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Auteur/autrice : Neal
Borges : L’érudition merveilleuse (entrevue avec Dany Laferrière)
Pour Dany Laferrière, Borges égale plaisir, plaisir de lecture. Ainsi qu’élégance d’esprit. L’auteur de L’énigme du retour1 et du récent Tout bouge autour de moi2 apprécie aussi le Borges des interviews : « Il est à son meilleur dans la conversation qu’il maîtrise et qui chez lui semble si proche de la langue écrite, qui est pleine de saveur, pleine d’humour… »
À l’évidence, Dany Laferrière, avec ses formules aussi spontanées que débordantes de sens et d . . .
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Jorge Luis Borges : Présentation
Alors que Borges s’enfonçait peu à peu dans la nuit, avant qu’elle devînt définitive le 14 juin 1986, son renom ne cessait de croître. Les lecteurs lui ont gardé leur fidélité et il n’a pas connu le « purgatoire » où les critiques relèguent habituellement les grands écrivains après leur mort. Aujourd’hui la Pléiade le réédite en traduction, il est abondamment commenté à travers le monde. En octobre (du 14 au 24) Québec joint sa voix à cette célébration par un ensemble d’activités dont Gilles Pellerin est l’inspirateur
Certaines images de Borges sont devenues clichés : le promeneur de Buenos Aires, le bibliothécaire aveugle, l’amateur de tango qui composait des chansons pour Piazzola, l’érudit exhumant d’obscurs ouvrages d’histoire, le vieux monsieur affable recevant ses admirateurs venus de tous les horizons. Ces images ne sont pas fausses mais, mises ensemble, elles ne donnent qu’une faible idée de Borges. Comment, non pas le définir mais l’aborder et comment être sûr du jugement que l’on porte sur lui ?
L’homme des bibliothèques a semblé accorder peu d’attention au monde actuel et à ses remous – dont il a eu cependant à souffrir –, on lui a reproché son indifférence politique, voire une insensibilité à la condition commune, et cependant cette étrange attirance pour les hors-la-loi, les marginaux, les truands… Les anciennes littératures anglo-saxonnes avaient pour lui plus d’attrait que les œuvres de son siècle mais il discutait littérature pendant des heures avec Bioy Casares ou d’autres amis. Il était couvert de prix et de distinctions mais il dérobait sa vie personnelle, qui paraissait unie, sans événements ni turbulences, et cependant que de souvenirs habitaient sa mémoire. On lit les récits de L’aleph, de Fictions, du Livre de sable, du Rapport de Brodie mais l’œuvre garde en réserve des poèmes, des dialogues, une Histoire de l’éternité, bien d’autres livres moins fréquentés. L’analyse traditionnelle des personnages ne le retient guère mais lorsqu’il leur prête une perturbation des sens, une mémoire qui n’oublie rien, une vision qui traverse le temps et lui échappe, notre conception du monde bascule, nous sommes pris de vertige. Borges fait apparaître des lieux, des moments, réels, fictifs, qui sait ? que nous ne savons pas voir, nous lance sur des sentiers obliques qui s’entrecroisent, se ramifient en des réseaux et des correspondances d’une complexité inouïe. Il nous convainc que la réalité n’est pas ce que nous croyons, qu’elle est insaisissable dans sa totalité comme la bibliothèque de Babel. Il nous démontre combien nos certitudes sont incertaines.
Parmi toutes les images de Borges, le maître de l’écriture et des écritures, le magicien qui, dans un geste parfait, nous séduit et nous éblouit, l’inventeur inépuisable du possible, je dégagerai celle-ci : « l’inquiéteur ». On ne sort pas indemne de cette œuvre dont la force séminale n’a pas fini de nous animer.
Ils ont apporté leur précieuse contribution à ce dossier spécial « sur et autour » de Jorge Luis Borges. L’équipe de Nuit blanche les remercie chaleureusement : Roland Bourneuf, ainsi que Gérald Alexis et Louis Jolicœur.
De même que : Jean-Paul Beaumier – Patrick Bergeron – André Berthiaume -Pierrette Boivin – Nicole Brossard – Gaëtan Brulotte – André Carpentier – Herménégilde Chiasson – Hugues Corriveau – Gilles Côté – Jean Désy – Andrée Ferretti – Naïm Kattan – Dany Laferrière – Christiane Lahaie – Laurent Laplante – Suzanne Lebeau – Renaud Longchamps – Andrée A. Michaud – Pierre Ouellet – Gilles Pellerin – Judy Quinn – Vincent Thibault – Odile Tremblay.Pierre Vadeboncœur : 1920-2010 (entretien)
Pierre Vadeboncoeur m’avait accordé un long entretien le 24 mars 2009. Je lui envoyai ensuite ces pages qui tracent un panorama de son œuvre. Un peu embarrassé par l’admiration qu’il y lisait, il me répondit : « Je réglerais mon propre compte en ramenant tout à trois ou quatre points, histoire de faire disparaître l’impression d’une œuvre vaste et cette image d’un monde… ».
Il est mort le 11 février 2010. Je n’ai rien voulu changer à ce que j’avais écrit de lui : ses livres lumineux, l’homme droit et libre . . .
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Hommage à Bruno Roy
Quand ce texte, écrit aujourd’hui, le 7 janvier, sera publié, il y aura déjà plusieurs semaines que Bruno Roy sera disparu de notre paysage culturel, et, peut-être, déjà oublié, à la vitesse où tout passe et lasse en moins de 24 heures, en cette fin amnésique de notre civilisation humaniste.
Tout aura été rappelé des événements marquants de sa vie. Je n’y reviens pas.
Je me limiterai à souligner un fait qui parle intimement de cet homme incomparablement généreux, de cet écrivain engagé, dont les combats politiques, sociaux et culturels ont eu pour . . .
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Entre mes mains, l’Italie… (L’Italie de Guy Scarpetta)
Je devais avoir reçu quelques dollars pour Noël ou en reconnaissance de bons résultats scolaires. Je ne me souviens plus très bien. Pas plus que je ne me souviens du chemin entre la maison et la librairie René-Martin, rue Saint-Viateur à Joliette. Celle-là même que je fréquente toujours très régulièrement, près de 40 ans plus tard. Six coins de rue, en ligne droite depuis la maison familiale, que j’ai dû marcher dans la plus totale fébrilité. Mais je me souviens parfaitement d’être revenue, fière . . .
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Le projet de Victor-Lévy Beaulieu : Ambitieux, risqué, terrible
« Tu ne crois pas en Dieu, alors ne t’avise pas de te prendre pour lui. » C’est le conseil amical que sa sœur donne au vieux médecin de Normétal, dans La donation, le dernier film de Bernard Émond. C’est celui que n’a pas reçu Victor-Lévy Beaulieu. Et c’est tant mieux.
Tant mieux parce que rien n’entrave VLB dans sa volonté de toute-puissance, source de son pouvoir de créer une œuvre monumentale, entreprise totalisante « sans faux partage entre le réel et l’imaginaire » dans laquelle l’écrivain ne vise à rien de moins qu’à se créer comme mythe de lui-même et dans un même et seul mouvement à refonder le destin québécois, en lui construisant une origine mythologique par l’épique d’une œuvre.
Dès lors, rien d’étonnant à la réponse qu’il fit : « Être le premier Québécois à remporter le prix Nobel de la littérature », lorsque, lauréat du Grand prix littéraire de l’Almanach Beauchemin, à la fin des années 1960, on lui demandait quelle ambition littéraire il avait.
En 2009, il faisait paraître Bibi (mémoires), roman-essai-autobiographie, le soixante-douzième ouvrage de son œuvre dont il annonçait déjà l’intention de l’écrire dans Monsieur Melville. Comme il n’a cessé d’échafauder, de roman en essai, de téléthéâtre en pamphlet, depuis 40 ans, ce qu’il désirait être son maître ouvrage, La grande tribu. Projet obsessionnel, qui avant de prendre la forme d’un récit précis, sous l’intitulé La grande tribu, C’est la faute à Papineau (grotesquerie), se déployait dans des romans précédents, dans Les grands-pères, par exemple, et dans ceux de la saga des Beauchemin.
La grande tribu, C’est la faute à Papineau (grotesquerie) est l’échec du projet, échec obligé, parce que intimement lié au destin québécois inabouti, à la constance de ses défaites. Ouvrage échoué d’une œuvre géniale, précisément construite sur l’incessant achoppement des multiples tentatives d’écrire ce livre. D’où la force grandissante de chaque ouvrage qui y mène, servant à son insu comme à son su de nouveau levier. Ainsi il écrit dans Monsieur Melville qu’il souhaite sortir de l’écriture de ce livre, « enfin transformé et armé comme il convient de l’être lorsqu’on veut écrire La grande tribu ». Autrement dit, la tentative sans cesse poursuivie et échouée d’écrire le magistral roman historique que devait être La grande tribu est ce qui a rendu possible la réalisation géniale de l’œuvre de VLB, sa très grande cohérence.
Hypothèse subjective, peut-être improbable, parfois suggérée par les spécialistes de l’œuvre, mais jamais développée, à ma connaissance. J’ose pourtant l’avancer, sachant très bien que je ne démontrerai rien non plus. Il s’agit d’une intuition que je veux partager. Pour la vérifier et en parler avec un minimum d’à-propos, j’ai lu ou relu les ouvrages suivants : Pour saluer Victor Hugo (1971), Jack Kérouac (1972), Monsieur Melville (1978), Docteur Ferron (1991), James Joyce, l’Irlande, le Québec, les mots (2006), toutes œuvres de « la plus haute autorité », et, bien entendu, La grande tribu (2008). J’ai aussi rapidement parcouru à nouveau plusieurs ouvrages de l’œuvre romanesque, notamment Don Quichotte de la démanche (1974), Un rêve québécois (1977) et Les carnets de l’écrivain Faust (1995).
L’urgence d’écrire
VLB la formule explicitement à la page 68 de Monsieur Melville. Il s’explique l’étonnement de son père à le voir travailler sans arrêt, en constatant que ce qu’il ne comprend pas, « ce n’est pas le mouvement qui me porte à écrire, dit-il, et sans lequel je ne voudrais même plus être. Ce qui lui reste étranger, c’est la fureur que j’y mets ». Comme il le confiait en entrevue, à la sortie de son James Joyce, à 22 ans, il considérait déjà l’écriture comme moyen de venir au monde, « de façonner dans la forge de [s]on âme la conscience incréée de [s]a race ».
La grande tribu est ce projet audacieux, risqué, terrible, qu’il peine à réaliser. « Et pour quelle histoire non encore racontée faudra-t-il que ça écrive sans fin ? », c’est sur cette question que se termine Les carnets de l’écrivain Faust, ouvrage dans lequel il retranscrit sans enthousiasme, acharné et désespéré, comme il le confesse, huit « débris » de La grande tribu, qu’il définira, une fois l’ouvrage terminé, comme une « grotesquerie » dont, pour l’instant, la déréliction l’accable.
Qu’en est-il au juste ? L’ouvrage se divise en deux parties. L’une met en scène les libérateurs, personnages historiques qui, sauf Papineau, ont réussi leur révolution, passant du coup du statut de terroristes à celui de héros, ce que veut précisément démontrer l’auteur, soit qu’il ne saurait y avoir révolution accomplie sans violence. L’autre présente les lésionnaires, personnages fantastiques d’éclopés et de détraqués de toutes sortes et de héros défaits qui se constituent en une bande d’émeutiers en fauteuils roulants pour prendre d’assaut l’Assemblée nationale et exiger une déclaration unilatérale d’indépendance. Le récit délirant, parfois d’une crudité insoutenable, est mené par Habaquq Cauchon, un cul-de-jatte qui croit avoir un trou dans le crâne, qui se proclame descendant rebelle du Peuple des Petits Cochons Noirs, ancêtres des Kébécois. Ce Cauchon est un pensionnaire de l’asile du docteur Avincenne qui lui fait subir les pires sévices, à lui et à son allié, l’orignal épormyable, alias Claude Gauvreau, libérateur autant que lésionnaire, présenté ici comme le plus grand poète du Québec.
Pourquoi ce qui avait été conçu comme roman historique à déploiement épique s’est-il transformé en grotesquerie ? Parce que le grotesque, a prétendu l’écrivain, lui permettait tous les excès. Or, contrairement à celui des fabulations créatrices de mythes et de mythologies, l’excès ici n’est que de l’excès, que de l’envie irrépressible de tout défoncer, sans les ressources de la lutte fondatrice. Peut-être parce qu’il est difficile de passer de l’hystérie à l’histoire, peut-être parce l’hystérie est indicible, irreprésentable. À moins que ce ne soit qu’une ruse géniale pour ouvrir un chemin inédit vers la liberté ? Je ne le crois pas. VLB est ici fondateur tout seul et il n’arrive pas à fonder. Parce que cet excès a peu à voir avec la démesure, celle inhérente à toute création, telle qu’il la conçoit et la pratique.
Le désir de démesure
VLB le manifeste à l’évidence dans la recherche de symbiose qui le pousse non seulement à s’inspirer des géants de la littérature universelle, mais à s’identifier pleinement à quelques-uns d’entre eux. Pour lui, en l’absence d’une culture forte, dans un pays-pas-pays, c’est le privilège de l’écrivain que de s’approprier les chefs-d’œuvre universels, comme source de sa propre œuvre. Se vouloir autre pour devenir aussi grand que soi-même. Il se reconnaît même dans Jack Kérouac qu’il blâme de n’avoir pas su s’affranchir de sa condition canadienne-française, d’avoir écrit son œuvre en demeurant prisonnier de son enfance et de sa famille, parce qu’une grande œuvre se bâtit toujours sur ces assises-là.
Il reconnaît son propre combat dans ceux des écrivains élus, celui avec tout ce qui tisse la vie, sa vie : avec les souvenirs d’enfance, la famille, le besoin sexuel, le désir amoureux, l’incompréhension, l’appréhension de la mort ; avec la société, le pays, l’histoire et d’abord, avec les mots, les phrases, la langue, cette langue à forger dans la langue pour créer son propre langage, traduction de son propre univers.
Combat jamais complètement gagné, la création de l’œuvre se jouant en permanence dans la quête de l’adéquation entre son univers et son expression. Combat perdu dans La grande tribu, C’est la faute à Papineau, faute de cette adéquation, pour l’heure impossible.
Prix Nobel
J’ignore si VLB désire toujours le recevoir. En revanche, il m’apparaît certain que nous, écrivains et lecteurs québécois, avec toutes les instances des institutions littéraire et culturelle du Québec, devrions unir nos efforts pour soumettre et défendre sa candidature. Sans jalousie, sans mesquinerie. Puisque, de toute manière, il est le seul susceptible d’y accéder, le seul capable de nous obtenir cet honneur national.
Comme toutes les grandes œuvres, celle de Victor-Lévy Beaulieu est politique. Elle est née et s’est écrite tout du long dans l’émotion très violente d’un refus douloureux d’une réalité rapetissant son peuple et par ricochet lui-même, dans l’émotion très violente d’une tendresse infinie pour son peuple qu’il n’a cessé de vouloir devenir aussi grand qu’il l’est, malgré sa triste condition de peuple sans pays, de peuple manquant de mots, manquant de la puissance à même de s’imaginer puissant. Une œuvre tout entière vouée à conjurer un défaitisme ancré dans l’os, à métamorphoser l’ignominieux en sublime, le manque en excès, la médiocrité en exploit, allant jusqu’à l’esthétisation de notre langage, oral et écrit, dans une tentative exorbitante d’enquébécoiser la langue française.
Une œuvre parfaitement originale, à nulle autre comparable, si ce n’est à celles tout aussi incomparables des Hugo, Melville, Joyce, qui toutes ont en commun de toucher les tréfonds de l’âme humaine.
Victor-Lévy Beaulieu a publié, entre autres :
Mémoires d’outre-tonneau, roman, Estérel, 1968 et Trois-Pistoles, 1995 ; Race de monde, roman, Le jour, 1969, VLB, 1979, Stanké, 1986, Trois-Pistoles, 1996 et Typo, 2000 ; Les grands-pères, roman, Grand prix littéraire de la Ville de Montréal, Le jour, 1971, Robert Laffont, 1973, VLB, 1979, Stanké, 1986, Trois-Pistoles, 1996 et Typo, 2000 ; Pour saluer Victor Hugo, essai, Le jour, 197l, Stanké, 1985 et Trois-Pistoles, 1996 ; Jack Kérouac, essai-poulet, Le jour, 1972 , L’Herne, 1973, Stanké, 1987, Trois-Pistoles, 1996 et Typo, 2003 ; Un rêve québécois, roman, Le jour, 1972, VLB, 1977 et Trois-Pistoles, 1996 ; Don Quichotte de la démanche, roman, Prix du Gouverneur général du Canada, L’Aurore, 1974, Flammarion, 1978 et 1979, Stanké, 1988, Trois-Pistoles, 1998 et Typo, 2002 ; Manuel de la petite littérature du Québec, anthologie, L’Aurore, 1974 et Trois-Pistoles, 1998 ; Monsieur Melville, essai en trois tomes, prix France-Canada, VLB, 1978, Flammarion, 1980 et Trois-Pistoles, 1997 ; Satan Belhumeur, roman, prix Molson, VLB, 1981 et Trois-Pistoles, 1999 ; Chroniques polissonnes d’un téléphage enragé, recueil de chroniques, Stanké, 1986 et Trois-Pistoles, 2000 ; Docteur Ferron, pèlerinage, Stanké, 1991 et Trois-Pistoles, 2001 ; Pour faire une longue histoire courte, entretiens avec Roger Lemelin, Stanké, 1991 et Trois-Pistoles, 2002 ; Gratien, Tit-Coq, Fridolin, Bousille et les autres, entretiens avec Gratien Gélinas, Stanké, 1993 ; Monsieur de Voltaire, essai, Stanké, 1994 et Trois-Pistoles, 2003 ; Chroniques du pays malaisé 1970-1979, essais, Trois-Pistoles, 1996 ; Deux sollicitudes, entretiens avec Margaret Atwood, Trois-Pistoles, 1996 ; Écrits de jeunesse 1964-1969, essais, Trois-Pistoles, 1996 ; Un loup nommé Yves Thériault, essai, Trois-Pistoles, 1999 ; Les mots des autres, La passion d’éditer, VLB, 2001 ; Je m’ennuie de Michèle Viroly, roman, Trois-Pistoles, 2005 ; Correspondances, avec Jacques Ferron, Trois-Pistoles, 2005 ; Le bleu du ciel, avec André Morin, roman, Trois-Pistoles, 2005 ; James Joyce, l’Irlande, le Québec, les mots, essai hilare, prix Spirale’Eva-Le-Grand, Trois-Pistoles, 2006 ; La grande tribu, roman, Trois-Pistoles, 2008 ; L’héritage, roman, Trois-Pistoles, 2009 ; Bibi, Mémoires, Trois-Pistoles, 2009.Pour une bibliographie plus complète, consultez :
http://www.litterature.org/recherche/ecrivains/beaulieu-victor-levy-58/date/#oeuvresEXTRAITS
Ce qui m’a tout de suite ébloui chez Hugo, c’est cet éclatement de la parole, c’est ce jaillissement du mot, c’est cette œuvre colossale, ces milliers de phrases qui, une fois lues, m’incitèrent à écrire car, pour la première fois de ma vie, je me rendais compte qu’avec la laideur, la pauvreté, le blasphème et l’ignorance, il était possible de faire de la beauté. […] Voilà donc le mythe de moi-même que j’ai toujours poursuivi en Hugo : il fallait être démesuré […].
Pour saluer Victor Hugo, Trois-Pistoles, p. 16.Pour Melville, l’écriture ne peut être qu’une entreprise totalisante et dans laquelle tout ce que l’on est doit se consumer, sans faux partage entre le réel et l’imaginaire. D’où l’espèce de fureur dans laquelle il écrit jusqu’à Moby Dick : ce n’est pas le personnage qu’il cherche mais lui-même.
Monsieur Melville, Trois-Pistoles, p. 40.[…] question d’occuper les temps morts où, parfois, m’a laissé la réécriture de La grande tribu. Je travaille à ce roman depuis cinq ans déjà – un bon millier de pages dont je ne suis jamais satisfait, que je remets sans cesse sur le métier, et pourquoi donc ? Après tout, La grande tribu n’a vraiment rien de compliqué ; il s’agit là-dedans de raconter les fondements hystériques du Québec […].
Les carnets de l’écrivain Faust, Stanké, p. 11.Je suis vivant et j’ai hâte. Mais vivant comment et hâte pourquoi, je ne sais pas bien, ni pour le fond ni pour la forme. Le docteur Avincenne dit que c’est la faute à Papineau, que mon passé est plein de cette faute-là, que c’est pareil pour mon présent et que ça sera pas mieux dans mon avenir. Il dit aussi que ce serait pour moi et pour le Kebec que je m’y fasse – ou m’y défasse […].
La grande tribu, C’est la faute à Papineau, Trois-Pistoles, p. 63.Kebec, ça veut dire rétrécissement du col, la matrice déforme l’esprit, elle bouleverse l’ordre de la matière, la tasse toute du mauvais bord des choses, là où l’espoir n’est toujours que désillusion, là où le rêve ne vient au monde que mort-né, là où, par manque de la pensée, on défait aujourd’hui ce qu’on a fait hier, et refait demain ce qu’on a fait et défait, mais dans la même anarchie paralysante, de sorte que rien ne commence vraiment pour de vrai, on est toujours dans l’en-deçà de quelque chose, jamais dans son au-delà, là où la rébellion fait du patriote un valeureux guerrier […].
La grande tribu, C’est la faute à Papineau, Trois-Pistoles, p. 782.Nous écrivions tous dans l’en-deçà de nous-mêmes et rien de ce que nous disions qui n’était déjà relaté dans les journaux – (Asphyxie de l’imaginaire – Écrire des lignes de culture au lieu de romans québécois – Ne rien savoir de la profondeur collective et en rester toujours au thème ânonné de l’impuissance – Il fallait que je me change dans ma vie, que je me tourne de bord avant qu’il ne soit trop tard) – Et je haïssais Jack dans l’avion d’Eastern Air Lines car il était pour moi le romancier québécois dans toutes ses misères, un demeuré, un grand tata de l’écriture, et si semblable à nous tous qui ne pouvions être plus que les projections de nous-mêmes – Même la crise d’octobre n’avait pas déchiré le voile du Temple québécois.
Jack Kérouac, Typo, p. 188.Bibi de Victor-Lévy Beaulieu
La grande tribu devait être la pièce maîtresse de l’œuvre de Victor-Lévy Beaulieu, l’œuvre épique qui fonderait un Nouveau Monde québécois et poserait le constat d’une structure dysphorique propre à l’histoire nationale. D’une telle épopée adviendrait deux autres textes, Bibi1 et Le clan ultime. Ce projet accompagne depuis 30 ans la prolifique production de Beaulieu.
En 2008 paraissait enfin La grande tribu, mais sous une forme qui avait peu à voir avec ce qui était annoncé, notamment parce qu’Abel Beauchemin, l’avatar de Beaulieu . . .
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Benoîte Groult : Une lucidité qui commande le respect
Installée confortablement dans un fauteuil du Hilton-Bonaventure, la grande dame aux maints combats – féministes et autres – attend d’être interviewée. Si le corps accuse quelque peu, la vivacité et la mémoire sont bien au rendez-vous, nonobstant les pénibles effets du décalage horaire entre Paris et Montréal. Bientôt 90 ans, c’est honorable, étonnant, vraiment ! Un tête-à-tête avec Benoîte Groult est un honneur et un vrai plaisir.
Venue présenter son œuvre récente, Mon évasion, Autobiographie, Benoîte Groult jure que « ce sera [s]on dernier livre » et ajoute avec coquetterie « à mon âge, quand même ! » Elle demeure scotchée à son cellulaire, qu’en bonne Française elle nomme portable, pour savoir le dernier chiffre de ses ventes. Lorsque arrive d’outremer l’appel de son éditeur Grasset, elle s’écrie : « Plus de 100 000 copies vendues ! Les moments forts des Fêtes – Noël et le Nouvel An – n’ont pas encore eu lieu, c’est très bien ! » L’octogénaire Groult est détachée, mais quand même.
L’enthousiasme de l’auteure fait pourtant plaisir à voir, toujours vif malgré la vingtaine d’ouvrages qu’elle a déjà à son actif, dont plusieurs best-sellers. L’écrivaine travaille fort à la promotion de ses livres, activité essentielle, indispensable. L’absence de promotion expliquerait selon elle l’insuccès du dernier roman de son mari Paul Guimard1. « Puisque j’ai décidé d’écrire Mon évasion, il faut que je le porte jusqu’au bout. Le dernier livre de Paul n’a pas marché, ce qui l’a beaucoup peiné. Pourtant il était aussi bon que d’habitude. J’ai bien compris la leçon. »
En 2006, ses lecteurs pensaient que La touche étoile serait son dernier livre, mais Benoîte Groult a surpris tout le monde en publiant Mon évasion deux ans plus tard. Son style direct, vivant et bien tourné, son ton juste et un rien vieille France et son rafraîchissant sens de l’humour demeurent sa signature : « […] je me demande aujourd’hui, comment cette gifle qui, sur le moment, te ferma la bouche, ne t’ouvrit pas les yeux ? »
Son autobiographie ne déguise rien, ni pseudonyme, ni truquage. Elle nomme un chat, un chat. « Un des rares avantages de l’âge, c’est de ne plus avoir peur de grand-chose », écrit-elle. En entrevue, elle ajoute avec une certaine tristesse : « Je n’ai plus personne de ma génération à ménager, ils sont tous morts. Par contre, je me sens plus libre que jamais ». Sérénité et impunité dues au grand âge.
Naissance bourgeoise, mais socialiste et athée
De quoi s’évade-t-elle au juste, cette petite fille modèle, cette privilégiée née à Paris en 1920 dans une famille aisée ? Des préjugés et des codes bourgeois qui font qu’aujourd’hui encore elle est gentille et bien élevée, comme elle l’avoue elle-même ? « Les Françaises demeurent coquettes et séductrices, attentives à la mode, voulant plaire aux hommes ; les Québécoises sont plus sûres d’elles, plus affirmées. Je les admire. »
Bien sûr, toute vie n’est qu’une longue évasion, loin des tabous familiaux ou des contraintes de classe, et la guerrière Groult ne fait pas exception à la règle. Malgré toutes ses luttes et ses victoires, elle se libère difficilement de l’emprise de son milieu et de la domination de sa mère, surtout.
Maman Marie Poiret, devenue Nicole Groult, dessinatrice de mode, « gagnait bien sa vie, c’est-à-dire la nôtre. Elle fut aimée tout au long de son existence par son mari et les admirateurs ne lui manquèrent pas, ni les amoureuses ». Somme toute un beau modèle maternel d’autonomie, même si les personnalités contrastantes des deux femmes ont davantage conduit à l’incompréhension qu’au rapprochement.
Benoîte Groult a une relation « complètement décalée » avec son père André, décorateur et styliste, qui lui enseigne « les activités qui allaient faire les bonheurs de [s]a vie : les Anciens, le sport, la botanique, la mer. Là où [s]a mère ne mettait jamais les pieds, en somme ».
De ce milieu d’artistes où elle côtoie « Paul Morand, Pierre Benoit, André Salmon, Marcel Jouhandeau […] Van Dongen », l’écrivaine émerge en fervente socialiste. « Quand après la guerre j’ai enfin pu aller aux urnes2, j’ai accordé mon premier vote au Parti communiste, celui qui à mes yeux avait défendu la France. Depuis, je vote socialiste, bien que je sente que le Parti soit aujourd’hui en train de se saborder. »
L’enfant Groult est élevée dans la religion catholique, mais l’adulte se définit athée. L’auteure explique, avec son étonnant sens de l’humour : « Les religions sont toutes misogynes. Je ne crois pas aux contes de fée qu’enseigne l’Église catholique, car il n’y a rien après la mort. Et puis, vous pensez, moi qui ai eu trois maris, que ferais-je à la résurrection ? »
Amours, délices et orgues
Veuve du poète Pierre Heuyer, mort en 1944 quelques mois après leur mariage, Benoîte Groult épouse l’animateur-reporter Georges de Caunes (1919-2004), dont elle a deux filles. En troisièmes noces, elle se marie avec le romancier Paul Guimard3 (1921-2004), avec qui elle aura une troisième fille. Benoîte Groult vit pendant 54 ans avec un homme dont elle ne parle guère dans ses livres. Par délicatesse. Elle enfreint le tabou dans Mon évasion et dévoile certains secrets du couple « Je n’avais jamais écrit sur mon mari ; lui vivant, cela lui aurait beaucoup déplu. »
Pendant toutes ces années d’après-guerre, l’auteure vit une histoire parallèle. « J’ai accroché une autre photo dans mon alcôve : celle de Kurt, ce lieutenant américain dans son uniforme de l’armée de l’air […] qui m’avait ensorcelée un soir et pour la vie en m’invitant à danser. » Elle raconte ce fervent amour dans Les vaisseaux du cœur où Kurt se prénomme Gauvain, « un des Douze de la Table ronde ». Elle justifie la liaison : « […] d’emblée, Kurt m’a offert un amour inconditionnel, un don total. Paul et moi avions plutôt conclu un pacte de liberté réciproque… »
Grande passionnée, Benoîte Groult ressemble peut-être davantage à sa mère qu’elle ne veut bien se l’avouer ! La grande dame écrit dans La touche étoile : « […] et aussi les hommes quelquefois le goût pour les hommes se perd-il jamais ? » Le triangle amoureux qu’elle raconte dans ce même roman est celui qu’elle vit avec Paul-François et Kurt-Brian, à qui elle fait dire : « Quand tu recevras cette lettre, ce cœur si plein de toi aura cessé de battre ». S’il a le privilège de « l’antériorité », elle n’a jamais voulu habiter avec lui. « Dans ma famille, la culture est importante et Kurt n’en avait aucune, il ne lisait jamais. L’entente physique était formidable, mais je m’ennuyais mortellement après quelques jours passés ensemble. Je ne m’imaginais pas vivre en Pennsylvanie ! »
Une conscience féministe
Benoîte Groult n’est peut-être pas une féministe de la première heure4, mais elle aspire au titre dès 1975, année de la femme, quand sort Ainsi soit-elle. Elle persiste dans Mon évasion : « Cinquante ans sans prendre conscience, c’est terrible ! Je n’ai été une citoyenne qu’à vingt-cinq ans, avec le droit de vote, et une féministe consciente qu’à cinquante ».
L’écrivaine s’émancipe très tôt, car elle est indépendante de fortune à 25 ans, fait assez rare pour une Européenne en 1945. La veuve habite seule en appartement et gagne bien sa vie. « J’habitais enfin loin de chez mes parents, dans le 16e et je travaillais à la radio. » Elle détient toutes les clés de son autonomie, mais elle ne le réalise que trente ans plus tard.
Après avoir écrit dans les années 1960 quelques romans à quatre mains avec sa sœur Flora, Benoîte Groult signe en 1972 son premier livre seule. La part des choses n’est pas une œuvre féministe, l’auteure n’y est pas encore, ses brûlots sont à venir. Elle découvre par hasard les horreurs de l’excision et de l’infibulation, c’est un dur réveil. « La découverte de ces pratiques, inimaginables dans les pires cauchemars, m’a servi d’électrochoc. […] Une révolte qui n’allait plus me quitter, jamais. »
Outre ses romans et essais, une des grandes réalisations de Benoîte Groult est la fondation en 1978 du mensuel féministe F magazine, avec Claude Sadoc Servan-Schreiber, de la puissante famille éponyme. Le premier numéro affiche en couverture une illustration de la dessinatrice Claire Bretécher, avec un titre percutant : « L’humour change de sexe ».
Récipiendaire de la Légion d’honneur, Benoîte Groult est membre du jury Fémina5 depuis 1982. De 1984 à 1986, elle préside la Commission de terminologie pour la féminisation des noms de métiers, grades et fonctions, domaine où le Québec est chef de file depuis 1979. Elle précise : « La France – dont la première initiative à cet égard remonte à 1986 – s’est inspirée du Québec, ce qui m’a permis de venir souvent à Montréal et même d’aller pêcher avec des amies, dans la profonde forêt ».
La question de l’avortement lui tient à cœur. Elle admet sans pudeur, sans fausse honte, avoir subi plusieurs avortements, avant la promulgation en France de la loi Veil en 1975. « Mon ultime bataille sera la défense du droit des femmes à l’avortement. Il ne faut jamais reculer sur ce sujet. Quand je pense qu’une des dernières personnes à avoir été guillotinée en France est une avorteuse qui ne faisait que son métier, aider les femmes. En 1943. » Au Québec, nous utilisions la jolie expression de « faiseuse d’anges », masquant la terrible réalité.
L’icône Groult – qui concède « quelques » liftings – a-t-elle une potion magique contre les trahisons du corps ? « Vieillir, il faut l’admettre, c’est aussi perdre la beauté du geste », écrit-elle dans Mon évasion. En entrevue, elle parle de sa valise perdue à l’aéroport, retournée éventuellement au bercail, et avoue qu’il lui manquait « tous ces trucs, vous savez, cartilage de requin, oméga 3, enfin… » Benoîte Groult fait attention à elle. Avec coquetterie, parce qu’elle sait soulever la surprise, elle parle de ses exploits : « […] si je me promène encore à bicyclette dans mon quartier ou pour visiter mes filles, je ne vais plus travailler au prix Fémina à vélo. Il faut traverser la place de l’Étoile et ça, je n’aime pas ».
Ne jamais baisser la garde
Phénomène générationnel et sans doute universel, la relation de Benoîte Groult avec ses petites-filles n’est pas facile. « Il y a un fossé entre nous. Pour elles, je suis dépassée, un peu nulle. Pas du tout une icône, non. Alors que les femmes n’ont jamais eu tant de possibilités, tant d’occasions de se développer, qu’elles peuvent accéder à l’université ou aux grandes écoles6, faire de la politique ou accéder au pouvoir, les jeunes femmes ne pensent qu’à se marier, avoir des enfants. »
La vigilance s’impose. Le retour perçu dans nos sociétés à la femme-objet, à la femme à la maison, inquiète l’écrivaine qui voit la France championne d’Europe du taux de maternité7, mais pays qui avec 18 % a un des plus bas taux de représentation des femmes au Parlement. « La parité politique est une plaisanterie chez nous. » La France est en effet en bas de la liste, parmi les pays européens du dernier tiers de classement.
Benoîte Groult vit et a vécu entourée de femmes, ses trois filles, ses trois petites-filles, son arrière-petite-fille, mais étonnamment, il y a peu de copines dans son entourage immédiat, sauf une, une privilégiée : « une amie de toute la vie, quelqu’un à qui je peux dire ‘tu te souviens, la guerre, les années 1940’, qui est de ma génération, quoi ». Pensive, elle ajoute : « Ma sœur Flora me manque. Je regrette de ne pas avoir écrit un chapitre sur elle dans Mon évasion. Nous étions bien différentes, parfois rivales, mais nous avions pourtant une relation forte. Nous partagions la mémoire de nos parents, c’est important. Je me surprends à penser : ‘tiens, je vais conter tel incident à Flora’. Elle est disparue en 2001 ».
Le présent combat de Benoîte Groult, celui qu’elle propose au-delà de la défense des droits des femmes chèrement acquis, est l’euthanasie, la bonne mort en grec. La France n’est pas la Belgique ou la Hollande qui ont légalisé l’euthanasie ni la Suisse qui autorise le suicide assisté. Hélas, s’indigne l’écrivaine. « La ‘touche étoile’, si elle existait, permettrait de mourir dans la dignité, en l’appuyant. Tout simplement. »
1. Paul Guimard, Les premiers venus, Grasset, 1997.
2. La France a accordé le droit de vote aux femmes en 1944.
3. En 1993, Paul Guimard reçoit le prix littéraire de la Fondation Prince Pierre de Monaco pour l’ensemble de sa carrière.
4. Si le féminisme apparaît dans les années 1960 aux États-Unis, avec la loi sur l’égalité des salaires (Equal Pay Act) et la loi sur les droits civiques (Civil Rights Act), c’est à partir des années 1970 que les revendications féministes se structurent vraiment, avec les Mouvements de libération des femmes, le Women’s Lib américain ou le MLF français, ou encore lors des grandes manifestations féministes en Italie (1972).
5. Le prix Fémina est un important prix littéraire français, créé en 1904.
6. On désigne en France comme grandes écoles certains établissements publics d’enseignement supérieur, tels HEC, l’École Polytechnique, l’École normale supérieure ou le Conservatoire national des arts et métiers.
7. Depuis 2005, la France enregistre le taux de fertilité le plus élevé de l’Union européenne avec deux enfants en moyenne par femme.Benoîte Groult a publié :
Journal à quatre mains (avec Flora Groult), roman, Denoël, 1963 ; Le féminin pluriel (avec Flora Groult), roman, Denoël, 1965 ; Il était deux fois (avec Flora Groult), roman, Denoël, 1967 ; La part des choses, roman, Grasset, 1972 ; Ainsi soit-elle, essai, Grasset, 1975 ; Histoire de Fidèle (avec Flora Groult), essai, Des femmes, 1976 ; Le féminisme au masculin, essai, Denoël-Gonthier, 1977 ; Des nouvelles de la famille, essai, Mazarine, 1980 ; La moitié de la terre, essai, Alain Moreau, 1981 ; Les trois quarts du temps, roman, Grasset, 1983 ; Olympe de Gouges, biographie, Mercure de France, 1986 ; Les vaisseaux du cœur, roman, Grasset, 1988 ; Pauline Roland ou Comment la liberté vint aux femmes, biographie, Robert Laffont, 1991 ; Cette mâle assurance, essai, Albin Michel, 1993 ; Histoire d’une évasion, essai, Grasset, 1997 ; La touche étoile, roman, Grasset, 2006 ; Mon évasion, Autobiographie, Grasset, 2008 ; Romans (La part des choses, Les trois quarts du temps, Les vaisseaux du cœur, La touche étoile), Grasset, 2009.Documentaire sur Benoîte Groult : Benoîte Groult, une chambre à elle d’Anne Lenfant, 2006.
EXTRAITS
Le féminisme est-il autre chose que cette transfusion d’âme de celles qui ont osé à celles qui ont préféré accepter les règles du jeu ?
Mon évasion, Autobiographie, p. 11.Les jeunes gens que je rencontrais citaient volontiers Montherlant, auteur dont ils croyaient partager la grandeur en adoptant ses obsessions de virilité. La plupart étaient coutumiers de cette « misogynie de salon » bien française, qui les autorisaient à se croire spirituels dès lors qu’ils débitaient les plaisanteries les plus éculées sur les gonzesses. [ ] Je riais donc avec les autres on n’est pas une pauvre conne pour rien. Et il faut du temps pour comprendre que l’on participe à la misogynie en l’acceptant.
Mon évasion, Autobiographie, p. 40.À celles enfin qui font confiance aux hommes qui sont au pouvoir pour que les choses s’arrangent peu à peu, je voudrais citer une phrase de Virginia Woolf [ ] : « L’histoire de la résistance des hommes à l’émancipation des femmes est encore plus instructive que l’histoire de l’émancipation des femmes ». Si elles ne défendent pas elles-mêmes les droits conquis par leurs mères, personne ne le fera pour elles. Et un droit qu’on n’exerce pas est un droit qui meurt.
Ainsi soit-elle, p. XVII.On a trop longtemps pris notre goût du bonheur pour un signe de médiocrité et notre dégoût de la guerre ou de la violence pour un signe de faiblesse. On a trop longtemps pris la parole de l’homme pour la vérité universelle et la plus haute expression de l’intelligence, comme l’organe viril constituait la plus noble expression de la sexualité. La nature se moque de ces hiérarchies. Pour elle il n’existe pas de bons et de mauvais organes.
Ainsi soit-elle, p. 35.Cette plage où je pêchais encore des hippocampes parfois dans les mares, pendant les années vingt, quand j’espérais devenir zoologiste, comme mon grand-père Deyrolle, ne m’étant pas aperçue que je n’étais qu’une fille et qu’on m’orienterait vers des études plus féminines, les Lettres ou l’Histoire de l’art
La touche étoile, p. 185.Nous avons vécu un hiver difficile, Sydney et moi. Son roman avait obtenu tout l’insuccès qu’il pouvait souhaiter. Mais une chose est d’admirer les auteurs maudits et d’estimer ceux qui ne courent pas après la réussite. Une autre est de vivre l’indifférence du public et l’absence d’écho dans la grande presse. Il y faut une force d’âme et un mépris du commun que Sydney ne possédait pas. Sans parler d’un minimum d’aisance matérielle, qu’il n’avait plus depuis son départ des États-Unis.
Les vaisseaux du cœur, p. 193.À François je ne disais que la moitié de la vérité. [ ] Par un accord tacite, Gauvain jouissait d’une sorte de privilège d’antériorité qui durerait autant que lui. Quant à notre rencontre de mars, je la faisais coïncider avec un reportage et François feignait de me croire. Notre relation en était par moments attristée mais pas envenimée. L’élégance de cœur et la générosité de mon compagnon dans un domaine où si peu de conjoints parviennent à cacher leurs sentiments m’emplissaient de reconnaissance et d’estime pour lui.
Les vaisseaux du cœur, p. 239.Mais je me savais trop prisonnière de mes chers préjugés, tout chauds encore de mon enfance. Et avec cette rigueur qui me tenait alors lieu de personnalité, je ne pouvais lui pardonner son inculture, sa manière de jurer à tout bout de champ, son penchant pour les blousons chinés et les sandales à lanières portées sur des chaussettes [ ]. Je ne lui pardonnais pas sa façon de couper le pain sur son pouce et sa viande d’avance dans son assiette, ni la pauvreté de son vocabulaire qui jetait le doute sur la qualité de sa pensée. Il y aurait trop à faire.
Les vaisseaux du cœur, p. 54.Nelly Arcan : Noir sur noir
Écoutez ici la version audio de ce texte.
Le vendredi 2 octobre 2009. C’est le matin. Partout le temps gris contient le vent ; les feuilles accrochées aux branches se dessèchent lentement. À la fenêtre la nature crève. Bêtement. Aujourd’hui, on ne veut pas mourir dans la mort de l’autre. Et cela veut dire que notre mort doit être unique pour que nous puissions en parler . . .
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Les éditeurs québécois et l’effort de guerre, 1940-1948 de Jacques Michon
Pour évaluer le travail des éditeurs québécois pendant le conflit de 1939-1945 et au cours de l’immédiat après-guerre, il s’imposait de faire appel à un observateur déjà campé sur des décennies de fréquentations et de coups de sonde.
Qui aurait pu mieux que Jacques Michon satisfaire à cette exigence ? À la compétence technique et historique, il pouvait ajouter le courage de l’évaluateur qui tient à la clarté de son bilan. On doit à Michon une éloquente exposition et un éclairant catalogue avec Les éditeurs québécois . . .
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Danny Plourde : Le poète « pas d’pays »
Il est né en pleine crise économique, a grandi dans l’après-référendum, a aimé, a pas mal bu, jure facilement, a porté le vieux flambeau de Miron et croit que l’on peut encore souhaiter vivre en dehors du confort et de l’indifférence.
Il n’a pas trente ans, il fait de la poésie pour sa mère « qui n’a qu’un secondaire cinq », pour son père mécanicien, son frère « qui n’a qu’une sixième année », pour « tous ces intellectuels inconnus qui . . .
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Claudie Gagnon : Objets de considération
La couverture du livre est dure, blanche, une sorte d’album photos, pas cher, avec, dans une fenêtre ovale, l’age des mariés de Passe-moi le ciel, la seule œuvre filmée de l’artiste multidisciplinaire Claudie Gagnon.
Ce choix de couverture pour un ouvrage de référence1 sur son œuvre n’est pas fortuit, et on s’en rend vite compte quand on découvre par les illustrations la banalité des objets que l’artiste accumule et rassemble pour les mettre en situation.
Claudie Gagnon est une . . .
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Alice Ferney, Jean Rouaud : Amour sacré
Deux romans récents, Paradis conjugal d’Alice Ferney1 et La femme promise de Jean Rouaud2, évoquent irrésistiblement par leur titre des expressions consacrées, bien enracinées dans notre culture : paradis terrestre et terre promise. Ces lieux de toutes les utopies sont-ils images d’espoir ou miroirs aux alouettes ? Bien avant de réaliser que cette substitution d’un terme dans les titres créait un lien thématique et sémantique étroit entre . . .
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Confession d’un tricheur (Les Rougon-Macquart d’Émile Zola)
Comment réussir à parler d’un seul livre ? Ça tient de l’impossible. D’entrée de jeu, je vous annonce que je vais tricher. Je parlerai de vingt titres plutôt qu’un, voilà ! Ma tricherie n’est pas trop grave puisqu’il s’agit d’une série, celle des Rougon-Macquart d’Émile Zola.
Plusieurs croiront que je mens en faisant ce choix. On dira que j’ai certainement lu un des vingt tomes qui composent cette série. Eh bien, non ! J’ai toujours résisté à l’envie de lire un des Rougon au hasard. Le . . .
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Femmes et féminisme au Québec : Témoignages et essais
« Les femmes sont à la fois assujetties et protégées, faibles et puissantes, trop méprisées et trop respectées. »
Marguerite Yourcenar, Mémoires d’Hadrien« Elle avait aussi fait l’expérience de se sentir entourée de gens qui souhaitaient accaparer
son attention, son temps et son âme. Et, d’ordinaire, elle les laissait faire. »
Alice Munro, Fugitives« Les hommes évitèrent encore de porter leurs yeux sur cette femme adultère. »
Marguerite Duras, Moderato cantabileAu-delà de l’éternel débat : y a-t-il une littérature dite de femmes ? qui s’adresse spécifiquement aux femmes ? écrite par les femmes ?, existe le plaisir tout simple de partager témoignages et essais québécois récents, d’écrivaines traitant de femmes et de féminisme.
Déjà la sonnerie, pour paraphraser Raymond Devos1… Lorsque Nuit blanche m’a proposé d’écrire cet article, l’offre m’avait mis la puce à l’oreille. La tâche ne sera pas facile, ai-je pensé. Elle présentait par ailleurs un côté séduisant, faire le point sur des projets dirigés par des femmes et sur des écrits d’auteures, ce qui n’était pas pour me déplaire.
Ces femmes écrivaines, elles s’indignent et protestent. Elles réfléchissent et passent à l’action, certaines depuis longtemps. Elles brandissent les mots pour le dire, comme l’a si bien énoncé l’auteure Marie Cardinal.
Dès 1848, le féminisme
Pour expliquer le féminisme à sa petite-fille – née un siècle après la création du Conseil national des femmes du Canada en 1893 –, l’historienne Micheline Dumont remonte en 1848. Le temps passe et « dès les années 1890, on organise déjà des congrès féministes internationaux », écrit-elle dans Le féminisme québécois raconté à Camille2. Au Canada, le droit de vote est contesté jusqu’à son adoption en 1918 au fédéral et en 1940 au provincial, peu avant que les Françaises ne l’obtiennent en 1944 !
Micheline Dumont nous entraîne ainsi, pas à pas, année après année, dans cette histoire du féminisme. Elle développe les moments forts de la lutte, les périodes de guerre, « la grande ébullition » des années 1970, les associations, la presse, les créations artistiques. Jusqu’à la marche Du pain et des roses en 1995.
Sans oublier les jours sombres, tel le 6 décembre 1989, la tuerie à l’École polytechnique à Montréal.
Plonger dans ce livre intelligemment écrit ravive la mémoire et c’est bien.
Voltairine de Cleyre (1866-1912), pionnière américaine
Militante enthousiaste, la bouillante Voltairine de Cleyre se définit comme « une anarchiste » : « [L]a chose est de notoriété publique puisque j’ai beaucoup écrit et prononcé de conférences sur le sujet ». Curieuse, à la défense de la veuve et de l’orphelin, elle possède une érudition qui force alors l’admiration.
Elle ne se marie pas, mais a un fils. « Ce que j’affirme c’est qu’une relation de dépendance permanente nuit au développement de la personnalité. » Avant-gardiste, la Voltairine (pour Voltaire !), née du Français Hector De Claire, venu combattre aux côtés de l’armée nordiste. Éduquée dans un couvent catholique, elle change son nom en de Cleyre.
D’espoir et de raison, Écrits d’une insoumise3, textes réunis par Normand Baillargeon et Chantal Santerre, permet de connaître cette femme passionnée et passionnante. À découvrir, absolument.
Depuis 12 000 ans, les femmes créatrices
Quelle passion et quelle érudition ont soutenu la chercheuse Liliane Blanc ? Afin d’écrire Une histoire des créatrices, L’Antiquité, le Moyen Âge, la Renaissance4, elle dit avoir dû « exercer [s]es talents de polyglotte : comprendre l’anglais surtout, mais aussi l’espagnol, l’italien et l’allemand. [S]e faire traduire d’autres langues ». Le résultat est fascinant. Stupéfiant.
Comme on aime le faire dans une encyclopédie, on se promène dans l’œuvre, on cherche une époque ou un pays, on découvre et on apprend. Les artistes proviennent de tous les coins, depuis l’Antiquité – soit 12 000 ans av. J.-C. – jusqu’à la fin de la Renaissance, au XVIe siècle.
Tiens, les livres de nonnes dont « le plus remarquable date du XIIe siècle ». Au Japon du IVe siècle, des poétesses ; graffitis d’Égypte au IIe ; hymnes byzantins au IXe. Des Françaises troubadours, au XIIe siècle. Des peintres, des sculpteures
Près de 500 pages d’informations, organisées en époques et en territoires géographiques. Simplement lire la table des matières et la bibliographie rend plus savant sinon plus intelligent. Pour les insatiables, n’ayez crainte, un autre tome est annoncé.
De touchants témoignages
La Franco-Algérienne, Berbère et Québécoise Mila Younes (née en 1953) propose Nomade, Récit autobiographique5. « Une histoire de rencontres fortuites sur ma nouvelle terre d’accueil. »
La jeune femme est audacieuse. Pour se bâtir une nouvelle vie loin des siens, pour se libérer des étouffants tabous de son milieu, elle lutte, persiste et signe. À répétition, pour s’en convaincre ou pour nous en convaincre, l’auteure explique la pression sociale qui pèse sur elle. « Une jeune femme kabyle, qui plus est, divorcée, ne pouvait partir seule si loin. Ma réputation et celle de mes parents allaient en souffrir. » Elle dénonce : « Tu n’as pas honte, me dit ma mère. As-tu oublié d’où tu viens ? Le nif6, l’honneur de notre famille »
Autre temps, autre contexte. L’Américaine Maya Angelou (née en 1928) est poétesse, écrivaine, actrice et militante du mouvement pour les droits civiques. Le premier volume de son autobiographie Tant que je serai noire7 raconte ses péripéties de jeune mère célibataire à travers les États-Unis et l’Afrique, où elle suit les luttes colonialistes des années 1960. Maya Angelou a du courage à revendre, comme le confirme sa propre mère : « Elle a visité l’Égypte, l’Espagne et la Yougoslavie et elle a parcouru Milan, en Italie, en tous sens. Elle est danseuse et chanteuse ».
Détentrice de plusieurs doctorats honorifiques et prix littéraires, Maya Angelou a été et est toujours une figure emblématique de la vie politique de son pays. Si l’écriture de Tant que je serai noire est parfois difficile à suivre, le vivant témoignage vaut le détour.
Les témoignages d’héroïques Anglo-Canadiennes des XIXe et début XXe siècles ajoutent une autre couleur à cet exposé. Dès les premières lignes de Ces pionnières de l’Ouest8, Nadine Mackenzie s’explique : « L’épopée de l’ouest du Canada est basée sur les témoignages les plus divers, les plus audacieux, les plus invraisemblables et les plus courageux. Un certain nombre d’hommes, de femmes et même quelques membres du clergé écrivirent leurs expériences, leurs réminiscences ».
La mémoire collective a retenu quelques noms de cette période de l’histoire, le Métis Louis Riel (1844-1885) ou monseigneur Alexandre Taché (1823-1894), Québécois de Kamouraska. Moins connues sont ces femmes d’exception que l’écrivaine fait sortir de l’ombre. « Il n’y avait absolument aucune loi pour les protéger. Elles dépendaient d’abord du bon vouloir de leur père, puis de celui de leur époux. » De belles histoires des pays de l’Ouest.
La troisième vague du féminisme québécois
Sous la direction de Maria Nengeh Mensah, un collectif s’interroge et réunit ses réflexions dans Dialogues sur la troisième vague féministe9, sans avoir « la prétention d’offrir une définition précise de la troisième vague du féminisme ».
Résumons tout de même. « La ‘première vague’ correspond au mouvement amorcé au XIXe siècle. Souvent présenté autour des revendications du droit de vote des femmes » « Une seconde étape se dessine au milieu des années 1960 et début des années 1970, fondée sur une conviction selon laquelle il est impossible d’instaurer l’égalité dans un ‘système patriarcal’. » « La troisième vague concorde avec la déconstruction de la catégorie ‘femme’ comme référent unique et monolithique d’une supposée position féministe dominante. D’où […] fragmentation du mouvement, source majeure de conflits entre deux générations », les baby-boomers et les générations X et Y.
Le propos – sérieux – est à la mesure du titre. La vingtaine d’auteurs sont engagés. Tour à tour, ils tendent une perche à qui voudra bien la saisir.
En guise de conclusion, la démocratie
Diane Guilbault signe avec Démocratie et égalité des sexes10 une superbe synthèse « des liens complexes entre démocratie, laïcité, religion et égalité des sexes ». Avant d’expliquer clairement et sans émotion les ratés qu’elle perçoit dans les résultats de la Commission Bouchard-Taylor11, l’auteure revient sur les fondements de la société. Elle revisite la démocratie libérale du Canada et la social-démocratie dont s’est doté le Québec « à l’instar des pays scandinaves ».
La chercheure analyse les dérapages historiques et les jugements pour le moins étonnants dans des affaires connues de crucifix, de kirpans, de charia, de vitres givrées, de viols d’honneur. L’argumentaire est mené de main de maître, l’écriture, fluide, les références, de qualité. Rarement un essai a-t-il été aussi percutant.
Aujourd’hui encore, la cause des femmes connaît des succès et soulève des inquiétudes. Victoire pour la journaliste soudanaise Loubna Ahmed al-Hussein incarcérée « pour avoir porté le pantalon dans un lieu public12 » et depuis libérée. Surprise devant cette première historique : « [I]l y a plus de femmes que d’hommes sur le marché du travail13 » . Étonnement devant cette donnée : « [L]es Québécoises sont maintenant les plus scolarisées, représentant 52 % des diplômés universitaires âgés de 25 à 64 ans14 ».
Les choses bougent, mais la route à parcourir est encore longue, sister…
1. « Déjà la sonnerie, elle n’était pas comme d’habitude », avoue Raymond Devos (1922-2006) qui reçoit un appel téléphonique vraiment inattendu de la Pucelle Jeanne d’Arc.
2. Micheline Dumont, Le féminisme québécois raconté à Camille, Remue-ménage, Montréal, 2008, 248 p. ; 21,94 $.
3. Voltairine de Cleyre, D’espoir et de raison, Écrits d’une insoumise, textes réunis et présentés par Normand Baillargeon et Chantal Santerre, Lux, Montréal, 2008, 328 p. ; 28,95 $.
4. Liliane Blanc, Une histoire des créatrices, L’Antiquité, le Moyen Âge, la Renaissance, Sisyphe, Montréal, 2008, 474 p. ; 40 $.
5. Mila Younes, Nomade, Récit autobiographique, David, Ottawa, 2008, 352 p. ; 22,95 $.
6. Sur le Web, quelques explications. « Le nif veut dire la fierté, le nez vers le haut. Cela veut dire laver le linge sale en famille surtout. »
7. Maya Angelou, Tant que je serai noire, traduit de l’américain par Lori Saint-Martin et Paul Gagné, Les Allusifs, Montréal, 2008, 368 p. ; 29,95 $.
8. Nadine Mackenzie, Ces pionnières de l’Ouest…, Des Plaines, Saint-Boniface, 2008, 112 p. ; 14,95 $.
9. Sous la dir. de Maria Nengeh Mensah, Dialogues sur la troisième vague féministe, Remue-ménage, Montréal, 2005, 245 p. ; 22,95 $.
10. Diane Guilbault, Démocratie et égalité des sexes, Sisyphe, Montréal, 2008, 139 p. ; 12 $.
11. Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles (2008).
12. Serge Truffaut, « Le combat d’Hercule », Le Devoir, septembre 2009.
13. « La parité et un peu plus », Radio-Canada, Presse canadienne et TCA, septembre 2009.
14. Institut de la statistique du Québec (ISQ), 2009 (recensement 2006).EXTRAITS
J’étais de retour en Californie après une tournée européenne d’une année comme première danseuse de l’opéra Porgy and Bess. Pendant des mois, j’avais chanté dans des boîtes de nuit de la côte ouest et d’Hawaï et mis un peu d’argent de côté. Nous nous joignîmes alors, mon jeune fils Guy et moi, à la brigade des beatniks. Au grand désarroi de ma mère et au grand plaisir de Guy, nous traversâmes le Golden Gate Bridge pour nous établir dans une communauté de péniches, où j’évoluais pieds nus et en jeans, sans me donner la peine de repasser nos vêtements.
Maya Angelou, Tant que je serai noire, p. 12.Partir n’est pas une chose facile, surtout lorsqu’on vient d’une culture traditionnelle où les filles ne partent pas à l’aventure. J’étais étonnée que mes parents n’aient pas usé de leur influence ou de leur autorité pour m’empêcher de faire ce voyage. Un de mes oncles paternels n’auraient jamais toléré une telle attitude de la part de sa fille. Il serait même allé jusqu’à la tuer pour sauver son honneur et celui des siens.
Mila Younes, Nomade, Récit autobiographique, p. 134.Si l’on en juge par mes premières influences et mon éducation, j’aurais dû être une religieuse, glorifiant l’autorité dans sa forme la plus centralisée, comme le font en ce moment quelques-unes de mes anciennes camarades de classe dans les maisons de l’Ordre des Saints Noms de Jésus et de Marie. Mais l’esprit ancestral de la rébellion s’est affirmé en moi alors que je n’avais que 14 ans et que j’étais écolière au Couvent de Notre-Dame-du-Lac-Huron, à Sarnia, en Ontario.
Voltairine de Cleyre, D’espoir et de raison, Écrits d’une insoumise, p. 110.Il y a donc du pain sur la planche et les enjeux mondiaux ne doivent pas nous faire perdre de vue la fragilité des acquis de la révolution féministe au Québec. Le féminisme s’est renouvelé plusieurs fois en un siècle et il semble bien qu’il soit à la veille d’une transformation de ses effectifs et de ses actions. Plus que jamais, il faudra compter sur la jeune génération. Et elle pourra mieux agir si elle connaît l’histoire de cette lutte séculaire, si elle sait où trouver les informations indispensables.
Micheline Dumont, Le féminisme québécois raconté à Camille, p. 226.Ô, fleur de henné,
Mon cœur s’éveille en ta présence.
Pour toi, mes yeux brillent du khôl qui les souligne.
Quand je Te regarde, je vole vers Toi, ô mon bien-aimé !
Ô, Maître de mon cœur, que cette heure est douce.
Une heure avec Toi vaut plus qu’une heure dans l’Éternité !
(« Papyrus Harris », XIIe siècle av. J.-C., XXe dynastie des pharaons d’Égypte, sous Ramsès IV.
Liliane Blanc, Une histoire des créatrices, L’Antiquité, le Moyen Âge, la Renaissance, p. 30.C’est alors qu’on s’est interrogé sur l’absence des créatrices dans les histoires des arts, que les recherches se sont multipliées, que petit à petit on s’est rendu compte qu’il y avait une production féminine – et dans de nombreux cas, quelle production ! –, mais que dans la perpétuation du souvenir, il y a eu négligence ou indifférence, omission, abandon, destruction, négation. Et oubli.
Liliane Blanc, Une histoire des créatrices, L’Antiquité, le Moyen Âge, la Renaissance, p. 9.Certaines pionnières de l’Ouest furent reconnues de leur vivant pour leur participation, d’autres furent totalement ignorées et on ne les a redécouvertes qu’à la lumière de ce siècle. Par-delà le patrimoine touchant qu’elles nous ont légué, par-delà l’hypocrisie, les humiliations et les brimades qu’elles subirent, par-delà les victoires et les succès qu’elles remportèrent, elles resteront à jamais nos mères et nos sœurs.
Nadine Mackenzie, Ces pionnières de l’Ouest…, p. 10.Il n’est pas étonnant de constater que les hommes au Québec sont divisés au sujet du féminisme. Plusieurs se réjouissent de ses victoires au nom des principes d’égalité, de liberté, de justice et de solidarité. Nombreux sont les hommes au Québec qui sentent que le féminisme a eu un impact positif sur leurs structures identitaires, puisqu’il les a en partie libérés de rôles stéréotypés dans lesquels l’idéologie patriarcale les enfermait. En bref, l’identité des hommes au Québec a déjà été partiellement transformée pour le mieux par les vagues successives du mouvement féministe.
Francis Dupuis-Déri dans Dialogues sur la troisième vague féministe, sous la dir. de Maria Nengeh Mensah, p. 158.Les baby-boomers, nées entre 1947 et 1961, considèrent que les fondements mêmes du féminisme sont remis en cause [ ], alors que les membres des générations X, nées entre 1961 et 1981, et Y, nées après 1981, insistent sur la multiplicité comme seule manière valable à leurs yeux d’envisager les réalités des femmes. C’est pourquoi, pour les féministes du XXIe siècle, une troisième vague s’impose.
Maria Nengeh Mensah, Dialogues sur la troisième vague féministe, p. 14.L’argument « accommoder pour intégrer », que privilégie le rapport Bouchard-Taylor, ne convainc pas la chercheuse : une démarche d’intégration, dit-elle, ne saurait se faire au détriment des droits et des valeurs communes de la société d’accueil. Les personnes immigrantes ont aussi un rôle à jouer dans leur propre intégration, notamment en apprenant à mieux connaître la culture du milieu dans lequel elles ont choisi de vivre et en respectant les valeurs démocratiques.
Diane Guilbault, Démocratie et égalité des sexes, p. 11.Si le droit de choisir est un gain des féministes, tous les choix ne sont pas forcément féministes. Enfin, s’il est vrai que l’ignorance peut nourrir l’intolérance, il est aussi vrai que la tolérance est parfois le fruit de l’ignorance. La société a donc un devoir d’éducation afin de rappeler et d’expliquer les discriminations, contre les femmes notamment, et les luttes menées pour éliminer ces discriminations.
Diane Guilbault, Démocratie et égalité des sexes, p. 115.Roger de Lafforest (1905-1998)
Ami de Jean Cocteau, de Maurice Sachs et de Blaise Cendrars, le poète et romancier Roger de Lafforest (1905-1998) est l’auteur complètement oublié d’une œuvre atypique, dont les romans Kala-Azar (1930) et Les figurants de la mort (1939) offrent un séduisant métissage de surréalisme et d’exotisme. Un de plus qui, comme Robert Poulet (le brillant romancier d’Handji) et quelques autres écrivains de droite, ne mérite vraiment pas son sort.
L’histoire de Lafforest est . . .
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De la prison à la chambre de Philippe Mottet
Sur la sobre couverture blanche, la grande roue d’un ancien moulin. Image du cycle de la vie biologique, de son courant comme une eau indifférenciée qui, en s’engageant dans une aube, s’individualise avant de revenir à son état originel, mais aussi représentation du mouvement par lequel, d’une génération à l’autre, ininterrompu et sans fin, continue la vie de l’Esprit.
De ce processus toujours neuf de la transmission, Philippe Mottet a fait la réflexion centrale de son ouvrage De la prison à la chambre, Essai sur les frontières humaines1. Il ne l’aborde pas de plain-pied, il y vient par détours et méandres, dans la ligne, selon l’allure et le ton de Montaigne dont il se réclame. Et il se souvient aussi du Noé de Jean Giono sur qui il a écrit une thèse brillante. Il part d’une préoccupation de longue date, « cette affaire des frontières entre les êtres, entre nous et le monde, à l’intérieur de moi-même ». L’expérience de la clôture, et plus spécifiquement celle du « captif hors de la base, prisonnier hors de la maison », crée un émoi, voire une panique, elle parle à la fois du besoin de l’abri et de celui d’en sortir à loisir. La personne se constitue ainsi dans la double nécessité de la limite et de la liberté. Aujourd’hui on clame et réclame celle-ci, on oublie celle-là.
Pour les aînés qui s’irritent de voir les plus jeunes, tout étourdis par l’illusion présente, jeter par-dessus bord tradition, histoire et solidarité, il est réconfortant qu’un homme dans la quarantaine s’interroge sur le legs du passé et affirme contre la mode qu’il faut de la discipline, de la rigueur, et, pourrait-on ajouter, de la patience, pour penser et pour vivre : la liberté vraie est à ce prix sinon elle n’est que licence stérile et destructrice. Cette exigence se vit notamment dans la conscience d’une continuité et non dans la croyance que rien ni personne ne nous a précédés.
Philippe Mottet donne des pages émouvantes sur la filiation à la mère et sur le sentiment paternel : devenir père d’une fillette a été un des grands moments de sa vie. Et cette parenté selon la chair se double et se complète indissociablement de la conscience aiguë d’appartenir à une tradition culturelle : il l’assume et la revendique. Ce n’est pas un hasard ni un étalage d’érudition comme Montaigne il abhorre la pédanterie s’il cite des auteurs grecs dans le texte, s’il recourt à l’étymologie des mots pour éclairer leur sens, s’il commente avec finesse quelques phrases de Proust ou d’Artaud, quelques vers de Villon, d’Anne Hébert et surtout du cher Miron. La culture de Philippe Mottet est étendue, des Suvres et mythologies de l’Antiquité à la chanson populaire contemporaine, il puise dans Homère aussi bien que dans Leonard Cohen, tout pouvant être matière significative à condition que cette culture soit, comme elle est ici, interrogée.
Il le fait à son propre bénéfice et à celui de ses étudiants. Dans cette relation, dit-il fort bien, « le meilleur se joue à notre insu ». Elle lui inspire aussi des pages parmi les meilleures, marquées par la vivacité de l’écriture toujours nette et concise , parfois par une pugnacité opportune et un élan vigoureux né du désir de partager. Par un enthousiasme, au sens littéral. L’auteur rappelle ses propres découvertes et ses éblouissements, alors qu’il avait l’âge de ceux qui l’écoutent maintenant : les classiques de l’Antiquité, la Renaissance. Se sont ajoutés Fernando Pessoa et Paul Auster, Marguerite Yourcenar et Pierre Vadeboncœur dont il fait ses constantes références pour nourrir sa réflexion et son écriture. C’est dans l’essai que manifestement celle-ci trouve à s’accomplir : cette forme permet de rester proche de l’émotion qui la suscite, que ce soit indignation, perplexité, admiration ou amour (sur lequel l’auteur se promet de revenir plus largement). L’essai permet, la plume à la main, de clarifier. Il lui faut éviter l’exposé, le didactisme, l’érudition. L’auteur y réussit en privilégiant le fragment, la réflexion d’abord pour soi-même, en utilisant ses connaissances au même titre que les données autobiographiques. « Dans la forme libre de l’essai, je trouve non pas le droit de tout faire, ou de tout dire ce n’est pas là ma définition de la liberté simplement un endroit où exercer une manière d’être et de penser […]. Je trouve ici un lieu où exister, moi le bâtard de la culture occidentale, parce que, en tout instant de ma vie, barbare et cultivé à la fois, je me sens écartelé. Ici seulement, dans cette chambre de l’écriture, il m’est permis d’être tout entier moi-même, fidèle à mes dimensions et à mes frontières, ni plus ni moins. » Le livre se boucle donc, l’écriture s’interrompt, provisoirement. Alors qu’Ulysse, cher à l’auteur, accomplissait sur les mers son destin, c’est dans la « chambre de l’écriture » que Philippe Mottet trouve son espace privilégié. C’est là que, selon la passion de la liberté qui l’anime, il peut vivre sa propre aventure.
1. Philippe Mottet, De la prison à la chambre, Essai sur les frontières humaines, L’instant même, Québec, 2008, 150 p. ; 20 $.
EXTRAITS
Le monde n’est qu’une branloire pérenne, en effet, et force est d’admettre que la plupart du temps nous ne nous trouvons pas là où nous croyons être. Notre esprit est le plus voyeur des voisins, qui sans arrêt jette un Sil par-dessus la clôture, imagine ce qu’il ne peut qu’entr’apercevoir. Nous passons la majeure partie de notre existence à« sortir » de ces limites qui, nous le pensons, circonscrivent notre individualité.
P. 10.De toute façon, pour l’exercice que je me propose ici, soit de m’appliquer à retracer et à examiner pour mon profit quelques moments où ces frontières se sont révélées à moi, la manière poétique ou philosophique ne serait d’aucune utilitéà ma plume : la poésie me semble sans mélange et la philosophie, trop abstraite. Sans compter que toutes deux, sans presque de chair ou exsangues, n’ont pas, comme l’humble et modeste prose, la semblance des jours pleins de nuances, ni l’épaisseur des ans, et ne peuvent s’accorder au rythme de la vie dont on fait l’expérience.
Et puis, je le confesse, j’ai plaisir à prendre mon temps et à cheminer par détours.
P. 10.Hélène Pedneault : Le désir créateur
Le désir, selon Hegel, c’est du rien qui se change en quelque chose, c’est ce qui est au soubassement de ce qui advient.
Hélène Pedneault l’avait bien compris, elle qui a écrit La force du désir, un des plus beaux textes de mobilisation de la nation québécoise en faveur de l’indépendance du Québec ; elle qui a écrit les paroles de la chanson « Du pain et des roses » pour accompagner la première marche mondiale des femmes en faveur de . . .
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Philippe Sollers : Brillante expression de la jouissance intellectuelle et sensuelle d’être
Nietzsche et Casanova, Épicure et Rimbaud sont ses inspirateurs, d’autres diraient ses maîtres, énonçant ainsi le plus stupide des contresens. Comme tous les créateurs, c’est essentiellement un insoumis qui ne saurait suivre un modèle, même en se donnant pour objectif de le dépasser.
Seule l’admiration qu’il éprouve pour le génie des autres nourrit le sien. Bach l’émeut, Picasso le fascine, toute œuvre accomplie le fait vibrer de joie.
Toujours, il plante le drapeau de la culture au faîte, sans se préoccuper de la cordée. C’est ce que plusieurs lui reprochent. Et ils en profitent pour ne pas le lire, sans pour autant se priver d’éreinter son œuvre. Ce qu’ils n’avouent pas, c’est leur dépit de le voir afficher avec désinvolture sur toutes les tribunes sa superbe aisance aussi bien à vivre qu’à écrire.
L’écrivain décrié comme auteur mondain, égocentrique, libertin, dédaigneux des débats et combats politiques actuels (si tant est qu’ils existent), papiste par surcroît, qui pense pour penser, marque flagrante d’un dévergondage d’oisif. La pensée doit porter des fruits, décrètent en chœur et la mine assurée les intellectuels de tous bords qui n’ont d’idées que celles des autres, les « parasites », comme les qualifie Philippe Sollers dans Les voyageurs du temps.
Pourtant, qui mieux que lui porte sur notre monde un regard plus aigu et plus cohérent. Cohérence qui organisesa pensée dans son art et dans son existence, qui préside à la réalisation de chacun de ses livres, de chacun de ses actes.
Cohérence du critique, de l’essayiste, du romancier, dont l’œuvreentière a pour enjeu essentiel de montrer à l’évidence les multiples conséquences mortifères de la guerre des sexes, issue de la volonté, et entretenue par elle, de contrôle de la jouissance érotique « au profit de l’homosexualité masculine » et au maintien des femmes « dans la répétition de procréation ». Lire Femmes (Gallimard, 1983) pour comprendre cette critique foncièrement féministe du rôle des femmes dans le perpétuel étouffement de la singularité de chaque être humain, critique développée sous apparence d’hostilité déclarée contre elles, en réalité contre les mères, actives exécutrices des desseins du pouvoir patriarcal.
L’écrivain qui démontre comment les créateurs et créatrices d’œuvres de pensée et d’art ont réussi, au long des siècles, à échapper à cette emprise et, dans le même souffle, à maintenir vivante l’humanité, en lui montrant la liberté à l’œuvre. La guerre du goût (Folio, 1996) et Éloge de l’infini (Gallimard, 2001) sont des hymnes aux hérauts de cette exemplarité.
L’écrivain qui se considère comme leur riche et heureux héritier et se nourrit de leurs œuvres avec un sentiment d’immense gratitude. Il les fréquente assidûment pour toujours mieux les comprendre et mieux nous les faire connaître ou redécouvrir à travers son approche inédite et pénétrante.
L’écrivain qui fait de la culture façonnée par les œuvres de pensée et de beauté, ces actes absolus de rébellion, le fer de lance du combat à mener actuellement contre les puissances de déshumanisation d’une humanité ravagée par l’insignifiance du Spectacle et par la domination de l’instrumentalisation Technique, diluée dans l’abolition de ses différences, dans l’uniformisation de ses besoins et désirs et de ses manières de les satisfaire, refluée dans l’analphabétisme et l’illettrisme, enlisée dans la vulgarité d’un plaisir sans désir.
Cohérence de l’homme dans ses choix de vie, tous indissociablement liés à son éthique du bonheur qu’il conjugue à l’impératif d’une existence humaine s’accomplissant dans la réalisation de ses hautes exigences intellectuelles, cordiales et sensuelles.
Sollers ne hiérarchise pas les joies de l’intelligence. Pour lui sont égales celles nées d’une relation amoureuse épanouie qui n’a à voir que partiellement avec le sexe et le sentiment, mais tout avec la liberté de la rencontre, celles éprouvées dans la contemplation d’un lever de soleil aussi bien que celles qu’apporte la délectation d’un chef-d’œuvre littéraire et d’art.
Auteur de plus de 60 ouvrages, dont Une vie divine, à mon avis le roman de langue française le plus ample et le plus profond de notre contemporanéité, qui a aiguisé jusqu’à leur fine pointe mes enthousiasmes intellectuels.
Qu’en est-il de ses récents ouvrages ?
Pour cette chronique, j’ai lu coup sur coup Un vrai roman, Mémoires (Plon, 2007), Grand beau temps (Le cherche midi, 2008) et Les voyageurs du temps (Gallimard, 2009)1, pour constater rapidement la difficulté, sinon l’impossibilité de faire un compte-rendu de ces ouvrages de Sollers, sans d’abord parler del’ensemble de son œuvre. Force est d’admettre qu’ils ajoutent peu à son accomplissement. Ils m’ont déçue, même s’ils sont essentiellement de la même belle eau que les précédents.
Grand beau temps
Il s’agit d’un recueil de citations extraites de plusieurs ouvrages de Sollers, colligées et éditées par un dénommé Guillaume Petit, en 2008, aux éditions Le cherche midi. Pensées et aphorismes présentés sans jamais faire référence à l’ouvrage dont ils sont tirés. C’est le genre, je le sais. C’est néanmoins exaspérant. Comme s’il allait de soi de considérer ces courts fragments d’une œuvre peu connuecomme éléments constitutifs des cultures générales de langue française.
Je reproche à Sollers d’avoir consenti à cette publication, approbation qui ne peut que renforcer sa réputation d’écrivain vaniteux.
Toutefois, à quelques exceptions près, ces pensées et aphorismes expriment l’autonomie de leur sens respectif et donnent au bout du compte une juste idée de la vision du monde de Sollers. Si bien qu’en dépit des réticences qu’il m’inspire, je recommande ce livre d’à peine une centaine de pages à tous ceux et celles qui se sont laissé détourner de l’œuvre sollersienne par les journalistes et analystes pisse-vinaigre qui au fil des ans l’ont vilipendée, faute de la comprendre, si ce n’est de la lire.
Un vrai roman, Mémoires
Les deux défauts de ces Mémoires relèvent du paradoxe. D’où vient en effet le sentiment que Sollers y parle trop de lui-même, puisqu’il s’agit du récit de sa vie ? D’où vient l’impression que l’amertume est la trame majeure de cette autobiographie, alors que l’auteur y retrace avec intelligence ses expériences existentielles et littéraires, toutes présentées comme de riches moments d’épanouissement ou y conduisant ?
Très certainement, parce que Sollers dans cette autobiographie ne parle des autres, y compris de Dominique Rolin et de Julia Kristeva, ses constants et heureux amours, y compris de Shakespeare, Dante, Nietzsche, Bach, Mozart et de tout le XVIIIe siècle, objets de sa grande vénération et de ses plus profondes joies intellectuelles, que pour les ramener à lui, pour mettre en valeur le bon goût et la congruence de ses choix. De même en est-il de ses références multiples aux penseurs et écrivains contemporains qu’il a fréquentés ou à tout le moins rencontrés, de Lacan à Barthes, de Mauriac à Malraux, sans oublier les Breton, Ponge, Foucault et autres Antoine Gallimard, pour ne nommer que les plus réputés parmi ceux qui ont louangé ses écrits, attestations évoquées, pour ne pas dire invoquées, comme preuve de son talent et a contrario de l’indigence actuelle de la « France moisie » à le reconnaître.
Il en souffre, c’est manifeste, même s’il ne l’avoue pas. Au contraire, il surenchérit sur ses déclarations d’indifférence aux critiques, se targuant de son adhésion au conseil de Nietzsche, cité, page 254 : « Place entre toi et aujourd’hui au moins l’épaisseur de trois siècles ». En laissant ainsi entendre sa certitude de passer à la postérité, il nie orgueilleusement sa vulnérabilité à la présente dépréciation de son œuvre qu’il croit avec raison être grande. Cette impuissance às’abandonner disqualifie le titre de l’ouvrage, car elle empêche que ces Mémoires soient un vrai roman.
Pourtant, comme il commence bien. Dès ses trois premières lignes, l’atmosphère est créée, on se croirait dans un roman de Simenon. Je cite : « Quelqu’un qui dira je plus tard est entré dans le monde humain, le samedi 28 novembre 1936, à midi, dans les faubourgs immédiats de Bordeaux, sur la route d’Espagne ». Ce « je » qui ne naît pas, mais entre « dans le monde humain », est de toute beauté. Il caractérise d’emblée le juste rapport que Sollers établira sa vie durant entre lui-même et l’en dehors, celui de la distance : solitude sans isolement. Autres pages magnifiques, celles consacrées à son enfance, où il parle de sa mère, femme souveraine qui a su se dégager de sa fonction maternelle, disant ce qu’il doit à sa finesse et à sa liberté. Enfin, il y a tout le chapitre intitulé « Reprise », qui exprime génialement l’incarnation dans sa vie, depuis sa naissance jusqu’à maintenant, son parti pris de s’arracher à tout prix aux lois de la reproduction sociale.
Matière à roman, certes, cette histoire passionnante de la vie d’un contemporain exceptionnel, de surcroît écrite avec style, demeure néanmoins dans les limites communes à l’autobiographie.
Les voyageurs du temps
L’intrigue-prétexte de ce roman se noue autour de la relation érotique du narrateur avec Viva, une jeune militaire en présence de qui il s’entraîne au tir, à Paris qu’il aime et dont il parle avec une éblouissante érudition. En fait, cet ouvrage répète son admiration pour les créateurs de culture et son dégoût pour la déliquescence de notre époque, soumise aux décrets du quatrième pouvoir et de ses mandarins, ces pique-assiettes, ici nommés « parasites » qui n’ont d’autre talent, conformes à leur ignorance et à leur petitesse, que de nourrir la culture avec les miettes recyclées des œuvres de création.
Comme dans ses livres précédents, Sollers recourt à la mise en exergue, par voie de citations, des démarches existentielles et créatrices des penseurs, des écrivains et des artistes qui ont traversé le temps, le génie de « la Bête », indestructible, l’emportant nécessairement sur ses parasites. L’apport de ce nouvel opus réside dans la réflexion inédite sur les derniers moments de la vie. Où était Hölderlin ? Qu’est-il arrivé à Isidore Ducasse ? s’inquiète l’auteur qui, à 73 ans, prend conscience de sa vieillesse. Il se délecte néanmoins comme jamais des œuvres d’art et de pensée et dans le même souffle nous fait partager sa joie.
Pardonnons-lui ses quelques radotages.
1. Philippe Sollers, Grand beau temps, Le cherche midi, Paris, 2008, 24,95 $ ; Un vrai roman, Mémoires, Plon, Paris, 2007, 34,95 $ ; Les voyageurs du temps, Gallimard, Paris, 2009, 33,95 $.
EXTRAITS
C’est beau une femme qui n’a pas peur.
Grand beau temps, p. 11.En réalité, tranquillement, sans insistance, Watteau a commis un crime étonnant. Que ses femmes soient là pour rien, dans la gratuité de la dépense pure ; qu’elles soient à la fois chez elles et pour rien, c’est déjà une insulte à toute religion du pouvoir.
Grand beau temps, p. 75-76.Toutes les religions et la philosophie, depuis Platon, procèdent à une captation et à une confiscation d’Éros au profit de l’homosexualité masculine, dans un but politique et social reléguant les femmes dans la répétition de procréation.
Grand beau temps, p. 95.Chaque fragment de Bach est dimanche.
Grand beau temps, p. 77.Je crois à ce qui me fait plaisir. Me transporte. M’enchante. M’allège. Me donne le sentiment d’un salut. Raisonnable, non ?
Grand beau temps, p. 109.Il n’est pas un écrivain qui, à un moment ou à un autre, ne nous parle de la lecture. Et pour cause ; peut-être que le sujet central de tous les vrais livres est là.
Grand beau temps, p. 83.La tradition française est le roman philosophique et il faut bien admettre que, désormais, la plupart des écrivains ne pensent pas fort (il arrive même qu’ils s’en vantent).
Un vrai roman, Mémoires, p. 213.Je passe parfois un peu de temps à lire les romans que je reçois. […] Les hommes semblent épuisés et perdus, les femmes souffrent et le disent. Non seulement le bonheur n’existe pas et ne peut pas exister, mais il ne faut pas qu’il existe.
Un vrai roman, Mémoires, p. 302.Paris se célèbre, bouillonne, s’insurge, retombe, meurt, s’insurge à nouveau et remeurt. En ce moment, la ville est de nouveau quasi morte, elle est dominée par l’imposture et l’affairisme, c’est déjà arrivé, le désespoir a pu en emporter certains.
Et pourtant :
[…] Paris a été, est et sera. Les voyageurs du temps s’en occupent.
Les voyageurs du temps, p.127-128.Jeu de dames de Mario Bellatin
Exercice de style plus que roman à histoire, Jeu de dames1 de Mario Bellatin est un petit bijou du genre, pour qui aime, bien entendu, les histoires de forme plus que les histoires tout court.
Le roman est bref, divisé en deux parties, qui ont fort peu de liens entre elles – on pourrait presque y voir deux longues nouvelles.Malgré l’absence d’une trame narrative en bonne et due forme, il s’en dégage l’étrange impression que la vie des personnages est un peu la nôtre . . .
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Donald Alarie : Avec sa fragilité ordinaire… (entrevue)
Il fait partie, dit-il, de ceux qui chuchotent. Mais les nouvelles, les romans et la poésie de Donald Alarie, murmurés depuis plus de trente ans, pavent les sentiers de nos vies quotidiennes comme de petits cailloux qu’on repère tout à coup et qu’on garde à portée de main, tel un talisman, pour le reste de la route tant on s’y retrouve entre les lignes.
Lauréat, entre autres, du Grand Prix du Conseil des arts et des lettres du Québec dans Lanaudière en 2006, Donald Alarie écrit sotto voce une . . .
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Jean Malaquais (1908-1998)
Jean Malaquais est allé pour ainsi dire partout dans le monde. Cependant, ses textes, longtemps, n’ont plus paru nulle part. Depuis 1995, on doit aux éditions Phébus et Le cherche midi de les redécouvrir.
Quant à leur auteur, il leur a consacré ses ultimes forces : jusqu’à sa mort, en 1998, et malgré la maladie qui l’épuisait, Malaquais s’est livré sur ses premières œuvres à un intense travail de relecture, de correction et même de réécriture en vue de leur réédition. Entré en littérature dès l’adolescence, il conserva intacte . . .
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Le voyeur de romans (Au château d’Argol de Julien Gracq)
C’est un livre, un livre ou un château. En haut d’une étagère, au bord de la mer, c’est Au château d’Argol de Julien Gracq. Pour s’y rendre, il faut quitter sa propre route, atteindre ce mur d’arbres où, dans ce roman écrit en 1938, la forêt est, paraît-il, un élément insonorisant.
Mais tout ne se veut-il pas insonorisant chez cet écrivain ? J’ai toujours craint d’entrer dans l’intimité de Gracq, dans le velours épais de ses pensées. Peur du silence qui règne entre ce mur de mer et ce mur d’arbres, peur que cette écriture d’un autre siècle finisse par m’insonoriser aussi, je déteste être insonorisé. Tiens, j’ai déjà traversé la forêt sans m’en rendre compte, j’aperçois le château.
Dans la cour d’un château, le vrai gardien c’est toujours le passé. Les tourelles se tiennent fières, se tiennent pierres, leur forme circulaire échappe au temps. Je suis un parfait intrus et le tapis de gravier sur lequel j’essaie de marcher pourrait m’aspirer comme un rien, le sol non plus n’échappe pas à cette insonorisation. On dirait que les personnages du livre sont déjà là, des ombres, des ombres qui cherchent leurs contours, se mettent en place dans des grandes fenêtres du château, fenêtres dont on ne sait qui lave les carreaux tant elles sont hautes. Ces mêmes ombres qui courent toujours après leur source originale avec un décalage d’horloge atomique. Du lierre, du gravillon, des petits carreaux et des ombres, ça sent la bourgeoisie. Mais il est peut-être temps pour moi de faire demi-tour avant de devenir un voyeur de romans, il n’est jamais très poli de regarder par les fenêtres des romans.
– Comment, vous partez déjà ?
Est-ce une forme d’acouphène générée par cette enclave sonore ? Une voix, c’est bien une voix.
– Bonjour, je me présente, Françoise Mérol, fidèle lectrice de Gracq. Je devine votre surprise, nous sommes bel et bien dans son roman. Mais ce qui m’étonne le plus c’est votre présence ici, vous qui ne l’avez jamais lu. D’habitude, vous savez, ce sont les inconditionnels de l’auteur qui atteignent la forêt. Vous êtes le premier non-lecteur à dépasser les grilles. C’en est presque frustrant. Aussi, ne partez pas tout de suite, attendez ! Votre présence m’intrigue.
– Madame Mérol, je flânais dans une librairie, devant une armoire en verre fermée à clef de la collection « La Pléiade » et puis, soudain.
– Oui je sais, soudain, soudain est la porte de toutes les entrées, c’est la grande arche de la surprise, soudain vous vous retrouvez dans le roman de Julien Gracq, troublant, n’est-ce pas ? Et si jamais l’envie vous prend de regagner l’ancien monde, pas de panique, c’est un jeu d’enfant.
– Je reprends la porte du soudain ?
– Ah non, vous n’y êtes pas du tout mais pas du tout alors, on ne quitte un roman que par une seule porte, celle du déjà, cher clandestin. Chut, ça commence, il arrive et n’oubliez pas, vous et moi n’avons pas le même statut, je suis lectrice et vous, voyeur.
– Vous parlez du paysage ?
– Comment pouvez-vous savoir que le paysage est un des personnages principaux de Gracq alors que vous n’avez même pas lu la première page ?
– Un voyeur a toujours un taux de pénétration très important.
– La politesse m’empêche de vous dire que vous n’êtes qu’un voleur de résumés.
– Oui, mais permettez-moi de vous dire qu’il n’est pas nécessaire de se taper deux cents pages pour comprendre qu’ici, le paysage est un personnage.
– Cent quatre-vingt-quatre exactement, dans la première édition José Corti, pirate !
– D’ailleurs madame Mérol, si vous voulez je peux vous parler de ce personnage-là, il se perd souvent dans ses pensées nuageuses. Il préfère les fonds sales, les cieux mal rangés, le tout-soleil l’ennuie. En proie à une douce bipolarité, tiraillé entre océan et continent, un instant mer un instant terre, il va jusqu’à remettre en question l’ordre des marées. Ne voit-on pas parfois le continent se déverser dans les eaux ? Un beau matin, vous verrez, la forêt aura gagné la mer et les pêcheurs deviendront des bûcherons.
– Il est une zone en moi où je crois vous détester !
– Souhaitons que ce soit un no man’s land, mais je n’ai pas terminé ma fiche de non-lecture. Les arbres, donc, disais-je, qui un à un se jettent dans la mer depuis de fausses falaises comme des moutons de Panurge.
– Je vous déteste encore.
– Continuez, vous le faites si bien. Mais il semble qu’une autre personne se soit librement invitée à venir se promener dans ce roman.
– Impossible, nous sommes les deux seuls intrus, moi en ma qualité de tourneuse de pages et vous en votre qualité de tourneur en rond.
– Merci !
– De rien !
– Bien, alors madame Mérol, regardez la forêt, avant que tous les arbres ne se soient suicidés dans la mer et vous verrez le long d’un sentier une silhouette enroulée dans une écharpe, un béret bien enfoncé sur la tête, regardez !
– Bon sang, vous avez fichtrement raison. Qui peut donc se promener dans un roman de la sorte ?
– Peut-être son auteur ?
– Non !?
– Après tout c’est son roman, il fait ce qu’il veut.
– Seuls les fantaisistes font ce qu’ils veulent et monsieur Gracq n’est pas un amuseur public.
– Il nous a vus, je crois, en tout cas il vient vers nous.
– Mon Dieu, que vais-je bien pouvoir lui dire, cela fait plus de cinquante ans qu’il fait partie de ma vie, cinquante ans que je tourne régulièrement les pages du Château d’Argol, vous imaginez cela, cinquante ans et toujours fidèle au poste.
– Non je n’imagine pas.
– Bien entendu, oh il arrive, faisons semblant de rien. Bonjour monsieur Gracq, quelle surprise de vous voir là.
– Bonjour mes amis, bonjour bonjour. Je n’étais pas retourné dans ce roman depuis des années, que dis-je des siècles et j’avais oublié l’empressement de ma plume à décrire le vent, j’ai, c’est amusant, failli perdre mon béret si je ne m’étais pas accroché à lui comme à mes illusions autrefois. D’abord, j’aimerais m’adresser à vous, madame Mérol. Comment pourrai-je vous remercier de m’avoir tant lu. Si j’avais su que vous me liriez tant, je me serais mieux écrit, pas de doute. Et votre présence en ces pages me touche profondément. Et vous jeune homme, vous ne savez rien de moi, vous ne m’avez jamais lu et croyez-moi, vous le faites si bien. Continuez donc à ne pas me lire, tout écrivain a besoin d’un non-lecteur absolu. Autrefois j’aurais signé votre plastron avec un fleuret d’orgueil. Aujourd’hui je suis admiratif devant cette virginité.
Rendez-moi ce service, passez votre chemin quand vous verrez mon nom sur la couverture d’un livre. Quand bien même seriez-vous sur une île déserte totalement déserte avec pour seul accessoire l’un de mes bouquins, promettez-moi au plus fort du Vendredi de ne pas en effleurer la couverture. Et dans l’attente d’une cheminée flottante au large, vous écrirez au son des vagues votre propre livre ! Mais il est tard et les promenades dans mes romans me fatiguent toujours beaucoup, vous savez l’autre jour, j’ai même trébuché sur une virgule qui n’avait pas sa place. Les éditeurs sont comme cela, que voulez-vous. Ils vous disent oui le jour et la nuit, en douce, à la clarté de la lune, vous chapardent quelque ponctuation çà et là.
Et puis je m’inquiète de tous ces arbres qui se jettent dans la mer, je me sens terriblement coupable, vous savez. Allez, un écrivain ne doit pas trop traîner dans ses romans, Marcel Proust avait cette sale maladie de hanter ses écrits. Adieu donc !
J’ai toujours beaucoup prisé cette formule, le solennel c’est l’adieu mais c’est le donc qui ferme la marche, comme au moment du trépas.
La petite silhouette de monsieur Gracq s’évanouit dans le tourment comme une écharpe et un béret peuvent s’évanouir dans le vent. Contrairement à ce que l’on croit, l’horizon n’avale rien, on lui prête un faux appétit, l’horizon n’avalerait même pas une mouche. Si les poètes n’étaient pas si myopes, ils arrêteraient de dire des conneries.
– Bien, madame Mérol, je ne m’attarde pas davantage ici, je dois aussi vous quitter.
– Déjà ?!
– Oui déjà !
Max Férandon est né en 1964 dans une jolie carte postale du centre de la France, un petit village du département de la Creuse. Il garde de son enfance un imaginaire poétique dont il s’inspire pour écrire ses histoires. En 1988, une première traversée de l’Atlantique l’amène au Québec où il réside depuis et où il a pratiqué plusieurs métiers. Il vit aujourd’hui à Québec.
Michel Henri et les éditions d’Acadie (Entrevue : Février 1984)
Fer de lance de la littérature acadienne depuis près de treize ans, les éditions d’Acadie ont permis à près de soixante-dix écrivains acadiens d’être publiés. Avec maintenant plus de cent titres au catalogue et une production annuelle de quinze à vingt titres, cette jeune maison d’édition est devenue un véhicule essentiel de la culture acadienne. Nous avons rencontré son directeur, Michel Henri. Il nous raconte l’histoire, les contraintes et les succès de sa maison d’édition.
« Il n’était pas facile d’être écrivain acadien dans les années . . .
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Jacques Savoie – Herménégilde Chiasson (Entretien en novembre 1984)
Jacques Savoie* et Herménégilde Chiasson** sont deux écrivains, deux Acadiens. Mais ils sont aussi des créateurs en musique, en peinture, en cinéma.
Ce que nous vous proposons ici, c’est un face-à-face, un dialogue, une interrogation sur la culture et ses genres.
Jacques Savoie : Petite anecdote avant de commencer : les éditions d’Acadie ont été fondées en 1972. Six mois avant, Herménégilde et moi-même avions publié un livre qu’on a tout bonnement appelé L’anti-livre. C’était une boîte de carton dans laquelle il y avait des textes détachés, des photos et un mode d’emploi où on proposait aux gens de faire leur propre mise en pages. Je ne dirais pas que ç’a été un élément détonateur mais presque… À ce moment-là, il n’y avait pas de maison d’édition en Acadie. Nous posions un geste d’urgence.
Herménégilde Chiasson : C’était comme une édition de luxe mais on ne le vendait pas au prix d’une édition de luxe.
J. S. : À 2,99 $, tu peux voir comme c’était urgent.
H. C. : C’était vraiment broche à foin.
J. S. : Il s’est passé bien des choses depuis ce temps-là. Il y a entre autres deux auteurs qui ont fait l’école en littérature acadienne : Antonine Maillet et Laurier Melanson. Ils sont tous deux issus de la littérature orale. Ils ont abordé l’écriture en faisant des radioromans. Comme moi j’ai fait du cinéma et que toi tu as fait des arts visuels, crois-tu que l’image a une importance dans ton écriture, par rapport à ces deux auteurs ?
H. C. : Peut-être qu’il fallait se situer à l’extérieur pour avoir un autre point de départ. Nous, on se situe dans le présent.
Pour faire des arts visuels, il faut que tu aies une idée de la position par rapport à l’image que tu veux montrer. Pour les gens de la génération qui nous a précédés, l’oral était important à tel point qu’ils ont cru bon de le transcrire comme tel. Alors que ce qui est intéressant dans ton livre, Les portes tournantes, c’est que tu as créé une mise en scène. Tu as pris position, comme si tu plaçais ta caméra devant un décor tout en développant un imaginaire qui est complètement différent.
J. S. : Reste à savoir si le fait de jouer avec l’image va changer le propos de notre littérature. En d’autres mots, si la forme va jouer sur le fond.
H. C. : Moi je crois que oui parce que tu vois, toi, tu as fait du cinéma, de la musique…
J. S. : Tous les peintres que je connais écrivent. Ils ne publient pas souvent, mais ils font quand même une recherche esthétique puis, à un moment donné, ils sentent le besoin de l’articuler sur une page. Une fois que c’est écrit, ils continuent de peindre. Les gens du cinéma écrivent des scénarios. Il y a une interaction qu’on ne peut pas nier entre divers médias.
H. C. : Il y a toujours un retour. C’est la célèbre boîte noire. Le roman a eu une influence sur le cinéma. Le cinéma en a maintenant une sur le roman. La photographie a changé la peinture et maintenant la peinture, avec les hyperréalistes, change la photographie.
J. S. : Quand tu interromps ce mouvement cyclique pour dire : « Maintenant, on fait une littérature acadienne. Parlez-moi plus de peinture, d’art ou de rien d’autre. Je plante le mât, je hisse le drapeau et je cloisonne tout », ça ne peut pas faire avancer les choses, ça. Au Québec comme en Acadie, on a eu une période de dix ou quinze ans où cette attitude a prévalu.
H. C. : On a quand même une tradition. J’ai l’impression qu’au niveau structurel, on restera marqué. Peut-être que finalement, on dit la même chose qu’Antonine sauf peut-être qu’on l’articule d’une autre façon.
J. S. : Je pense que quand même il est temps de sortir de cette période qu’on pourrait qualifier de nombriliste. Si on y arrivait, je crois qu’on ne parlerait plus de l’Acadie ou du Québec. On ne ferait pas la distinction parce que ça deviendrait la même chose. Il y a eu une grande phase d’identification. Maintenant, on doit passer à autre chose.
Il est, je crois, nécessaire de participer au dialogue de la francophonie, puisqu’on écrit en français.
H. C. : Le fait de s’éloigner du nationalisme ne devrait pas être menaçant puisqu’on va toujours du particulier au général, de la famille au pays… C’est le mouvement du pendule, le phénomène va revenir. Les Américains de Reagan vivent maintenant leur nationalisme, qu’ils appellent « patriotisme », alors que nous prenons un congé de ce genre d’idéologie. C’est intéressant parce que ça produit une dialectique.
J. S. : C’est vrai mais on ne peut pas nier que la production artistique de ces dernières années n’a fait qu’attirer l’attention sur notre particularité. C’est une attitude zoologique… presque anthropologique. La seule façon d’avoir un échange sain avec les autres francophones, c’est d’accepter de leur parler pour qu’ils nous comprennent.
H. C. : De toute façon, on participe tous au même code qui est le français. C’est comme un matériau brut qui est notre à disposition. Notre performance avec cette langue va faire qu’on sera plus ou moins compris à Madagascar.
Un livre, moi je vois ça comme une sonde que tu envoies et qui te renvoie toujours quelque chose d’autre. D’où l’intérêt pour la collectivité acadienne d’envoyer des bouteilles à la mer pour savoir ce qui reviendra.
J. S. : Toute forme d’art doit respirer. Il faut qu’il y ait du mouvement, que ça sorte et que ça revienne. Que ça bouge. C’est la seule façon de faire avancer les choses.
C’est un peu ce qui arrive avec Les portes tournantes. Les gens viennent me dire ce qu’ils ont vu dans le studio de Blaudelle. Des choses que je n’ai jamais imaginées moi-même. Je suis très content quand ils me disent qu’ils ont imaginé les tableaux de Blaudelle et que ça leur fait penser à ceux d’Hurtubise, par exemple. Ça change complètement le rapport entre l’écrivain et le lecteur.
J’envoie une bouteille à la mer et je reçois un message en retour.
H. C. : Et c’est là qu’on s’éloigne de la tradition littéraire acadienne. Je pense à l’adjectif, par exemple. Pendant un certain temps, la littérature acadienne a gravité autour de l’adjectif. Un adjectif souvent réducteur d’ailleurs. Et si jamais on ne trouvait pas l’adjectif qu’il fallait, on l’inventait. Mais à un moment donné, tu as besoin d’un verbe pour donner de la consistance à tout ça. Un verbe suivi d’une action. Durant très longtemps, les gens se sont dit : « On ne doit pas s’éloigner du ghetto sinon on risque d’être moins acadien ». Évidemment, tu ne t’éloignes pas de cette attitude sans que ça fasse des vagues. Sans qu’il y ait des heurts.
J. S. : Le choix que j’ai fait de publier au Boréal Express ne signifie pas nécessairement que je tourne le dos à l’Acadie. J’ai rencontré au Boréal des gens qui m’ont dit : « Nous avons trois lecteurs expérimentés qui sont prêts à t’aider dans ton travail d’écriture ». C’est une maison qui a une politique et qui, au lieu d’accepter mon manuscrit sur première présentation, me fait réfléchir.
En faisant cet exercice qui m’a tout de même pris deux ans, j’arrive à un résultat. Je précise ma pensée et je travaille sur le « ton » de mon écriture. Il m’aurait peut-être fallu trois publications moyennes chez un autre éditeur pour arriver au même point. Vois-tu, la rigueur est un problème chronique dans notre société pour x nombre de raisons, parce qu’on est des sauvages en liberté finalement. Si on écrit mal, c’est en grande partie parce qu’on n’a pas de rigueur. Moi je suis un inconditionnel à ce sujet-là. Les gens pensent que le premier jet, c’est beau et indiscutable. Je me dis : l’écriture c’est une chose complexe. Alors, comment est-ce que dans la longueur de ma vie – qui est toujours trop courte – j’arriverai au niveau de perfection le plus élevé ? Il n’y a pas d’autre solution que la rigueur.
Je vais donc aller publier là où l’on pratique la rigueur et je vais laisser de côté le drapeau et son mât.
H. C. : Il n’y a vraiment pas d’école pour être écrivain. On peut apprendre sur le tas, par le feedback des lecteurs, on bien travailler avec des gens qu’on respecte beaucoup. Beckett, par exemple, était le secrétaire de Joyce. C’est sûr qu’en étant en contact avec un maître, il faut se définir. C’est très Sdipien. Quand tu veux vraiment te rendre quelque part, les autres peuvent t’amener jusqu’à un certain palier ; mais après, il faut que tu définisses tes propres exigences et que tu les remplisses avec une grande rigueur. Quant au sujet, tu peux écrire sur n’importe quoi. Comme Valéry disait : « Le style, c’est l’homme même ». Finalement, c’est ton rapport à l’écriture qui va être évalué et non ton rôle comme porte-parole d’une société.
J. S. : Mais revenons à cette question de l’image et de la littérature. Je voudrais qu’on précise un peu plus.
H. C. : Je crois que l’image donne un autre rapport à l’écriture parce qu’on a toujours pensé que l’écrit était un code abstrait et que le visuel au contraire était concret.
C’est ce qui fait la force de l’image. Je ne crois pas qu’actuellement, on vive dans une période abstraite. Au contraire, on vit dans une époque très concrète où l’image nous revient quotidiennement dans le visage.
J. S. : Si on applique ce que tu dis au roman, on pourrait dire qu’une écriture fondée sur l’image devient une écriture permissive. Je m’explique. Je propose un cadre que le lecteur complète. Il rajoute aux décors des éléments que je n’y ai jamais mis. Tout au plus j’ai donné des indices. Le lecteur voit une image et ça fait bouger toute son imagination, contrairement par exemple à la littérature du XIXe siècle où tout était écrit et décrit. Où tout était immuable.
H. C. : Quand on parle de l’image dans l’écriture, on parle d’une écriture de performance. Beaucoup plus que d’une écriture réaliste. Balzac qui décrit toutes les pattes de chaises, la poussière qu’il y a sur le plancher… ça ne nous intéresse plus ! La description, le cinéma la fait tellement mieux.
Mais là où l’écrivain a le plus à apporter, c’est quand il joue dans le code, quand il s’amuse avec.
J. S. : C’est ce que les Américains appellent le leading edge. C’est-à-dire s’approcher tellement près de la falaise mais sans tomber. Prendre des risque avec le code pour le faire avancer, mais sans verser dans l’hermétisme. Et surtout ne plus revenir en arrière.
H. C. : Mais on revient de loin et souvent ça donne le vertige. L’Acadie aurait pu faire l’économie de l’écrit et rester dans l’oral en s’impliquant directement dans les médias de masse. Mais il n’y a rien de gratuit et je crois qu’à ce moment-ci, l’écrit est nécessaire.
J. S. : Il faut essayer. L’avenir nous le dira.
*Jacques Savoie a publié :
Les portes tournantes, Boréal, Montréal, 1984 ; Le cirque bleu, La courte échelle, Montréal, 1995 ; Les ruelles de Caresso, La courte échelle, Montréal, 1997 ; Un train de glace, La courte échelle, Montréal, 1998 ; Les soupes célestes, Fides, Montréal, 2005.**Herménégilde Chiasson a publié :
Mourir à Scoudouc, D’Acadie, 1974 et L’Hexagone, 1979 ; Rapport sur l’état de mes illusions, D’Acadie, 1976 ; Claude Roussel, sculpteur/sculptor, D’Acadie, 1985 ; Prophéties, Michel Henry, 1986 ; Atarelle et les Pakmaniens, Michel Henry, 1986 ; Existences, Perce-Neige/Écrits des Forges, 1991 ; Vous, D’Acadie, 1991 ; Vermeer, Perce-Neige/Écrits des Forges, 1992 ; L’exil d’Alexa, Perce-Neige, 1993 ; Miniatures, Perce-Neige, 1995 ; Climats, D’Acadie, 1996 ; Aliénor, D’Acadie, 1998 ; Conversations, D’Acadie, 1998 (Prix du Gouverneur général 1999) ; Pour une culture de l’injure, Le Nordir, 1999 ; Brunante, XYZ, 2000 ; Actions, Trait d’union, 2000 ; Laurie ou la vie de galerie, Prise de parole/La Grande Marée, 2002 ; L’oiseau tatoué, La Courte échelle, 2003 ; Le Christ est apparu au Gun club, Prise de parole, 2005 ; Parcours, Perce-Neige, 2005 ; Béatitudes, Prise de parole, 2007 (prix Champlain 2008).