Les éditions La Peuplade font maintenant dans la traduction. La première à bénéficier de ce traitement de faveur est l’écrivaine torontoise d’origine grecque Marianne Apostolides. Sa traductrice Madeleine Stratford donne ainsi accès à neuf récits dont la forme est finement ciselée, autant de méditations sur une épigraphe de Roland Barthes, selon qui le malheur du langage, sinon sa volupté, tient en sa qualité constitutivement fictionnelle. En ce sens, le sous-titre de Voluptés se lit comme une antiphrase ; ses quelque 200 pages s’attachent à montrer que la langue joue ce rôle de filtre entre la pensée et son objet, d’où cette réalité qui ne peut en être une, puisque médiatisée, partielle, voire partiale.
Les récits intègrent et mélangent différents genres, testimonial et épistolaire dans « Les joueurs de cerceau », le dialogue socratique dans « Deux dialogues (ou du courage) » et la réflexivité de l’essai philosophique, placé sous l’égide de Heidegger, Nietzsche et Platon. Dans la plupart des cas, l’écriture ne se fait pas volupté, mais catharsis. Elle vise à canaliser la souffrance d’un père traumatisé par la guerre civile grecque ou à apaiser les stigmates d’une adolescente anorexique. La mémoire des événements, du simple fait qu’elle est verbalisée, permet de transformer les souvenirs douloureux en une entreprise littéraire libératrice. Il y a cependant un prix à remuer les bouleversements passés, qui seront vécus deux fois plutôt qu’une : « […] cette histoire est la mienne et […] j’ai choisi de la raconter, de la laisser m’empreindre de ma juste part de honte ».
Raffiné, le travail de construction narrative privilégie les structures gigognes et les histoires parallèles. Dans cet écheveau complexe de récits intercalés, le risque est parfois de perdre le fil. Apostolides brouille les pistes, sa narratrice intervient à l’occasion en faisant alterner passé et présent. Ce va-et-vient temporel montre cependant que, en dépit d’une existence jalonnée de petites et grandes misères, la vie suit son cours. La nature éprouvante des sujets traités (divorce, adultère, anorexie, guerre) s’accommode d’ailleurs d’une écriture chirurgicale sur mesure, qui ne s’ouvre que provisoirement à de courts moments de tendresse (« Petit coyote »). Dans ce recueil somme toute fort réussi, seule « La boîte », troisième récit, semble ne pas cadrer avec l’ensemble.
David Laporte
VOLUPTÉS
OU LA RÉALITÉ DE L’ÉCRITURE DE SOI
- La Peuplade,
- 2015,
- Chicoutimi
210 pages
21,95 $
Trad. de l’anglais par Madeleine Stratford
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