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Auteur/autrice : Neal
Le Québec et la France : Deux jeunesses ?
Pour des motifs qui m’échappent, les plus récents arrivages de livres destinés aux jeunes se répartissent en deux parts : face aux auditoires de sept à dix ou onze ans, les éditeurs québécois sont très présents ; s’il s’agit de publics presque adultes, les éditeurs européens, de façon presque exclusive, occupent le créneau.
Saisons littéraires agencées autrement ? Décisions éditoriales produisant des effets imprévus ? Je ne sais. Pas plus qu’un sondage isolé ne fonde de supputations éclairées, un tel partage n’autorise de conclusion. Au plus, un étonnement.
Que du plaisir !
L’amitié entre la chenille et l’araignée n’est pas chose facile dans Éole la chenille1 de Nigel Crowle. Si Denise l’araignée se balance au bout d’un fil, l’autre se cramponne à sa branche rassurante. Dommage pour les deux amies. On imagine la suite. Tout à l’heure, sitôt la chenille devenue agile papillon, les amies voyageront dans le ciel grâce à celle qui ne connaît plus la peur. Quant au cloporte, qu’il taise ses verdicts !Pudique à souhait, économe de ses mots, bellement gradué, Comment te dire je t’aime ?2 de Mariko Kikuta abolit finement la barrière du silence. On se côtoie, on vit ensemble, on devrait présumer l’affection de l’autre, mais on hésite devant les mots les plus simples. Il faudra que surgisse l’ombre d’un malentendu, peut-être d’une séparation, pour qu’enfin Lou et Lili se promettent une vie à deux. Petit livre adorable par son dessin stylisé, ses hésitations, ses larmes pudiques. Rien n’interdit aux adultes d’oser, eux aussi, même au prix de quelques larmes, passer aux aveux.
1. Nigel Crowle, Éole la chenille, trad. de l’anglais par Delphine Nègre-Bouvet, Mango, Paris, 2004, 32 p. ; 3,49 $
2. Mariko Kikuta, Comment te dire je t’aime ?, trad. du japonais par Corinne Quentin, Albin Michel, Paris, 2004, 48 p. ; 18,95 $.
La combinaison était promise au succès : les poèmes de Bernard Boucher illustrés par Anne Villeneuve. Mimi Chat, de fait, séduit. Mérite supplémentaire, le chat, drôle ou boudeur, contemplatif ou écrasé de soleil, demeure un vrai chat : pas de dégriffage ou d’érosion des instincts. L’oiseau demeure une cible et les arbres n’ont d’intérêt que s’ils abritent une proie. L’écureuil, qui déboule des arbres la tête en bas et rit du chat qui s’est aventuré trop haut, agace Mimi Chat : « Ton ami l’écureuil / dandine son insolence / derrière une vitre / pare-griffes ». La poésie et le dessin n’ont que plus de charme quand ils reflètent la vie telle qu’elle… ronronne.
Bernard Boucher et Anne Villeneuve, Mimi Chat, Les 400 coups, Montréal, 2004, 40 p. ; 9,95 $.
Quand survient un dimanche pluvieux, un sentiment de mélancolie guette dans Je m’ennuie ! de Christine Schneider et Hervé Pinel. Les parents de Tilou ont leurs activités, sa sœur le juge trop bébé… Quand les jouets ajoutent leur spleen, Tilou se secoue. Il mobilise ses troupes et attaque l’ennui avec fièvre. La chambre devient champ de bataille, la batterie de cuisine fournit armes et casques. L’ennui bat en retraite, mais le tumulte attire les parents. Se plaindront-ils du désordre quand ils ont suggéré à Tilou de s’amuser ? De quoi donner des idées à ceux qui s’ennuient.
Christine Schneider et Hervé Pinel, Je m’ennuie !, Albin Michel, Paris, 2004, 32 p. ; 16,95 $.
Les jumeaux Kim et Ary profitent de leurs rêves pour envahir le monde de la magie. Cette fois, La forêt enchantée les attend. Leur mission ? Revigorer un sympathique vieux lion. La potion qui ranimera le monarque affaibli fait appel aux quatre éléments : eau, terre, air, feu. Aux jumeaux de les obtenir en contournant les gardiens en poste. Le dessin de Mélanie Gagnon est sympathique, les peurs sont contrôlées, les solutions se précipitent sur les pas des difficultés. Le récit d’Annie Boisvert est frais, sans prétention.
Annie Boisvert et Mélanie Gagnon, Kim et Ary, La forêt enchantée, Éditions de Mortagne, Montréal, 2004, 32 p. ; 19,95 $.
L’idée de Michèle Beauchamp, à elle seule, fait sourire. Qu’un gourmand soit physiquement transformé par les pâtes qu’il engouffre, n’est-ce pas logique ? Dans Pistoubrelou et la gourmandise, le chat qui mange des brins de vermicelle voit son corps s’étirer. Les tortellinis arrondissent les oreilles. Attention ! Le dessin de Benoît Laverdière rend l’idée si séduisante que naissent les risques : la prochaine liste d’épicerie peut subir l’influence d’une volonté de transformation ! Et pourquoi pas ?
Michèle Beauchamp et Benoît Laverdière, Pistoubrelou et la gourmandise, Banjo, Mont-Royal, 2004, 24 p. ; 7,95 $.
Pour initier les bambins aux couleurs, une chatte et une souris usent d’une pédagogie proche du jeu dans Rosalie et Verdi, Les couleurs de Claire Larivière et Julie Larivière. La souris Verdi sera aussi verte que possible et son nom s’écrira en vert. Même chose pour Rosalie, chatte bleue à la queue rose. L’apprentissage s’en trouve facilité. Ingénieux et souriant.
Claire Larivière et Julie Larivière, Rosalie et Verdi, Les couleurs, Banjo, Mont-Royal, 2004, 24 p. ; 7,95 $.
À ciel changeant, humeur variable. Quand tombe la pluie, les nerfs agitent l’épiderme. Quand règne le soleil, les sourires, par magie, refleurissent. David Shannon le démontre sur un rythme trépidant dans Après la pluie. Sous l’orage, les impatiences s’enchaînent de la poule au chat et au chien, du policier à la fleuriste. Si le soleil perce enfin les nuages, « il fait trop beau pour se disputer ». Le dessin est généreux, excessif, convaincant.
David Shannon, Après la pluie, trad. de l’anglais par Geneviève Hébert, Les 400 coups, Montréal, 2004, 32 p. ; 10,95 $.
Les devinettes d’Henriette, c’est un plaisir que l’enfant dégustera tantôt en solitaire, tantôt en interaction. Henriette Major réussit l’équilibre entre l’audace et le trop facile, entre la difficulté qui rebuterait et l’excessive complaisance qui ne stimulerait pas l’enfant. « Quand on ne l’a pas, / il faut le prendre, / mais quand on l’a, / il faut le donner à ceux qu’on aime. » Quant au dessin de Philippe Béha, c’est à un aussi bel équilibre qu’il aboutit. Les couleurs explosent, les formes se dissolvent, l’imprévisible est au poste. Comme si cela allait de soi, ce diable d’homme répand la fantaisie jusque dans la pagination. Merveilleux !
Henriette Major et Philippe Béha, Les devinettes d’Henriette, Hurtubise HMH, Montréal, 2004, 2004, 44 p. ; 24,95 $.
Sports et transports
Peut-être la carrière du jeune vampire Anatole achève-t-elle, se demande-t-on dans Drôle de vampire. Il déteste les contraintes imposées à son espèce : se lever quand les autres se couchent, éviter le soleil et les légumes… Il est vrai qu’Anatole n’a que 150 ans. Il commet des imprudences, y compris celle de grignoter les légumes déconseillés. Pur caprice, mais peut-être le jeune lecteur en déduira-t-il que les légumes ont du bon ! Ce serait ironique qu’un vampire réconcilie les jeunes humains avec le brocoli ou les carottes râpées, mais qui sait ? L’auteure, Marie-Andrée Boucher Mativat, fait finement sa place au besoin d’autonomie qui sommeille (?) en tout enfant.
Marie-Andrée Boucher Mativat, Drôle de vampire, Hurtubise HMH, Montréal, 2004, 64 p. ; 8,95 $.
Le chien Galoche, dans Une vraie année de chien d’Yvon Brochu et de David Lemelin, subit les aléas du calendrier humain. Il a droit à la Saint-Valentin, au 24 juin, à l’Halloween… Le contraste entre le regard humain et celui de Galoche n’en est que plus dépaysant. Pourquoi, en effet, un chien qui adore le chocolat lèverait-il un nez méprisant sur le chocolat du 14 février ? Et pourquoi un chien ne jetterait-il pas un peu d’imprévu dans le feu d’artifice de la Saint-Jean-Baptiste ? Yvon Brochu raconte avec verve et un superbe naturel. Galoche, chien loyal, sympathique et gaffeur, gagne en densité d’un bouquin à l’autre.
Yvon Brochu et David Lemelin, Galoche, Une vraie année de chien, FouLire, Sainte-Foy, 2004, 141 p. ; 8,95 $.
On sait avec quelle ferveur (fanatisme ?) les amateurs de hockey vantent leur équipe préférée. Il n’est pas dit cependant que les adorateurs du seul et unique « Rocket » Richard veuillent patiner aussi vite que lui ou se satisfaire d’une saison de « seulement » 50 buts. Quand Dominique et son cousin Étienne s’adonnent au hockey, le rituel change : une balle remplace la rondelle, les bottines se substituent aux patins, le chronomètre tombe en chômage, le nombre de buts profite de l’imprécision pour devenir indéfiniment extensible. Ça, c’est du hockey ! Époque pas si lointaine, racontée par David Bouchard et Dean Griffiths, où, d’ailleurs, le plaisir était le même et les frais sensiblement moins lourds.
David Bouchard et Dean Griffiths, Ça, c’est du hockey !, trad. de l’anglais par Michèle Marineau, Les 400 coups, Montréal, 2004, 32 p. ; 10,95 $.
Mon nom est Stilton, Geronimo Stilton de Geronimo Stilton et Larry Keys, c’est la fusion de plusieurs merveilleux délires. Le très conservateur éditeur de L’Écho du rongeur embauche distraitement la jeune Pinky Pick, une souricette qui bouleverse le journal et abat les certitudes du « chef ». Parler de révolution serait un euphémisme. Au cas où l’on aurait sous-estimé la mue, le livre recourt à une typographie qui fera honte aux collages les plus « libérés ». Les lignes changent de cap, la couleur varie d’un mot à l’autre, les demi-tons gesticulent derrière les mots… Réussite admirable. Geronimo ne pouvait vraiment pas résister : tout, idées, dialogues, typographie et illustrations, l’obligeait à changer de siècle.
Geronimo Stilton et Larry Keys, Mon nom est Stilton, Geronimo Stilton, trad. de l’italien par Titi Plumederat, Albin Michel, Paris, 2004, 126 p. ; 9,95 $.
Balises, conseils et pratiques
Avec un doigté généralement sûr, la littérature destinée aux jeunes leur parle de personnes aimantes et proches.
La grand-mère de Fred a beaucoup à donner dans Une lettre en miettes de Marie-Danielle Croteau et Bruno St-Aubin. Grâce à elle, Fred apprend qu’on peut mal aimer quelqu’un et l’emprisonner par des mots. Avec tact, Marie-Danielle Croteau laisse flotter l’aveu ému de la grand-mère ; Fred n’a rien raté. C’est aussi la grand-mère qui calme le jeu lorsque Fred reconstitue une lettre que son chat a mise en pièces. La grand-mère agence les morceaux d’une autre façon et Fred retrouve l’espoir. Est-ce la version assurée ? Encore là, l’auteure se fait discrète.
Marie-Danielle Croteau et Bruno St-Aubin, Une lettre en miettes, La courte échelle, Montréal, 2004, 64 p. ; 7,95 $.
Lorsque Magalie défend l’écologie, celui qui l’affronte risque le pire dans Le nouvel ami de Magalie d’Yvan DeMuy et de Claude Thivierge. Quand monsieur Dubois affirme qu’il faut éliminer Ti-Gris, l’arbre dont les racines menacent les conduites d’égout, Magalie monte dans l’arbre. Elle en descendra quand « l’assassin » aura renoncé à son crime. C’est du grand-père de Magalie que viendra la solution.
Yvan DeMuy et Claude Thivierge, Le nouvel ami de Magali, Michel Quintin, Waterloo, 2004, 64 p. ; 7,95.
Dans La chasse au plomb de Maryse Pelletier et Gabrielle Grimard, les jeunes enquêteurs obtiennent de leurs aînés de précieux renseignements. Un oiseau qui meurt, cela prouve peu. Qu’un enfant tousse et s’étouffe ne révèle pas nécessairement un complot. Maryse Pelletier, à son habitude, dose finement l’impétueuse générosité des jeunes et une écoute adulte souvent efficace et souvent absente. Enquête bien structurée ; belle écoute des plus mal pris.
Maryse Pelletier et Gabrielle Grimard, La chasse au plomb, La courte échelle, Montréal, 2004, 96 p. ; 8,95 $.
La fenêtre maléfique relève plusieurs défis. Sylvie Brien raconte, en effet, une période peu connue de l’histoire québécoise, en plus de mener une enquête à la fois policière et sociale. Sur chacun des fronts, mission accomplie. Le Québec des années 1930 est fort honnêtement reconstitué, avec ses faims, ses raccourcis cruels, l’entrée prématurée des enfants dans les tractations adultes. Quant à l’enquête, elle met à contribution le courage d’enfants tôt aguerris par la vie et l’art d’une auteure qui préserve le mystère aussi longtemps que nécessaire.
Sylvie Brien, La fenêtre maléfique, Hurtubise HMH, Montréal, 2004, 124 p. ; 8,95 $.
Le théâtre – que son enracinement culturel en soit loué ! – survit aux modes. Il est cependant menacé autant et plus qu’autrefois par le vedettariat selon lequel il n’est de rôle important que le premier. Dans Abby H. ou la vie en mauve, Tout est bien qui finit bien ! d’Anne Mazer, la concurrence est vive entre toutes celles qui rêvent de jouer le rôle de Peter Pan ou l’un de ceux qui polarisent l’attention. Le suspense dure, car les éducatrices veillent à maintenir la trajectoire éducative et à filtrer les mirages du vedettariat. La tombée du rideau montrera que certains rôles, pour discrets qu’ils soient, méritent tous les applaudissements.
Anne Mazer, Abby H. ou la vie en mauve, Tout est bien qui finit bien !, trad. de l’anglais par Marie-Andrée Clermont, Scholastic, Markham, 2004, 121 p. ; 8,99 $.
Est-ce placer la barre trop haut que de proposer aux jeunes Les amants du métro ? Parions que non. Les jeunes rêvent, inventent, construisent librement, et c’est ainsi que le théâtre recrute constamment de nouveaux adeptes. Un des grands mérites de cette pièce de Jean Tardieu, en plus d’éviter le paternalisme, ce sera de soutenir le rêve théâtral en révélant plusieurs ficelles du professionnalisme. Des jeunes en mal de théâtre trouveront ici un texte bien construit et « jouable » et d’excellents conseils de mise en scène.
Jean Tardieu, Les amants du métro, Gallimard, Paris, 2004, 126 p. ; 11,50 $.
L’environnement et l’interception
L’intérêt des éditions Michel Quintin pour tout ce qui vit et respire est connu. Ce qui ne rend pas ses publications rébarbatives. La collection « Savais-tu ? » démontre au contraire une heureuse convergence entre la diffusion de l’information et le maintien de l’intérêt. Les caméléons d’Alain M. Bergeron, Michel Quintin et Sampar illustre la méthode et le résultat. Les informations abondent. Courtes, accessibles, originales, fiables. La contribution du caricaturiste Sampar est toujours déterminante ; sans elle, l’information serait moins attrayante et plus indigeste.
Alain M. Bergeron, Michel Quintin et Sampar, Savais-tu ? Les caméléons, Michel Quintin, Waterloo, 2004, 64 p. ; 7,95 $.
Restons près de la nature. Les terres humides illustre le travail d’éducation de Bobbie Kalman et de son équipe. L’ouvrage, abondamment illustré par Amanda Bishop, réhabilite marécages, marais et tourbières. Il était temps. On oublie trop volontiers leur rôle dans la protection d’une multitude d’espèces, dans la lutte à la pollution, dans la réduction des gaz à effet de serre. Le texte entretient peu de liens avec la poésie, mais il servira aux « recherches » que l’école demande aujourd’hui même aux bambins.
Bobbie Kalman et Amanda Bishop, Les terres humides, trad. de l’anglais par Lyne Mondor, Banjo, Mont-Royal, 2004, 32 p. ; 8,95 $.
Je ne parviens pas à intégrer à la littérature pour jeunes un livre tel Respire par le nez ! de Judith Hamel et Lynne Ciacco, sur le « placement corporel ». Non que l’intention ne soit pas respectable ou que la technique ne réponde pas à un besoin, mais, selon l’adage, les bonnes intentions font souvent une piètre littérature.
Judith Hamel et Lynne Ciacco, Respire par le nez !, Bouton d’or Acadie, Moncton, 2004, 94 p. ; 8,95 $.
Abolition des frontières
La rupture est nette : nous entrons dans un monde occupé cette fois-ci par les seuls éditeurs européens.
L’inspecteur Yann Gray mène ses enquêtes sans oublier les bons côtés de la vie dans Polar Bear, Une enquête pour Yann Gray. Il ne sombre pas dans les vices ostentatoires grâce auxquels tant de pseudo-détectives font oublier leur insignifiance. Savoir raison garder, aurait dit Montaigne. L’homme est brillant, structuré, intelligemment méfiant, capable d’audace autant que de doute. Il aura d’ailleurs besoin de toutes ses ressources pour résoudre un crime commis pendant qu’un manège emporte les couples d’amoureux et de multiples curieux. L’intrigue est serrée, plausible, sans tricherie. L’écriture d’Yves Hughes paraîtra exigeante à ceux qui confondent polar et sous-littérature ; les autres, jeunes ou moins jeunes, apprécieront que l’auteur les juge capables de lire une prose élégante et même recherchée.
Yves Hughes, Polar Bear, Une enquête pour Yann Gray, Gallimard, Paris, 2004, 176 p. ; 15,95 $.
La cruauté qu’étalent des adolescents normalement civilisés lorsqu’ils chassent en meute scandalise toujours. Le cabossé innove quand même en en accentuant le côté délibéré. Avant même que le professeur ait donné son premier cours, un commando fourbit ses armes : de l’indiscipline instinctive, on passe à l’intimidation planifiée. Le pauvre enseignant n’aura même pas le temps d’évoquer la poésie que les petits truands étaleront sadiquement ses faiblesses humaines. L’art de Claire Mazard consistera à confronter les jeunes tortionnaires aux retombées de leur comportement. Il sera trop tard cependant. Bouquin prenant, terriblement plausible.
Claire Mazard, Le cabossé, Syros, Paris, 2004, 96 p. ; 14,95 $.
Dans un pays aux contours imprécis, mais dont les équivalents abondent, Manolo vit l’inconscience des familles protégées. S’il glisse vers la mouvance contestataire, ce sera sans prise de conscience et par complicité amoureuse avec une femme plus engagée que lui. Arrêté par malchance, il résistera pourtant de toute son âme aux pires tortures. Des années plus tard, quand il retournera dans son pays, il découvrira avec horreur que sa réputation ne ressemble guère à celle qu’il croyait mériter. Voilà L’histoire de Manolo de Bertrand Solet : un roman redoutable.
Bertrand Solet, L’histoire de Manolo, Syros, Paris, 2004, 126 p. ; 14,95 $.
« Peu importe qu’il soit bafoué, torturé, l’homme continuera, envers et contre tout, à vivre. » Ainsi se ferme le stoïque Que cent fleurs s’épanouissent de Feng Jicai. Étonnante, en effet, la disproportion entre les brimades subies et la capacité de rebondir. Que le créateur soit détourné de son art, qu’il expie des crimes qu’il ignore, que la femme à la source des injustices s’absolve d’une « distraction », cela a-t-il de l’importance ? Certaines sensibilités rugiront, à quoi bon ? La souffrance a frappé, mais personne n’a voulu faire souffrir. Cela doit-il empêcher les fleurs de s’épanouir ? Message de sagesse ou de démission ? Qui peut en juger ? Implacable.
Feng Jicai, Que cent fleurs s’épanouissent, trad. du chinois par Marie-France Mirbeck et Antoinette Nodot, Gallimard, Paris, 2003, 125 p. ; 12,25 $.
L’autisme, grâce à des gens comme Dustin Hoffman ou Howard Buten, préoccupe notre société. On n’en comprend pas tout, mais la compassion s’articule et les préjugés se fendillent. Aux guides fiables, joignons désormais Mark Haddon. Dans Le bizarre incident du chien pendant la nuit, Christopher, le personnage, affiche les traits classiques de l’autisme, depuis la concentration totale sur chaque fragment de réalité jusqu’à la méfiance à l’égard des contacts humains. Le roman témoigne du désarroi de l’entourage. Comment mériter l’affection d’un enfant qui ne pardonne aucune demi-vérité ? Après un patient effort de recherche, Mark Haddon a su se faire discret et laisser le roman à ses vibrations. À défaut de tout expliquer, l’auteur nous prépare le cœur.
Mark Haddon, Le bizarre incident du chien pendant la nuit, trad. de l’anglais par Odile Demange, Pocket Jeunesse, Paris, 2004, 297 p. ; 24,95 $.
Philip Pullman est un auteur aux talents diversifiés. Après sa trilogie À la croisée des mondes (qui vaut bien Harry Potter), il bifurque vers un genre littéraire nettement plus « terrestre » : les aventures de Sally Lockhart. Dans un premier tome, La malédiction du rubis, Sally reconstitue son passé. Dans le deuxième, Le mystère de l’étoile Polaire, son titre de conseillère en placement dissimule une activité d’investigatrice. Dans les deux cas, l’intrigue est soutenue, les personnages capables de la pire violence ou d’un dévouement exemplaire, les révélations savamment mesurées. Philip Pullman, qui a longtemps vécu loin de son Angleterre natale, parle de son pays avec franchise. La Londres qu’il décrit, celle des années 1880, rappelle celle de Dickens. Son Angleterre, imperturbable, soutient l’empire par l’opium. Un auteur qui comble les jeunes sans les sous-estimer.
Philip Pullman, Sally Lockhart, t. 1, La malédiction du rubis, trad. de l’anglais par Jean Esch, Gallimard, 2003, 362 p., 12,50 $ ; t. 2, Le mystère de l’étoile Polaire, trad. de l’anglais par Jean Esch, Gallimard, 2003, 348 p., 11,50 $.
Dès les premières pages de Chien-de-la-lune, Erik L’Homme et son illustrateur Benjamin Carré annoncent leurs couleurs : nouveau système planétaire et trouvailles techniques aux noms « post-modernes ». Le dépaysement est vite obtenu, mais il doit peut-être trop à cet artifice. Le bouquin, comme il se doit en littérature offerte aux jeunes, insiste sur le « changement de la garde ». Les jeunes ne contestent pas ceux qui les devancent en âge et en autorité, mais les compétences juvéniles sont telles qu’on leur confie la stratégie et l’anticipation. Bien sûr, tout est remis en question dans les dernières pages… Il faudra lire la suite ! Un excellent rythme.
Erik L’Homme et Benjamin Carré, Les maîtres des brisants, t. 1, Chien-de-la-lune, Gallimard, Paris, 2004, 255 p. ; 12,95 $.
À en juger par les deux premiers tomes, Le marchand de peur et La cité perdue de Faar, les aventures de Bobby Pendragon transporteront les jeunes lecteurs aux quatre coins du cosmos. Puisque Bobby Pendragon a reçu les pouvoirs et les tâches d’un Voyageur, il peut glisser d’un univers à l’autre, à condition de les aider tous à combattre le désordre. Phénomène fréquemment observable (et apprécié) en littérature jeunesse, la relève est vite appelée à prendre les commandes. C’est ainsi que Bobby, Loor et Spader sont brutalement coupés de leurs parents et prédécesseurs et composent d’urgence la nouvelle génération de Voyageurs. Grande fresque qui accorde de l’importance aux valeurs et à l’éthique : on ne transporte pas d’armes d’un monde à l’autre, on se méfie de la démesure… Chez l’auteur D.J. Machale, l’exploration du cosmos s’accompagne d’une écoute de la nature humaine. Prometteur.
D. J. Machale, Bobby Pendragon, t. 1, Le marchand de peur, trad. de l’anglais par Thomas Bauduret, Du Rocher, 2003, 351p., 19,95 $ ; t. 2, La cité perdue de Faar, trad. de l’anglais par Thomas Bauduret, Du Rocher, 2004, 347 p., 19,95 $.
Bonne cuvée, surtout pour les plus âgés parmi les jeunes.
Jacques-Ferdinand Verret : Un jeune banlieusard du XIXe siècle
Le titre, à première vue, ne mérite qu’un regard distrait : un autre de ces journaux intimes, un autre de ces petits dépôts de petites confidences, un autre de ces écrits romantiques que l’auteur entoure de secret en le croyant bien à tort objet de toutes les curiosités.
On se tromperait pourtant en passant trop vite. L’intérêt de Mes souvenirs1, en effet, monte d’un cran devant l’ampleur du résultat : plusieurs centaines de pages et une assiduité assez soutenue pendant presque dix ans. Volume . . .
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Peter F. Hamilton : La science-fiction et ses questions
La quantité ne fait pas foi de tout et certains marathons littéraires n’engendrent que lassitude. Chez Peter F. Hamilton, ampleur et effervescence conspirent au lieu de s’opposer, au grand plaisir du lecteur qui souhaiterait que jamais la mille et unième péripétie ne vienne fermer le récit.
Le titre qui coiffe l’immense aventure spatiale de cet auteur évoque d’ailleurs la boucle agréablement circulaire : L’aube de la nuit1, n’est-ce pas l’aveu que jamais la science-fiction n’entre dans le repos . . .
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Portrait de Jean-Christophe Rufin (entrevue)
Dans le monde de plus en plus spécialisé qui est le nôtre, les carrières ouvertes sur des horizons multiples se font rares. On parlait autrefois d’humanisme, on parlera plutôt aujourd’hui de polyvalence.
Or, curieux paradoxe de notre temps, si le terme est à la mode, la vertu qui pourrait, qui devrait le sous-tendre, semble bel et bien se perdre. Et le regard que l’on porte sur le monde, forcément, s’en trouve affecté : linéaire, à sens unique, sans guère de nuance, trop souvent. D’où le plaisir . . .
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Jean-Pierre Girard : Le risque de la déraison (entrevue)
De son propre aveu, Jean Pierre Girard n’a que très peu de certitudes. Quelques-unes cependant traduisent tout à fait sa vision de la littérature : les mots nous précèdent ; le texte appelle son genre ; l’homme est plus petit que l’auteur qui est plus petit que l’œuvre. Et aussi : si vous voulez connaître quelqu’un un tant soit peu, ne lui demandez pas de parler de lui.
Des affirmations qui ont ouvert la voie à un long entretien ch’reux et souvent joyeux où il a été question des ouvrages . . .
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José Acquelin : Le regardeur de troupeaux (entrevue)
« […] il pleut du soleil et la calebasse du monde en est emplie un œil de verre le monde flotte dans le verre de l’univers. »
Tristan Tzara, L’homme approximatif
Exception parmi les exceptions, José Acquelin est l’auteur de recueils de poèmes aussi québécois qu’étrangers, aussi intimes qu’à l’écart du familier. Ses deux plus récents projets, L’inconscient du soleil et Mexiquatrains, perpétuent l’étonnement continu devant le moindre et l’immense.
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Jean-Philippe Arrou-Vignod : Polyvalence élégance et profondeur (entrevue)
La tentation surgit, dès le premier contact avec un auteur, de le loger dans une typologie personnelle. Si le roman est noir, le nom de l’auteur, sur la foi du seul livre lu, évoquera désormais un univers étouffant. Si le livre a fait rire, le reste de l’œuvre, de confiance, suscitera le sourire. Tant pis si Frédéric Dard ne se résume pas à San Antonio, si Camus juxtapose théâtre et philosophie, si le Pascal des Pensées se double d’un redoutable pamphlétaire.
Sans la vigilance . . .
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Quelques poètes polonais de la modernité
Czeslaw Milosz
Les historiens et les critiques de littérature rappellent que la poésie de Czeslaw Milosz (né en 1911), qui a reçu en 1980 le Prix Nobel de littérature, a été marquée par le courant catastrophiste, et que Czeslaw Milosz est un poète classique. L’un et l’autre constats disent assez peu et ne saisissent que superficiellement le sens et la forme de sa poésie. En fait, Czeslaw Milosz n’est classique que dans la mesure où il y a dans sa poésie une persistance des thèmes atemporels . . .Pour lire la suite, veuillez vous abonner. Déjà abonné(e) ? Connexion
Littérature jeunesse : Le marché toujours aux aguets
On l’a dit, les bons sentiments font la mauvaise littérature. Faisons pivoter l’adage d’un quart de tour pour rappeler ceci : la lecture qui oublie de plaire passe à l’univers des outils et des moyens. Elle est guettée par la sécheresse et l’endoctrinement. N’allons pas la censurer, mais distinguons ce qui est plaisir et culture de ce qui s’apparente au redressement des consciences et à la mise en marché de convictions assainies.
Sourires garantis
Certaines maisons d’édition méritent (presque) l’acte de foi : elles offrent si constamment finesse de récit et qualité d’image qu’on s’abandonnerait, de confiance, à leurs propositions. Les 400 coups sont de cette race. Les albums se succèdent sans que cède le raffinement du dessin, sans non plus que l’humour et l’originalité prennent des vacances. Petit héros fait ses premières dents1 en témoigne. Quoi de plus banal qu’un enfant anéanti de purée et qui rêve de mordre sa nourriture comme ses amis le chien et le chat ? François Barcelo et Marc Mongeau en tirent un récit souriant où l’héroïsme du petit homme ose ses premières mordées. Dans Oncle Jules achète une voiture2 de Rémy Simard, les possibilités explosent en bouquets. Le jeune lecteur s’interrogera sur les mérites de chaque véhicule. Le rond a ses avantages, le carré aussi, la futuriste d’autres encore… Quand Oncle Jules rend verdict, son choix comble le jeune lecteur qui attendait impatiemment la décision.
1. François Barcelo et Marc Mongeau, Petit héros fait ses premières dents, Les 400 coups, Montréal, 2003, 32 p. ; 6,95 $.
2. Rémy Simard, Oncle Jules achète une voiture, Les 400 coups, Montréal, 2004, 32 p. ; 6,95 $.
Les 400 coups, c’est donc la littérature dans le plaisir, la fantaisie, l’imagination. Si elle enseigne, c’est selon la pédagogie des paraboles aux libres interprétations. Dans Turlututu rien ne va plus de Sylvie Roberge Blanchet et Pascale Constantin, par exemple, la pensée magique, pendant un moment, stimule les ambitions les plus folles. Loin de se rebiffer devant les demandes, les terribles génies se font accommodants : « Y’a qu’à demander ! » Et on demande ! Jusqu’à ce que… La conclusion réveille la raison, sans que la vilaine culpabilisation occupe tout l’espace.
Sylvie Roberge Blanchet et Pascale Constantin, Turlututu rien ne va plus, Les 400 coups, Montréal, 32 p. ; 8,95 $.
Dans Mes petites fesses, Jacques Godbout (illustrations : Pierre Pratt) note la mystérieuse préférence de certains bébés à naître « postérieur en avant ». Il en déduit, avec une merveilleuse gratuité, que les fesses qui ont occupé l’avant-scène dès le départ ont conquis le droit de bousculer tous les environnements auxquels elles touchent. Illogique, contestable et donc vrai.
Jacques Godbout et Pierre Pratt, Mes petites fesses, Les 400 coups, Montréal, 2003, 32 p. ; 9,95 $.
La liste des albums séduisants et substantiels ne s’arrête pas là. Deux titres d’Albin Michel méritent eux aussi des éloges en raison de la générosité et de l’élégance du dessin, mais aussi de la beauté et l’envol du récit. La petite poule noire d’Antony Pogorelskij et de Gennadij Spirin emprunte comme décor l’ample démesure de Saint-Pétersbourg et y situe l’apprentissage d’Alioscha, garçon de cœur et de mémoire vacillante. Il sauve de la mort une poule aux pouvoirs magiques et obtient le droit à un vœu. Le don est cependant assorti de contraintes qu’Alioscha a tôt fait d’enfreindre. N’importe quel enfant affirmera qu’Alioscha a droit à une deuxième, voire à une troisième chance ; il a raison.
Antony Pogorelskij et Gennadij Spirin, La petite poule noire, trad. de l’allemand par Michelle Nikly, Albin Michel, Paris, 2003, 28 p. ; 24,95 $.
On appréciera autant Le jardin des quatre saisons de Michelle Nikly même si la lumière et la clarté presque tranchante du dessin créent un tout autre univers. Une fois encore, la magie récompense le geste compatissant. L’Orient présente ses saisons et l’exubérance élégante de ses vêtements. Quant aux humains, ils se partagent en bons et en antipathiques, avec la conclusion qu’on peut prévoir.
Michelle Nikly, Le jardin des quatre saisons, Albin Michel, Paris, 2003, 30 p. ; 19,95 $.
Avec Robert Munsch et Michal Martchenko, la rigolade prend le dessus. Aucun enfant ne blâmera Tina de porter indéfiniment ses chaussettes neuves. Il n’est pas dit, cependant, que l’entourage se laissera asphyxier par les effluves que produit cet attachement. Même les plus belles chaussettes méritent parfois un congé et… un lavage. Comme Robert Munsch le prouve dans Tes chaussettes sentent la mouffette !, la leçon porte davantage si tous peuvent en rire, y compris celle qui la reçoit.
Robert Munsch et Michal Martchenko, Tes chaussettes sentent la mouffette !, trad. de l’anglais par Christiane Duchesne, Scholastic, Markham, 2004, 28 p. ; 7,99 $.
La princesse Pénélope de Todd Mack et Julia Gran aborde un thème délicat. Parents et grands-parents n’ont qu’eux à blâmer si la fillette qu’ils traitent de princesse se persuade de son statut princier. La princesse dépassera-t-elle les bornes ? L’album manœuvre à travers les risques. Pénélope est comblée, mais elle sait son bonheur. Un très bref instant, on la verra de dos, recroquevillée sur une chaise et face au mur : la princesse a exagéré. Texte et illustrations fantaisistes, dosage intelligent.
Todd Mack et Julia Gran, La princesse Pénélope, trad. de l’anglais par Cécile Gagnon, Scholastic, Markham, 2003, 32p. ; 8,98 $.
Que le petit chaperon rouge de la tradition ait un petit frère (Il était une fois le petit frère du chaperon rouge ; Marc Tremblay & Fil & Julie) et que le loup du conte se réincarne en une minuscule silhouette, sans doute fallait-il s’y attendre. L’idée n’est pas mauvaise, en effet, de rafraîchir les contes classiques laissés par Andersen, Perreault ou les frères Grimm et de faire pivoter vers des décors modernes les textes chers aux générations précédentes. À condition, toutefois, de ne pas vider les histoires d’ours et de géants de leur charge explosive. Bruno Bettelheim a montré, en effet, que la peur fait partie de l’univers des enfants ; il faut l’apprivoiser, non l’abolir. La coexistence des deux types de récits paraît souhaitable, pas l’édulcoration des classiques.
Marc Tremblay & Fil & Julie, Il était une fois le petit frère du chaperon rouge, La courte échelle, Montréal, 2004, 24 p. ; 7,95 $.
En provenance d’un éditeur dont j’ignore tout, voici une série sympathiquement baptisée Les contes d’Émile et une nuit. Émile a une nouvelle voisine d’Anne-France Charbonneau et d’Éric Bertrand manifeste plusieurs ambitions qui ne sont pas toutes comblées dès ce premier essai. Le dessin est rudimentaire, magie et quotidien dialoguent péniblement. Laissons le temps au temps, la stylisation viendra à son heure.
Annie-France Charbonneau et Éric Bertrand, Émile a une nouvelle voisine, Sedes, Paris, 2004, 16 p. ; 7,95 $.
Des éditeurs en mouvement
Pendant que Les 400 coups consolident leur marque, d’autres maisons d’édition osent des explorations. C’est le cas, par exemple, de Vents d’Ouest et de La courte échelle.
L’éditeur de Gatineau était déjà sensible aux tumultes et aux découvertes de l’adolescence. On y évite de toujours la « littérature thérapeutique ». Les romans sont peuplés d’adolescentes et d’adolescents, non d’enjeux sociologiques. Dans Sauve-moi de Nadya Larouche, c’est une Catherine de chair et de sang qui craque devant le suicide de son frère. Elle s’isole, s’enfonce dans sa peine, rejette la survie. Jusqu’à ce qu’une autre vie, menacée et incomprise, réveille en elle la capacité de sortir de soi. Très beau parallèle entre deux fragilités qui parviennent à se redonner la liberté et la confiance.
Nadya Larouche, Sauve-moi, Vents d’Ouest, Gatineau, 2004, 130 p. ; 9,95 $.
Beau et juste titre que celui-là : Coup de foudre et autres intempéries. Quand s’accélère le passage à la maturité, l’amour est certes le déclencheur, mais d’autres secousses surviennent en même temps. On rêve du copain, mais aussi de la voiture, de l’appartement à soi et, autant le dire, de la résistance ouverte aux intrusions des adultes. Les « autres intempéries » accordent la préséance à la foudre, mais elles ajoutent leur climat. Josée Pelletier sait raconter la naissante maturité.
Josée Pelletier, Coup de foudre et autres intempéries, Vents d’Ouest, Gatineau, 2004, 148 p. ; 9,95 $.
Le vedettariat fait partie de l’imaginaire des jeunes. Être célèbre est un besoin ; approcher les célébrités aussi. Le pendule, dès lors, s’en donne à cœur joie. Maxime, qui se résignait mal à l’anonymat, bondit de joie si, soudain, une vedette lui ouvre le cercle des privilégiés. Mais Maxime replonge dans la dépression si, brusquement, les réflecteurs du vedettariat s’éloignent de lui. Ma voisine est une vedette de Maryse Dubuc sonne infiniment juste. Ceux et celles qui s’interrogent sur le culte des vedettes instantanées verront en Maxime un adolescent tour à tour réconforté et échaudé par cette cruelle mise en marché.
Maryse Dubuc, Ma voisine est une vedette, Vents d’Ouest, Gatineau, 2004, 195 p. ; 10,95 $.
Dans L’enfant du lac Miroir, Louis Gosselin oppose deux mondes : père contre fils, tolérance contre racisme, sports contre musique. Le drame s’enracine dans un passé dont Jeff ignore tout et que le père tient à garder enseveli. La génération adulte devrait, en théorie, provoquer la réconciliation. En réalité, c’est l’attachement de Jeff à ses valeurs personnelles qui suscite le rapprochement.
Louis Gosselin, L’enfant du lac Miroir, Vents d’Ouest, Gatineau, 2004, 149 p. ; 9,95 $.
À La courte échelle, certains romans s’en tiennent à la présentation désormais familière et mettent à contribution des plumes auxquelles les jeunes auditoires se sont attachés ; d’autres adoptent un autre graphisme et un ton différent.
Laid et imprévisible, le Not-Dog de Sylvie Desrosiers (illustrations : Daniel Sylvestre) trouve de récit en récit une nouvelle façon de se mettre les pattes dans les plats, tout en aidant (?) à l’enquête. Son éthique de chien ne l’empêche pas d’accepter des biscuits d’une main douteuse, mais qui a dit qu’un chien déteste les fantômes ? Illogique et frais, fantaisiste et aventureux, Aimez-vous la musique ? confirme l’aptitude de l’auteure à renouveler le familier.
Sylvie Desrosiers et Daniel Sylvestre, Aimez-vous la musique ?, La courte échelle, Montréal, 2004, 95 p. ; 8,95 $.
Chez Jean Lemieux, élégance et profondeur cheminent main dans la main. Dans Le fil de la vie (illustrations : Sophie Casson), il suffit qu’un adulte dise devant un enfant troublé par la mort que « la vie ne tient qu’à un fil » pour que l’expression recouvre son sens littéral. Et l’âme, pour qui écoute bien, vibre dans le chagrin autant que dans un violon sympathique. Au lendemain du deuil, après l’apaisement apporté par le rêve, les petits bonheurs sèchent les larmes. Superbe et émouvante tranche de vie. Nouveau contact avec un écrivain doué. Qu’il se soit sincèrement penché sur les enfants et leurs douleurs n’est qu’un mérite de plus.
Jean Lemieux et Sophie Casson, Le fil de la vie, La courte échelle, Montréal, 2004, 64 p. ; 7,95 $.
Deux titres récents témoignent de la volonté de La courte échelle de suivre les jeunes lecteurs d’hier dans leur passage en sol adulte. Le nouveau graphisme séduit d’emblée, mais les textes cherchent encore leur tonalité. Le visage masqué de Joceline Sanschagrin et Pierre Brignaud ne manque pourtant pas de qualités. L’informatique et ses codes sont au poste. Les jeunes, et les jeunes seulement, sont troublés par les messages du mystérieux Visage masqué. La réplique s’organise autour d’un tandem qui comprend, ô scandale, un rebelle allergique à toutes les flicailles du monde et une jeune shérif au gabarit impressionnant. Le récit s’interrompra avant que le duo raconte ce qu’il a trouvé, preuve que nous attendent de nouvelles péripéties. Ce premier épisode manque de substance, mais peut-être visait-il à tester l’auditoire.
Joceline Sanschagrin et Pierre Brignaud, Le visage masqué, La courte échelle, Montréal, 2004, 157 p. ; 9,95 $.
L’île d’Aurélie de Véronique Drouin manifeste souffle et originalité. Près de 300 pages pour raconter une douzaine d’heures, cela tient de la performance. Aux prises avec une ombre aux contours imprécis, Aurélie est seule à percevoir ce qui l’affole. Sa mère, l’école, les spécialistes offrent leur secours, mais vainement. Elle acceptera enfin l’aide d’un sage oriental : une lanterne chinoise accrochée près de son lit facilitera, lui promet-on, l’interprétation de ses cauchemars. Aurélie, ainsi protégée, s’embarquera dans une quête où interviendront un ange un peu gavroche, un crapaud de bonne compagnie et nombre de compagnons en provenance de mondes lointains. Beau périple combinant la science-fiction et menant à l’autonomie.
Véronique Drouin, L’île d’Aurélie, La courte échelle, Montréal, 2004, 288 p. ; 13,95 $.
Escale sur Syros
Mieux que dans la cuvée précédente, l’éditeur Syros équilibre le dépaysement et l’argot impénétrable. Le décor demeure celui d’une banlieue française, mais la langue n’est plus le code réservé aux seuls initiés. Embrouille à minuit de Malika Ferdjoukh raconte sur un rythme trépidant le mystère qui emporte le jeune Jésus bien malgré lui. L’adolescent ne parvient ni à deviner le contenu de la boîte qu’un inconnu lui confie ni à échapper à sa responsabilité dangereuse. L’intrigue passera par d’agréables rencontres qui feront oublier les inquiétudes. Bien construit.
Malika Ferdjoukh, Embrouille à minuit, Syros, Paris, 2004, 96 p. ; 14,95 $.
En plus de raconter trois aventures prenantes ou drôles, Sacré Mehdi ! de Jean-Hugues Oppel pourfend le racisme. Comment ne pas admettre que, pour les « Blancs », tous les Arabes se ressemblent ? Le père arabe à la recherche de son fils s’aperçoit, en tout cas, qu’on a vu son fils sans jamais le voir. L’enquête s’en trouve paralysée. Quand le racisme s’inverse et que Mehdi s’emporte contre le rival noir qui séduit la blonde Barbara, c’est à son tour de recevoir la gifle et la leçon. Drôle et formateur.
Jean-Hugues Oppel, Sacré Mehdi !, Syros, Paris, 2004, 96 p. ; 8,95 $.
Peurs et chagrins
C’est un thème privilégié par la littérature destinée aux jeunes que la crainte de se voir abandonné. Dans Un espion dans la maison d’Andrée-Anne Gratton et de Leanne Franson, Frédo, aussi inquiet qu’indiscret, écoute les conversations de ses parents et se persuade qu’on s’apprête à l’expédier il ne sait où. Mais comment interroger quand on ne peut expliquer d’où a surgi le frisson ? Heureusement, l’intuition parentale n’est pas un mythe.
Andrée-Anne Gratton et Leanne Franson, Un espion dans la maison, Pierre Tisseyre, Saint-Laurent, 2004, 80 p. ; 7,95 $.
Les grands-mères, et Le gâteau gobe-chagrin de Maryse Dubuc et Marc Delafontaine le prouve, transmettent les messages sans braquer les susceptibilités. Quand Maryline rage de voir ses parents s’éloigner pour un voyage d’amoureux, la grand-mère initie la fillette aux vertus d’un gâteau bien spécial. Si, plus tard, la grand-mère transmet la recette, c’est Maryline qui recevra le secret. Maryline, discrète et généreuse, utilisera la recette pour consoler un petit cousin.
Maryse Dubuc et Marc Delafontaine, Le gâteau gobe-chagrin, Pierre Tisseyre, Saint-Laurent, 2004, 72 p. ; 7,95 $.
À même l’histoire
À puiser dans le passé, on provoque l’étonnement, la compassion, ou encore une juste colère.
Hervé Gagnon, tard venu à la littérature destinée aux jeunes, ressuscite l’étrange époque où l’on punissait avec sévérité les femmes soupçonnées de sorcellerie dans Fils de sorcière. L’auteur construit à la fois un roman émouvant et une véritable intrigue policière. Jusqu’à la fin, on sympathisera avec le jeune François qui n’admet pas que sa mère puisse être une sorcière. Beaucoup de fers au feu en même temps, mais Hervé Gagnon les maîtrise tous.
Hervé Gagnon, Fils de sorcière, Hurtubise HMH, Montréal, 2004, 168 p. ; 9,95 $.
Malgré l’astuce de l’échange linguistique pour expliquer la présence de son héros dans la ville sainte de Bénarès, Camille Bouchard ne parvient pas à rendre pleinement crédible l’ensemble de son récit. C’est dommage, car l’information surabonde et on pleure avec lui sur le sort de la jeune intouchable Ravinya. Peut-être les enfants, capables de l’émerveillement souhaitable, sauront-ils, mieux que moi, ignorer les manques de vraisemblance pour s’attacher seulement aux révélations de L’Intouchable aux yeux verts.
Camille Bouchard, L’Intouchable aux yeux verts, Hurtubise HMH, Montréal, 2004, 181 p. ; 12,50 $.
Toujours méticuleuse et fiable dans sa recherche, Sonia K. Laflamme recrée dans Le chant des cloches l’atmosphère, intrigues comprises, qui devait régner dans la Flandre du jeune XIXe siècle. L’art du carillonneur y était apprécié, ce qui rendait le poste désirable. D’où, chez certains, l’intrigue, l’intimidation, la tricherie. La reconstitution est convaincante et l’intrigue fait durer jusqu’à la fin l’incertitude souhaitable. Beau travail.
Sonia K. Laflamme, Le chant des cloches, Pierre Tisseyre, Saint-Laurent, 2004, 136 p. ; 8,95 $.
Du délirant et du fantastique
Dignes reflets des dons de son éditeur, plusieurs titres de Soulières éditeur emportent le lecteur hors du banal et même du vraisemblable. Pour le plus grand plaisir des jeunes et de ceux qui trichent en épiant leurs lectures, Robert Soulières donne l’exemple dans L’épingle de la reine. Ses calembours surgissent à chaque paragraphe, son cheval devient, grâce à un maquignon quelque peu prophète, un bolide à évaluer comme une voiture, les plus fieffés menteurs se découvrent d’invraisemblables franchises. Chez Robert Soulières, le plaisir déborde sur tous les fronts : la photo de la Joconde s’intègre au sport, les chefs-d’œuvre de la peinture rigolent de façon irrespectueuse et l’auteur se comble de compliments. Reposant.
Robert Soulières, L’épingle de la reine, Soulières, Saint-Lambert, 2004, 140 p. ; 8,95 $.
Aussi publié par Soulières éditeur, Un livre sans histoire de Jocelyn Boisvert pratique la même déstabilisation, mais sans rechercher l’effervescence. L’intrigue imite la poupée gigogne : le livre parle du livre qui parle du livre… L’histoire dispense le livre de raconter autre chose que sa propre aventure. Quelqu’un a acheté un exemplaire qu’il a fait autographier par l’auteur, mais ce quelqu’un est victime de distraction et le livre cherche d’autres yeux. Livre tout en clins d’œil et qui mystifiera jusqu’à la fin.
Jocelyn Boisvert, Un livre sans histoire, Soulières, Saint-Lambert, 2004, 135 p. ; 8,95 $.
L’univers secret de Willie Flibot trouve sa place dans la littérature que l’on qualifierait d’initiatique. Un seuil doit être franchi entre le familier et le possible. L’enfance hésite entre la sécurité et l’aventure, mais les parents, pourtant conscients des limites du cocon, repoussent l’heure de la rupture. Le métier très sûr de Francine Allard lui permet d’inventer, dans la foulée des grands textes de Lewis Carroll, des univers où les notions de départ et de passage sont tour à tour valorisées ou redoutées. À l’enfant de choisir son dosage personnel entre l’univers ouaté qui l’apaise et les découvertes qu’il est le seul à pouvoir réussir. Belle et riche parabole.
Francine Allard, L’univers secret de Willie Flibot, Hurtubise HMH, Montréal, 2004, 213 p. ; 14,95 $.
Dans Maître du jeu d’Aline Apostolska, l’heure n’est pas aux approximations feutrées. La mort, le sang, le travesti, la haine de soi et des autres, les formes les plus insidieuses du vœu suicidaire, le viol, autant de thèmes que l’auteure traite avec franchise, audace et intelligence. Le théâtre offre ses miroirs, mais il ne dissimule pas les enjeux. À ce point que les jeunes acteurs renoncent à certains rituels parce qu’ils en saisissent trop bien le sens. Les jeunes auront vite la certitude qu’on ne les sous-estime pas : ils vivent les drames dont ce théâtre est lourd. La langue, précise et élégante (à uneopportunité près) est au diapason d’un jeu qui stylise la vie au lieu de l’imiter mollement. Chapeau.
Aline Apostolska, Maître du jeu, Québec Amérique, Montréal, 2004, 193 p. ; 9,95 $.
Des raisons de rester songeur
À tort ou à raison, Le jardin de Catherine me semble appartenir au monde de la catéchèse ou du plaidoyer religieux plus qu’à celui de la littérature. Certes, l’osmose demeure possible, pourvu cependant que ne s’étiole pas le plaisir de la lecture et que jamais la littérature ne soit mise au service d’une cause, si noble soit-elle. Rolland Poulin ne me paraît pas satisfaire à ces exigences. On appréciera une apparente tolérance : les religions ne sont pas étagées sommairement en bonnes et en douteuses. Les hiérarchies refont cependant surface quand la foi en Jésus devient le troisième et ultime degré de conscience ou quand la popularité décroissante du mariage prouve de façon concluante le « désengagement des couples ». À la relecture, on constate, avec un malaise croissant, que la littérature a cédé le pas à un effort pastoral légitime, mais ni littéraire ni exempt de jugements de valeurs discutables.
Rolland Poulin, Le jardin de Catherine, Médiaspaul, Montréal, 2003, 294 p. ; 12,95 $.
Un dernier mot sur un travers auquel succombent plusieurs maisons d’édition, surtout parmi les plus jeunes. Pourquoi tant insister dans les premières pages pour multiplier les dédicaces, la présentation longuette des auteurs, etc. ? Pourquoi ne pas reporter ce fatras aux dernières pages ? Pourquoi ne pas laisser les jeunes entrer en contact immédiat avec l’histoire et les illustrations ? Seuls les adultes tiennent à savoir si l’auteur a un doctorat en pédagogie et ce n’est pas à eux que ces livres s’adressent.
Edward Stachura : L’homme-qui-n’est-personne
Comment présenter Edward Stachura, poète romancier polonais dont le journal pathétique est à ce jour l’unique texte traduit en français ?
Dans la préface à Me résigner au monde (Solin, 1991 ; traduction de Laurence Dyèvre), Christophe Rutkowski fait œuvre de référence. Il esquisse d’un trait net le profil trouble d’Edward Stachura. La vie de l’écrivain s’essouffle en une errance émouvante qui le poussera aux limites de la littérature. Tourmenté par des voix mystérieuses, il connaîtra l’ab . . .Pour lire la suite, veuillez vous abonner. Déjà abonné(e) ? Connexion
Witold Gombrowicz : Moi et mon double (nouvelle inédite)
Dulcinée des premiers jours, je suis à toi de nouveau ! Chacun connaît sans doute cet état d’esprit qu’on éprouve au réveil, quand, dans son sommeil, on a rêvé de la jeunesse. Vous vous frottez les yeux, bouleversé jusqu’aux fond des entrailles, révolutionné de haut en bas, vous vous souvenez de votre toute première dulcinée et la nostalgie d’on ne sait quoi vous déchire en lambeaux. Quelque chose vous pousse, et pourtant vous ne bougez pas de votre place, la vie répand en vous son flot tempétueux, bat . . .
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Tadeusz Konwicki : L’incurable mémoire du pays déchu
Avec sa veste gris vert, fétiche paramilitaire des anciens dissidents, l’œil morne, désabusé, il fait penser à un de ces « robineux » de Jacques Ferron, personnages bizarres pourvus d’une mémoire des origines et d’une conscience sacrale des « échanges » entre l’ancien et le nouveau.
Oui, sur la scène littéraire polonaise, Tadeusz Konwicki apparaît à coup sûr comme le dernier de la race des conteurs. De ces bardes au vécu de maquisard, de ces littérateurs à la mémoire chercheuse qui, pour assumer le « nouveau », l’irréalité et le chaos . . .
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Pologne : Mémoire, mémoires et passions
Peut-être parce qu’elle a rarement pu tabler sur des frontières stables et définies, peut-être aussi parce qu’elle lorgne tous les horizons de l’Atlantique à l’Oural, la Pologne ressemble à Protée, ce dieu aux capacités d’incarnation illimitées.
Ne nous surprenons donc pas si, qu’il se porte sur le présent ou le passé, le regard polonais enrobe d’ambiguïté même les souvenirs les plus nets. Les retours de la mémoire1 de Hanna Krall n’ont d’ailleurs que faire de la clart . . .
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Stefan Chwin : Au commencement n’était pas le verbe
La fin du communisme a fourni aux peuples de l’Europe centrale-orientale un grand thème de réflexion qui leur tombe dans les mains comme un fruit mûr. Cependant, le communisme, vu comme thème-trophée, ne séduit pas autant les artistes, qui opposent une certaine résistance à en faire de nouveau un thème-tâche.
La littérature est encore en vacances après les épreuves finales qui la libérèrent de la terrible expérience communiste. On sait pourtant qu’on ne peut pas laisser de côté ce . . .
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Le réalisme moral de Gustaw Herling-Grudzinski
Aux yeux des spécialistes des camps, Gustaw Herling est avec Varlam Chalamov, Soljénitsyne, Tadeusz Borowski et Elie Wiesel l’un des plus importants chroniqueurs de l’innommable.
Historiographe de l’horreur absolue, il se distingue néanmoins de ses collègues en ce qu’il ne considère pas les productions infernales de l’humanité comme des « erreurs » de parcours dans la grandiose histoire de la Raison, mais bien comme des possibles qui se sont présentés à l’homme et qu’il a très consciemment choisi de réaliser. Et quoi qu’Adorno ait . . .
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Czeslaw Milosz : Fracture identitaire et esclavage de la conscience
Maintenant que la guerre froide est finie, la littérature dite d’Europe de l’Est pénètre le monde occidental plus facilement. On constate surtout une tendance à parler des littératures polonaise, tchèque, slovaque, ou autres sans avoir recours à la catégorie, mal définie, de « littérature d’Europe de l’Est ».
Ce changement est lié à l’abandon de l’approche politique de la lecture cantonnée à une littérature contestataire. C’est pourquoi il est important d’évoquer dans ce numéro spécial sur la Pologne, un ouvrage fondamental sur l’identit . . .
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Attachante et irritante Pologne
Défi que de rendre compte de la Pologne. La Pologne ne se laisse pas saisir facilement. On ne peut non plus se borner à la décrire quand on y a vécu, car la Pologne est un état d’esprit bouleversant que tout laisse voir mais qui ne transpire pas, qui s’exprime difficilement.
Le 5 septembre 1992 j’attendais à la Gare du Nord avec ma famille le train qui allait nous mener en Pologne. Quand il arriva, j’eus l’impression qu’un immense étron débouchait des entrailles de la terre. Alors que nous montions à bord un cheminot français regardant dans notre direction laissa échapper un sous rire qui me laissa perplexe. Était-ce comme un écho de ce qui m’attendait là-bas ? Nous partîmes donc vers le Nord, vers cette Allemagne nouvelle qui avait tant à dire de sa voisine meurtrie. Il était 20 h 00. Nous nous rendîmes à peine compte de notre traversée de la Belgique. À la fin de la soirée, nous arrêtions à Köln. Je sortis du compartiment et ouvris la fenêtre. L’Allemagne, nous allions la parcourir de nuit.
Notre train se dirigeait sur Moscou et avait à son bord des gens de toutes les nationalités. Le Polonais qui servait d’accompagnateur était un gaillard d’un mètre 85 qui ne parlait que polonais et russe. Nous nous sentions déjà presque arrivés à destination.
Nous nous installâmes sur nos couchettes, ma femme Sylvie, mon fils de quatre ans et moi. Dans quelle galère étions-nous embarqués ?
Le lourd étron repartit dans un vacarme terrifiant. Les réverbères de la gare de Köln jetaient une lumière diffuse, étouffée par le brouillard et la nuit. Cette nuit-là, je ne dormis pas. L’accompagnateur passa de compartiment en compartiment, prenant les passeports. Un sentiment de mise à nu et de vulnérabilité nous étreignit. Je m’employai à lui faire comprendre que nous devions descendre à Poznan plutôt qu’à Zielona Gora et qu’il fallait émettre pour nous un billet supplémentaire. Il repartit et j’eus l’impression qu’il m’avait compris.
La nuit fut ponctuée d’arrêts fréquents et rythmée par les voix des contrôleurs allemands, criardes et menaçantes. Nous suivions, de nuit, un trajet souvent emprunté par les trains de la mort, et cette polyphonie incompréhensible me renvoyait à un passé que j’imaginais, à des images et à des sensations glaciales. Il faisait froid. Nous passâmes par Postdam et entrevîmes, au-dessus des ombres pointues de la forêt, la lueur de Berlin, comme d’un mirador toujours habité.
Au petit matin, nous passions la frontière germanopolonaise. On se rapprochait. Des contrôleurs allemands surgirent dans le wagon et allumèrent ; nous bondîmes très brusquement de notre torpeur ; mon fils, que la lumière aveuglait, se dissimula sous les couvertures. Voyant nos papiers, notre nationalité, le contrôleur allemand marqua un léger étonnement et me servit, en me remettant les passeports un sourire moqueur qui me rappela celui qui avait salué notre départ Gare du Nord. Vinrent ensuite les douaniers polonais dont je ne compris pas le charabia, mais on ne vérifia pas nos bagages. Leur succéda un contrôleur polonais des chemins de fer qui demanda à voir nos billets. Je lui suggérai de parler à l’accompagnateur en espérant que ce dernier lui expliquerait qu’il nous fallait un billet de plus. L’accompagnateur revint et me demanda de l’argent. Comme je n’avais forcément pas de zlote, je lui donnai cent francs. Il partit avec un visage rassurant. Tout semblait dans l’ordre jusqu’à ce que revienne le contrôleur polonais qui vérifia nos billets et déclare qu’ils n’étaient pas en règle. Il partit et revint avec l’accompagnateur qui me demanda de nouveau de l’argent. Je remis au contrôleur cinquante marks. Ils repartirent sans émettre de nouveaux billets. Je ne les revis plus, mon fric non plus. Nous étions en Pologne.
La forêt de l’Ouest de la Pologne est d’une verdeur rassurante sous le ciel bleu sainte-vierge du matin. Nous avancions lentement et lourdement dans cette chapelle rayonnante avec le sentiment d’approcher enfin du but. Le train s’arrêta à Rzepin ; des cheminots polonais crasseux libérèrent quelques wagons qui allaient se diriger vers Cracovie ; nous continuâmes vers la Grande Pologne, et bientôt nous étions à Poznan.
L’accompagnateur arnaqueur eut la gentillesse de nous aider à descendre nosbagages placés sur de petits porte-bagages sur roues. Toutes les gares polonaises se ressemblent. Froides. Du ciment. Des crissements de fer. La foule des passagers. Des escaliers qui s’enfoncent dans la terre vers des tunnels glacials. Il faisait pourtant un temps magnifique. Quand nous débouchâmes dans le hall qui donnait sur la rue, j’allai au bureau de change chercher quelques milliers de zlote. Les poches pleines, nous arrivâmes dans la rue. Nous étions en Pologne. Quand on y est, on y est bien, comme l’écrivait Céline. Pas de doute possible.
Gris. Gris. Gris. L’odeur de la guerre était toujours présente. Des maisons en ruine habitées. Des voitures bonnes pour la casse qui éructaient des grondements de ferraille et qui claquaient sur les rails des tramways numérotés, Marlborisés et bourrés de visages désespérés, comme des chambres à gaz mobiles. Nous avions réservé dans le seul hôtel où nous avions pu faire parvenir un fax du Canada. Le plus cher de Poznan, le Mercury. Nous y courûmes comme des lièvres apeurés.
La chambre était magnifique. Deux immenses salles de bain. La télévision câblée, des lits moelleux et une vue magnifique… sur la désolation, le délabrement.
La Pologne nous apparut de notre observatoire, de notre salle de visionnement, d’une saleté de nature. Le film allait durer deux années.
Trois mois plus tard, nous prenions le train de nuit pour Berlin. Nous étions alors bien installés à Zielona Gora, dans un deux pièces de dix mètres carrés, avec toutes les commodités polonaises. La gare de Zielona Gora a une architecture des années 60, à géométrie variable, de l’extérieur. L’intérieur tient plutôt de la grange compartimentée. Le but de notre voyage était privé, mais tout le monde en connaissait les coordonnées sans que nous y ayons même fait allusion.
Berlin, la bicéphale, fut un rafraîchissement de quelques jours. Nous retrouvâmes au KaDeWe un centre commercial avec de vrais vêtements, du vin, de la bière sans arrière goût, du fromage, des jouets de qualité…. Mais l’étron nous attendait à la Gare, à l’est de la ville, là où les plus beaux musées du mondes’enfoncent dans les décombres du communisme. Nous n’avions pas rêvé, l’élastique allait nous ramener dans la noirceur, en Pologne.
Une fois qu’on y est, on y est bien
L’état des lieux est simple à faire. Les murs déjà gris des maisons et des cours, les toits en tuile et les Polonais eux-mêmes sont assombris par les fumées de charbon qui n’épargnent rien ni personne. Il y a peu de temps, les habitants de ce pays déambulaient dans des vêtements uniformes, comme une masse méconnaissable, sans identité. À l’heure d’aujourd’hui, quelques taches de couleur viennent parsemer ce décor de catacombes. Quelques voitures retapées ou reconstruites de A à Z à partir de pièces envoyées parfois séparément par un copain d’Occident, parcourent les routes avec une surprenante arrogance. Des BMW circulent à côté de petites Fiat en ruine et des Lada.
Entre l’Allemagne qui fait peur quand elle ne fait pas mal et la Russie détestée, mais puissante, la Polognebordée au Nord par la Baltique et au Sud par la région des Sudètes (République Tchèque) et les Tatras (Slovaquie), est un creuset de souffrance pour une population qui garde la tête haute. La dignité polonaise, sous la lourde chape psychologique qui l’a entravée depuis toujours relève la tête et rappelle qu’elle a une descendance. Mais quel destin ! Quelle descente aux enfers ! Les mentalités – on ne le répétera jamais assez – n’évoluent pas au même rythme que les changements historiques. Le mur de Berlin n’est plus, mais la Pologne n’est pas la riche Allemagne et son passé est toujours prégnant.
La Pologne est un pays homogène, sans relief, à religion unique et dont la langue ne sait parler qu’aux Polonais. Impénétrable langue pour qui en entreprend l’apprentissage. Presque un anachronisme, puisqu’on ne parle polonais qu’en Pologne et qu’aux Polonais. Il y a une telle homomorphie entre la langue et la culture qu’il n’est pas étonnant qu’un étranger sente immédiatement l’absence d’ouverture. On parle polonais comme on chuchote, pour ne pas être entendu et compris par les autres. Parler polonais est un refuge contre l’envahisseur. Et paradoxalement cette langue du chuchotement, du murmure, porte en elle un geste, un effleurement, comme un frisson sur la peau.
La Pologne est comme une scène de théâtre. Rien ou presque de ce que l’on voit n’est authentique. Tous les édifices d’hier ont été reconstruits. Châteaux, musées, centres-villes, boutiques… Réalité cachée qui murmure du bout de la nuit, fantôme d’un monde qui résiste au-delà de la vie sensible, agonie éternelle, Cette duplicité est la clef qui ouvre la porte à la planète polonaise. Une intériorité que l’on découvre lentement, épaisse et profonde, un univers qui échappe quelque part au système solaire. On n’y pénètre jamais très loin et jamais très longtemps, la porte entrebâillée se referme, automatisme inévitable de survie et de préservation. Derrière cette porte et ces murs sans fenêtre bat un cœur et se déploie un esprit lucide, trop lucide peut-être, mû par une fatalité inéluctable. Dehors, il fait froid.
Irritante et attachante Pologne, je t’ai connue « le temps d’une nuit ». Je t’ai aimée et je t’ai détestée. Finalement, je n’ai pas voulu de toi, pas maintenant. Ce sera une longue histoire, une histoire sans fin, mais je te reverrai. Me reconnaîtras-tu ? Sans doute non. Peu importe. Moi, je te connais.
Un jour, tu m’as invité chez toi. Une seule fois. À dîner. Tu m’as ouvert. Je t’ai admirée dans ta caverne, dans ta grotte, troglodyte charmant, entouré de tant de livres, de tant de livres… Je ne savais pas que tu lisais autant entre tes promenades en forêt et le monde. Enterrés sous des tonnes de pages, nous avons bu de la vodka froide, glacée, et nous avons ri, parlé, trinqué au grand pays qu’est la Pologne souterraine. Nous avons mangé tes mets, si bien apprêtés. Nous avons chanté. Mais nous n’avons pas pleuré. Je t’ai ensuite quittée et quand je me suis retourné, je n’ai vu par la vitre arrière de la voiture qu’un bloc de ciment au milieu d’un champ.
Quand te reverrai-je ? Quand me reviendras-tu ? Que le Brésil me semble loin de toi. Ici, le dedans est dehors et le dehors est dedans. Je pense souvent à toi, à ta Cracovie, à ta Jagellon, à Varsovie, la tonitruante truande, au marché de Zielona Gora, et à tous ceux que tu as tant fait chier. Au vitrier qui, pour être sûr de se couper, remplaçait les vitres cassés mains nues. Au concierge, qui notait tous les appels que je faisais. Aux étrangers qui n’en finissent pas de te coller au cul. Aux processions religieuses et au Jésus. Au vendeur de viande qui n’était pas foutu de laver son tablier dégoûtant de sang noirci. Au supermaché aux tablettes garnies des mêmes osties de fazola. À la garderie et aux visages blafards qui émergeaient dans l’embrasure des portes. À Miescia et à l’indomptable Jacek. Oui, je pense parfois à ce Noël passé dans les Sudètes, à l’hôtel, en compagnie de Polonais qui n’avaient que faire d’être là un jour pareil. Aux réunions avec les copains canadiens pendant lesquels on se moquait de toi, pauvre Pologne! Quand te reverrai-je ?
Tu te souviens de ces deux jeunes Polonaises qui venaient chez moi apprendre le français et m’enseigner le polonais. Quelle fraîcheur dans cette désolation ! Et des cortèges qui surgissaient à la maison de façon impromptue pour venir marquer l’anniversaire de l’un et de l’autre. Je ne te téléphonerai pas. Tu n’as jamais le téléphone. Et je n’attendrai pas que tu l’aies…
Je ne te reverrai jamais telle que tu étais.
Quand je vois au Brésil tous ces chiens errants qui vont et viennent, et dorment dans la nuit froide et venteuse sur des tas de déchets, je pense à toi, à tes chiens difformes, monstrueux, dont les pattes si courtes supportent si mal des corps de bergers-allemands.
Que deviendras-tu ?
J’ai quitté le territoire polonais le 5 juillet 1994 pour la France avec un groupe de Polonais qui venaient visiter le Pays mythique. Comme pour déjouer le sort, je suis reparti avec une partie de toi. Un voyage interminable en bus via l’Allemagne. Vingt heures, je ne sais plus, de nuit. Nous sommes arrivés à l’hôtel Formule 1, le moins cher de tous, en avance. Comme les chambres n’étaient pas prêtes, nous sommes allés en pèlerinage au centre commercial le plus proche. Le Carrefour (centre commercial français) est un lieu de grâce pour un Polonais. Il y trouve tout ce qu’il désire et qu’il n’a pas. Éblouis, ils achètent de la bouffe et reviennent à la queue-leu-leu à l’autobus. Leurs regards sont coupables. Nous retournons à l’hôtel pour nous rafraîchir avant le départ pour Paris. Ce sera notre première séparation. Ils vont de leur côté visiter Paris et nous allons du nôtre louer une bagnole. Le lendemain, ils sont rassemblés autour du véhicule qu’ils admirent en se disant que ce n’est pas pour eux. Ils ne resteront que trois jours, après un aussi long voyage ! Chaque soir, ils se retrouvent à vingt dans une minuscule cabine. Là, ils boivent, mangent des sandwichs au pâté de poisson, racontent des blagues, boivent et rientà gorge déployée. Toute la nuit ou presque. Le matin, nous partons de notre côté en Normandie et prenons contact avec des amis français qui ont une propriété là-bas.
Une maison magnifique où nous revenons le lendemain avec l’excellent champagne acheté directement du propriétaire. Nous mangerons du saumon fumé, le meilleur camembert, le tout bien arrosé plus une petite goutte d’eau-de-vie traditionnelle. Le lendemain matin, nous revenons à l’hôtel polonais. Ils sont là, tous heureux d’être contents. Ils sont en train de dépenser leurs économies. Leur court voyage touristique est sûrement prévu depuis longtemps. Jacek frappe à notre porte, nous souhaite la meilleure des chances, nous embrasse et disparaît. Nos mondes se séparent. Nous revenons dans le nôtre, ils retournent dans le leur. C’est fini. Ma mémoire commence à faire défaut, suis-je allé vivre deux années en Pologne, tout ici me semble si naturel.
La Pologne, je l’ai avalée avec toute sa crasse. Et j’ai trouvé qu’elle goûtait bon, la cervelle. Elle fait désormais partie de moi. Je l’ai introduite en moi non sans quelque crainte, crainte de m’étouffer en l’avalant. M’empoisonnera-t-elle la vie ? La Pologne, je la ramène avec moi, elle est moi. C’est un bagage lourd. Non, mon douloureux amour, nous ne nous sommes pas quittés. Comme un enfant monstrueux rejeté de tous, je te dissimule en moi. Ton infirmité, je l’assume. Je sais qu’en toi, qu’en moi, qu’en nous, tu sommeilles, inassouvie, gonflée du désir de dire, du pouvoir d’expression dont tu es encore privée.
Pour qui ne te connaît pas – qui voudrait faire la connaissance d’une vieille dame un peu folle ? –, tu fais encore et toujours peur.
Lentement, la Pologne relève l’échine et émerge telle qu’elle est en Europe. Occultée par l’holocauste, elle sort de l’obscurité où la guerre et le système totalitaire l’avaient plongée. Sa jeunesse est vigoureuse et brillante. De même que l’Europe n’est pas l’Europe sans elle, de même nous avons besoin d’entendre sa voix haute et forte. Privés de tout, les Polonais connaissent l’art de faire tout avec rien. La Pologne est un lieu naturel de mémoire ; notre imaginaire a été alimenté par les événements qui se sont déroulés sur ce territoire. C’est aussi cette fatalité historique qui fait de ce peuple ce qu’il est. Mais il est aussi autre chose…
Les voix qui crient dans les ténèbres (le Siddur)
« Mais il fut cuisinier avant que d’être moine ! »
Jamais, je crois, ce dicton espagnol ne pourra mieux s’adapter qu’à mon cas.
D’abord peintre. Depuis longtemps. Peintre connu, apprécié, mais pas célèbre. Seul Yves Montand avait recherché ma compagnie pour exposer nos toiles. Féru d’aviation, pilote civil et pilote de guerre, pilote de voltige comme acrobate dans la vie.
L’envie d’écrire débuta vraiment au Québec, en 1990. Le malheur et la tristesse s’étaient donné rendez-vous cette année . . .
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Edward W. Said, ou la conscience critique
Arabe né à Jérusalem, devenu professeur de littérature comparée à Columbia University, conférencier à travers le monde, défenseur des droits des Palestiniens et des valeurs humanistes, Edward W. Said a vécu les déchirements de l’intellectuel appartenant à plusieurs cultures. Et pour cela même, il a été un infatigable bâtisseur de paix.
Il était apparu il y a quelques mois à la télévision, avec son visage digne mais marqué par la maladie, sa parole précise et mesurée, sa pensée lucide, informée, mûrie. Il nous alertait, nous incitait . . .
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Zbigniew Herbert : Pan Cogito ou les tribulations de la pensée pure en terre polonaise
Comme le souligne Czeslaw Milosz dans son histoire de la littérature polonaise, Zbigniew Herbert, bien que né en 1924, fait partie de la deuxième génération des poètes polonais d’après-guerre, parce qu’il fait ses débuts en 1956 seulement.
Les poètes de cette époque (Tadeusz Rozewicz, Julian Przybos, Czesla Milosz pour ceux qui écrivent juste après la guerre, et Aleksander Watt, Jerzy S. Sito, Wislawa Szymborska, Miron Bialoszewski qui publient à partir de 1956), cherchent à réconcilier les aberrations de la guerre avec une certaine foi en l’humanit . . .
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Lucyna Skompska, Zbigniew Dominiak et Jerzy Jarniewicz (entretien)
À Lodz, au coin des rues de Piotrkowska et Przybyrzewski, le monument du romancier Wladislaw Reymont (l’un des trois écrivains polonais à avoir, avec Henryk Sienkiewicz et Czeslaw Milosz, obtenu le Prix Nobel) se reflète dans les vitres bleutées du tout nouvel édifice de la Banque PKO.
Sa ville natale semble maintenant connaître, après l’effondrement de l’industrie textile qui avait fait sa fortune au XIXe siècle, un renouveau sans précédent. On repave les rues et on retape tant bien que mal ce qui reste des quelques édifices modern style qui . . .
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Artur Miedzyrzecki : La poésie polonaise (entrevue)
À 72 ans, le poète Artur Miedzyrzecki* conserve un sens de l’humour qui tranche avec le romantisme souvent de mise en Pologne. Sagesse ? Maturité ? Raison ?
Sa carrière d’officier pendant la Deuxième Guerre mondiale dans les Forces Libres de même que son travail au sein du Comité du Pays de Solidarité de 1986 à 1990 lui ont sans doute donné une conscience aiguë des bons et des mauvais tours que peut toujours nous jouer l’Histoire. Mais de son œuvre comme des individus et des groupes, il a surtout appris à n’exiger qu’une . . .Pour lire la suite, veuillez vous abonner. Déjà abonné(e) ? Connexion
Witold Gombrowicz : Danser sur la musique de l’autre
Avec Tolstoï, Leskov, Dostoïevski, Conrad, Henry James, Thomas Mann, Hasek, Cortazar et quelques autres dont on ne se risque pas à citer les noms, Witold Gombrowicz appartient à la famille des « grands narrateurs »
Il a bouleversé tous les canons littéraires polonais. Grand faiseur de récits et manipulateur de masques, farceur et provocateur, philosophe pervers et ironiste implacable, parodiste impénitent qui joue avec les grands modèles discursifs de Shakespeare, de Rabelais et de Dostoïevski, Witold Gombrowicz surplombe l’horizon de la littérature polonaise du XXe siècle.Pour lire la suite, veuillez vous abonner. Déjà abonné(e) ? Connexion
La littérature polonaise : Des paradoxes à l’espoir
« Et à nous l’Aventure ! À nous le festin à la table du soleil, au sommet du Sinaï ! À nous la marche royaloplébéienne vers le ventre de la nuit maternelle ! À nous, au sein de la langue polonaise, l’éternelle bagarre ! »
Marian Pankowski, Matuga, ou un polonais à l’aventureDepuis qu’elle a existé la Pologne a en effet lutté de façon constante pour une certaine idée de la dignité humaine. Ce fut sa chance, ce fut sa tragédie…, et c’est sans aucun doute son horizon, son avenir. Située au centre de l’Europe, lieu de passage de tous les peuples et de toutes les armées, la Pologne a vécu d’innombrables déchirements, même celui de disparaître comme État. S’ils pouvaient déjà savourer, au XVe siècle, une prospérité enviable qui s’est prolongée sur le plan intellectuel au siècle suivant – le « siècle d’or » de la littérature polonaise ! –, les Polonais, comme les Mexicains, ou les Irlandais, descendent plutôt des conquis que des conquérants. C’est pourquoi leur langue et leur littérature plus que des objets de fierté, sont des lieux symboliques où, au-delà de tout romantisme, se cristallisent l’identité et l’unité nationales.
Depuis la constitution, en 1989, d’un premier gouvernement post-communiste, la Pologne tente tant bien que mal de passer à l’économie de marché. La littérature, qui vivait auparavant en vase clos, n’échappe pas au mouvement ; elle est maintenant confrontée à une féroce compétition, ce qui amène une restructuration en profondeur des institutions littéraires et du marché du livre. Les lecteurs ayant maintenant accès aux sources étrangères, les écrivains nationaux doivent réévaluer leur rôle et leur pratique. C’est dans ce contexte que la grande poétesse Wislawa Szymborska, à qui on demandait, en 1993, ce qu’elle voyait de nouveau dans la poésie polonaise depuis 1989, répondait : les Odesd’Horace… Réponse spirituelle et ironique qui peut bien sûr être interprétée de façon pessimiste ou optimiste, selon le point de vue adopté. Comme il est essentiel, pour lire le présent, d’ausculter le passé, nous avons interrogé à ce sujet des poètes ; ils clarifient les enjeux de la littérature polonaise actuelle, les paradoxes qu’elle rencontre et les espoirs qu’elle forge.
Car que savons-nous, au Québec, de la Pologne réelle ? Que reste-t-il dans nos mémoires des événements qui l’ont marquée sinon l’épopée de Martin Gray, Les lilas fleurissent à Varsovie d’Alice Parizeau, Pologne de James Mitchener et quelques films d’Andrzej Wajda ou de Roman Polanski ? Les mordus de science-fiction connaissent bien sûr Stanislaw Lem, mais qui sait que l’immense Joseph Conrad était polonais ? Tout le monde, ou presque, a été bouleversé par la larmoyante et laborieuse Liste de Schindler de Steven Spielberg ; ce qu’on ignore malheureusement c’est que l’avait précédé le Schindler de Jon Blair, qui lui est largement supérieur ? Et qui a vu dans Bleu de Krzysztof Kieslowski, au delà de l’histoire d’une liberté individuelle, celle de la difficile reconstruction existentielle d’un peuple qui doit cesser de s’épancher sur son martyre s’il veut arriver à transcender la paranoïa qui le paralyse ?
Pour qui est attentif aux possibles de l’histoire, la littérature polonaise actuelle est donc une littérature nécessaire. Elle fait entrevoir l’angoisse et le bonheur qui saisissent l’être humain lorsqu’il est aux prises avec plusieurs vérités concurrentes, elle éclaire les dessous de ce que Jacek Trznadel nomme la honte, celle d’avoir adhéré aveuglément à une idéologie, quelle qu’elle soit1. C’est avec une acuité toujours renouvelée qu’elle analyse les rapports de l’art et du politique à travers la langue et à travers les grands thèmes universels : le mal, l’amour, l’individu, le devenir, l’existence. Si notre numéro s’ouvre avec un inédit de Witold Gombrowicz, suivi de l’analyse de Wladimir Kryzinski, c’est parce que Gombrowicz est l’un de ceux qui, dans la foulée de Stanislaw Ignacy Witkiewicz et Bruno Schulz, a su le mieux interroger la forme des rapports interhumains et montrer la nécessité philosophique de l’immaturité et de la jeunesse.
On a souvent insisté avec raison sur le caractère agonique et catastrophiste de la littérature polonaise. Et l’on conserve souvent d’un séjour en terre polonaise une image de morosité, de tristesse et de désespoir, surtout si l’on a eu la chance de sortir du circuit des villes-fortes (Gniew, Kwidzyn, Grudziadz), de voir autre chose que Cracovie, la ville-musée, ou Varsovie, la ville de carton-pâte. C’est la Pologne grise, sale, chauvine, grégaire, tribale, xénophobe même qui laisse sa marque.
Le peu de réelle ouverture aux autres des Polonais nous renvoie à nos livres – ce ne sont pas les grands historiens ni les grands linguistes, logiciens et philosophes du langage qui manquent en Pologne – et nous voici sommés de lire la littérature polonaise d’après-guerre, d’ouvrir à nouveau la plaie d’Auschwitz, Oswiecim. Il faut alors, allant bien au-delà du best-seller d’Andrzej Szczypiorski : La jolie Madame Seidenman2, se plonger dans les contes de Tadeusz Borowski pour retrouver la traditionnelle dynamique entre les bourreaux et les victimes. Nous sommes alors directement confrontés avec ce que le grand Aleksander Wat appelait le mal3 les prisonniers ont apporté leur contribution à la vie des camps, et pas toujours par obligation… Devant nous, « l’homme campé », c’est-à-dire un homme qui souffre moins qu’on le dit… « Ce monde à part » de Gustaw Herling-Grudzinski, il nous a semblé essentiel de le faire connaître au lecteur pour qu’il comprenne, aujourd’hui, la Pologne résistante, cette Pologne irritante mais attachante, comme la décrit Alain Bélanger, en portant sur elle le regard sévère et tendre à la fois de l’éternel étranger.
Mais la littérature polonaise, si elle sait traiter du malheur avec une gravité qui se traduit par un sens de l’insolite hors du commun, le fait avec une ironie légère et tranchante, tranchante parce que légère. L’humour polonais est l’arme qui permet de lier à soi de manière indissoluble l’autre qui menace, de nouer la mort à l’amour.
Quel meilleur instrument pour libérer la « pensée captive », selon l’expression de Czeslaw Milosz, que cette langue directe, dont la précision caustique est renforcée, ainsi que le souligne Liliana Tomaszewska, par une perpétuelle auto-ironie ? De là le comique ontologique et grave des Entretiens avec le bourreau de Kazimiersz Moczarski. De là également le fait que l’œuvre de Tadeusz Konwicki ici analysée par ]ozef Kwaterko dévoile, contrairement aux effrois annoncés, une petite vision de notre enfer quotidien.
Mais attention ! la légèreté et la liberté de ton ne visent l’œuvre tragique d’Edward Stachura, qui traduisit Gaston Miron et Jacques Brault ; dans son journal, comme le montre Michel Quevillon, il met en question la possibilité même du bonheur dans la désolation, le cynisme et la cruauté. Témoins également ces poèmes traduits ici par Wladimir Krysinski4 dont l’enjeu est de saisir les modalités du doute fondamental qui étreint l’être lorsqu’il fait face à son devenir. Dans des textes qui oscillent constamment entre le lyrisme et l’antilyrisme, entre la sincérité et les reflets, il s’agit de dire, de crier, de vivre, afin d’expérimenter ce que Zbigniew Herbert appelle « la vanité de la parole ‘la puissance du geste royal’ l’inutilité des concepts » (Voyage). Herbert est sans doute – avec Tadeusz Kozewicz, Jan Lechon et Slawomir Mrozek – l’un des écrivains polonais les plus durs, parce qu’il stigmatise la déréliction en affichant, ainsi que le montre Katia Stockman, la puissance de dérision au niveau même du discours. Il s’agit, pour tout dire, d’assumer dans un même geste le silence et la continuité perverse des signes, ce que nous enseigne l’oeuvre de présentée pour la première fois au lecteur de langue française par Henryk Siewirski.
Si ce dossier donne souvent l’impression que la seule perspective de la littérature polonaise est celle de la mort, c’est que la masse de douleur et de haine qu’il a fallu supporter au cours de l’expérience totalitaire est devenue avec le temps – et c’est là le drame – un acquis en quelque sorte, un droit inaliénable. Or cette mort, il faut moins la comprendre comme une fin en soi que comme une fête avec ses semblables. Cherchant à définir l’œuvre de Boleslaw Micinski, Adam Michnik écrivait : « Combien fascinante est pour moi sa vision picturale de la fête des morts. Dans cette brève image, Micinski a vu l’avenir ; un rituel national devenu destin, et un destin national devenu rituel. Sans cette image, on ne peut comprendre notre littérature5 […]. » Il faudrait également ajouter tous ces dramaturges et théoriciens du théâtre qui ont illuminé la scène polonaise et mondiale mais que les circonstances nous empêchent malheureusement de présenter. Pensons simplement à Tadeusz Kantor, Slawomir Mrozek, Jerzy Grotowski et ]an Kott.
La littérature polonaise est d’une extrême richesse et ce que nous en présentons ici est forcément partiel. Nous avons choisi de faire appel à des collaborateurs et des collaboratrices qui s’intéressent spécifiquement aux rapports complexes des mots et du pouvoir, parce qu’à une image triomphaliste et complaisante, nous préférions une analyse sans concession des lignes de force d’une littérature qui doit aujourd’hui retrouver ses assises nationales. Les écrivains polonais entreprennent aujourd’hui une nouvelle aventure, une aventure où la langue bagarreuse acquiert une souveraineté élargie. Comment raconter l’horreur, comment écrire le bonheur ? Certainement pas en privilégiant la sagesse calculatrice ou la prière traditionnelle. Le personnage de Marian Pankowski, Wladziu Matuga, l’homme du sous-sol, sait que la lumière ne se dévoile que dans la violence du réel. C’est pourquoi son seul désir est l’impossible que vise toute littérature authentique : « Ah ! Pouvoir, une fois seulement, me glisser sous la paume lisse de la nuit ! Laisser aux autres l’observation et la réflexion6. » Mais cette nuit, n’est-ce pas celle de sa nation, de son peuple, de sa solitude virile ? Ici commence le voyage au bout de la nuit, au bout d’une inéluctable authenticité. C’est alors que le prisonnier d’Auschwitz peut enfin en toute tranquillité réfléchir à son embonpoint !
1. La honte, Les intellectuels polonais face au communisme, traduit par Maria Rodowicz-Henninger, Cerf, 1992. Ce livre est composé d’une série de treize entretiens avec des écrivains polonais, magnifiquement préfacé par Trznadel qui conteste d’ailleurs, comme Gustaw Herling-Grudzinski, l’exactitude du tableau du totalitarisme dressé par Czeslaw Milosz sous la douleur de la « morsure hégélienne » dans La pensée captive (traduit par A. Prudhommeau et l’auteur, Gallimard, 1953).
2. Traduit par Gérard Conio, Fallois/L’Âge d’Homme, 1988.
3. Voir, de Aleksander Wat, Mon siècle, traduit par Gérard Conio et Jean Lajarrige, Fallois/L’Âge d’Homme, 1989. Sur Wat, et sur la question du mal, on lira le magnifique livre de Gérard Conio, Aleksander Wat et le diable dans l’histoire, l’Âge d’Homme, 1989.
4. Les lecteurs qui souhaiteraient lire la poésie polonaise disposent en français de l’excellente Anthologie de la poésie polonaise dirigée par Constantin Jelenski, L’Âge d’Homme, 1981. J’en profite ici pour remercier chaleureusement Wladimir krysinski sans qui la constitution de ce numéro aurait été impossible.
5. Préface à Diligence philosophique, traduit par Anna Ciesielska et Krystyna Bourneuf, Noir sur Blanc, 1970.
6. Matuga, traduit par René Hotterbeex, l’Âge d’Homme, 1984.Voici quelques nouveautés, prévues en septembre ou octobre 1995 :
Œuvres complètes V, Nouvelles 2, de Slawomir Mrozek, comprenant les nouvelles « Dénonciations », « la vie est difficile » et la « La valise », traduites par André Kozimor et Jean-Yves Erhel ; État de pesanteur, de Jacek Bochenski, dans une traduction Grazyna Erhard ; Savoureuse Pologne, 148 recettes culinaires et leur histoire, de Viviane Bourbon et Il n’est point de sauveur, de Sergiusz Piasecki, traduit par Jacqueline Kochan ; tous publiés aux éditions Noir sur Blanc.
Chez d’autres éditeurs : Le verbe et la chair, de Teodore Parnicki, « Classiques slaves », éditions l’Âge d’homme ( traduit par Antoine Wyss ) ; Le portrait Vénitien, de Gustaw Herling, chez L’Arpenteur (traduit par Thérèse Douchy) ; Entretiens avec les fleurs, d’Hazik Hentchel, « Nouveau cabinet cosmopolite » -, éditions Stock (traduit par Jacqueline Kochan et l’auteur) ; Whisky américain, d’Andrzej Szczypiorski, chez Bernard de Fallois (traduit par Isabelle Hausser) ; Messe des morts, de Stanislas Przybyszewski, « Romantique », chez José Corti(traduit par Nicole Taubes. Enfin, un essai éclairant, dans la collection « Regards croisés », aux éditions de l’Aube, Sortir du communisme, de Karol Modzelewski (Traduit par Charles Zaremba et Laurent Rocher), analyse critique de la politique polonaise de 1989 à 1993.Les remerciements de Nuit blanche pour la préparation de ce dossier sur la littérature polonaise actuelle vont en tout premier lieu à son collaborateur de longue date, Michel Peterson, qui en a assumé la réalisation. Professeur et écrivain, Michel Peterson, qui se spécialise en littérature d’Amérique latine, a su recruter, aussi bien en Pologne, qu’au Brésil et au Québec, des écrivains et des critiques qui ont nourri ce dossier de leur savoir. Merci donc à ceux-ci, dont les noms apparaissent au fur et à mesure que se déroule le dossier, de même qu’aux traducteurs des textes inédits, que Nuit blanche s’enorgueillit de publier ici.
Les visages de tous ces créateurs dont les articles du dossier parlent d’abondance, Nuit blanche en doit la majeure partie à Michel Peterson et à madame Krystina Frydecka. Presque miraculeusement madame Fydecka a colligé une documentation photographique que Nuit blanche n’espérait ni si étendue ni si pertinente. Un merci très spécial à madame Krystina Frydecka. Au Consulat de Pologne à Montréal va aussi notre gratitude pour les documents qu’on nous a procurés, ainsi qu’à madame José Lareau, de distribution D.M.R. Enfin, Richard Martel a mis à la disposition de Nuit blanche ses archives photographiques et Nuit blanche y a puisé largement, complétant ainsi le visuel du dossier. Merci à Richard Martel.
Après dix ans, Pierre Boulle est toujours présent
Mort il y a dix ans, dans la quasi-indifférence des média, Pierre Boulle, que certains pensaient américain à cause des succès cinématographiques de La Planète des Singes et du Pont de la rivière Kwaï, a laissé une œuvre littéraire importante et toujours d’actualité.
Pierre Boulle a échappé au « purgatoire », cet oubli qui suit souvent la mort d’un auteur. La Planète . . .
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