Risquons un couac dans le concert de louanges qui a salué la parution du dernier roman de John le Carré, Un homme très recherché, et avouons franchement que, contrairement à ce qui a beaucoup été écrit, nous n’y avons pas retrouvé la maestria des grands romans qui ont fait la réputation de l’écrivain. En lieu et place, un suspens décevant qui traite des rivalités internes dans différents organismes chargés de combattre le terrorisme depuis le 11 septembre 2001.
Un jeune Tchétchène du nom d’Issa Karpov débarque clandestinement à Hambourg avec, pour tout bagage, une pochette autour du cou qui contient une lettre sur laquelle est inscrit le numéro d’un compte en banque secret, une mystérieuse clé et cinq cents euros en liquide. Cet homme, dont on nous apprend qu’il a subi les pires sévices dans les geôles turques et russes, sera pris en charge par une jeune travailleuse humanitaire qui se bat « pour ceux que les accidents de la vie destinaient au rebut ». Simultanément, l’homme fait également l’objet d’une intense surveillance par les services de sécurité allemands, britanniques et américains. L’intrigue se développe autour du trio formé par la jeune travailleuse communautaire, le banquier dont l’établissement détient le compte secret et l’un des agents chargés de la surveillance du Tchétchène.
Au début, on se croit lancé dans une enquête pour découvrir le passé du mystérieux Tchétchène qui semble tant intéresser le gratin de « l’espiocratie » occidentale. Mais cette piste est vite abandonnée par le Carré. Un temps, on croit s’être fourvoyé dans un roman sentimental racontant les prémisses d’une idylle amoureuse entre un débonnaire banquier sexagénaire et une jeune idéaliste égarée dans un combat qui la dépasse. La dernière page tournée, on réalise que, sous un faux thriller, le Carré a écrit un livre politique pour dénoncer la brutalité et la totale inefficacité des méthodes d’intervention des services secrets sous l’administration Bush-Cheney.
Malgré ses clichés et ses partis pris, le roman de John le Carré n’est pas sans qualités. Loin de là. Le grand romancier anglais, qui en est à son 21e ouvrage, y fait preuve, comme à l’accoutumée, d’un art consommé du dialogue, d’une grande fluidité dans le déroulement de l’intrigue et, surtout, d’une connaissance sans pareille des luttes idéologiques dans les officines secrètes de l’État. Ces qualités ne garantissent certes pas le chef-d’œuvre, mais elles ne sont pas non plus la marque d’un livre raté. À propos d’Un homme très recherché, on pourrait parler d’une demi-réussite.