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LA DÉRIVE DES MÉDUSES
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L’auteure a vingt ans. C’est ce que nous apprend l’éditeur en quatrième de couverture et on ne peut que ressentir la détresse révoltée des jeunes de la fin du millénaire dans les forts courants qui traversent cette Dérive des méduses d’une maturité formelle renversante. Nageant dans les mêmes eaux que Nerval, Lautréamont, Rimbaud, Baudelaire et Poe, qu’elle invoque dans sa lente descente au fond des eaux glauques de son siècle, celui d’Auschwitz et du Kosovo, celui des femmes voilées et clitoridectomisées, celui de l’hécatombe du 6 décembre 1989, des piscines hors terre, de l’abri Tempo et du nintendo, la poète affiche « le sourire goulu de la Gorgone » pour dire le ventre océanique d’une génération en dérive dans Montréal et dans le « peut-être où [elle] baigne comme [s]on pays » : « nous sommes plusieurs à sourdre des limbes / avec des masques de couleurs / et des couleuvres dans les cheveux ».
Urbaine et contemporaine, la poésie de Kim Doré s’ouvre à toutes les dimensions du réel : elle peut aussi bien « prendre la mort d’un cerf dans [ses] mains » et « accouche[r] d’un teletubbie » que parler du suicide comme « œuvre d’art » et de la misère amérindienne en termes empreints de compassion : « bébé bridé c’est dans ta langue maudite / que je me tais résolument / quand le désolement / jure que tu n’as aucune chance ».
Mais c’est l’aspect métaféministe du recueil qui constitue sa plus grand force : le sentiment d’être « sœur[s] à bout portant » n’est en rien atténué chez celle qui « refuse de pleurer en faisant la vaisselle » et dédie un de ses poèmes les plus déchirants à la poète Josée Yvon, disparue prématurément, mais dont l’œuvre rayonne encore chez des auteures comme Carole David, notamment dans La maison d’Ophélie .
Qu’une jeune femme de vingt ans ose mentionner L’homme rapaillé dans une allusion à ses propres ambitions créatrices ne peut que réjouir ses sœurs aînées au rythme plus paresseux : « je, cent quarante lieder quatre-vingt-quinze opéras / trois cents nouvelles quatre-vingt-quinze romans / un buste en un jour vingt-sept tableaux par an / l’Enfer à dix-neuf ans L’homme rapaillé d’une vie / j’ai brassé mon sang mon devoir reste à faire ».
C’est tout un contrat ! On attend impatiemment la suite.