Mon père, Robert Yergeau, est décédé il y a 5 ans, le 5 octobre 2011.
Il m’avait alors laissé des manuscrits de poèmes, qui ont été publiés conjointement par le Noroît et les Heures bleues dans le recueil Une clarté minuscule.
Reste quelques lambeaux de poèmes comme celui-ci, dont mon père avait lui-même reconnu le côté HÉNAURME et que je souhaitais partager, en sa mémoire.
Hénaurme, certes, agressif, agressant, mais qui représente aussi totalement la thématique littéraire de mon père : vivre, dénoncer, et mourir.
« La mémoire n’est plus qu’un cri »
mais « vivre est ce cri »
que nous entendrons à jamais
jusqu’à ce que les miroirs n’y voient que du silence.
Je t’aime,
Alexandre
Les muses chauves
Poèmes emprisonnés dans des éditions de luxe achetées par des collectionneurs
pis salissez pas le papier fin de Chine mes p’tits criss
salissez pas la poésie
lavez-vous les mains
la poésie pas montrable, pas regardable
le temps se défait maille à maille
l’horloge qui me fixe
c’est le temps qui montre son cul
ghetto de la terreur textuelle
on a communisé maoisé prolétarisé nationalisé textualisé québécisé franco-ontariennisé la poésie
Celle qui agonise parmi les cervelles de verre brisé
le sort de nos solitudes
tout ce lyrisme n’est-il pas une extravagance ?
Un grand fracas de mots et de sang dans la bouche
une grande frayeur sur les lèvres
Morve urbaine
l’hystérie guette les bourreaux solitaires
les passants donnent tête première dans les jupes odorantes
gratte-ciel ivres, phallus lyriques
voie lactée des fils électriques
étoiles, verrues célestes
fonctionnaires qui musardez à l’ombre des tours incendiées
faux scaphandriers des profondeurs éteintes
hydres aseptisées qui allez crever au bout des ruelles de la beauté
et qui scalpez les muses chauves
Assaut nuptial
la poésie est le poison que boira l’avenir, ce revolver
Le christ en croix
c’est l’ombre écartelée de mon enfance noire
Le poème se coupe les veines
se pend au bout de sa phrase ininterrompue
Les lèvres du poème, leur hauteur noircie
L’apaisement des pierres
apaisement et arrachement
Nous portons tous un livre immense, monstrueux que nous n’écrirons jamais.
Chaque livre est un espace mutilé
Dictionnaire aphasique des poètes québécois et franco-ontariens. Les luckyluke universitaires qui théorisent plus vite que leur ombre. Prenons les livres des morts québécois et franco-ontariens, les anthologies de Mailhot et Nepveu et de Dionne. Faisons le compte des cadavres en putréfaction qui encombrent ces cimetières. Un interné permanent, un suicidé de la société, un eunuque exploréen, un indépendantiste qui accepte le prix Molson, quelques curés défroqués qui égrènent leurs poèmes comme des chapelets ne font pas un printemps poétique. Jean Tétreau s’imagine que François Hertel est le plus grand poète du siècle.Lucien Francœur annonce des hamburgers.Claude Beausoleil a été l’un des porteurs de la tombe de Miron. Égouts et dégoût de la poésie. La poésie aux rats. La poésie est un dépotoir. Nous respectons les éboueurs, ils font leur travail. Que les poètes fassent le leur. La passion des déchets. Est-ce le début de l’escalade ?
Il faut lire les poètes québécois et franco-ontariens.
Robert Yergeau, octobre 2011