Il paraît que de l’espace, les astronautes peuvent voir les gens qui font l’amour par le rayonnement qu’ils émettent. En 1804, le shtetl de Trachimbrod en Ukraine aurait été complètement illuminé par les orgasmes simultanés que provoqua une seule femme, la « très arrière-grand-mère » de Jonathan Safran Foer, un jeune écrivain juif américain. La naissance de cette demi déesse dans les eaux de la Brod en 1791 aurait d’ailleurs été à l’origine d’une fête célébrée tous les ans jusqu’à l’arrivée des nazis en 1942. Dans l’intervalle, l’histoire s’écrit plus qu’elle ne se vit : dans le journal de sa très arrière-grand-mère, dans le Livre des antécédents, dans le Livre des rêves récurrents et dans les rêves de celui qui construit son propre mythe des origines.
En 1997, l’écrivain part à la recherche de ce village rayé des cartes et de la femme qui aurait sauvé son grand-père des nazis. Il fait appel à un jeune Ukrainien qui, malgré une connaissance approximative de l’anglais, deviendra son interprète au cours du voyage et, après le voyage, l’interprète de leur aventure commune. Le grand-père du jeune homme, affichant une fausse cécité, leur servira de chauffeur, et son chien-guide, Sammy Davis Junior, Junior, à pas grand chose, sinon à faire rire et pas un peu.
L’humour, c’est la leçon qu’on tire de ce roman, constitue un exutoire plus sage que la violence. Dire la difficulté de vivre, le deuil, le viol, la mort avec autant d’allégresse tient du génie. Malgré son caractère exubérant. Nous ne saurions parler, comme Russell Banks en quatrième de couverture, de la « sagesse » de l’auteur. L’illumination, si le mot s’applique ici, résulterait plutôt d’une sorte d’aveuglement par la lumière : le livre déborde d’étincelles. Il va de soi que celles-ci ne sont pas d’égale puissance, et ne bénéficient pas toutes d’un développement substantiel. C’est un des torts de la jeunesse.