiller politique pendant cinq ans, jusqu’en . . .

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  • Pourquoi il faut (re)lire Primo Levi

    Pourquoi il faut (re)lire Primo Levi

    À la fin de 1998, la maison d’édition Robert Laffont a publié Conversations et entretiens avec Primo Levi, et réédité le roman Maintenant ou jamais, publié en 1982 chez Einaudi à Turin (la traduction française parut un an plus tard). L’écrivain italien, dont le célèbre Si c’est un homme était passé pratiquement inaperçu en 1947 pour devenir, dès la fin des années 1950, un des livres les plus lus de l’après-guerre, s’est donn . . .

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  • Biographies : L’état, la société, soi, l’art, tout y passe

    Nombreux sont ceux et celles dont la vie et les valeurs méritent la mise en lumière. Tantôt pour la première fois, tantôt pour la deux centième.

    Certains s’en remettent à autrui du soin d’effectuer le tri et de choisir l’exergue, tandis que d’autres préfèrent, prudemment ou prétentieusement, fixer eux-mêmes certaines balises. Aucun choix n’est souverain, aucun n’est condamnable.

    Soi décrit par soi

    Le titre choisi par André Essel, Je voulais changer le monde1, pourrait servir de justification à bien des autobiographies. À ceci près que l’auteur, même s’il n’a pas persisté dans le projet tumultueux de sa jeunesse révolutionnaire, a tenu parole et a tout mis en œuvre pour améliorer notablement la situation de l’acheteur français. Parler d’empire coopératif serait excessif, mais le fait est qu’André Essel aborde le monde commercial avec la ferme intention d’y faire reconnaître les droits du consommateur, de s’en tenir à une publicité honnête, d’entretenir avec le personnel des relations de respect et de transparence. Certes, il n’empêchera pas la FNAC (Fédération nationale d’achats) de grossir, de subir le vertige des millions, de se heurter à des concurrents moins scrupuleux et à des verticalisations fondées sur la tricherie et le monopole. Tant qu’il sera aux commandes, la FNAC demeurera pourtant fidèle aux idées du fondateur. Aujourd’hui, lui-même le reconnaîtra dans une entrevue qui se greffe sur l’autobiographie, les caractères distinctifs de l’entreprise sont moins nets. La publicité s’est faite fracassante et aguicheuse, les relations de travail se fondent moins sur le respect mutuel et le gigantisme pèse plus lourd que la satisfaction du consommateur. Cela valait quand même la peine d’être essayé.

    Autre personnage coloré et choyé par les médias, José Bové mène lui aussi un combat nourri par des convictions inébranlables qu’il convoque dans Paysan du monde2. Il n’admet pas que les tenants de la mondialisation accordent préséance aux dividendes sur les humains, que l’alimentation des personnes et des peuples soit traitée selon les seuls critères de la rentabilité, comme si la modification génétique des organismes vivants faisait partie des latitudes permises aux investisseurs. Et ce que José Bové n’admet pas, il le combat par tous les moyens et tant pis si ses méthodes radicales déplaisent aux intérêts du pouvoir en place. À lui seul, le militant aura fait beaucoup pour sensibiliser l’opinion à certains enjeux et pour constituer, face aux sommets des banquiers et autres possédants, d’énormes rassemblements parallèles qui donnent à la contestation des motifs d’espoir.

    À force d’incarner dans sa personne (et sa moustache) le refus de l’homogénéisation et de l’imprudence génétique, José Bové en arrive à embrasser des causes dont il connaît assez peu les caractéristiques et à insister davantage sur l’affirmation que sur les nuances. Quand on fait appel à lui, il répond, avec générosité, truculence et sincérité. À le lire, on se demande s’il maîtrise toujours les dossiers excentrés auxquels il s’intéresse subitement. Peut-être réussit-il l’exploit.

    S’il est un Québécois qui peut, en pleine connaissance de cause, parler du livre comme d’un champ familier, c’est bien Victor-Lévy Beaulieu. Qui d’autre pourrait présenter avec autant de compétence une vue d’ensemble de l’édition québécoise, brosser le portrait des éditeurs d’hier et d’aujourd’hui, retracer l’évolution du public d’ici, raconter la douleur qu’éprouve un éditeur quand il ne parvient pas à redonner cohésion à l’œuvre géniale mais enchevêtrée d’un Jacques Ferron ? Quant au respect qu’un éditeur doit manifester à ses auteurs, qui d’autre qu’un humaniste à la fois éditeur et écrivain aurait pu en souligner aussi bellement et respectueusement la nécessité ? Les mots des autres lui appartiennent et l’éditeur, rappelle-t-il, doit inventer l’équilibre entre le coup de pouce qui aide et l’intrusion brutale dans l’écriture de l’auteur. Point n’est besoin d’ajouter que lire Les mots des autres, La passion d’éditer3, c’est entrer en contact avec une narration savoureuse, avec un sens aigu des personnes et des choses, avec une sincérité qui pousse la transparence à ses limites. Et c’est aussi accumuler les anecdotes.

    L’immense Robertson Davies ne reçoit pas encore du Québec l’hommage que mérite son génie. Ses romans, souvent traduits en France plutôt qu’ici, trouvent peu à peu un plus large public, mais leur diffusion ne s’est amorcée qu’avec un retard qui étonne et laisse mal à l’aise. Raison de plus pour lire Entre vous et moi4. Dans ces lettres expédiées au cours des deux dernières décennies de sa longue carrière, l’écrivain se révèle, en effet, aussi agile et déroutant que dans son œuvre, mais avec, en plus, un humour encore plus débridé, un souci constant de l’amitié, une admirable fidélité à l’exactitude. Il répond à chacun, partage ses lectures et ses rencontres, commente concerts et pièces de théâtre. Lui qui fut metteur en scène, acteur, auteur, professeur, gestionnaire a tant vu et retenu qu’il parle avec intelligence et complicité de tous les aspects du monde culturel. Pourquoi s’empêcherait-il de porter des jugements fracassants sur les hommes publics qui le déçoivent ou sur les projets politiques qui ne lui conviennent pas ? L’auteur a d’ailleurs ses têtes de Turcs, universitaires bornés et critiques obtus, auxquelles il s’attaque avec férocité. La traduction est fluide et rend justice à la langue de Robertson Davies. Les destinataires sont clairement identifiés dès la première mention de leur nom. Pas un instant d’ennui.

    Réunis pour l’occasion, deux textes, Réminiscences et Les jeunes barbares5, rappellent quel conteur et quel pamphlétaire fut Arthur Buies. Dans l’un, il retourne avec fierté et affection aux années de sa jeunesse et à ses fréquentations de cercles honnis du clergé ; dans le second, il stigmatise à outrance ceux qui ne savent pas qu’ils ne savent pas et qui se permettent d’écrire dans une langue dont ils ignorent tout. Le conteur est élégant, tendre, nostalgique, presque rasséréné ; le pamphlétaire est caustique, mordant, excessif, désagréablement méprisant. À lire ces deux textes l’un tout de suite après l’autre, on comprend que l’écrivain n’ait jamais pu, pendant la majeure partie de son existence, s’intégrer à une société frileuse et grégaire, qu’il ait toujours quitté les sentiers battus, qu’il n’ait trouvé de paix que dans la fréquentation d’hommes à peine moins révoltés que lui et qu’il ait transféré sur le terrain linguistique le surplus de colère qu’il ne pouvait exprimer face au clergé. La présentation est simple et belle, les informations que fournissent Mario Brassard et Marilène Gill au sujet d’Arthur Buies sont courtes et éclairantes. Mort en 1901, l’écrivain s’en trouve rajeuni.

    Mirages et réalités politiques

    En raison des conséquences de leurs décisions, en raison aussi de la distance qui sépare parfois leur rôle public de leur réalité intime, les grandes figures de l’histoire et de la politique suscitent constamment l’intérêt des biographes. Souvent pour notre plus vif plaisir.

    À propos de Jeanne d’Arc6, Mary Gordon réussit le tour de force d’éviter les redites et d’échapper à la double série de pièges de l’adulation et de l’impatience. Elle décante la légende, mais ne joue pas les iconoclastes. S’il y a doute, elle en fait bénéficier Jeanne d’Arc, mais pas au point d’avaler tous ses mensonges. Car la Pucelle maîtrise l’art de la restriction mentale et de l’amnésie sélective. Comment l’en blâmer, ignare et isolée comme elle l’était ?

    En 200 petites pages à peine, la biographe circonscrit le mystère : le parcours de Jeanne d’Arc dure à peine huit mois. Cinq mois après Orléans, elle n’est plus. Son souvenir ou sa légende traverse pourtant les siècles et trouble toutes les cultures. William Shakespeare la traite d’ignoble manière ; Friedrich Schiller et Giuseppe Verdi ne feront guère mieux. Bertolt Becht et Charles Péguy compensent un peu, mais oublient qu’il s’agit d’une femme. L’éclairage que Mary Gordon puise chez Max Weber et dans son analyse du héros cerne la nature du mystère en lui laissant sa part d’ombre. Magnifique réflexion sur un mythe durable.

    Autre grand mythe qui alimente soit l’enthousiasme soit une virulente détestation, Napoléon. Le portrait bicéphale qu’en fit Pierre Larousse au milieu du XIXe siècle montre d’ailleurs qu’un héros peut susciter les deux sentiments à la fois. Dans son Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, Pierre Larousse, en effet, avait poussé l’ironie jusqu’à faire apparaître sous deux rubriques différentes le personnage controversé. À Bonaparte, le dictionnaire référait à un général républicain « mort à Saint-Cloud le 18 Brumaire de l’an VIII » ; à Napoléon apparaissait la mention « empereur ». Le Napoléon7 qui nous est offert aujourd’hui rassemble les deux portraits. On mesure d’autant mieux la rigueur intellectuelle de Pierre Larousse que son admiration pour le stratège affronte son républicanisme virulent. L’auteur ne doute jamais du génie militaire de l’empereur, mais il ne rate aucune occasion de juger l’homme coupable de mégalomanie, de duplicité, d’inhumanité. Des témoignages contrastés interviennent, celui de Thiers en particulier, qui complètent l’analyse. Élément à conserver en mémoire : ce « livre » ne contient que deux articles du dictionnaire construit par Pierre Larousse entre 1864 et 1876… Colossal.

    Dans Les cinq girouettes8, Jean-Louis Bory racontait la vie d’un seul et même personnage, Jean-Jacques Régis de Cambacérès. Toujours près du pouvoir, plus proche de Napoléon que quiconque pendant un temps, Cambacérès a un sens aigu de la durée, de la conciliation, de l’adaptation. Il côtoiera de volcaniques tempéraments, tels Maximilien Robespierre et Georges Jacques Danton, et leur survivra. Il rédigera la majeure partie du code napoléonien, mais laissera prudemment à l’Empereur la responsabilité de deux articles : le divorce et l’adoption.

    Jean-Louis Bory disparut en 1979, un an à peine après avoir décrit ce durable caméléon. Cynique sans lourdeur, sensible au charme physique mais jamais grivois, moqueur sans moralisme, tour à tour admiratif et déconcerté, le biographe écrit avec une fascinante agilité et obtient finement de Cambacérès qu’il nous guide à travers des décennies agitées. Je ne résiste pas à la tentation d’emprunter à Roger Grenier9 la « singulière homélie » prononcée par le curé du village de Méréville lors de l’enterrement de Bory : « Vous tous qui êtes ici, vous êtes pour la plupart incroyants. Mais cela ne fait rien, nous sommes entre amis de Jean-Louis. Jean-Louis était homosexuel, mais ça, c’est la vie privée. Il s’est suicidé, mais ça c’est la déprime. Il n’avait pas la foi, mais vous connaissez la parabole. Au bout du chemin, il y a le père qui vous ouvre les bras ». Jean-Louis Bory, sans doute, aurait apprécié.

    Personnalité évoquée par Cambacérès et par Jean-Louis Bory, Marie-Antoinette trouve naturellement sa place dans la galerie des reines de France que présente avec brio et un immense tact la biographe Simone Bertière dans Les reines de France au temps des Bourbons, Marie-Antoinette l’insoumise10. Au lieu de raconter une fois de plus sur le mode chronologique une existence presque familière, cette biographie, intelligemment, procède par thèmes ou par personnages. Il était bon que l’envahissante mère de Marie-Antoinette ait son chapitre à elle, que l’époux de Marie-Antoinette, le très sous-estimé Louis XVI, retienne l’attention le temps d’un chapitre, qu’Axel de Fersen, aimé de la reine sans qu’on sache jusqu’à quel point, fasse l’objet d’un examen à part, que l’énigme du collier de la reine soit démontée froidement… La méthode, loin de morceler cliniquement la biographie, souligne les charnières et révèle les mobiles. Au terme de l’expédition, on s’étonne d’avoir reçu autant d’informations nouvelles ou rafraîchies. Une question plutôt qu’un bémol : l’épithète « insoumise » est-elle la plus juste qu’on puisse appliquer à Marie-Antoinette ? J’en doute, tant elle fut longuement contrôlée de l’extérieur. J’aurais plutôt pensé à « l’étourdie » ou à « l’impatiente ».

    La politique en plus moderne

    Le deuxième tome de la copieuse biographie que consacre Pierre Duchesne à Jacques Parizeau Jacques Parizeau, Tome II, Le baron11 maintient les mêmes hauts standards de fiabilité que le premier. Peut-être cependant peut-on plus aisément calibrer, ce qui n’est pas un mal en soi, les sources du biographe et entrevoir, de façon encore aventureuse, quelles sont les voix qui le convainquent davantage. Chose certaine, le personnage de Jacques Parizeau, à ce point de sa trajectoire, mérite autant l’auréole du baron qu’il avait d’emblée justifié celle du croisé dans le tome précédent. Pierre Duchesne, en effet, répète à satiété, preuves et témoignages à l’appui, que Parizeau ne s’incline pas volontiers devant qui que ce soit, son père excepté, mais il souligne avec autant de force que le baron se conduit de bout en bout comme le féal lieutenant de René Lévesque. Tant qu’il demeure à l’intérieur du cabinet, Parizeau se contente de l’avant-dernier mot. Si le dernier mot que prononce Lévesque va trop directement à l’encontre de ses convictions et lui semble, par exemple, un recul plutôt qu’un beau risque, le baron, meurtri et silencieux, regagne ses terres. Terme bien choisi que celui de baron tant il décrit avec justesse l’idée que Jacques Parizeau se fait de son devoir, de son pouvoir et de sa marge de manœuvre.

    Le récit touche de si près un passé encore chaud qu’il éclaire d’un jour glauque des comportements actuels. Bien des gens, Louis Bernard par exemple, auraient préféré que Jacques Parizeau accepte un superministère au lieu de revendiquer le pouvoir réel d’un ministre des Finances. Bernard Landry, pressé, n’osa pas refuser un titre vide de sens. D’autres ont concocté la sottise qui avait nom « budget de l’an I » et en ont injustement imputé la paternité à Jacques Parizeau. Tout ce beau monde vit encore et peut être tenté de régler certains comptes, même tardivement. Pierre Duchesne, en tout cas, ne nous interdit pas de le penser.

    Qui, aujourd’hui, s’interroge encore sur le passage du météore Mikhaïl Gorbatchez dans le ciel politique ou sur l’homme lui-même ? Bien peu de gens. L’homme fut pourtant pendant quelque temps le plus charismatique des chefs d’État, débordant sur son terrain le professionnel du spectacle qu’était Ronald Reagan. Il jouissait d’un énorme pouvoir, mais préféra le dialogue. Il osa se distinguer du tout-puissant parti communiste soviétique, paria peut-être imprudemment sur l’ouverture au monde, contribua plus que quiconque à la désagrégation du rideau de fer. Il ne parvint pourtant pas à séduire durablement la population russe, ni à maintenir une cohésion minimale entre les composantes de l’ancien empire, ni à empêcher la montée en puissance d’une présidence à la cosaque et de mafias plus fortes que l’État. Autrement dit, espoirs écrasés aussi vite qu’ils étaient nés.

    Ancien collaborateur de l’homme politique, Andréï Gratchev offre ses hypothèses dans Le mystère Gorbatchez12. « […] en Russie, écrit-il, la liberté n’a jamais eu d’autre existence réelle que l’anarchie » et Gorbatchez se leurrait en espérant l’adhésion à ses valeurs. Il se trompa également dans son évaluation des cadres du parti et, plus précisément, de Boris Eltsine. Cela, de la part d’un homme dont la familiarité avec ses réseaux d’influence était particulièrement poussée, ne s’explique que par le poids croissant des responsabilités qu’il assumait. Sérieux, probe, soucieux de tout vérifier, Gorbatchez perçut trop tard qu’il s’était lancé à lui-même un défi excessif. L’hypothèse se défend. Andreï Gratchev la propose d’ailleurs sans complaisance comme sans hargne. Peut-être, à son tour, a-t-il tort de présumer que son lecteur comprendra à mi-mot ses allusions à une société bien déroutante. Peut-être oublie-t-il aussi que certains clubs de possédants, tel le G-7, ont fragilisé Gorbatchez en le forçant à accélérer la cadence.

    Charles de Gaulle, on le sait, n’a jamais manqué de biographes. On pourrait d’ailleurs se demander ce qui reste à découvrir après le passage d’un Jean Lacouture ou d’un Alain Peyrefitte. La réponse d’Éric Roussel est convaincante : beaucoup. La force de sa monumentale biographie, intitulée simplement Charles de Gaulle13, ce sera de puiser plus que ses prédécesseurs dans les textes d’origine étrangère qui appartiennent depuis peu au domaine public. Si de Gaulle a entrepris un double jeu auprès des Russes dans l’espoir d’échapper à l’étau américain, le biographe est aujourd’hui en mesure de livrer les réflexions que l’astuce provoquait à Moscou, à Londres et à Washington. Le ballet diplomatique s’en trouve compliqué et les éclairages, plus contrastés ou plus complémentaires, dégagent, sur nombre de points, une autre image du général.

    De Gaulle sort-il grandi de ce nouvel examen ? Certes pas. Éric Roussel fait cependant la part des choses. De Gaulle, seul et sans appui, doit « jouer au-dessus de sa tête » pour introduire la France dans un cercle où l’on ne veut pas d’elle. Roosevelt, par exemple, a déjà refait la carte du monde et la France y figure à peine. Le général recourt donc à tous les artifices, depuis les restrictions mentales aux confins du mensonge caractérisé jusqu’aux colères les plus cabotines. Cette stratégie lui est profitable, mais le jour vient où la patience des Alliés s’émousse et où même les vraies colères n’impressionnent plus. Quand, d’autre part, Éric Roussel observe l’homme derrière l’homme d’État, le bilan n’est pas moins équivoque. De Gaulle, en effet, n’est démocrate que de façon cérébrale. À mesure qu’il vieillit, le ton devient plus tranchant, le pouvoir plus personnel, la tactique plus discutable moralement. L’auteur ajoute à ces observations d’impressionnants portraits des interlocuteurs de de Gaulle : Roosevelt, qui ne l’aimera jamais, Churchill, aussi cyclothymique que lui, Jean Monnet, qui mène ses croisades personnelles… Une lecture fascinante.

    Des créateurs socialement actifs

    Changeons de registre pour rencontrer deux personnages aux talents multiples. Émile Zola et Frank Scott, qui font tous deux l’objet de biographies minutieuses, ont en commun de mener de front plusieurs destins. Zola doit sa notoriété à son « J’accuse » journalistique autant qu’à ses Rougon-Macquart. Frank Scott, sévère et méthodique, constitutionnaliste presque sans pair, ne cessera jamais d’investir temps et sentiments dans sa poésie personnelle et dans celle des autres. Ce qui tendrait à confirmer le dicton : « Si vous voulez que quelque chose soit fait, demandez-le à une personne occupée ».

    Le Zola dont Henri Mitterrand n’en finit plus de parfaire le portrait dans Zola, T. I, Sous le regard d’Olympia 1840-1871 et T. II, L’homme de Germinal14 n’en est pas à un cumul près. Il s’interroge sur l’homme autant que sur le milieu. Il prétend s’en tenir au naturalisme et confier d’énormes pouvoirs à l’hérédité, mais il permettra à telle de ses héroïnes d’entrevoir son destin sur une scène de théâtre plutôt que dans le quotidien. Il s’intéressera à l’art autant qu’au travail des mineurs ou au commerce. Comme sa jeunesse l’a instruit durement sur l’édition, la publicité, le démarchage, il saura, sa vie durant, tenir ses comptes, relancer les éditeurs, réclamer son dû, mais sans jamais renoncer à créer. Il écrira en même temps pour divers journaux et rendra parfois compte, par plume interposée, de spectacles qu’il n’a pas vus. La nécessité, jusqu’à ce que vienne l’abondance, tiendra tête à la vertu. Ses amitiés, inégalement stables, démontrent à la fois un flair inouï pour le génie et un sens critique qui tient à sa liberté : Edouard Manet, Honoré de Balzac, Paul Cézanne, Gustave Flaubert, ce n’est quand même pas banal. Qu’un tel homme finisse par se partager entre deux femmes et les conduise à s’apprivoiser l’une l’autre, peut-être était-ce prévisible…

    Henri Mitterrand réussit ce que bien peu de biographes parviennent à réaliser : il raconte à la fois la vie et l’œuvre, rend l’auteur familier et intelligible tout en démontant les rouages de la pièce de théâtre et du roman. Jamais il ne s’éloigne de l’homme qui écrit à un rythme vertigineux, mais il fait voir à chaque accouchement en quoi la nouvelle œuvre diffère des précédentes sans les trahir. Bon biographe et bon lecteur.

    D’une manière tout autre, la carrière de Frank Scott, retracée dans F. R. Scott, Une vie15, multiplie elle aussi les contrastes. Ce dernier entretiendra toujours la plus vive sympathie pour l’idéal démocratique, mais il demeurera, selon l’expression de Sandra Djwa pourtant admirative, un « autocrate victorien ». Sa poésie ressemblera souvent à un discours en prose. Il vivra au Québec sans jamais en sentir vraiment la vie profonde. Il aura pour interlocuteurs, parfois même pour amis, quelques-unes des personnalités les plus authentiquement liées au militantisme ouvrier, culturel, politique du Québec, mais il n’aura jamais du français ou de l’aspiration québécoise une vision chaleureuse ou empathique. Comme la biographe ne semble pas connaître le Québec profond mieux que Frank Scott lui-même, la biographie laisse l’impression d’une incompréhension radicale et insurmontable entre un patricien cultivé et théoriquement ouvert et une société qui n’a jamais trouvé grâce à ses yeux. Éducation ? Sans doute, car rien ne préparait une famille écossaise intransigeante dans son culte de l’empire à s’intégrer à un Québec en période d’exploration. Famille militariste en plus dans un Québec peu conscriptionniste. Influence des activités professionnelles ? Sans doute, car ce n’est pas dans un bastion du droit théoriquement parfait comme la faculté de droit de l’Université McGill que l’homme aurait pu développer une complicité pour une société en manque de confiance. Il a visiblement souffert du fossé profond qui s’est maintenu et même élargi entre lui et le Québec réel, tout comme le Québec a perdu beaucoup en n’établissant jamais avec cette personnalité riche, sincère et généreuse autre chose que des rapports simplement corrects. Jamais l’évocation de « deux solitudes » n’aurait été aussi justifiée.

    Mythes et grandes figures

    Comme Jeanne d’Arc et de Gaulle, Léonard de Vinci fait partie des figures présumées si familières qu’on ne croit guère à l’intérêt d’une nouvelle biographie. Sherwin B. Nuland, sans ostentation, s’impose avec son Léonard de Vinci16. Dès ses premières recherches en sol toscan, le mystère l’enveloppe : le célèbre personnage n’est pas né où on le croit, son père n’est peut-être pas celui dont on l’a pourvu. Les certitudes ne s’offriront qu’avec parcimonie. Ce qui est clair, c’est que Vinci s’intéressait à tout, apprenait vite et bien, ne terminait que rarement ses travaux. Souvent obligé de chercher un emploi, ce n’est pas de ses dons d’artiste qu’il fait étalage, mais de sa compétence comme chef de guerre ou comme aménagiste.
    Le public connaîtra ses œuvres d’art, mais les connaisseurs admireront surtout sa contribution scientifique, en médecine tout particulièrement. Il écrivit énormément, mais comment le lire ? Il écrivait de droite à gauche, sans ordre ni pagination, sur tous les bouts de papier disponibles. La psychologie de Vinci n’est pas davantage facile à décrire et les plus grands noms de l’analyse n’ont abouti à son sujet qu’à des approximations fragiles : peu ou pas d’activité sexuelle, réincarnation de la mère en tel tableau célèbre… C’est peu et peut-être beaucoup, mais c’est incertain. La fascination qu’il suscite n’en est que plus grande. Pour user d’un terme pictural, biographie en clair-obscur. Diogène mérite assurément mieux que la légende étriquée qui le réduit à un tonneau et à un fanal allumé en plein jour. Robert Sabatier, en mettant le personnage en mouvement sur une scène théâtrale, a tôt fait de lui rendre toute sa richesse philosophique et sociale. Oui, Diogène cherche un homme et ce n’est pas là simple boutade. Ses critères, précis et exigeants, incluent le détachement, la franchise jouer les disciples.

    Immense pièce de théâtre, Diogène17 est aussi la mise à contribution d’une époque, d’une culture, d’une inquiétude qui fait la dignité de l’espèce humaine. L’homme recherché, il est ici. Un Robert Sabatier toujours bon conteur et analyste perçant.

    Rodin a sculpté les bourgeois de Calais en état de si vive inquiétude qu’on ne se résignera pas aisément à ce qu’ils se soient présentés devant l’Anglais triomphant, Edouard III, autrement qu’en condamnés à mort terrorisés et héroïques. Pour sauver la ville affamée par un siège de onze mois, Eustache de Saint-Pierre, selon la légende, se serait livré au vainqueur avec cinq autres marchands de la ville. Le problème, comme l’explique Jean-Marie Moeglin dans Les bourgeois de Calais, Essai sur un mythe historique18, c’est que la démarche des bourgeois faisait partie d’un rituel convenu et largement pratiqué à l’époque : les vaincus reconnaissaient leur défaite et demandaient la clémence, mais ils ne couraient en réalité aucun risque. Chacun, vaincu comme conquérant, tenait son rôle, prononçait les paroles prescrites et la vie continuait. La meilleure preuve en est que l’héroïque Eustache, au lendemain de la victoire anglaise, fit des affaires avec Edouard III. Beau rituel, mais qui prive de leur drame la population de Calais et les admirateurs de Rodin. Il n’y a pourtant plus à douter : la calme démolition du mythe par Jean-Marie Moeglin montre comment des dizaines de générations ont tiré profit, politiquement ou scéniquement, d’un événement presque banal du
    XIVe siècle.

    Biographies moins réussis

    S’insérant dans une collection ou les réussites coexistent avec les portraits ratés, la biographie qu’Anne-Marie Sicotte consacre à Justine Lacoste-Beaubien se situe à égale distance des deux pôles. Le demi-succés de Justine Lacoste-Beaubien, Au secours des enfants malades19 est d’autant plus étonnant que l’auteure a manifesté dans le passé une convaincante sûreté dans la cueillette des faits et dans la rédaction de profils nettement campés. Cette fois on côtoie longuement les clichés, les dialogues sonnent comme un théâtre artificiel, les caractéristiques propres à l’audacieuse et incommode Justine Lacoste-Beaubien demeurent floues. La recherche, cependant, rappelle la rigueur autrefois manifestée par l’auteure à propos de son grand-père Gratien Gélinas. Obéissant à une méfiance qui révèle mon manque de flair, j’avais alors craint, sans raison aucune, que l’auteure s’abandonne à ses pudeurs et aux sympathies familiales. J’avais tort. Cette fois-ci, j’espérais obtenir grâce à la biographe un accès à l’âme même d’une admirable bénévole. J’avais tort de nouveau.

    Pierre Dervaux ou le paradoxe du chef d’orchestre20 de Gérard Streletski, présente, de façon nettement plus frustrante, les mêmes caractéristiques. En guise de biographie, on nous offre un éventail de programmes de concerts et l’énumération des engagements et des voyages d’un chef d’orchestre par ailleurs immensément respecté. La recherche inspire confiance, les coupures de presse sont correctement et longuement citées, les témoignages de musiciens, bien que visiblement sollicités, établissent sans conteste une réputation enviable, mais l’ensemble reste froid et presque uniformément complaisant. On ne reprochera pas au biographe d’avoir été discret à propos d’une vie privée apparemment peu glorieuse, mais de ne pas avoir tranché clairement entre le silence et le récit cohérent paraît peu justifiable. De même, on regrettera que d’excellents filons n’aient pas été davantage exploités. Par exemple, l’affirmation de Pierre Dervaux voulant que la musique contemporaine soit plus facile à diriger que du Mozart, celle où cet enseignant

    La recherche, cependant, rappelle la rigueur autrefois manifestée par l’auteure à propos de son grand-père Gratien Gélinas. Obéissant à une méfiance qui révèle mon manque de flair, j’avais alors craint, sans raison aucune, que l’auteure s’abandonne à ses pudeurs et aux sympathies familiales. J’avais tort. Cette fois-ci, j’espérais obtenir grâce à la biographe un accès à l’âme même d’une admirable bénévole. J’avais tort de nouveau.

    Pierre Dervaux ou le paradoxe du chef d’orchestre20 de Gérard Streletski, présente, de façon nettement plus frustrante, les mêmes caractéristiques. En guise de biographie, on nous offre un éventail de programmes de concerts et l’énumération des engagements et des voyages d’un chef d’orchestre par ailleurs immensément respecté. La recherche inspire confiance, les coupures de presse sont correctement et longuement citées, les témoignages de musiciens, bien que visiblement sollicités, établissent sans conteste une réputation enviable, mais l’ensemble reste froid et presque uniformément complaisant. On ne reprochera pas au biographe d’avoir été discret à propos d’une vie privée apparemment peu glorieuse, mais de ne pas avoir tranché clairement entre le silence et le récit cohérent paraît peu justifiable. De même, on regrettera que d’excellents filons n’aient pas été davantage exploités. Par exemple, l’affirmation de Pierre Dervaux voulant que la musique contemporaine soit plus facile à diriger que du Mozart, celle où cet enseignant affirme que l’on ne peut enseigner la direction d’orchestre, celle où il exprime sa préférence pour les chefs généralistes. Biographie en forme d’hommage avec l’ennui et l’artifice que cela comporte.

    Et si l’on a pris goût aux biographies, pourquoi ne pas plonger ou se replonger dans les immenses Vies parallèles de Plutarque republiées de belle façon en 2001 par Robert Laffont ?

     


    1. André Essel, Je voulais changer le monde. Mémoire du Livre, Paris, 2001,477 p. ; 34,95 $.
    2. José Bové, Paysan du monde, Fayard, Paris, 2002, 503 p. ; 29,95 $.
    3. Victor-Lévy Beaulieu, Les mots des autres, La passion d’éditer, VLB, Montréal, 2001,238 p. ; 22,95 $.
    4. Robertson Davies, Entre vous et moi, Lettres 1976-1995, trad. de l’anglais par Dominique Hissenhuth, Leméac, Montréal, 2002,550 p. ; 36,95 $.
    5. Arthur Buies, Réminiscences suivi de Les jeunes barbares, Trois-Pistoles, Trois-Pistoles, 2002, 163 p. ; 17,95$.
    6. Mary Gordon, Jeanne d’Arc, trad. de l’américain par Dominique Bouchard, Fides, Montréal, 2002, 215 p. ; 19,95 $.
    7. Pierre Larousse, Napoléon, préf. de Maurice Agulhon, Mémoire du Livre, Paris, 2002, 283 p. ; 29,95 $.
    8. Jean-Louis Bory, Les cinq girouettes, Mémoire du Livre, Paris, 2002,335 p. ; 35,95 $.
    9. Roger Grenier, Fidèle au poste, Gallimard, Paris, 2001, p. 146.
    10. Simone Bertière, Les reines de France au temps des Bourbons, Marie-Antoinette l’insoumise, De Fallois, Paris, 2002,735 p. ; 39,95 $.
    11. Pierre Duchesne, Jacques Parizeau, T. II, Le baron, Québec Amérique, Montréal, 2002, 535 p. ; 27,95 $.
    12. Andreï Gratchev, Le mystère Gorbatchev, trad. du russe par Pierre Lorrain et Galia Ackerman, Du Rocher, Monaco, 2001, 378 p. ; 37,95 $.
    13. Éric Roussel, Charles de Gaulle, Gallimard, Paris, 2002,1035 p. ; 49,50$.
    14. Henri Mitterand, Zola, T. I, Sous le regard d’Olympia 1840-1871, Fayard, Paris, 1999, 943 p., 54,95 ; T. II, L’homme de Germinal, Fayard, Paris, 2001,1192 p., 79,95$.
    15. Sandra Djwa, F. R. Scott, Une vie, trad. de l’anglais par Florence Bernard, Boréal, Montréal, 2001,686 p. ; 29,95$.
    16. Sherwin B. Nuland, Léonard de Vinci, trad. de l’américain par François Tétreau, Fides, Montréal, 2002,211 p. ; 19,95 $.
    17. Robert Sabatier, Diogène, Albin Michel, Paris, 2001,498 p. ; 31,95$.
    18. Jean-Marie Moeglin, Les bourgeois de Calais, Essai sur un mythe historique, Albin Michel, Paris, 2002,470 p. ; 54,95 $.
    19. Anne-Marie Sicotte, Justine Lacoste-Beaubien, Au secours des enfants malades, XYZ, Montréal, 2002,167 p. ; 16,95 $.
    20. Gérard Streletski, Pierre Dervaux ou le paradoxe du chef d’orchestre, L’Archipel, Paris, 2002, 367 p. ; 36,95 $.

  • Québec à la rencontre de sa judéité

    Depuis peu, le Québec manifeste à l’égard de sa composante juive un intérêt suffisamment respectueux pour enfin l’écouter. Si intérêt il y avait auparavant, il lui arrivait d’être entaché d’ignorance et de préjugés. À en juger par le nombre de livres et d’événements qui surgissent maintenant à propos de la vie juive au Québec, il est manifeste qu’on veut rattraper le temps perdu.

    Versant heureux de cette tardive exploration du passé, la plupart des travaux et activités visent moins à répartir autrement les torts et . . .

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  • La littérature à teneur religieuse : Souvent plus qu’un combat d’arrière garde

    Croyants, pasteurs, théologiens et observateurs du fait religieux n’ont visiblement pas perdu le goût de s’exprimer. À maints égards, la littérature qu’ils produisent ressemble à l’autre : abondante, diversifiée, capable du meilleur comme du plus crispant.
    Comme l’autre, elle réserve, surtout à ceux qui la fréquentent peu, quelques tonifiantes surprises. Comme l’autre, elle demande au lecteur d’entrer dans la logique de ses auteurs. Ce ne sera pas toujours facile…

    La tentation de l’anachronisme

    Certains ouvrages, en effet, paient encore tribut au ton assuré et aux conceptions . . .

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  • Voir l’autre et le laisser nous voir

    Nombriliste comme tous les peuples vulnérables, enclin à n’imaginer aucun analogue à son cheminement, souvent privé ainsi de parallèles stimulants et de comparaisons éclairantes, le Québec publie pourtant et reçoit de l’extérieur de quoi se sentir membre à part entière de la famille humaine.

    J’aurais préféré, je l’avoue, que José Luis de Vilallonga dans La sabre du Caudillo1 se fasse moins plaisir et songe davantage à nous. Noble noblement instruit des usages, détenteur d’anecdotes superbement méchantes dont il ne révélera . . .

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  • Les langues françaises : Dictionnaire québécois français, Mieux se comprendre entre francophones

    « Parler français, c’est parler de manière que tous les francophones du monde puissent comprendre ce que l’on dit. »
    Gérard Dagenais

    Déprime ! Tel est le sentiment qui m’habite consécutivement à la « lecture » du colossal ouvrage de Lionel Meney, Dictionnaire québécois français, Mieux se comprendre entre francophones1.
    Depuis long de temps, et à l’instar bien sûr de très nombreux concitoyens de la Québécie, la langue d’ici m’interpelle et me . . .

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  • Langagement, L’écrivain et la langue au Québec : Une langue qui s’écrie

    Langagement, L’écrivain et la langue au Québec : Une langue qui s’écrie

    Foin de la paraphrase ! En l’occasion, Lise Gauvin, se suffit amplement à elle-même : « De Crémazie à Victor-Lévy Beaulieu, de Speak White [Michèle Lalonde, 1970] à Speak What [Marco Micone, 1989], de [Jacques] Renaud à [Idem…] Godbout, les écrivains québécois n’ont cessé d’interroger la langue dans ses déterminations sociales aussi bien que littéraires, témoignant ainsi des implications multiples de leur surconscience linguistique. »

    « Le présent ouvrage, écrit encore Lise Gauvin1 dans Langagement, se propose donc d’examiner aussi bien les positions théoriques – critiques et . . .

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  • Gilbert Langevin ou l’ange de la noirceur lumineuse

    Gilbert Langevin ou l’ange de la noirceur lumineuse

    « Il faudrait se lancer par une fenêtre donnant sur un nouvel éden ».
     PoéVie

    Décédé en 1995, Gilbert Langevin – qui a produit, comme poète et poète-parolier, une œuvre importante – a plus ou moins été boudé par la critique à cause, sans doute, de sa personnalité dérangeante, de sa marginalité. Ainsi aurait été plus ou moins occulté son projet d’écriture qui se voulait l’instauration même d’une poésie ancrée dans la vie, une « poévie ». C’est . . .

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  • Lire Lacan

    Lire Lacan

    Après Freud, Lacan. Sigmund Freud, le penseur le plus important du siècle qui s’achève ? Probablement. Jacques Lacan, dont Freud a été la plus grande source d’inspiration, en a remis, et de belle façon.

    Mais Freud et Lacan ne sont pas que des psychanalystes, ce sont aussi des littéraires, tant par leur prose que par leur intérêt pour la littérature. Nous savons, depuis les premiers travaux de Freud, combien les grandes références littéraires, de Sophocle à Dostoïevski, ont nourri le savoir analytique. Freud a insisté sur . . .

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  • Sergio Kokis : Les langages de la création

    L’automne 1996 a été particulièrement fructueux pour Sergio Kokis, cet écrivain d’origine brésilienne établi au Québec.

    La scène littéraire québécoise voit d’abord la publication de son troisième roman, Errances1, ensuite la parution de l’essai Les langages de la création2, à l’origine une conférence publique donnée le 18 avril 1996 au Musée de la civilisation de Québec. Le dernier roman et l’essai se complètent : Sergio Kokis, qui a rév . . .

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  • Philippe Jacottet, un ruisseau dans la nuit

    Philippe Jacottet, un ruisseau dans la nuit

    Nous connaissions l’écriture de Philippe Jaccottet comme une écriture du petit jour et de l’avant-printemps.

    De nombreuses fois, il est question dans l’œuvre de Philippe Jaccottet – poésie ou prose des carnets – de ces heures qui normalement précèdent l’éveil ou l’éclosion, mais que par une attention et une concentration particulières le poète transforme en des moments de révélation et de conscience. Alors que les autres hommes sont enfouis dans le sommeil ou perdus dans l’hiver, quelqu’un veille déjà, comme s’il n’avait . . .

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  • Paroles d’homme rouge ou l’étranger chez les amers indiens…

    Je le reconnais d’emblée, je ne connais pas grand-chose aux Indiens d’Amérique. Je ne parle pas ici de connaissances superficielles, des quelques notions d’histoire, de géographie ou d’ethnologie mâtinées de folklore glanées dans les livres, les films, particulièrement la littérature et le cinéma western dont j’ai la passion.

    Non, je parle de l’Indien d’aujourd’hui, ou de l’Amérindien, comme on dit maintenant, qui habite, pas loin d’ici, sur le même territoire que moi, et dont les m . . .

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  • Le commissaire et le détective : Lecture de deux biographies de Hegel

    Le commissaire et le détective : Lecture de deux biographies de Hegel

    Georg Wilhelm Friedrich Hegel vécut à cheval sur deux siècles. Né à Stuttgart le 27 août 1770, il mourut présumément (?…?) du choléra à Berlin, capitale de la Prusse, le 14 novembre 1831.
    Il connut donc, outre la Révolution française et la naissance puis la chute de l’Empire napoléonien, le traité de la Sainte-Alliance de 1815 (Autriche-Hongrie, Russie, Prusse) et les accords consécutifs de Carlsbad en 1820 – lesquels devaient mater pour un temps toute velléité de protestation face au régime politique et social européen issu . . .

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  • Anne Hébert, la femme chargée de songes

    Le 22 janvier 2000 s’éteignait à Montréal celle qui avait fait de sa vie une traversée assumée du Mystère de la parole. Anne Hébert est née le 1er août 1916 à Sainte-Catherine-de-Fossambault. Son père, chroniqueur littéraire et poète, aimait les livres. Elle a grandi dans un milieu où la réflexion et l’art étaient favorisés.

    Des Songes en équilibre (1942) jusqu’à Un habit de lumière (1999), c’est une trajectoire aux accents graves, indéfectibles que propose cette oeuvre inquiète, dramatique, toujours écrite sur la corde raide du registre poétique. Celui-là même où l’équilibre est un pari, où Le jour n’a d’égal que la nuit.

    Dans le paysage de la littérature québécoise, Anne Hébert occupe une place toute particulière dans ce que nous pouvons déjà appeler les classiques de notre modernité. Avec Hubert Aquin, Gaston Miron, Gabrielle Roy, elle a marqué notre littérature d’une authenticité et d’une modernité qui n’ont pas fini de nous envoûter et de nous livrer mot à mot les songes de cette enfant qui n’aurait pas vieilli, elle qui d’un trait réinvestissait le domaine des rêves et de l’enfance, de poème en poème, de récit en récit, toujours plongeant dans l’onirique passion des zones troubles de l’être. La neige, la mémoire et les signes d’une quête incessante devenaient une constellation imaginaire dans laquelle l’écriture, toujours en éveil, tenait le premier rôle.

    Femme d’une immense discrétion, on l’a dit et redit, son sourire et son regard communiquaient silencieusement ce que l’œuvre plus obscure, découpée au scalpel de la tension humaine, livrait avec rigueur. La femme et l’œuvre n’étaient pas différentes : elles se complétaient, frêles et fortes tout à la fois.

    Nous avons tous des liens d’apprentissage avec l’œuvre d’Anne Hébert. L’école ou l’université. Une lecture de collège. Une découverte personnelle. De sa poésie surtout. De la violence adolescente débusquée au tournant de la lecture du Torrent. Du silence énigmatique grondant dans Les chambres de bois. Allégorie de notre endurance. Patient décryptage de nos vies sous le silence de la neige. Le songe est maître en ces contrées que le vent porte au nord du nord. C’est de ce côté que la poésie d’Anne Hébert est tapie, secrète, livrée pourtant, puisque l’œuvre est abondante, une vingtaine de titres jalonnant plus d’un demi-siècle d’écriture. Poèmes, romans, théâtre, entre l’ellipse et le silence, tissent une lumière crue, pas à pas durement gagnée. Mémoire du gel et des grandes solitudes intimes.

    J’écris cela en pensant aux images de l’œuvre qui m’ont frappé. D’abord l’immémorial. Le sens de l’ouverture à des territoires intériorisés. Le songe encore. Toujours lui qui plane entre cauchemar et souvenir, entre violence, agression et sommeil, mort. Pas de servitude qui ne soit nommée. Pas de facilité. Pas de solution. Une lente et contenue parole faite du silence qui l’habite, donnée avec une sérénité implacable.

    Beaucoup de témoignages au Québec et en France ont salué l’œuvre immense de cette poétique romancière qu’on imaginait éternelle, habitués que nous étions à la savoir dans un lieu d’idéale solitude, écrivant, rêvant. Pour elle, pour nous. Dans cette étrange attitude faite de détachement et de simplicité, nous avions peu à peu conçu l’auteure comme un pôle lumineux de notre présence au monde. De livre en livre, elle semblait rajeunir même. Jusqu’à donner dans Est-ce que je te dérange ?, l’idée qu’elle plongeait dans une problématique de notre époque, cette jeune Delphine, sans abri, trouvée sur le seuil de son âge. Québécoise en exil, qui a lu les poètes maudits, la jeune fille se souvient de son passé et cherche à faire naître une nouvelle liberté que l’Europe ne lui révélera finalement pas. C’était sur le balcon de son enfance, se balançant envers et contre tous, dans le vent d’un paysage originel et par là symbolique, que résidaient tous les possibles. Delphine comme un oracle, jeune femme d’aujourd’hui, est une représentation de cette force de recommencement du même que nous trouvons à travers les thématiques et l’écriture d’Anne Hébert.

    Ce roman a été lancé à Paris au Centre culturel canadien rue de Constantine et on m’avait demandé de présenter l’œuvre. Inquiet, peut-être inconscient, j’avais dit que oui, que c’était un plaisir, un honneur, quoi ! Mais ce que je n’avais pas prévu, c’est que cette présentation se déroulerait en présence d’Anne Hébert, attentive, silencieuse, un peu distante, doucement présente à ces paroles qui lui étaient adressées. Le silence pesait sur la salle. Je la sentais à côté de moi. Et je ne pouvais que croire ce moment chargé de songes. Mes études, mon désir d’écrire de la poésie, la citation mise en exergue d’un de mes livres que je n’avais pas osé lui envoyer. Les rares rencontres à Paris. Les quelques mots échangés, respectueux, eux aussi prononcés dans l’équilibre de la distance. Et je lisais mon texte. En modulant le plus calmement possible le débit. Moi qui après une lecture fébrile du récit me demandais pourquoi j’avais accepté cette invitation de présenter un roman d’Anne Hébert en sa présence…

    Après ma présentation, elle a lu un extrait du livre et répondu par quelques mots aux questions. L’idée du livre, disait-elle, lui était venue un soir qu’en rentrant chez elle rue de Pontoise, une jeune fille était accroupie sur le pas de la porte. Son regard l’avait touchée profondément. Elles n’avaient pas échangé de paroles. Le récit était né. Delphine serait porteuse des malaises de cette époque où volent les valeurs, au seuil de nouveaux silences.

    Dans les salons des services culturels, sur une table, les livres d’Anne Hébert. Appliquée, bienveillante, sans cérémonie comme on dit, elle signait des dédicaces. J’entrais dans une perspective temporelle en observant l’auteure que je respectais et connaissais de loin depuis mes premières lectures adolescentes. Entre les Poésies de Nelligan et la parole de Menaud, maître draveur pointaient les rêveries de ces Chambres de bois dont je ne pouvais pénétrer tous les passages.

    J’ai revu Anne Hébert à Montréal. Une réception pour ses 80 ans avait été organisée à la Maison des Écrivains rue Laval. J’étais en retard. Arrivé à deux pas de la Maison, par la vitre baissée d’une portière d’une large voiture américaine, Anne Hébert, inattendue dans ce lieu, de cette manière. Un regard, elle tend la main et dit : « Comment allez-vous ? » Et c’est tout. Je ne crois pas avoir répondu, ni rien demandé, ni souhaité, surtout pas, bon anniversaire. Je me rappelle précisément son sourire, au-dessus d’un cou légèrement rejeté vers l’arrière. Puis, lentement, la voiture a démarré. J’ai songé, je me souviens, à une reine. Et ce n’était pas un songe.


     

     

  • Barbie, poupée totem : Paradoxe de la poupée Barbie

    Comme bien des mamans, j’ai tenté de résister à l’invasion de la poupée Barbie. Mais puisque le refus stimule le désir et comme je ne voulais pas non plus marginaliser ma fille, je lui ai offert une Barbie pour son cinquième anniversaire. Je ne voulais d’ailleurs céder ce privilège à personne Cette ambivalence ne m’a pas échappé et le peu d’intérêt que Catherine accorde à sa poupée mannequin me prouve bien que le « conflit » est entre Barbie et moi.

    La lecture de Barbie . . .

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  • Marek Halter, l’écrivain au-delà des genres littéraires

    Marek Halter, l’écrivain au-delà des genres littéraires

    Marek Halter appartient à la séduisante famille des conteurs. Avec ce que cela manifeste de charisme et produit de trucages. Ce n’est pourtant là qu’une facette de son prisme, car il est aussi peintre, polyglotte, médiateur et cinéaste. Comme, en plus, il adore l’autofiction, bien malin qui décèlera l’Histoire dans les histoires de Marek Halter. Le récit enchantera toujours ; il n’emportera pas toujours l’adhésion.

    Marek Halter naît à Varsovie en 1936. Il s’inscrit dans une lignée d’imprimeurs juifs dont les récentes g . . .

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  • La guerre comme une folie permanente

    La guerre comme une folie permanente

    Tous ceux que la guerre a touchés jurent leurs grands dieux : « Jamais plus cela ». Pourtant, chaque coin du monde s’empresse, au premier détour du calendrier, à peine ses charniers superficiellement chaulés et ses éclopés encore mal cicatrisés, de rouvrir la saison de la chasse à l’autre. La littérature, forcément, reflète cette intarissable bêtise.

    Quelle logique suivre pour aborder le sujet à travers quelques œuvres récentes ? Il n’est pas de logique adaptée au non-sens. Tout au plus peut-on entreprendre la description de la guerre en partant . . .

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  • Le journal de Jean-Pierre-Guay : Québécois, trop québécois, tout ce qu’il y a de plus québécois

    « Les pays sont comme les fruits, les vers sont toujours à l’intérieur. »
    Jean Giraudoux

    Quand je suis déprimé, je bouquine. Et je bouquine souvent. Pas d’emploi. Une parentèle en miettes, revancharde, sournoise. Une mère que gestapote la fureur Alzheimer. Un village barbant et barbifiant. Un fils qui ne sera jamais au monde. Pauvre petit Moi. Quand je suis déprimé, je marche. Longtemps. Au hasard. Pour toujours terminer ma fuite chez un libraire d’occasion. Là, entre les rayonnages poussiéreux . . .

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  • L’Orfeo de Hans-Jürgen Greif

    L’Orfeo de Hans-Jürgen Greif

    Hans-Jürgen Greif nous avait habitués au texte court et à l’essai, avec la même intelligence légèrement teintée d’humour, la même érudition non exempte d’une belle et fine sensualité, des idées vivement brossées, des parcelles de sens saisies au vol et proposées au lecteur invité à les compléter avec un apport de son cru ; mais cette fois, c’est un roman au sens le plus traditionnel du terme qui nous est proposé, un roman qui nous laisse pantois : étonnés certes de ce revirement de genre, mais . . .

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  • De quelques retombées de « L’automne Grandbois »

    De quelques retombées de « L’automne Grandbois »

    En novembre 1994, la presse québécoise parla de « l’automne Grandbois » pour souligner le cinquantième anniversaire de la publication des Îles de la nuit par le poète Saint-Casimir-de-Portneuf.

    Le 10 de ce mois s’était d’abord ouvert un colloque de deux jours coordonné par Marcel Fortin, qui l’avait bellement intitulé « L’Archipel Grandbois », et organisé sous l’égide du Département de langue et de littérature françaises de l’Université McGill et du Centre d’études québécoises de l’Université de Montréal. Le m . . .

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  • Entretiens avec Julien Gracq

    Entretiens avec Julien Gracq

    La publication des Entretiens de Julien Gracq constitue certainement l’événement littéraire majeur le moins médiatique de ces dernières années.
    Malgré l’étonnante discrétion de l’auteur, l’œuvre de Julien Gracq dépasse largement le succès d’estime : la prestigieuse bibliothèque de la Pléiade en a entrepris la publication complète et l’éditeur des Entretiensa dû procéder à une seconde édition six mois après la sortie initiale.

    À côté des gros producteurs . . .

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  • Goethe et Voltaire

    Goethe et Voltaire

    Il est rare qu’une époque porte le nom d’un écrivain ; plus fréquemment, c’est un souverain qui lui donne son sceau. Pour que le phénomène se produise, une nation entière doit focaliser son intérêt sur un jeune génie. De plus, elle doit être constamment tenue en haleine par les différentes phases de la production de ce dernier pour, finalement, lui accorder le statut d’universalité.
    Tel a été le cas de Voltaire, de Goethe : les termes « siècle de Voltaire » et « Zeitalter Goethes » sont devenus les appellations . . .

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  • Jean-Luc Godard, de l’homme d’images à l’homme d’écriture

    « C’est une contradiction, peut-être à analyser : je suis le plus connu des gens oubliés, si j’ose dire. »
    Jean-Luc Godard

    Sommet éditorial sur le travail du grand créateur que les deux ouvrages sur et par Jean-Luc Godard, parus en octobre 1998. Non seulement ces ouvrages font redécouvrir ou découvrir des pans cachés de Godard cinéaste, mais ils révèlent un Godard critique, pamphlétaire, essayiste et, particulièrement dans Histoire(s) du cinéma1, un magistral historien d’art.

    Jean-Luc Godard s’est très largement investi dans ces projets. Auteur « monteur » de Histoire(s) du cinéma, il répond avec zèle et enthousiasme à certains de ses intervieweurs, en particulier à son complice et ami aujourd’hui disparu Serge Daney, mais aussi à Régis Debray, à Jean Daniel, même s’il laisse parfois percer une certaine irritation, comme avec Paul Amar. Pour Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard2, il s’est montré un collaborateur attentif et passionné. « La surprise est venue du très grand investissement qui a été le sien, souligne l’attachée de presse Agnès Béraud, au cours de cette année de travail éditorial, dans la patiente élaboration de ce manuscrit qu’il n’a cessé d’enrichir d’inédits, de lettres personnelles, de photogrammes qu’il a tirés lui-même de son œuvre vidéo, de consignes et de conseils, manifestant beaucoup plus que lors de l’élaboration du tome 1 à quel point ce projet d’un deuxième tome lui tenait à cœur. » Quant à Histoire(s) du cinéma, c’est un projet auquel il travaillait déjà depuis plus de dix ans3.

    Un amour : la littérature

    Homme d’images, Jean-Luc Godard l’est indéniablement. Homme d’écriture, il l’est aussi. Qu’il soit un lecteur passionné, personne n’en doute puisque dans tous ses films ou presque, un personnage au moins se présente un livre à la main dont souvent il lit un extrait, quand ce n’est pas Godard lui-même qui le fait. Cette passion, l’abondance de citations littéraires dans ses films la met en lumière et lui-même confiera à Pierre Assouline l’attrait que la littérature exerce sur lui. « La littérature est un refuge. Elle a approfondi ma vision du monde. Les livres m’ont dit des choses que ne me disaient pas les vivants. La littérature a enquêté sur le monde. En ce sens, elle m’a donné une leçon de morale artistique. Je lui dois ça, une conscience morale. » Histoire(s) du cinéma compose un ensemble parfois surprenant mais toujours pertinent d’images, de mots, de séquences accompagnées de photogrammes. Certains de ces éléments ne semblent pas avoir quelque chose en commun de prime abord. C’est pourtant de ce télescopage parfois iconoclaste et de ce montage complexe que se dégage une compréhension profonde et originale de l’art occidental dont le cinéma constitue le dernier avatar. Avatar d’autant plus important que le cinéma est un art qui est né et qui a pris son essor au XIXe siècle, s’est réalisé comme l’art emblématique du XXe siècle car il a fait exister le réel, il a pu en rendre compte dans la mesure où pouvant le représenter, il pouvait donner des informations sur ce que les gens pouvaient voir. Dans les quatre volumes de cet essai fascinant, Jean-Luc Godard s’attache à mettre en confrontation toutes les formes d’art, des plus traditionnelles aux plus audacieuses de notre temps : le cinéma, la peinture, la littérature, la musique. D’où la densité et la richesse de ses propos. Cette histoire romanesque est en effet éminemment subjective, d’autant plus qu’elle est écrite à la première personne et – originalité majeure – fabriquée avec le matériau qui est propre au créateur, les images. Godard, l’homme, parfois s’abandonne, il se laisse aller au lyrisme, avouant un amour irrépressible pour le néoréalisme italien. « Rome ville ouverteest un film de résistance parce qu’il est un film de résurrection. Ce n’est pas un hasard si cette œuvre est née en Italie, la nation la plus absente de la guerre en même temps qu’une terre gardienne du christianisme. […] Alors Rome ville ouverte est venu. Et ce pays, après avoir trahi deux fois, a pu de nouveau se regarder en face et porter l’image de l’Italie dans le monde entier. Il n’y a pas eu d’équivalent en France. Une des raisons est que le cinéma y avait été confisqué par l’Allemagne avant même 1940. Le seul qui ait dit ‘ Je lutte ’ pendant la guerre, c’est Bresson, dans Les dames du Bois de Boulogne, par la voix d’Elina Labourdette. »

    Références à l’appui

    Pour illustrer son propos, Godard fait appel à de multiples références : textes, photogrammes, extraits de films, images d’archives, films avec ou sans titre, anonymes ou non. Les citations n’ont pas pour seul objectif d’illustrer le propos de l’auteur, elles possèdent le statut de témoin et elles viennent renforcer la réflexion de base. Réinsérées ailleurs, les références prennent un sens autre que leur sens originel, lequel est souvent beaucoup plus provocant. Il arrive fréquemment que Godard prenne ses distances par rapport à l’exactitude historique, développant une logique argumentaire plus forte. Le livre est riche de nombreuses associations, glissements sur des idées ou des mots ou même des images, car pour Godard l’histoire du cinéma progresse autant à travers les noms, les phrases, les anecdotes célèbres que grâce à l’érudition. C’est là le côté ludique de cet ouvrage inclassable et essentiel.

    La beauté par surcroît

    Sur le plan esthétique, les quatre volumes de Histoire(s) du cinéma sont des objets magnifiques. Nombreux sont les photogrammes d’une intense beauté et les reproductions admirablement retravaillées par Godard. En effet, le cinéaste écrivain ne se satisfait pas de reproduire des images – aussi belles soient-elles. Il les fond entre elles, joue sur le contraste des noirs et des blancs, imprime des textes sur les images. L’écrit se trouve alors aussi transformé, Godard en modifiant le sens ou en pervertissant le rythme. Il agglomère différentes langues, des citations, des chansons, des poèmes, des images tirées de peintures ou de films visant à ce que, de ce mélange, de ce brassage des siècles, émane l’absolu quintessencié. Car pour Jean-Luc Godard, le cinéma n’existe qu’en tant qu’il est une part de l’activité poétique des hommes et l’art n’a de sens que dans la quête dont il est l’objet.

    Le cinéaste par lui-même

    Dans le deuxième tome de Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard qui vient de paraître, se précise la démarche poursuivie dans le premier, il y a presque quinze ans. Entre les deux, quelques films majeurs comme Hélas pour moi, Nouvelle vague, JLG/JLG et le dernier film de sa compagne Anne-Marie Miéville, Nous sommes tous encore ici dans lequel il joue – avec quel naturel et un magnifique talent. Se continuait parallèlement le travail d’écriture, de réflexion, de critique de la situation contemporaine. Le premier tome de Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard comptait sept parties, ce deuxième n’en compte plus que cinq. Comme dans le premier, il se compose d’un entretien inédit de Jean-Luc Godard avec Alain Bergala dans lequel il évoque « la vie vécue depuis » (titre de l’entretien) et qui est en quelque sorte un prolongement et un approfondissement de l’entretien introductif du tome 1 intitulé alors « La vie vécue avant »4. Le livre se poursuit par un roman-photo biographique qui est aussi un prolongement du tome 1, Godard reprenant l’histoire de sa vie là où il l’avait interrompue en 1984. Suit un entretien Godard/Pialat riche d’intérêt ; Godard, avec bienveillance mais fermeté, démontre à Pialat que ce dernier – quoi qu’il en pense et dise – n’est pas plus mal loti que n’importe quel autre cinéaste. Cette section présente des documents de travail ayant trait aux films Détective et Soigne ta droite, ainsi que la « reproduction » d’un entretien télévisé Godard/Duras dans lequel le cinéaste, une fois de plus, exprime son amour de la littérature et l’admiration sans bornes qu’il porte aux écrivains-cinéastes, Sacha Guitry et Marcel Pagnol entre autres. En troisième partie, Godard soulève la question des coupures publicitaires imposées par la télévision, évoque des projets de films, propose des documents de travail surNouvelle Vague, Hélas pour moi, JLG/JLG, ainsi que quatre versions successives d’un scénario intitulé « L’éloge de l’Amour ». Y figurent des documents inédits prêtés par Jean-Luc Godard (beaucoup de lettres) et la « reproduction » de l’exemplaire unique d’un livre réalisé artisanalement par Godard lui-même et intitulé « 2 x 50 ans de cinéma français », montage avec photographies et textes en surimpression le plus souvent ; ce livre n’est pas toujours tendre : aussi est-il inscrit en regard de la photographie de François Truffaut que le « cinéma français crève sous les fausses légendes ». Les parties 4 et 5 proposent la filmographie complète de Godard à ce jour ainsi qu’un index des noms propres et des titres de films cités dans les deux tomes, éléments qui font du livre un ouvrage de référence précieux, indispensable même. Les textes, entretiens et documents sélectionnés ne sont pas présentés de manière strictement chronologique mais sont regroupés autour des films, qui en sont les noyaux thématiques.

    Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard présente donc l’itinéraire d’un cinéaste hors-normes qui, depuis près de cinquante déjà, éclaire le cinéma et son histoire grâce à son intelligence, à son esprit provocateur, à sa culture immense et – disons-le – à son génie. C’est aussi un livre nostalgique, tant il est avéré que Godard sait que le cinéma est déjà mort, et pourtant… « On ne fait pas le cinéma qui devrait se faire. C’est ce qui a été non pas la révolution mais juste l’insurrection de la Nouvelle Vague qui a été relativement vite réprimée : faire le cinéma qu’on devrait avoir le droit de faire. Et c’est un peu plus facile pour moi, encore aujourd’hui, de faire un film tel qu’il devrait se faire – même si j’en suis un peu moins sûr – que vivre la vie que je devrais pouvoir vivre. Si je pouvais vivre la vie que j’estime avoir le droit de vivre, je pense que je ne ferais pas de films, ou pas d’art. »

    Ces deux ouvrages de l’homme d’écriture Godard donnent à lire, à regarder, à méditer, ils témoignent de la perméabilité, et de la richesse, des univers de la création.

     


    1. Histoire(s) du cinéma de Jean-Luc Godard. Coffret de 4 volumes illustrés : 1) « Toutes les histoires, Une histoire seule » ; 2) « Seul le cinéma, Fatale Beauté » ; 3) « La monnaie de l’absolu, Une vague nouvelle » ; 4) « Le contrôle de l’univers, Les signes parmi nous », GallimardGaumont, 976 p., 155 $.
    2. Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard. Écrits, documents et entretiens réunis par Alain Bergala. Le tome 1, 1950-1984, paru en 1985, épuisé, est réédité. Le tome 2, 1984-1998, inédit, couvre la période 1984-1998, Éditions Cahiers du Cinéma, 640 p. et 512 p., 250FRF. Coffret les deux tomes : 480FRF.
    3. Le projet initial était de faire une histoire visuelle du cinéma à partir de son propre matériau – l’image –, projet d’ailleurs abouti puisque huit cassettes vidéo d’une quarantaine de minutes chacune existent. Elles devraient être programmées sur une des chaînes de la télévision française au cours de l’année 1999.
    4. La réédition du tome 1 est augmentée d’un texte inédit sur Le cercle rouge de Jean-Pierre Melville, paru pour la première fois en 1971.

     

  • Antony* : Texte inédit de Paul Gadenne

    « Rubrique Écrivains méconnus du XXe siècle », article par François Lermigeaux, no 83, juin 2001

    Il pleuvait. Quand n’avait-il pas plu ? Quand la vie n’avait elle pas été louche ? Quand cette gare avait-elle conduit à autre chose qu’à des petits jardins de banlieue avec des boules de verre et des cages à serins accrochées aux barres des volets, à des salons ornés de fauteuils d’un autre temps, à la tapisserie fanée, à tout ce qui nous épuise, nous décourage, nous menace tous les jours ? Les campagnes sont électrifi . . .

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