Comment de bons pères de famille, des maris aimants, des fils attentionnés ont-ils pu fermer les portes des chambres à gaz sur des millions d’enfants, de femmes et de vieillards ? Pourquoi se trouvait-il, au même moment, des gens prêts à prendre les plus grands risques pour sauver la vie de purs étrangers ? Pourquoi cette opposition dans les comportements d’individus que rien ne distingue les uns des autres ? Sous-titré Banalité du mal, banalité du bien, Un si fragile vernis d’humanité de Michel Terestchenko tente de répondre à ces questions en examinant les motivations éthiques et morales du comportement humain.
Dans une première partie, Terestchenko rappelle le fondement des idées que défendent les tenants de la théorie de l’égoïsme du comportement humain (l’être humain n’agirait partout et toujours que pour son intérêt personnel). Cette conception était celle des moralistes du XVIIe siècle, dont la pensée s’est relayée jusqu’à nous dans le discours des sociologues et des économistes. L’auteur oppose à cette vision celle des tenants du comportement altruiste (Hutcheson, Hume) pour qui la conduite humaine ne peut se réduire à de simples calculs égocentriques puisque l’homme est parfois capable d’un don total de soi, par exemple pour ses enfants ou pour ceux qu’il aime. À ce paradigme égoïsme/altruisme, Terestchenko préfère celui qui oppose la présence à soi et l’absence à soi.
Cette présence à soi, il en donne des illustrations dans la seconde partie de son ouvrage. En évoquant le parcours de personnes aussi différentes que Giorgio Perlasca, Raoul Wallenberg, le pasteur André Trocmé et les habitants du village-refuge de Chambon-sur-Lignon qui ont risqué leur vie pour sauver des milliers de juifs de l’extermination, Terestchenko tente de trouver des constantes qui nous éclaireraient sur la raison profonde de leur altruisme.
Rédigé dans une langue accessible, Un si fragile vernis d’humanité déroule son propos en s’appuyant aussi bien sur les dernières études du comportement humain que sur la pensée philosophique la plus classique. L’auteur y ouvre de stimulantes perspectives à la réflexion, notamment, sur la notion de responsabilité individuelle. En proposant de faire de l’altruisme l’un des fondements probables de la nature humaine, Terestchenko tente de restituer un peu de sa liberté à un homo sapiens dont on a trop dit qu’il n’était que l’objet de ses passions et le pantin de tous les pouvoirs.