L’absence de preuve n’est pas une preuve d’absence, dit-on. Le séduisant principe en forme de chiasme cache un sophisme d’appel à l’ignorance qui justifie, selon les cas, la spéculation occulte ou le complotisme : si l’on ne peut déterminer qu’elle est fausse, une théorie demeure vraie jusqu’à preuve du contraire.
Trouver des preuves. Tel est le motif de l’équipage en goguette de Zone 51 : confirmer de visu les dires du scientifique Bob Lazar selon lesquels des extraterrestres seraient retenus prisonniers de la fameuse base tapie dans les replis lunaires du Nevada. Le voyage devait en plus souligner le terme des études universitaires et permettre à quatre passagers de sceller une amitié aux règles de bienséance sexuelle élastiques. Le destin en décidera autrement.
Armée d’un humour grinçant, la narratrice raconte leur parcours après coup, comme une parenthèse dans son existence lisse de bourgeoise gâtée. Le récit fait ici office de témoignage. Son but avoué est de retracer les événements qui ont conduit à la disparition d’Olivia Soarès, l’étudiante neurasthénique du groupe, dont l’effacement était déjà bien entamé avant le coup de baguette final, survenu en périphérie de la Zone 51. Claude et Antoine, eux aussi fraîchement émoulus du programme d’anthropologie, accompagnent les aventurières sur la mythique Mother Road, qui dévoile au passage des vérités intimes.
Calé dans l’habitacle d’une Jeep où s’entremêlent rêveries ésotériques et vapeurs de cannabis, le quatuor en quête de réponses amorce une descente du continent où fourmillent, en un mariage des plus réussis, mille et une références à la mystique routière (Kerouac, Steinbeck, Easy Rider, Cadillac Ranch) et à la cabale ufologique (les Hommes en noir, Roswell). Voyage dans l’espace, Zone 51 en est également un à travers le temps. Il tient une partie de son charme ravageur de la plongée qu’il amorce en plein cœur de l’année 1989, au moment des manifestations de la place Tiananmen, du règne de Georges Bush père et des ravages du sida. À cette époque pas si lointaine des cartes routières, où les gens se parlent, ignorent les textos et sourient sans se soucier de la blancheur de leurs dents. Campée de la sorte dans l’histoire récente, la rencontre du troisième type que propose Christiane Lahaie entre le roman de la route et l’univers décalé du paranormal n’en est que plus divertissante.