Peu avant son anniversaire de naissance, Monique Lépine reçoit un touchant présent de son fils. En lui remettant son cadeau de fête, un disque finement choisi, le grand gaillard de 25 ans lui réclame un baiser en ces mots : « Tu peux m’embrasser ». Jamais le jeune homme, un être secret et renfermé, n’avait permis à sa mère de le cajoler.
Ce fut la dernière fois que la femme vit son enfant : quatre jours plus tard, Marc Lépine faisait irruption à l’École Polytechnique de Montréal et assassinait quatorze jeunes femmes avant de retourner son arme contre lui-même.
Le 6 décembre 1989 a marqué l’histoire du Québec. Débats féministes sur la violence des hommes, répliques masculinistes et saga du registre des armes à feu ont quelque peu masqué le drame personnel que vivaient les proches des victimes. Même lorsque l’on songeait à ces familles laissées en ruine, on en oubliait systématiquement une : celle du tueur.
Le deuil, la peine et la colère furent le lot de Monique Lépine, mais plus encore la culpabilité et la honte. Car comment ne pas se sentir dévastée d’avoir enfanté, élevé et protégé celui que tous percevraient désormais comme un monstre ? Comment survivre à la folie meurtrière de son fils, au regard d’une société qui blâme si facilement ?
Monique Lépine aurait pu accuser cette société qui lui refusa de l’aide lorsqu’elle quitta son mari violent. Elle aurait pu maudire les lacunes de réseautage qui l’obligèrent à céder durant la semaine la garde de ses enfants à des foyers d’accueil, pendant qu’elle s’efforçait courageusement de gagner leur vie à tous les trois. Elle aurait pu choisir de mourir.
Mais au lieu de mort et de rancœur, c’est de vie et d’espoir qu’il est question dans cette presque autobiographie. Monique Lépine raconte sans complaisance ni misérabilisme ce que furent son existence et celle de Marc avec, en filigrane, cette lancinante interrogation : comment prévoir et prévenir ce que tramait son fils ?
Marc Lépine subit la violence de son père dès le plus jeune âge ; il s’initia très tôt aux armes à feu ; sa timidité, son véritable nom à consonance arabe et son acné rébarbative rendirent difficile son intégration scolaire ; son grand frère bénévole fut emprisonné pour pédophilie ; tout cela contribua-t-il à forger l’assassin ? On ne le saura jamais avec certitude.
On peut toutefois suivre Monique Lépine à travers le récit de sa descente aux enfers puis de sa lente émergence. La tragédie de Dawson en 2006 l’incita à sortir de son silence pour répondre à l’invitation du journaliste Harold Gagné. De leur rencontre naquirent une entrevue télévisée, qui sera par la suite primée, et ce livre poignant, intense, qui ne laissera intact aucun lecteur.
Vivre est une expérience extrême, un sommet d’émotions à conquérir.