« Du désastre dans lequel j’ai été plongée, dans lequel vous m’avez jetée, la remontée qui est la mienne et m’appartient me rend heureuse. Elle vous échappe. Une beauté qui vous est inconnue. »
L’écrivaine bien connue du monde des lettres donne à sa plume le tranchant d’un scalpel pour décortiquer son désenchantement amoureux et l’attitude de celui qui l’a dépossédée d’elle-même. Elle cherche à comprendre comment elle a pu s’enferrer dans une « liaison née sous le signe du chaos » qui l’a conduite à la haine et au mépris de soi. Elle s’adresse dans une longue lettre à un VOUS singulier, à ce « Cher qui ne l’êtes plus », mais aussi un VOUS dans lequel pourraient se retrouver les hommes pervers narcissiques, s’ils acceptaient de se regarder. L’auteure évite cependant le règlement de comptes, car sa seule vengeance est de dire sa joie retrouvée. Aussi, aucun indice ou détail concret ne permet d’identifier l’accusé.
La prose poétique du récit est tissée de mots et d’images à fortes connotations pour peindre dans un chevauchement continu le côté toxique de l’ex-amoureux et la blessure dont se guérit la narratrice. La lettre-récit est construite par ajouts successifs de traits caractéristiques de celui qui l’a anéantie, au fur et à mesure que remontent les émotions de celle qui se voit comme une survivante. D’une page à l’autre, elle redit son désarroi et use d’une constellation de mots et d’expressions caustiques pour reproduire l’image de cet homme politiquement engagé qui prétend vouloir sauver le monde alors qu’il n’aime que lui-même, sourd et aveugle à qui l’entoure. « Vous chassez la femme comme d’autres le lièvre » ; « […] vous qui ne savez qu’honorer votre membre […] », l’accuse-t-elle après avoir dénoncé maintes tares : vanité, égoïsme, manipulation, lâcheté, irascibilité, brusquerie, duperie, allure torve, mépris, froideur, trahison, violence insidieuse… Bref, un « Casanova de Fellini, […] une âme morte ». En contrepartie, la narratrice clame sa joie d’avoir choisi de vivre, d’être redevenue une personne et de n’être plus une figurante dans la pièce qu’il se joue. Elle se félicite de l’harmonie revenue grâce à l’absence de « celui qui aurait voulu [l’]empêcher de penser ».
Langue soutenue et tonalité poétique donnent à ce témoignage une force de frappe considérable. Danielle Fournier a d’ailleurs dit, en entrevue au Soleil, avoir voulu contribuer à l’élan de sensibilisation envers les femmes qui seraient sous l’emprise de ce genre d’hommes qui vont jusqu’à tuer.