Malgré ce que suggère son titre, le dernier livre d’Anne Guilbault nous entraîne loin de l’univers fantasmagorique du ballet. Pas de deux est un roman choral qui se déploie autour d’un suicide survenu pendant une journée de chaleur accablante, dans une petite bourgade anonyme.
Une jeune femme craque pour une raison en apparence anodine, pour une autre « miette de bonheur volée », et se jette en bas d’un pont sous le regard impuissant de plusieurs personnes. Le roman prend forme à travers les récits de ces témoins, entre lesquels sont intercalées les dernières pensées de la serveuse qui s’est tuée après avoir roulé sans but pendant des heures. Une partie de l’histoire raconte cette dérive, un parcours qui relève à la fois de l’abandon et d’une tentative pathétique de se raccrocher à quelque chose. En fait, Marie veut s’échapper d’un gouffre plus effrayant que la mort : celui d’une vie où on ne se sent pas exister.
Cet élan débridé d’un être conscient de sa dissolution, ce soubresaut de désir avant le moment fatal est peut-être évoqué dans le titre énigmatique qu’Anne Guilbault a choisi pour son roman. Citant en exergue le chorégraphe Maurice Béjart, l’écrivaine présente le pas de deux comme « un moment à la fois dramatique et lyrique ». D’ailleurs, son histoire, même si elle est composée de fragments, trouve son unité grâce à cette tension qui agit comme un fil invisible. On observe non seulement le jeu des polarités dans ce drame qui allie questionnements existentiels et sensualité, mais aussi un jeu de miroirs. Ceux qui ont assisté à la mort de Marie se rappellent leurs propres pertes, leurs défaites, leurs malheurs, tels des échos dans leur conscience. Certains connaissaient la serveuse, de près ou de loin, d’autres étaient des forains de passage qui avaient fait la fête avec la jeune femme la veille.
Racontant une histoire campée dans un village inventé, dans un contexte qui se soustrait parfois aux préoccupations réalistes avec la visite d’une troupe de saltimbanques d’une autre époque, ce livre d’une centaine de pages parvient à donner forme à un univers, à y faire naître l’émotion. Réussi dans l’ensemble, il possède une cohésion, alors que plusieurs des récits rassemblés sont des nouvelles publiées il y a plusieurs années, comme l’indiquent quelques notes de bas de page plus ou moins discrètes. L’écriture, qu’on sent à la fois intuitive et travaillée, traite avec beaucoup de finesse le vacarme intérieur qui germe très souvent dans les vies trop tranquilles. Une réflexion à la fois belle et douloureuse sur la vie et ses profondeurs insoupçonnées.
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