Inclassable et éclectique, l’œuvre considérable de Frank Zappa nécessite souvent un appareil critique pour l’apprécier pleinement, entre autres parce que les chansons sont souvent chargées de dialogues inattendus et de commentaires satiriques faisant référence à la contre-culture américaine des années 1960 et 1970. La musique innovatrice de Frank Zappa oscille constamment entre le rock, la pop, le free jazz et les avant-gardes, sans pour autant pouvoir se classer exclusivement dans ce que l’on nommait le « rock progressif ». Ses textes provocateurs et son humour caustique observaient la société avec désenchantement. La parodie des genres, le mauvais goût, le grotesque, les références à la culture populaire (comme les dessins animés) y sont présents, mais pas systématiquement ; ainsi, Zappa excelle en réinventant le rétro dans son disque Cruising with Ruben & The Jets (1968), qui imite les harmonies « Doo-Wop » des années 1950. Bien que certaines de ses pièces comme « Peaches in Regalia » et « Mr. Green Genes » aient parfois touché au génie, sa production, dans l’ensemble, demeure inégale et sans doute surabondante ‘ mais on pourrait en dire autant de Bob Dylan ou de Jimi Hendrix.
Il existait déjà plusieurs livres en français consacrés à Frank Zappa (et même un mémoire de maîtrise présenté à l’Université de Montréal), mais celui de Jean-Sébastien Marsan propose une initiation détaillée et très enthousiaste. Le titre du livre fait référence à un disque que Zappa enregistre en 1972 avec un big band : The Grand Wazoo. Les dix premiers chapitres analysent l’ensemble de ses disques, tandis que le dernier tiers fournit une chronologie très instructive (et parfois décapante) qui témoigne de l’originalité de son parcours : on y commente des centaines d’enregistrements, des dizaines de tournées et de collaborations diverses avec une multitude de musiciens. Une anecdote parmi d’autres confirme le statut de personnage bizarre qui fut associé à Frank Zappa dès ses débuts : le compositeur sera emprisonné durant dix jours en 1965 pour avoir produit une bande sonore jugée « pornographique ». J’apprécie en outre le propos clair et précis de l’auteur sur l’évolution du style créatif du musicien : « Zappa n’accorde aucun intérêt au maniérisme du jazz fusion ». C’est un vrai régal de lire ce livre de Jean-Sébastien Marsan, dont la passion pour Zappa est contagieuse. Il faut redécouvrir nos disques de Frank Zappa.