Écoutez ici ce texte lu par Daniel Luttringer.
La nuit vient de tomber, et avec elle les sirènes. Pour combien de temps ? Dans la pièce à côté, Anna et Yuri se sont enfin endormis, enlacés, entourés de leurs peluches. Nous avons une fois de plus relu Conte sur Maïdan. Ils me le réclament chaque soir, en espérant que leur père sera là à leur réveil. Pourquoi est-il parti ? Pourquoi bombarde-t-on leur ville, jour après jour, soir après soir, nuit après nuit ? Qu’ont-ils fait de mal ? « C’est quoi le front, maman ? », me demande Yuri.
Pour nous protéger des éclats de fer et de verre, j’ai empilé les livres devant la fenêtre. Je peux ainsi lire sans crainte de révéler notre présence. Toutes les ouvertures sont murées en équilibre précaire, comme le sont nos vies en ce moment. Aux quatre coins de la ville, nos soldats érigent des barricades avec des sacs de sable. Ils enveloppent nos statues, nos sculptures, les parois de nos églises pour préserver notre mémoire. L’oubli est encore pire que la mort. Nous, ce sont nos livres qui nous protègent, qui nous rappellent que le monde extérieur n’est pas que cendres et destruction. Ils m’aideront une fois de plus à atteindre l’aube, à ne pas perdre espoir.
Je ne sais pas ce que serait ma vie sans les livres. Quand les enfants dorment, je relis Irène Némirovsky et pleure en silence. Ne parviendrons-nous jamais à éradiquer le mal ?
Les sirènes se font à nouveau entendre. J’ai si peur. Puissent les livres nous protéger encore cette nuit. Puisse Andreï être bientôt de retour auprès de nous. Ne nous oublie pas, Marie-Ève, ne nous oublie pas.
Ton amie, Lena
Khrystyna Lukashchuk, Conte sur Maïdan, Bleu & Jaune, 2016.
Irène Némirovsky, Suite française, Gallimard, 2004.