Vernon Subutex de Virginie Despentes est une trilogie dont le dernier tome reste à paraître. Cette fresque – qu’on décrit dans Les Inrockuptibles comme « un livre-patchwork qui traverserait les classes sociales » – fait un état des lieux de la contre-culture à l’ère du néolibéralisme et du divertissement. Au centre de cet univers où règne la précarité, on observe une vie en déréliction, celle de Vernon Subutex, un rockeur cinquantenaire, ancien disquaire déchu à cause de la dématérialisation de la musique. Évincé de son appartement au début du récit, il squatte un peu partout à Paris, chez d’anciennes relations qu’il n’a pas vues depuis des années. Il se laisse aller jusqu’à la dérive ultime, aboutissant dans la rue à la fin du premier volume.
Par ailleurs, il n’y a pas que la déchéance au centre de cette histoire qui tient aussi du polar. Vernon est en possession d’une potentielle mine d’or : un enregistrement sur lequel tout le monde veut mettre la main, mystérieuse vidéo-testament où la rock star Alex Bleach, retrouvée morte récemment dans la baignoire d’une chambre d’hôtel, se serait livrée à des confessions. Adolescent, Bleach était un client de Revolver, la boutique de Vernon. Ayant connu la désillusion en même temps que le succès, il était toujours resté reconnaissant envers le disquaire, « celui par qui la magie était arrivée ».
La première partie de Vernon Subutex donne le ton à l’ensemble du récit. Despentes débute avec la chute du héros, tranchant avec les histoires d’ascension auxquelles nous ont habitués certains grands romanciers des siècles précédents. À cela s’ajoutent d’autres éléments qui rendent le texte virulent, notamment les personnages chez qui l’idéalisme est relégué à une époque révolue, celle-ci coïncidant la plupart du temps avec la jeunesse. Cette situation est un terreau fertile, chez plus d’un protagoniste, pour l’amertume, la mélancolie et la nostalgie. On pourrait aussi parler de la solitude qui s’est installée et de la triste décrépitude des corps (thématiques chères à Michel Houellebecq). En outre, la haine et la révolte qu’on retrouvait dans Baise-moi sont toujours présentes, mais elles se manifestent sous divers aspects. Il reste certes cette âpreté du langage et cette agressivité qui caractérisent le premier roman de Despentes, mais cette violence, en plus d’être physique par moments, prend une forme plus sourde, celle du système…
Cette représentation corrosive du déclin de la société occidentale passe donc par toute une galerie de personnages, des individus qu’on voit de l’intérieur et de l’extérieur grâce à la multiplication des perspectives narratives. Cela concerne, en particulier, ceux qui hébergent tour à tour Vernon pour quelques nuits. Pour la plupart, ils ont beaucoup changé depuis l’époque où Subutex était l’un des plus célèbres disquaires de Paris. Certains sont passés du monde punk à celui des bourgeois, de la gauche à la droite idéologique.
Pour le reste, on retrouve aussi dans le récit un trader dont la morale tient du darwinisme, un producteur avide de pouvoir et prêt à tout pour récupérer les cassettes, une femme surnommée « la Hyène », qui gagne sa vie comme mercenaire sur le Web (un « troll »), une jeune musulmane devenue très pratiquante en dépit de son éducation laïque (une façon de se révolter contre ses parents), un voyou d’extrême droite que, curieusement (on est étonné parce qu’il s’agit de Despentes), le livre cherche à comprendre… Qui plus est, les lecteurs familiers avec l’auteure apprécieront peut-être de retrouver le monde de la marge, représenté avec le milieu punk qui croise celui des gais et lesbiennes ou de la porno. Tous ces éléments finissent par converger autour de Vernon qui, dans le deuxième tome, devient sans l’avoir cherché une sorte de gourou. Ces satellites qui n’auraient jamais dû se rencontrer forment autour du héros une sorte de communauté bigarrée, voire improbable, entrecroisant les points de vue pour créer une mosaïque digne de La comédie humaine. Une œuvre drôle et foisonnante, qu’on aurait tort de réduire à une suite de romans « trash ».
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